complets psychomotriciens

Sujets complets psychomotriciens



Sujet 1. Loos (I)


La polémique qui s’est engagée par presse interposée entre le directeur de Sciences Po et la Conférence des grandes écoles, au sujet de quotas réservés aux boursiers dans leurs concours d’accès, montre bien le trouble des opinions devant la crise structurelle de l’enseignement supérieur et la désorientation des familles politiques. Réputé pour ses idées progressistes, Richard Descoings se fait le défenseur véhément de la politique annoncée par la ministre de l’enseignement supérieur, au risque de faire passer pour d’affreux réactionnaires tous les tenants de grandes écoles, où l’on compte classiquement une bonne proportion d’esprits libres, plutôt classés à gauche. La réalité est évidemment plus complexe et moins manichéenne.

Naguère fleurons de l’élitisme républicain et d’un certain brassage social par la sélection progressive des meilleurs élèves de l’enseignement public, les grandes écoles tendent à devenir, avec les mêmes mécanismes de recrutement, le refuge des enfants de la bourgeoisie intellectuelle. Elles en sont plutôt le réceptacle involontaire que l’artisan délibéré.

La première cause réside dans la dégradation de l’enseignement supérieur universitaire, qui n’a, ni pu, ni su, à partir des années 1980, faire face à la massifi- cation de ses effectifs et aux changements pédagogiques qu’imposait une origine plus populaire de ses étudiants. Devant ce constat, la stratégie des parents les plus avisés, sinon les plus fortunés, était claire : faire en sorte que leurs enfants accèdent aux meilleures filières du secondaire, bac S en priorité, puis aux classes préparatoires.

Dans le même temps, confrontés à cet afflux, les grands lycées de Paris et de province intensifiaient pour les mêmes raisons la sélection à l’entrée de leurs classes préparatoires. La lourde procédure informatique de choix mise en place justifiait le résultat, plus qu’elle ne l’infléchissait. Au total, le jugement est sans appel : les grandes écoles actuelles constituent un filtre d’iniquité sociale, et elles se privent d’un sang nouveau issu de couches culturellement différentes. Sur ce point, Richard Descoings a raison. Où l’avis est plus contestable, c’est sur le changement radical que constituerait un recrutement particulier pour les élèves issus de milieux moins favorisés. De bons spécialistes affirment, sur la foi des expériences américaines et de Sciences Po Paris, que la procédure ne fait pas baisser le niveau. Dont acte. Mais le témoin n’est-il pas biaisé ? Les meilleures universités des États- Unis, publiques comme privées, mettent en effet en œuvre des actions généreuses de bourses et de prêts pour couvrir les frais d’inscription et d’entretien élevés d’étudiants motivés et peu fortunés, et attirer des élèves issus de tous les établissements d’enseignement secondaire des États concernés. Elles pratiquent ainsi une politique volontariste de brassage social et ethnique, qui n’est pas sans s’apparenter au busing bien connu pour les lycées (transfert quotidien d’adolescents de quartiers pauvres vers des institutions pédagogiques de zones plus aisées).

Mais ces procédures de discrimination positive relèvent d’une autre culture du mérite individuel et de l’aide collective, laissée plus à l’initiative des acteurs de la société civile que de l’institution officielle. Dans une France marquée historiquement par l’égalité et par l’État, il n’est pas assuré que la greffe massive prenne et n’entraîne pas des réactions de rejet, pires que le mal.

Pour Sciences Po, l’analyse est différente. Son directeur fait état de sa cote en progrès auprès des bacheliers et des entreprises. Mais ne la doit-elle pas avant tout au dynamisme de ses formations et à l’affaiblissement de ses concurrents universitaires ? Ni grande école trop sélective, ni université trop dévalorisée, l’Institut d’études politiques de Paris joue sur ce statut ambigu pour séduire et rassurer. Les modifications de son recrutement pèsent finalement de peu de poids face à ces tendances fondamentales. Et pour intéressants et vertueux que soient le repérage de bons éléments dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) et leur soutien pédagogique ultérieur, ils ne constituent qu’un traitement homéopathique de la crise globale du système éducatif. À la limite, ils pourraient même reconstituer une nouvelle filière d’injustice sélective.

