13. Défaillance hémodynamique après chirurgie cardiaque
J.-L. Canivet
Le monitorage hémodynamique et l’évaluation diagnostique de l’insuffisance circulatoire postopératoire sont classiquement réalisés au moyen du cathéter artériel pulmonaire. Celui-ci ne semble cependant avoir aucun impact positif sur la mortalité et la morbidité opératoires après pontage aortocoronaire, en dépit d’une utilisation plus importante d’agents vasoactifs par rapport aux patients traités au moyen d’un simple cathéter veineux central [1]. Ce paradoxe apparent a plusieurs explications. Les limites de l’analyse des résultats du cathétérisme droit peuvent conduire à une interprétation physiopathologique erronée et donc à des conduites thérapeutiques inappropriées. La correction symptomatique des paramètres hémodynamiques dérivés du cathétérisme droit peut se révéler sans impact réel sur le devenir des patients en dépit d’un recours systématique à un support pharmacologique. Enfin et surtout, certains déterminants majeurs de la mortalité et de la morbidité opératoires échappent au monitorage hémodynamique classique.
Chez des patients en hypotension artérielle réfractaire après chirurgie cardiaque, Reichert et al. [2] ont montré qu’une approche diagnostique complémentaire par échocardiographie transœsophagienne (ETO) ne confirmait que 50 % des diagnostics établis sur base du cathétérisme droit. Dans notre expérience [3, 4], une évaluation complémentaire par ETO induit une modification majeure des traitements initiés sur la base du cathétérisme droit chez 50 % des patients en état de choc cardiogénique postopératoire. À l’encontre des idées reçues relatives au caractère opérateur-dépendant de l’examen échocardiographique, on a pu montrer que cet examen était associé à un taux de concordance interobservateur supérieur à celui observé pour le monitorage invasif dans l’approche diagnostique de l’instabilité hémodynamique après chirurgie cardiaque [5].
Particularités de l’échocardiographie Doppler après chirurgie cardiaque
▪ Voie transthoracique ou transœsophagienne
En période postopératoire immédiate, les conditions techniques (plaie chirurgicale, drains thoraciques, interfaces aériques dues à l’incision thoracique et à la ventilation mécanique) rendent malaisée l’utilisation de l’échocardiographie transthoracique (ETT). Malgré l’amélioration de la qualité d’imagerie liée au mode bidimensionnel en seconde harmonique, la voie sous-costale si utile en réanimation polyvalente est le plus souvent impraticable du fait de la présence de drains médiastinaux. Les voies parasternales ou apicales restent partiellement utilisables (40 % des cas dans notre expérience), essentiellement à des fins de monitorage hémodynamique (débit cardiaque) et d’évaluation de la fonction systolique globale des deux ventricules. Une analyse précise de la fonction systolique segmentaire est le plus souvent impossible, notamment pour la paroi antérieure du ventricule gauche. De même, la qualité inadéquate des images bidimensionnelles ne permet généralement pas d’obtenir des détails anatomiques précis. Il convient absolument de se garder d’un examen transthoracique incomplet qui risquerait de faire méconnaître une cause mécanique d’insuffisance circulatoire postopératoire. Dès lors, l’évaluation initiale d’une insuffisance circulatoire postopératoire impose souvent le recours à la voie transœsophagienne. Un examen transthoracique complet devient en règle générale possible vers la fin de la première semaine opératoire.
▪ Contexte clinique
L’insuffisance circulatoire aiguë après chirurgie cardiaque revêt schématiquement trois présentations cliniques : l’hypotension artérielle, le bas débit cardiaque et l’hypoxémie. L’insuffisance circulatoire peut être présente dès le retour de salle d’opération, ou apparaître secondairement aux soins intensifs de manière progressive ou brutale (collapsus). Dans ce dernier cas, l’ETO réalisée de toute urgence permet d’identifier les situations où une thoracotomie immédiate réalisée au lit du patient, par exemple pour traiter une tamponnade, est le seul moyen pour restaurer une circulation efficace (figure 13-1).
