Échocardiographie peropératoire de chirurgie reconstructrice mitrale

21. Échocardiographie peropératoire de chirurgie reconstructrice mitrale

A. Berrebi



L’échocardiographie cardiaque peropératoire est d’importance capitale dans l’évaluation des plasties mitrales [1]. Utilisée dès 1985 dans notre groupe sous l’impulsion d’Alain Carpentier, elle a connu un essor considérable ces dernières années [2]. Les deux raisons essentielles en sont la diffusion de l’échocardiographie transœsophagienne (ETO) et le développement des techniques chirurgicales reconstructrices [3], qui ont fait la preuve de leur supériorité sur toutes les autres techniques existantes [4]. L’échocardiographie peropératoire est une activité spécifique, un travail d’équipe remarquable par la collaboration étroite qu’elle nécessite entre les cardiologues échographistes, les chirurgiens et les anesthésistes. Elle suppose de la part de l’échocardiographiste un prérequis en chirurgie cardiaque et lui impose de parler avec le chirurgien un langage commun qui est fondamental dans le domaine de la chirurgie reconstructrice mitrale. L’échocardiographie peropératoire, outil devenu indispensable et irremplaçable dans notre activité quotidienne, apporte au chirurgien des informations uniques qui lui sont inaccessibles au cours du geste opératoire. Ces informations sont d’ordre morphologique et surtout fonctionnel. Elles permettent de planifier au mieux le geste chirurgical en préopératoire et un contrôle immédiat du résultat fonctionnel de la plastie mitrale en peropératoire, véritable « filet de sécurité » pour le chirurgien.

Ce chapitre développera successivement les principes de l’échocardiographie peropératoire, ses principales indications en chirurgie valvulaire et son intérêt dans l’évaluation des nouvelles techniques chirurgicales.


Principes et méthodes : échocardiographie épicardique ou transœsophagienne ?




▪ Échocardiographie transœsophagienne : examen de première ligne


L’ETO est plus adaptée à la période peropératoire, car elle n’interfère pas avec le champ chirurgical et l’examen peut être réalisé pendant l’acte opératoire sans le perturber. En outre, l’apparition des sondes transœsophagiennes multiplans pourvues du Doppler continu a comblé les lacunes inhérentes aux premières sondes monoplans, permettant ainsi l’exploration de la plupart des structures anatomiques cardiaques et une analyse hémodynamique complète.


▪ Disponibilité et expérience de l’échographiste


L’échocardiographie peropératoire impose une disponibilité totale de l’échocardiographiste et de la machine dédiée à cette activité spécifique. L’échocardiographe doit être de bonne qualité et situé au sein même du département de chirurgie cardiaque, idéalement au bloc opératoire. Les demandes d’échocardiographie peropératoire sont généralement programmées, mais parfois urgentes, et il est capital que l’échocardiographiste travaille au sein du département de chirurgie cardiaque, condition permettant une indispensable souplesse de fonctionnement.


▪ Une réponse de type binaire


L’échocardiographiste doit également être expérimenté car l’échocardiographie peropératoire impose une réponse rapide et précise, de type binaire : peut-on ou non réparer cette valve mitrale ? Faut-il repartir en circulation extracorporelle (CEC) pour parfaire une plastie mitrale ou remplacer la valve lorsque persiste une régurgitation même minime ? L’importance capitale que peut avoir ce type de décision requiert à la fois une sûreté du diagnostic échocardiographique, ainsi qu’une prudence et une humilité généralement proportionnelles à l’expérience de l’opérateur.



▪ Spécificité et déroulement d’une échocardiographie peropératoire


La sonde transœsophagienne doit être introduite au bloc opératoire, chez un patient sous anesthésie générale, avant la mise en place des champs stériles. Elle est réalisée au moment de l’introduction de la sonde gastrique, le plus souvent par l’anesthésiste. La sonde est mise soit à l’aveugle, soit à l’aide d’un laryngoscope, en ne forçant jamais. Il est très important de planifier l’indication de l’ETO peropératoire, car il est souvent plus difficile d’introduire une sonde une fois les champs opératoires mis en place. Afin d’éviter les artefacts créés par le bistouri électrique, il est nécessaire de réaliser l’examen préopératoire soit avant l’ouverture du thorax, soit une fois le malade canulé avant le départ en CEC. Si l’image est difficile à obtenir, cela peut être lié à la présence de liquide gastrique ou d’air dans l’estomac, ce qui impose une aspiration par la sonde gastrique. L’examen dure environ 10 à 15min et doit être complet.

Quelle que soit la pathologie valvulaire en cause, il est important de débuter l’examen par l’analyse quantitative de la fonction des ventricules et des conditions de remplissage. En effet, ces paramètres constituent une mesure de référence indispensable à l’interprétation de l’échocardiographie postopératoire immédiate qui doit se dérouler dans des conditions hémodynamiques comparables à celles existant en préopératoire. L’examen sera bien entendu centré sur la valvulopathie en cause, mais il devra également être complet afin de ne pas méconnaître une valvulopathie associée, notamment une insuffisance aortique qui peut influencer le mode d’injection de la cardioplégie.