Il est donc grand temps, ne serait-ce que pour accéder aux vœux de « fraternité » du président de la République, que les oppositions stériles sur un sujet grave cessent, et qu’on arrête de reporter sur les autres la responsabilité d’une faillite inquiétante du système éducatif, qui procède avant tout de la longue myopie à cet égard de la société française dans son ensemble. Les grandes écoles ne doivent pas être le bouc émissaire de la crise de l’université et, dans les conditions actuelles, personne ne gagnerait à les banaliser dans l’enseignement supérieur, sauf à croire qu’il suffit d’une rivière pour dessaler l’eau de mer. Toute l’histoire française montre qu’elles gardent leur légitimité, à condition qu’elles retrouvent, à côté des universités et en collaboration avec elles, leur vocation de formation égalitaire d’une partie des élites de la nation, et cessent d’être la confirmation de sa stratification sociale. Mais la solution n’est pas dans un système de quotas de boursiers, fussent-ils d’objectifs plus que de normes, dans les classes préparatoires ou dans les concours de recrutement, mais dans une réforme sans précédent de l’efficacité globale de notre formation, de l’école à la faculté.

De la même façon, toute réforme de l’université, de l’autonomie aux pôles d’excellence, est vouée à l’échec, si ne sont pas rétablies au plus vite au collège et au lycée les conditions d’un enseignement de masse équitable et efficace pour tous et dans tous les lieux de la République. Comme au football, les Coupes du monde se gagnent dans les entraînements dominicaux des petits clubs de la Ligue. Il ne sert à rien de traiter l’exception pour changer la règle.

Au total, puisse le débat actuel être l’occasion de convaincre que la « société de la connaissance », que l’on veut promouvoir, n’exige pas seulement des milliards du grand emprunt, mais la conscience politique des gisements inexploités dans le gâchis actuel de l’éducation nationale. Il faut y mettre de la volonté, et aussi de l’imagination dans la révolution des méthodes pédagogiques dans tous les ordres d’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) et dans l’évaluation régulière et rapprochée de leur efficacité : enseignements systématiques en petits groupes, voire en soutien individuel, renforcement de l’encadrement, vérifications continues des progressions, éradication progressive de l’échec et du retard scolaires. Le prix à payer en est lourd, bien plus évidemment que quelques bourses supplémentaires ou quelques places offertes dans un concours parallèle d’entrée dans des grandes écoles. Mais il est à la mesure du retard pris depuis des décennies et des défis que nous impose le xxie siècle.

« Reformer les grandes écoles ou l’université ? », article de Guy Burgel paru dans Le Monde du 8 janvier 2010.


1. Résumé (8 points)


Contractez le texte en 200 mots. Une marge de plus ou moins 10 % est autorisée.

Indiquez le nombre de mots en bas de votre contraction.

On appelle mot, toute unité typographique signifiante séparée d’une autre par un espace ou un tiret.

Exemples : c’est-à-dire = 4 mots

J’espère = 2 mots

Après-midi = 2 mots

Mais :Aujourd’hui = 1 mot

Socio-économique = 1 mot ; puisque les deux unités typographiques n’ont pas de sens à elles seules

A-t-il = 2 mots ; car « t » n’a pas de signification propre.

Attention : un pourcentage, une date, un sigle = 1 mot.


2. Vocabulaire (2 points)


Étudiez les expressions soulignées dans le texte.




a) discrimination positive


b) une France marquée historiquement par l’égalité et par l’État


3. Discussion (10 points)


« Et pour intéressants et vertueux que soient le repérage de bons éléments dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) et leur soutien pédagogique ultérieur, ils ne constituent qu’un traitement homéopathique de la crise globale du système éducatif. À la limite, ils pourraient même reconstituer une nouvelle filière d’injustice sélective. » Que pensez-vous de cette analyse ?



Corrigé




1. RÉSUMÉ


La question des quotas d’élèves défavorisés dans les grandes écoles suscite un débat qui transcende les habituels clivages politiques.