Figure 13-1 |
L’insuffisance circulatoire postopératoire résulte habituellement de l’interaction de trois mécanismes étiologiques : une dysfonction myocardique chronique préopératoire, une perte périopératoire de myocarde fonctionnel, et une correction chirurgicale suboptimale ou entachée d’une complication secondaire [6]. L’ETO permet d’exclure une cause spécifique de choc qui serait irréversible en l’absence de révision chirurgicale. L’examen postopératoire doit évidemment être interprété à la lumière des données échocardiographiques pré- et peropératoires éventuelles, ainsi que du contexte clinique postopératoire.
Données préopératoires
La notion d’une dysfonction systolique globale (cardiomyopathie dilatée) ou segmentaire (nécrose, hibernation) du ventricule gauche en préopératoire est capitale. Dans le premier cas, une perte périopératoire minime de capital myocardique est susceptible d’entraîner une défaillance circulatoire. Dans le second cas, une connaissance précise de la topographie des anomalies préopératoires de cinétique segmentaire et de leur réversibilité potentielle (viabilité) est indispensable à l’interprétation de la fonction systolique régionale postopératoire.
La correction chirurgicale d’une valvulopathie sévère rend délicate la comparaison de la fonction systolique globale pré- et postopératoire en raison des modifications importantes des conditions de charge du ventricule gauche. Par exemple, l’insuffisance mitrale sévère peut faire surestimer la fonction de pompe préopératoire du ventricule gauche, et le rétrécissement aortique serré peut la faire sous-estimer.
Recueil des données périopératoires
Les informations peropératoires essentielles concernent la survenue d’événements hémodynamiques, ischémiques ou rythmiques lors du monitorage électrocardioscopique, les éventuels problèmes de cardioprotection, la qualité de la revascularisation chirurgicale, la description précise du type de plastie ou les difficultés de mise en place d’une prothèse valvulaire, la notion d’une fragilité anormale des tissus myocardique ou vasculaire, etc. La relecture des données de l’ETO peropératoire est également fondamentale.
La période postopératoire concerne directement l’opérateur qui réalise l’échocardiographie Doppler. Celui-ci doit prendre en compte dans l’interprétation des résultats de l’examen l’impact éventuel des réglages du respirateur, les modifications rapides des contraintes métaboliques (réveil, douleur, frissons, température centrale) et les variations parfois brutales des conditions de charge des ventricules (saignement, vasoplégie due au réchauffement, perfusion de médicaments vasoactifs). Comme toujours, la fonction systolique des ventricules ne pourra être interprétée qu’en ayant connaissance de la nature et du débit des médicaments à tropisme cardiovasculaire (notamment, catécholamines) administrés au patient pendant l’examen.
Conduite raisonnée de l’échocardiographie Doppler après chirurgie cardiaque
L’échocardiographie Doppler doit répondre à trois impératifs : évaluer l’état hémodynamique de façon non invasive, évaluer la fonction de pompe ventriculaire, et identifier le mécanisme de l’insuffisance circulatoire aiguë postopératoire.
▪ Évaluation hémodynamique non invasive
L’évaluation hémodynamique non invasive doit tout d’abord permettre d’évaluer la sévérité de l’insuffisance circulatoire en utilisant des paramètres hémodynamiques quantitatifs, en termes de débit cardiaque et risque d’hypoperfusion tissulaire, pressions diastoliques gauches et risque d’œdème pulmonaire, et pression artérielle pulmonaire et risque de dysfonction ventriculaire droite. Cette évaluation hémodynamique doit également permettre d’évaluer la réponse au traitement, parfois en complément d’un monitorage invasif continu [7]. Le piège à éviter est de reproduire le raisonnement qui consiste à interpréter le débit cardiaque en fonction des pressions de remplissage utilisées comme succédané de précharge, car l’évolution discordante du volume et de la pression télédiastolique du ventricule gauche après chirurgie cardiaque invalide cette approche [8]. Les résultats de l’échocardiographie Doppler doivent être confrontés aux données cliniques, biochimiques et aux paramètres globaux d’oxygénation tissulaire [9].