Compte tenu des conditions de l’ETO pratiquée sous anesthésie générale, il ne nous paraît pas adapté de réaliser au bloc opératoire une quantification précise des dysfonctions valvulaires, qui sont alors souvent sous-estimées. En revanche, l’analyse fine du mécanisme de la dysfonction valvulaire est l’objectif prioritaire avant une plastie mitrale. Il est important que l’examen soit visualisé en temps réel par le chirurgien qui pourra ainsi être véritablement guidé dans le choix des techniques chirurgicales utilisées pour un patient donné. La sonde d’ETO est laissée en place pendant le geste chirurgical, en général dans l’estomac, de manière à éviter tout traumatisme œsophagien, débranchée de l’échographe et les manettes débloquées.


Chirurgie mitrale reconstructrice : examen préopératoire




▪ Évaluation valvulaire préopératoire


L’objectif essentiel de cet examen est de prédire la faisabilité de la plastie mitrale fondée sur les données de l’analyse valvulaire qui comprend trois étapes : l’analyse fonctionnelle, l’analyse segmentaire, l’analyse étiologique et l’évaluation du risque de mouvement antérieur de la valve mitrale ou systolic anterior motion (SAM). Il faut également apprécier la fonction ventriculaire gauche et les conditions de charge, notions utiles pour le chirurgien et l’anesthésiste.


Analyse fonctionnelle : classification des insuffisances mitrales de Carpentier


L’analyse fonctionnelle repose sur la classification de Carpentier [3]. Celle-ci distingue trois types d’insuffisance mitrale en fonction de la qualité des mouvements valvulaires (Figure 21-1) :








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Figure 21-1
Représentation schématique de la classification fonctionnelle des insuffisances mitrales de Carpentier.





– type I : mouvements valvulaires normaux. L’insuffisance mitrale peut être liée à une dilatation de l’anneau ou à une perforation d’un feuillet valvulaire (endocardite) ;


– type II : prolapsus valvulaire. L’insuffisance mitrale est liée au fait que le bord libre d’un feuillet valvulaire (antérieur et/ou postérieur) dépasse le plan de l’anneau en systole. Cette définition fonctionnelle précise du prolapsus permet de le différencier d’une simple ballonnisation mitrale rencontrée dans la maladie de Barlow où le corps des feuillets valvulaires réalise une simple protrusion dans l’oreillette gauche sans que le bord libre de la valve dépasse le plan de l’anneau ;


– type III : mouvements valvulaires réduits. La restriction au mouvement valvulaire peut survenir en diastole ou en systole, ce qui permet de distinguer :




• le type IIIa où la restriction est de type diastolique : les feuillets valvulaires ont un mouvement réduit en position demi-ouverte. C’est le cas des affections rhumatismales ;


• le type IIIb qui répond à un mouvement de restriction en systole alors que l’ouverture se fait de façon satisfaisante. C’est le cas des insuffisances mitrales ischémiques (syndrome pilier-mur postérieur) ou des cardiomyopathies dilatées évoluées.

Certaines insuffisances mitrales peuvent associer un mécanisme de type II et de type III. C’est le cas par exemple des insuffisances mitrales rhumatismales où coexistent volontiers un type II antérieur (par élongation de cordages) et un type IIIa postérieur. La dilatation de l’anneau qui accompagne les insuffisances mitrales de type II ou de type III est une lésion associée. Certains parlent de type I/II lorsqu’une dilatation de l’anneau est associée à un prolapsus valvulaire. C’est inapproprié dans la mesure où l’on ne peut avoir à la fois des mouvements valvulaires normaux (type I) et un prolapsus valvulaire (type II). On doit parler dans ce cas de type II (dysfonction prédominante) avec dilatation de l’anneau.


Analyse segmentaire : les huit segments de la valve mitrale


Carpentier distingue 8 segments à la valve mitrale [6]. Ils peuvent être aisément repérés par ETO, donnant au chirurgien de précieuses indications sur la localisation précise de l’incompétence valvulaire (Figure 21-2). Ces segments sont, outre les deux commissures antérieure et postérieure :








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Figure 21-2
Représentation schématique de la segmentation de la valve mitrale proposée par Carpentier (voir texte pour détails).





– les régions P1 et A1 pour les segments paracommissuraux antérieurs des feuillets, respectivement postérieurs et antérieurs ;


– P2 et A2 pour les segments moyens des feuillets postérieurs et antérieurs ;


– P3 et A3 pour les segments paracommissuraux postérieurs des feuillets postérieurs et antérieurs.

Deux repères anatomiques sont utiles pour l’analyse segmentaire : l’aorte ascendante qui est dans le même axe longitudinal que A2–P2, et l’auricule gauche qui est proche de la commissure antérieure.

En ETO monoplan, dans la vue transœsophagienne transversale des 4 cavités, l’analyse segmentaire est réalisée par des coupes à trois niveaux successifs (Figure 21-3) :








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Figure 21-3
Analyse segmentaire de la valve mitrale en échocardiographie transœsophagienne monoplan. Les trois plans transversaux successifs obtenus en enfonçant progressivement la sonde œsophagienne permettent de visualiser les différents segments de la valve mitrale (voir texte pour détails).






– le niveau le plus haut, coupant la valve aortique et l’auricule gauche, permet d’identifier A1 et P1 ;


– le niveau moyen permet d’identifier les segments A2 et P2, l’aorte n’est plus visualisée ;

May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on Échocardiographie peropératoire de chirurgie reconstructrice mitrale

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