Les grandes écoles républicaines permettaient la réussite des plus méritants ; Aujourd’hui, elles ne jouent plus ce rôle. Car la détérioration des universités, incapables d’absorber les masses de bacheliers, a incité les parents à pousser leurs rejetons vers les établissements d’excellence ; les classes préparatoires, de leur côté, ont élevé le niveau de recrutement. Résultat : plus aucun brassage social au sein des grandes écoles.

Pourtant, dès lors que les élèves boursiers sont soutenus et aidés, comme le montre l’expérience américaine, le niveau reste le même. Sauf qu’aux USA, le soutien est individuel. En France, il vient de l’État et se veut collectif dans une perspective égalitariste.

La réussite des expériences menées à Science Po Paris est liée à la spécificité de cette école, et ne représente qu’une part infime du problème. Les grandes écoles ne sont pas responsables de la faillite de tout le système et elles ont un rôle à jouer. Mais les quotas ne sont pas la solution : il faut revoir toute l’organisation scolaire en amont. Pareille révolution suppose de la volonté, de l’imagination et des moyens. Une vraie politique, à la hauteur des défis et plus ambitieuse que les quotas.

(218 mots)


2. VOCABULAIRE


La discrimination positive. Le terme désigne une politique de favoritisme à l’égard d’un groupe social donné à cause d’un désavantage dont ce groupe serait victime. Il s’agit de créer une inégalité pour réparer une injustice. On parle de « discrimination positive » vers les personnes handicapées (dans le monde du travail), les femmes (en politique par exemple) ou, comme ici, les bons élèves des quartiers défavorisés.

Une France marquée historiquement par l’égalité et par l’État. La France porte pour devise trois mots essentiels qui ont façonné son histoire : la liberté, la fraternité et l’égalité. Cet égalitarisme s’est forgé lors de la Révolution de 1789 et ancre sa naissance dans la fameuse nuit du 4 août qui vit la constituante abolir les privilèges. « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » affirme la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen… Par ailleurs, à la différence des Anglo-Saxons qui privilégient l’initiative individuelle, les Français ont tendance à se tourner vers l’État pour résoudre leurs difficultés.


3. DISCUSSION



Introduction


Guy Burgel se montre extrêmement circonspect, dans cet article extrait du Monde, à propos des politiques de discrimination positive et de repérage des bons élèves issus des catégories populaires. Sans nier la nécessité d’un « coup de pouce » à donner aux élèves de ZEP (on dit désormais « RAR » pour « réseau ambition réussite »), l’auteur considère que ce type de politique reste insuffisant, sans envergure, voire, en certains cas, nuisible et contreproductive. Dans le concert de louanges et l’unanimisme qui entoure cette initiative, que penser de la position critique de l’auteur ?


1. L’école et la fin de l’ascenseur social



a. L’école républicaine : des principes justes et équitables


La volonté de donner leur chance aux enfants issus des quartiers sensibles part de ce constat : l’école, jadis lieu de mobilité sociale, est devenue plus inégali- taire que jamais. Les médias ne cessent de recourir à l’image d’un ascenseur social bloqué pour désigner le phénomène. Cette métaphore est limpide et manifeste que, dans la république « méritocratique » qui est la nôtre, c’est l’école, et non la naissance, qui censément distribue les cartes du jeu social, élève les plus méritants (ceux qui ont du talent et qui travaillent) ou « déclasse » les moins assidus. Dans les faits ? Le système éducatif français ne permet plus d’assurer cette mobilité. Pourtant, depuis 1882, l’enseignement en France est obligatoire et gratuit au nom de la justice sociale et du droit au savoir pour tous. Par ailleurs, grâce à la démocratisation de l’école, le nombre de bacheliers a considérablement augmenté pour former au moins 60 % d’une classe d’âge. Les catégories populaires ont pu s’élever dans l’échelle des catégories socioprofessionnelles grâce à cette ouverture que les générations précédentes ont moins connue. Alors que s’est-il passé ?