Le débit cardiaque peut être mesuré à partir de la mesure des volumes ventriculaires, ou mieux la méthode Doppler appliquée à l’orifice aortique (voir chapitre 6). Sa valeur pronostique a été suggérée [10]. La circulation extracorporelle (CEC) induit une dysfonction diastolique transitoire du ventricule gauche [11, 12]. Cette dysfonction diastolique associée à l’élévation des pressions intrathoraciques juxtacardiaques liée à la chirurgie (suture péricardique, fermeture sternale) explique l’évolution discordante entre pression et volume télédiastolique (précharge) du ventricule gauche après CEC [8, 13, 14]. C’est pourquoi les pressions de remplissage du ventricule gauche ne constituent pas un indice fiable de sa précharge, notamment après chirurgie cardiaque [8, 13, 14 and 15]. En revanche, elles dépendent de la fonction diastolique du ventricule gauche et reflètent sa tolérance du remplissage vasculaire (voir chapitre 10).
L’hypertension artérielle pulmonaire est associée à un risque accru de mortalité et morbidité postopératoires en chirurgie cardiaque [16]. L’estimation de la pression artérielle pulmonaire systolique est utile à l’évaluation de la réponse thérapeutique à un traitement vasodilatateur pulmonaire (monoxyde d’azote [NO] en inhalation, par exemple) [17]. Son évaluation en Doppler repose sur l’analyse du jet de régurgitation tricuspide (voir chapitre 9). En ETO, l’alignement du faisceau Doppler sur le jet de régurgitation peut être optimisé en utilisant l’incidence œsophagienne 4 cavités centrée sur le massif auriculaire entre 45° et 120° (figure 13-2).
▪ Évaluation de la fonction de pompe ventriculaire
L’échocardiographie Doppler a pour but d’évaluer les principaux déterminants de la fonction de pompe ventriculaire afin d’optimiser l’état hémodynamique de l’opéré cardiaque [18]. Parmi ceux-ci, deux déterminants essentiels ne sont pas directement accessibles à l’échocardiographie Doppler de routine : la perfusion coronaire [19] et la contractilité myocardique intrinsèque [20]. En revanche, l’échocardiographie Doppler fournit des informations sur les conditions de charge du ventricule gauche et surtout la précharge-dépendance du patient. De plus, elle donne des informations sur la géométrie du ventricule gauche et l’éventuel impact d’une chirurgie de correction valvulaire que ne fournissent pas les méthodes invasives (figure 13-3).
Figure 13-3 Modifié d’après [18] avec autorisation. |
Précharge et précharge-dépendance
Chez l’opéré cardiaque, il existe en général une relation étroite entre les dimensions télédiastoliques du ventricule gauche (notamment sa surface télédiastolique en ETO) d’une part, et les variations volémiques [13, 21] et le débit cardiaque [14] d’autre part. Néanmoins, une valeur isolée de surface télédiastolique du ventricule gauche ne permet pas de prédire sa réponse au remplissage vasculaire, sauf valeurs extrêmes [22]. C’est pourquoi des indices de précharge-dépendance ont été proposés chez l’opéré cardiaque [23, 24 and 25], y compris des manœuvres posturales destinées à augmenter transitoirement le retour veineux [23], à l’instar de la démarche validée en réanimation médicale (voir chapitre 5). Cependant, la prédiction de la réponse au remplissage vasculaire à l’aide de ces indices a de nombreuses limites en postopératoire de chirurgie cardiaque, en raison notamment de la fréquence des arythmies cardiaques et de la dysfonction ventriculaire droite [17, 26], principale cause de faux résultat positif de cette méthode (voir chapitre 5).
