Chapitre 11 Hypercalcémie
L’interrogatoire, l’examen clinique et quelques examens biologiques permettent dans la très grande majorité des cas d’identifier la cause et de proposer le traitement approprié.
MÉTABOLISME DU CALCIUM
L’organisme d’un adulte sain de 70 kg contient environ 25 000 mmol (1 kg) de calcium, majoritairement dans l’os (> 99 %) alors que moins de 1 % est présent dans le liquide extracellulaire (ECF) (environ 20 mmol ou 800 mg). Néanmoins, la variable régulée n’est pas le contenu de l’organisme en calcium, mais la concentration de calcium dans le liquide extracellulaire. La calcémie d’un sujet normal se maintient à une valeur extrêmement stable grâce à l’intervention de deux organes, l’os et le rein. Habituellement, l’absorption intestinale du calcium alimentaire n’affecte la calcémie que transitoirement et n’est pas impliquée dans la régulation à court terme de la calcémie.
L’os et le rein sont deux organes qui déterminent la valeur de calcémie à jeun. Afin de maintenir une calcémie stable dans cette condition, l’os libère une quantité de calcium identique à la quantité excrétée dans l’urine pendant le même intervalle de temps. Cette valeur de calcémie d’équilibre est contrôlée par deux hormones, l’hormone parathyroïdienne (PTH) et le métabolite actif de la vitamine D, la 1,25 (OH)2 vitamine D ou calcitriol. La PTH est une hormone peptidique qui agit sur l’os, en augmentant la libération osseuse en calcium, et sur le rein en augmentant la réabsorption tubulaire de calcium, limitant ainsi la perte urinaire de calcium. De plus, la PTH stimule l’activité de l’1α hydroxylase rénale et, donc, la production de calcitriol. Le calcitriol est une hormone stéroïde qui se lie à un récepteur cytosolique spécifique, présent dans de nombreux types cellulaires dont les cellules tubulaires rénales, les cellules de l’épithélium intestinal, ainsi que certaines cellules osseuses. À court terme, le calcitriol a un effet sur l’os et le rein similaire à celui de la PTH. Ces deux hormones s’opposent donc à la survenue d’une hypocalcémie. En effet, une tendance à la baisse de la calcémie est immédiatement détectée par les cellules parathyroïdiennes grâce à un récepteur spécifique, le « Calcium-sensing receptor » (CaSR). En réponse, la sécrétion de PTH augmente, provoquant la libération osseuse de calcium et la diminution de l’excrétion urinaire de calcium et ainsi, le retour de la calcémie à la normale. Inversement, une tendance à l’élévation de la calcémie (par exemple, après un repas contenant des produits laitiers) provoque la diminution de la sécrétion de PTH, la diminution de la libération osseuse de calcium et l’augmentation de l’excrétion urinaire de calcium.
Un point notable est que cette libération rapide de calcium par l’os qui intervient dans le contrôle instantané de la valeur de calcémie repose surun processus distinct du remodelage osseux. Le remodelage osseux, c’est-à-dire l’activité continue de destruction (par les ostéoclastes) et de formation (par les ostéoblastes) de l’os ne participe pas au contrôle de la calcémie, en situation normale, parce que ces deux activités sont très étroitement coordonnées, responsables chacune d’un flux de calcium entre l’os et le liquide extracellulaire identique, mais opposé, le flux résultant restant nul. Même en cas d’augmentation importante du remodelage osseux, comme on peut l’observer au cours de la maladie de Paget, la calcémie ne varie pas, pour autant que le couplage entre ces activités ostéoclastiques et ostéoblastiques persiste.
MÉCANISME DES HYPERCALCÉMIES
Deux types de désordres peuvent être à l’origine d’une hypercalcémie.
Excès primitif de sécrétion de PTH
Le premier type de désordres est un excès primitif de sécrétion de PTH. Dans cette situation, l’augmentation de la sécrétion (et de la concentration) de PTH provoque une augmentation de la mobilisation du calcium osseux et une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale de calcium filtré, l’ensemble aboutissant nécessairement à une augmentation de la calcémie ; celle-ci se stabilise à une nouvelle valeur, plus élevée que la valeur normale, pour laquelle les entrées d’origine osseuse et les sorties rénales redeviennent identiques. Dans cette nouvelle situation, le bilan de calcium et, en grande partie, la masse minérale osseuse, restent inchangés par comparaison avec une situation normale. L’hypercalcémie stable, résultante d’une altération primitive de la sécrétion de PTH est, pour cette raison, qualifiée d’hypercalcémie « en équilibre ». Au nouvel état stable, la calcémie est élevée et la concentration sérique de PTH est élevée ou normale, inappropriée à l’hypercalcémie. La calciurie des 24 heures peut être normale ou augmentée ; dans ce dernier cas, elle reflète une augmentation de l’absorption intestinale de calcium, le plus souvent due à une augmentation de la synthèse de calcitriol induite par l’excès de PTH. Dans sa forme habituelle, l’hyperparathyroïdie primitive est un exemple typique d’hypercalcémie « en équilibre ».