b. L’école républicaine : une mission détournée


Certes les études supérieures se sont ouvertes aux catégories populaires. Mais cette démocratisation agirait, selon certains analystes, comme un trompe-l’œil. La massification scolaire entraîne un fort taux d’échec à l’université pour ceux qui ne sont pas préparés, au plan social, à s’aventurer vers des études longues. A côté d’une « école de masse » mal dotée et peu lisible, se perpétue en France une école élitiste, vouée aux meilleurs, qui capte les subventions et offre les vrais débouchés (HEC, Sciences Po, Polytechnique, Arts et métiers…) Comme l’avaient déjà montré Bourdieu et Passeron dans les années 60, l’école dite « républicaine » ne corrige pas totalement, loin s’en faut, les inégalités… Elle aurait même tendance à les perpétuer (les familles disposant d’un bon capital culturel et financier ont en général une bonne connaissance des programmes et savent, quand il le faut, contourner les cartes scolaires « défavorables »). Les bons élèves entourés socialement tirent leur épingle du jeu « scolaire » dont ils maîtrisent mieux les règles que les autres…


2. La promotion des élèves méritants : une solution parmi d’autres



a. La discrimination positive : une inégalité assumée pour réparer une injustice avérée


Les élèves issus des quartiers sensibles n’ont désormais aucune chance, s’ils se plient aux exigences réelles des concours d’entrée dans les établissements d’excellence, de décrocher le moindre sésame… L’école est plus sélective que jamais et les meilleures places sont invariablement dévolues aux enfants d’enseignants, de cadres et de professions libérales. Les autres, sans les codes et les acquis nécessaires (séjours linguistique pour un usage parfait de l’anglais, culture générale élitaire, maîtrise de l’orthographe et de la syntaxe…) doivent fournir des efforts considérables pour se mettre à niveau. Non qu’ils soient moins intelligents ou moins motivés que les autres : simplement ils n’ont pas « baigné » dans le bon environnement culturel. Dès lors donner un coup de pouce, c’est peut-être créer une inégalité, mais c’est aussi rattraper une injustice ! Guy Burgel reproche à cette forme de « discrimination positive » de constituer un « traitement homéopathique » qui pourrait créer une nouvelle « injustice sélective ». Certes le dispositif ne concerne qu’une poignée d’élèves ; certes les effets d’affichage laissent dans l’ombre les centaines de milliers d’enfants en déshérence qui quittent le système sans formation ni diplôme… Mais est-ce une raison pour ne rien faire ?


b. Les nécessités d’une politique amitieuse vers les catégories populaires


On ne saurait se contenter de cette « mesurette » des quotas et de l’« affirmative action » pour effectuer une politique de rattrapage. Repérer les bons élèves des quartiers difficiles, c’est bien ; soutenir les plus médiocres et mettre des moyens vers ceux qui sombrent, c’est essentiel. Il faudra que l’école se remette en question : les élèves du lycée ont changé, sont issus des différents milieux, de différentes religions, de différentes nationalités ou groupes ethniques… Peut-être l’école républicaine, telle que nous l’avons connue, doit-elle se réformer pour devenir une école plus démocratique, ouverte sur le monde et son époque. Les catégories populaires sont éloignées des codes qui permettent de réussir scolai- rement. Pourquoi ne pas favoriser, dans ce cas, la culture des quartiers ? L’arabe première langue, le sport à fort coefficient, les activités manuelles, pratiques et artistiques au même niveau que les maths et le français… La promotion des élèves des quartiers sensibles est une initiative médiatique : elle ne doit pas éluder les efforts vers la masse de jeunes en difficultés.


Conclusion


Dans un contexte de progression des inégalités devant la réussite scolaire, des directeurs d’établissement prestigieux ont estimé nécessaire de donner un coup de pouce aux élèves motivés et talentueux des quartiers sensibles. Faciliter l’accès à certains, c’est certes créer une inégalité, mais cela revient aussi à réparer une injustice. Le problème, c’est que cette politique peut confiner à l’affichage, à l’effet d’annonce, et laisser dans l’ombre la masse des enfants qui sortent de l’école sans diplômes ni compétence.