Fonction systolique du ventricule gauche
Après chirurgie cardiaque comme dans tout autre situation clinique, les indices de fonction pompe du ventricule gauche tels que la fraction d’éjection ne reflètent pas directement la contractilité myocardique intrinsèque [27]. Ils ne sont que l’expression de cette contractilité dans des conditions de charge et de géométrie ventriculaire données (voir chapitre 6). Après pontage aortocoronaire, la fonction systolique segmentaire des territoires revascularisés ne récupère que progressivement [28, 29 and 30]. On peut observer une altération transitoire de la fonction systolique et diastolique globale du ventricule gauche liée au processus de sidération après l’ischémie-reperfusion [31]. Ces anomalies fonctionnelles et les modifications postopératoires des conditions de charge du cœur peuvent se traduire par une altération réversible des indices de pompe ventriculaire, surtout en cas de dysfonction ventriculaire préopératoire [32, 33]. La fraction d’éjection du ventricule gauche peut diminuer de l’ordre de 25 % et se normaliser en 24 à 48 h [34]. L’amélioration des techniques de cardioprotection peropératoires a cependant réduit l’incidence et la sévérité des dysfonctions myocardiques après CEC. La revascularisation coronaire à cœur battant semble avoir moins d’impact sur la fonction ventriculaire postopératoire [35]. Enfin, la réponse thérapeutique à un traitement inotrope positif est variable selon ses effets associés : tachycardie excessive (ischémie myocardique), augmentation de postcharge, etc. [36, 37].
Fonction diastolique du ventricule gauche
De nombreuses études objectivent une dysfonction diastolique transitoire (trouble de relaxation ou de compliance) après CEC [11, 12]. L’expansion volémique entraîne donc une augmentation rapide des pressions de remplissage du ventricule gauche [38]. L’anomalie de relaxation du ventricule gauche semble régresser progressivement à l’issue des premières heures postopératoires [11, 38, 39].
Géométrie du ventricule gauche
La géométrie du ventricule gauche est indispensable à intégrer dans l’évaluation des conditions de charge et de la fonction systolique globale (voir chapitre 6). Les anomalies structurelles du ventricule gauche sont très fréquentes en chirurgie cardiaque en raison du remodelage ventriculaire secondaire aux cardiopathies. Cette information échappe évidemment aux méthodes d’évaluation hémodynamiques invasives. Les deux principales anomalies de la géométrie du ventricule gauche sont l’hypertrophie pariétale et la dilatation cavitaire.
L’hypertrophie concentrique du ventricule gauche est généralement secondaire à une sténose aortique ou à une cardiopathie hypertensive. La fraction d’éjection est habituellement normale ou augmentée et il existe une dysfonction diastolique [40]. Une réduction postopératoire brutale de la postcharge du ventricule gauche (correction d’une sténose aortique, vasoplégie postopératoire) éventuellement associée à un traitement inotrope positif inapproprié est susceptible d’induire une insuffisance circulatoire aiguë par oblitération de la cavité et/ou obstacle dynamique intraventriculaire gauche (figure 13-4). La perte du rythme sinusal aggrave brutalement la dysfonction diastolique et diminue le débit cardiaque [41].
Figure 13-4 |
La dilatation du ventricule gauche est souvent secondaire à une cardiopathie ischémique ou valvulaire évoluée. Dans ces cas, la fonction systolique globale est réduite et la cavité ventriculaire a une déformation sphérique [42]. Toute augmentation postopératoire de la postcharge (hypertension artérielle) ou baisse de précharge est susceptible d’aggraver transitoirement la fonction systolique globale du ventricule gauche (figure 13-5).
Figure 13-5 |
La chirurgie peut modifier de manière aiguë la géométrie même du ventricule gauche, comme au décours d’une résection d’anévrisme. Les modifications chirurgicales de géométrie du ventricule gauche peuvent aggraver sa contrainte pariétale.