Altération primitive du remodelage osseux
La seconde situation est celle d’une altération primitive du remodelage osseux, produisant une augmentation importante de la résorption osseuse nette, une diminution de la masse minérale osseuse et un bilan de calcium négatif. Ceci s’observe lorsqu’une augmentation de la résorption ostéoclastique s’associe à une formation osseuse ostéoblastique découplée (c’est-à-dire non augmentée, voire inhibée). L’important flux net de calcium dans le liquide extracellulaire qui en résulte peut dépasser la capacité du rein à éliminer le calcium, provoquant une hypercalcémie progressive appelée hypercalcémie « en déséquilibre ». En effet, une diminution du volume extracellulaire s’y associe fréquemment en raison de vomissements et d’une perte rénale de sodium directement due à l’hypercalcémie : la diminution du volume extracellulaire provoque une diminution du débit de filtration glomérulaire et une augmentation de la réabsorption tubulaire proximale du calcium, qui aggravent l’hypercalcémie. En présence de l’hypercalcémie, la concentration sérique de PTH est basse, adaptée, et la calciurie est élevée, reflétant l’entrée excessive de calcium dans le liquide extracellulaire. L’hypercalcémie qui complique l’évolution de certaines néoplasies est un exemple typique d’hypercalcémie « en déséquilibre ».
DIAGNOSTIC
Mesure de la calcémie
La variable régulée est la concentration extracellulaire de calcium et, plus précisément, la concentration de calcium ionisé. En effet, le calcium sérique total est une variable hétérogène et comprend plusieurs fractions : environ 5055 % du calcium sérique total existe sous forme ionisée (libre) et constitue à la fois la fraction biologiquement active et la fraction régulée ; le reste est supposé biologiquement inerte, comprenant une fraction liée aux protéines sanguines (albumine, principalement) et une fraction liée aux anions du sérum.
Les valeurs normales, chez l’adulte, de la concentration de calcium sérique total sont comprises entre 2,10 et 2,53 mmol/L à jeun ; elles sont modérément supérieures d’environ 0,1 mmol/L chez l’enfant et l’adolescent. Il est important d’effectuer la mesure à jeun parce qu’en période postprandiale, la concentration de calcium total augmente : la variation observée peut atteindre 0,15 mmol/L chez les sujets normaux, et est supérieure chez les sujets qui ont une absorption intestinale du calcium pathologiquement augmentée.
Bien que la variable régulée soit la concentration sérique du calcium ionisé, le diagnostic d’hypercalcémie peut souvent être établi sur la constatation d’une concentration de calcium total anormalement haut parce que les variations de la concentration du calcium libre s’accompagnent de variations parallèles de la concentration du calcium total. Cependant, des anomalies de la concentration de protéines sériques et/ou des anomalies de l’état acide-base sont à l’origine de dissociations. Ainsi, une augmentation de la concentration sérique d’albumine produit une élévation de la fraction du calcium total liée à cette protéine, et donc une augmentation de la calcémie, en dehors de toute variation de la concentration de calcium ionisé ; une augmentation de la concentration sérique de certaines immunoglobulines (comme dans le myélome) entraîne également une augmentation du calcium total sans modification du calcium ionisé. De même, les variations de la concentration sanguine des ions hydrogène (c’est-à-dire du pH extracellulaire), sont capables d’induire des variations de la fraction du calcium liée à l’albumine parce que les ions hydrogène et les ions Ca++ sont en compétition pour la liaison à l’albumine. Ainsi, une alcalose aiguë, caractérisée par une diminution de la concentration extracellulaire d’ions hydrogène entraîne une redistribution du calcium sérique entre ses différentes fractions : le calcium lié à l’albumine augmente, le calcium libre diminue et la concentration de calcium total ne varie pas. En particulier, une alcalose ventilatoire aiguë, qui peut apparaître au cours d’un prélèvement douloureux ou chez un sujet émotif, provoque une diminution brutale du calcium ionisé sérique et une augmentation du calcium lié aux protéines. Une telle variation de l’état acide base est reconnue par les appareils de mesure du calcium ionisé, qui possèdent, outre l’électrode spécifique pour la mesure du calcium libre, une électrode pH. Ces appareils proposent une valeur de concentration de calcium ionisé « corrigée », c’est-à-dire calculée pour un pH sanguin de 7,40. La prise en compte de cette valeur « corrigée » est licite en cas de perturbation brutale de l’état acide base. Elle est évidemment illégitime en cas de désordre prolongé de l’état acide base. Si la situation d’alcalose se prolonge (alcalose chronique), la concentration de calcium ionisé, variable régulée, se normalise, grâce à l’intervention des hormones « calciotropes » et la concentration de calcium total augmente. Des modifications opposées sont observées en cas d’acidose extracellulaire.
En résumé, en l’absence d’anomalie des protéines sanguines et du pH extracellulaire, une anomalie de la concentration de calcium ionisé peut être détectée, de manière fiable, par la mesure du calcium total. En revanche, en cas de l’une ou l’autre de ces anomalies, la mesure directe de la concentration du calcium ionisé, grâce à une électrode spécifique, doit être effectuée. Cette mesure nécessite quelques précautions quant à la technique de prélèvement, celui-ci devant être effectué sur un membre au repos et, au mieux, sans garrot, pour éviter les variations du pH sanguin. Lorsque l’accès à cette mesure n’est pas possible, on peut calculer une calcémie « corrigée », en sachant que chaque gramme d’albumine complexe normalement 0,02 à 0,025 mmol de calcium. Ainsi, chez un sujet dont l’albuminémie est mesurée à 60 g/L, on peut diminuer la calcémie mesurée de 0,4 à 0,5 mmol/L pour obtenir une calcémie « corrigée ». Cette procédure fournit un résultat assez approximatif.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