Guy Burgel a raison, de ce point de vue, de se montrer critique à l’égard des politiques de discrimination positive : elles partent souvent d’un bon sentiment mais se traduisent par des résultats médiocres voire contreproductifs. Cependant le contexte appelle une réaction et des remises en question. À défaut de changer fondamentalement les choses, peut-être cette initiative aura-t-elle eu le mérite de lancer un débat salutaire.


Sujet 2. Loos (II)



1. Résumé


Vous résumerez ce texte en 180 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise.

Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés.

(8 POINTS)

Au début du xxe siècle, l’idée qu’une maladie puisse se développer après un choc traumatique n’était pas évidente. Pourtant les symptômes observés chez les combattants de la Première Guerre mondiale poussèrent à s’interroger : certains soldats revenus du front étaient apathiques, et revivaient inlassablement la même scène vécue sur le champ de bataille. Les psychiatres commencèrent à parler de névrose de guerre et Sigmund Freud en fera le pivot de la pulsion de mort. Mais pour beaucoup, le névrosé de guerre était un fraudeur, un simulateur ou un lâche, animé par un désir, conscient ou inconscient, de se soustraire au combat. Derrière de telles interprétations, une vision particulière de la morale dominait : un soldat doit être dur au mal, capable d’affronter avec courage l’horreur de la guerre…

La Seconde Guerre mondiale changea la donne. Les récits terribles que firent les rescapés des camps de concentration transformèrent résolument l’idée que l’on se faisait des traumatismes psychologiques. Des études sur ces rescapés, comme celle de Bruno Bettelheim, attirèrent l’attention sur la culpabilité lancinante de celui qui n’accepte pas d’avoir survécu au milieu de tant de morts – ce que l’on nomma le « syndrome du survivant »1. Dans les années 1980, l’Association américaine des psychiatres, dans sa nouvelle classification des troubles mentaux (dite DSM-III), introduit la notion de « stress post-traumatique ». Tout événement traumatisant peut engendrer un trouble psychologique : le névrosé est devenu une victime. C’est la naissance de la « victimologie » en psychiatrie.




L’un de ces portraits types de victimes pourrait être l’enfant ayant subi des abus sexuels, dont l’affaire d’Outreau donne l’un des exemples les plus édifiants. L’enquête fut dramatisée : aux rumeurs succédèrent les dénonciations, puis la parole des enfants, dont les experts reconnurent « l’entière crédibilité »… Résultat : 17 personnes accusées, alors qu’il n’y avait pas l’ombre d’une preuve tangible ! Les inculpations abusives qui suivirent (avant l’acquittement général de décembre 2005) doivent être imputées, affirment les magistrats Antoine Garapon et Denis Salas, à une idéologie désormais établie selon laquelle « l’agresseur ment et la victime dit vrai1» : celle-ci aurait donc tous les droits. Mais l’on peut aller plus loin dans la dénonciation d’une « litanie victimaire ». Le sociologue Guillaume Erner dénonce, dans La Société des victimes, un nouvel ordre moral qui s’instaure et confère à la victime un statut sacré, puisqu’elle serait une version laïcisée des martyrs et des saints2. La victime, en prenant la parole publiquement pour dire sa souffrance, susciterait la compassion d’autrui, ce qui lui permettrait d’être reconnue. Les frontières morales auraient donc bougé en moins d’un siècle : si avant, on était respecté parce qu’on taisait sa souffrance, aujourd’hui on est reconnu parce qu’on la dit.








Régis Meyran, « Le effets pervers de la victimisation », Sciences humaines, janvier 2007


2. Questions






1. Expliquez le sens des mots ou expressions :




• une version laïcisée des martyrs et des saints ;


• instrumentaliser la souffrance d’autrui.