Impact postopératoire immédiat de la chirurgie valvulaire sur la fonction de pompe
La chirurgie valvulaire modifie de manière brutale les conditions de travail du cœur qui s’était adapté à une valvulopathie chronique.
Correction d’un rétrécissement aortique
La correction d’un rétrécissement aortique entraîne une réduction brutale de postcharge ventriculaire qui s’accompagne à long terme d’une réduction de la masse du ventricule gauche et d’une amélioration de sa fonction systolique et diastolique. En postopératoire immédiat, on observe le plus souvent une légère amélioration de la fonction systolique (liée à la levée d’obstruction) et une amélioration de la relaxation ventriculaire gauche (liée à l’amélioration de la perfusion sous-endocardique) [43, 44 and 45]. En présence d’une dysfonction ventriculaire gauche sévère (fraction d’éjection < 35 %), le remplacement valvulaire a une mortalité opératoire élevée. Néanmoins, il entraîne une amélioration significative de la fonction de pompe chez les survivants [46]. Le pronostic opératoire est meilleur lorsqu’il existe une réserve contractile du ventricule gauche en préopératoire (échocardiographie sous dobutamine) et que la prothèse valvulaire est de taille suffisante [47].
Correction d’une insuffisance aortique
La correction d’une insuffisance aortique s’accompagne au long cours d’un remodelage ventriculaire favorable et d’une amélioration de la fonction de pompe. Néanmoins, en postopératoire immédiat, la baisse brutale de précharge diminue la fonction systolique du ventricule gauche [45]. Une dégradation postopératoire de la fonction ventriculaire est susceptible de survenir chez les patients présentant une dysfonction préopératoire sévère et un volume télésystolique très augmenté [48].
Correction d’une insuffisance mitrale non ischémique
La correction d’une insuffisance mitrale s’accompagne au long cours d’une amélioration de la fonction de pompe. Néanmoins, en postopératoire immédiat, la baisse brutale de précharge et l’augmentation de postcharge du ventricule gauche peuvent entraîner une dégradation de sa fonction systolique [49]. Une dysfonction ventriculaire préopératoire sévère et un volume télédiastolique très augmenté sont des facteurs de mauvais pronostic [48]. De plus, une résection étendue de l’appareil sous-valvulaire mitral peut aggraver la contrainte pariétale du ventricule gauche, à l’opposé des techniques conservatrices de plastie mitrale [50].
Dyscongruence (mismatch) patient-prothèse
Dans le cadre d’un remplacement valvulaire pour rétrécissement aortique, une dyscongruence ou mismatch entre la surface d’ouverture effective de la prothèse (laquelle dépend de la taille et du type de prothèse) et le morphotype du patient (corrélé aux contraintes hémodynamiques et métaboliques) peut être responsable de la persistance d’un gradient transprothétique élevé et grever le pronostic postopératoire [51, 52]. La prise en compte de divers facteurs prédictifs permet d’éviter cette situation [51, 52]. La dyscongruence patient-prothèse est également rapportée dans le cadre du remplacement valvulaire mitral [53]. Ce phénomène est responsable de la persistance d’une hypertension artérielle pulmonaire postopératoire associée à une symptomatologie d’insuffisance cardiaque congestive.
▪ Diagnostic étiologique de l’insuffisance circulatoire postopératoire
À l’inverse des méthodes d’évaluation hémodynamique invasives, l’échocardiographie Doppler permet une analyse visuelle et fonctionnelle de la fonction cardiocirculatoire. Outre les besoins en remplissage vasculaire, elle permet d’identifier la nature du problème cardiaque à l’origine de la défaillance hémodynamique.
Principaux pièges du monitorage invasif déjoués par l’échocardiographie Doppler
L’utilisation de l’échocardiographie Doppler permet d’éviter certains écueils du monitorage invasif. Premièrement, la méconnaissance d’une cause mécanique (valvulaire, péricardique, etc.) responsable de l’insuffisance circulatoire conduit à la mise en route d’un traitement médical symptomatique insuffisant et parfois délétère (figure 13-1). Deuxièmement, un tableau de bas débit avec pressions de remplissage élevées peut être attribué à une dysfonction systolique du ventricule gauche alors que l’échocardiographie identifie une fonction systolique augmentée associée à une oblitération de cavité éventuellement associée à un obstacle dynamique intraventriculaire (situation typique du remplacement valvulaire aortique pour sténose). Cette erreur diagnostique conduit à l’emploi inapproprié d’un support inotrope qui aggrave la situation hémodynamique (figure 13-6). Troisièmement, une surestimation du débit cardiaque par la thermodilution peut faire méconnaître une dysfonction systolique ventriculaire gauche sévère dans le cadre d’une cardiopathie dilatée (figure 13-7). Quatrièmement, une dysfonction systolique régionale sévère d’origine ischémique aggravée par une stimulation catécholaminergique excessive peut n’avoir aucune traduction hémodynamique si les autres parois ventriculaires compensent cette anomalie de contraction segmentaire. Cela expose le patient au risque de nécrose myocardique (figure 13-8). Cinquièmement, les paramètres du monitorage invasif n’identifient pas la gêne au remplissage ventriculaire gauche liée à une dilatation du ventricule droit quelle qu’en soit la cause. Le remplissage vasculaire dans ce cas peut aggraver la situation (figure 13-9).
Figure 13-6 |
Figure 13-7 |
* Figure 13-8 |
Figure 13-9 |
Cause du choc cardiogénique
Le choc cardiogénique associe un bas débit cardiaque (et généralement une hypotension artérielle) et des pressions de remplissage élevées. Ce syndrome a de nombreuses causes, en particulier après chirurgie cardiaque où les complications chirurgicales peuvent être responsables de 20 % des insuffisances circulatoires postopératoires [54].
Nous proposons une classification opérationnelle des principales causes de choc cardiogénique après chirurgie cardiaque [55] : (1) la dysfonction systolique du ventricule gauche, (2) la dysfonction diastolique du ventricule gauche, (3) la dysfonction du ventricule droit, (4) les tamponnades, et (5) les complications mécaniques intrinsèques. Cette classification fondée sur les capacités diagnostiques de l’échocardiographie Doppler est essentiellement de nature opérationnelle : à chaque mécanisme physiopathologique correspond une approche thérapeutique et logistique différente (traitement médical, simple drainage, retour sous CEC, etc.) ainsi qu’un pronostic différent [2, 55]. Ces divers mécanismes peuvent s’associer, ce qui complique le traitement et assombrit le pronostic.
Dysfonction systolique du ventricule gauche
Dysfonction systolique aiguë
La dysfonction systolique aiguë survient de novo alors que la fonction systolique préopératoire du ventricule gauche était satisfaisante. On constate souvent des anomalies nouvelles et sévères de la cinétique segmentaire qui sont liées à une sidération myocardique (spontanément réversible) ou à un phénomène ischémique qui peut évoluer vers la nécrose [56]. La dysfonction systolique du ventricule gauche secondaire à une sidération myocardique est généralement de bon pronostic et peut relever d’un traitement médical ou d’une assistance mécanique [56]. En revanche, l’infarctus postopératoire sur thrombose précoce de pontage aortocoronaire constitue la première cause de mortalité opératoire après chirurgie coronaire [57]. La nécrose myocardique peut être liée à un échec de cardioprotection péropératoire, une revascularisation incomplète (particulièrement dans le cadre d’une chirurgie à cœur battant), ou à des complications secondaires à la revascularisation (vasospasme, thrombose, etc.) [58]. Il est donc fondamental d’exclure une complication des pontages aortocoronaires susceptible d’une révision chirurgicale.
L’évaluation de la fonction systolique régionale du ventricule gauche repose sur l’analyse de la cinétique segmentaire [59]. Une asynergie de contraction septale (allant jusqu’à la dyskinésie) est régulièrement observée après CEC pendant quelques semaines. Elle est spontanément réversible et ne témoigne habituellement pas d’une ischémie myocardique [60]. La valeur prédictive positive quant à la survenue d’un infarctus du myocarde des modifications échocardiographiques semble deux fois supérieure à celle des modifications électrocardiographiques [61]. Dans l’évaluation du rapport bénéfices/risques d’une reprise chirurgicale, il faut intégrer la comparaison de la cinétique segmentaire du ventricule gauche avec l’électrocardiogramme (sus-/sous-décalage du segment ST) et l’examen préopératoire, la notion de difficultés techniques peropératoires (thrombo-endartérectomie, etc.), la réponse ou non à un traitement antivasospasme (dérivés nitrés, inhibiteurs calciques) afin d’estimer la probabilité d’une cause anatomique à l’ischémie myocardique. La coronarographie nécessite le transfert du patient mais reste la seule alternative à la révision chirurgicale « de principe » des greffons.
Dysfonction systolique chronique
La dysfonction systolique chronique est habituellement présente dès le sevrage de la CEC et survient dans un contexte de dysfonction systolique préopératoire du ventricule gauche. L’absence d’amélioration voire l’aggravation postopératoire de la dysfonction ventriculaire résultent habituellement d’une absence de viabilité des territoires revascularisés ou d’une altération irréversible de la fonction myocardique secondaire à une valvulopathie évoluée associée à une perte périopératoire même minime de myocarde fonctionnel. La comparaison avec les paramètres de fonction systolique globale et segmentaire préopératoire et l’absence de réponse à un inotrope positif objectivent l’absence d’impact du geste chirurgical sur la fonction du ventricule gauche. Le pronostic vital à court terme repose sur l’optimisation des conditions de charge et un support mécanique éventuel, car l’administration d’inotropes positifs est souvent peu efficace dans ces circonstances.
Dysfonction diastolique et obstacle à l’éjection du ventricule gauche
Le tableau hémodynamique est identique à celui d’une dysfonction systolique : hypotension artérielle, bas débit cardiaque et pressions de remplissage élevées. Il donne lieu à un tableau clinique d’hypoperfusion tissulaire et de surcharge vasculaire pulmonaire. Seule l’échocardiographie Doppler permet un diagnostic différentiel aisé avec la dysfonction systolique du ventricule gauche (Tableau 13-1). Lorsque cette dysfonction diastolique s’associe à un obstacle à l’éjection du ventricule gauche, une défaillance circulatoire peut survenir en postopératoire, souvent favorisée par un traitement inadapté.
*Ces paramètres ne sont accessibles qu’en échocardiographie bidimensionnelle, et pas par cathétérisme droit. | ||
Dysfonction systolique | Dysfonction diastolique | |
Index cardiaque (l/min/m2) | ↓ | ↓ |
Pression artérielle pulmonaire d’occlusion (mmHg) | ↑ | ↑ |
Fraction de réduction de surface (%) * | ↓ | ↑ |
Surface télédiastolique (cm2/m2) * | ↑ | ↓ |
Oblitération de la cavité ventriculaire gauche et accélération de l’éjection
En cas d’hypertrophie concentrique importante, la cavité du ventricule gauche peut devenir virtuelle en télésystole avec apposition des parois médioventriculaires au niveau des muscles papillaires (figure 13-10). Une accélération du courant d’éjection (> 2 m/s) avec une déformation typique du profil de vitesse Doppler dite « en lame de sabre » peut s’y associer. Ces anomalies sont fréquemment à l’origine d’une insuffisance circulatoire aiguë après remplacement valvulaire aortique pour sténose serrée, en raison de l’effondrement postopératoire de la postcharge du ventricule gauche hypertrophié [62]. Elles sont induites ou aggravées par l’administration de vasodilatateurs ou d’agents inotropes positifs [63].