(2 POINTS)


2. Discussion :

Débattez de la question posée par l’auteur de l’article : « La mémoire devient-elle dès lors une “religion civile”, comme l’écrit Enzo Traverso, où chaque groupe se définit avant tout par les blessures du passé ? »

(10 POINTS)







1. RÉSUMÉ


L’idée qu’il puisse exister des traumatismes liés aux horreurs de la guerre prend germe durant le premier conflit mondial. Malgré tout, le soldat victime de névroses restait encore perçu comme simulateur ou lâche. Il faut attendre 1945 et le retour des captifs des camps, pour que la notion de traumatisme s’impose dans les nosographies psychiatriques jusqu’à inaugurer, depuis les années 1980, une nouvelle science : la victimilogie.

Cette reconnaissance juridique du statut de victime ne va pas sans poser problème. Aujourd’hui, on compatit tellement au traumatisme des plaignants que les accusés sont stigmatisés et systématiquement perçus comme coupables.

Pire : les victimes, sacralisées, doivent déballer leurs souffrances pour être pleinement respectées dans le nouvel ordre moral.

La manipulation victimaire devient le pendant logique de cette tendance. On se replie sur les traumas personnels ou communautaires pour n’avoir pas à penser les grandes questions sociales. Certes, le phénomène permet à certains groupes, bafoués dans leur histoire, de se voir enfin définis comme victimes. Cependant, les communautés se livrent une concurrence dont l’enjeu est la reconnaissance de la plus grande souffrance. Médias et politiques accompagnent cette tendance, qui profite à leurs intérêts.

(195 mots)


2. QUESTIONS


Les « martyrs » et les « saints » forment des exemples de la piété sur lesquels s’appuient les religions pour servir de modèles aux fidèles. Une « version laïcisée » de ce phénomène consisterait à transformer les victimes (d’accidents ou d’agression) en symboles édifiants de la morale sociale.

Instrumentaliser la souffrance consiste à manipuler des victimes pour en retirer des bénéfices ou des avantages (sur un plan politique ou médiatique).


3. DISCUSSION


La question du communautarisme empoisonne de plus en plus régulièrement nos sociétés : il paraît en effet difficile aux divers groupes qui composent notre République de vivre harmonieusement ensemble quand leur histoire, souvent traumatisante, reste à ce point tourmentée et conflictuelle. Le passé, pour bien des communautés, ne passe pas. Il constituerait même un traumatisme originel dans lequel le groupe tirerait une part de son identité. C’est tout le sens de la question posée par Enzo Traverso qui se dessine ici : « La mémoire devient-elle une religion civile où chaque groupe se définit avant tout par les blessures du passé ? »

Faire de la mémoire une « religion civile », c’est entretenir un culte autour de sa propre histoire, c’est se « relier » (telle est l’étymologie du mot « religion ») dans la vénération d’un passé commun. Il s’agit de puiser dans les événements traumatisants qui fondent l’histoire du groupe pour communier et assurer la cohésion communautaire. Les « blessures du passé » définissent bien ces traumatismes sur lesquels certains groupes reviennent incessamment, comme s’il fallait revivre un trauma originel douloureux pour se souder et perpétuer son identité. Comment reprocher aux communautés juives d’entretenir la flamme de la Shoah quand une partie de la mémoire du peuple juif a disparu en déportation ? Comment, avec au moins 1 500 000 morts, les Arméniens pourraient-ils oublier le génocide perpétré par le gouvernement des Jeunes Turcs entre 1915 et 1917 ? Les peuples qui ont vécu la colonisation ne sont-ils pas fondés à entretenir la mémoire de ce traumatisme ? À propos de l’esclavage, nos « territoires » des Caraïbes n’ont-ils pas le droit de demander des comptes ?

Les traumatismes de l’histoire affectent les groupes et les communautés comme un événement tragique (viol, agression…) revient à la mémoire d’un individu. Un travail de deuil peut s’avérer nécessaire pour apaiser le présent. À défaut de « liquider » les traumas, au moins peut-on apprendre à vivre avec en les verbalisant, en les faisant sortir de cet inconscient où ils sont refoulés. Les commémorations et les rites que des communautés organisent (on pense au 10 mai qui, depuis 2006, rend hommage aux victimes de l’esclavage dans le commerce triangulaire) jouent ce rôle de pacification. On sait que les communautés qui ne peuvent faire ce travail de deuil vivent des situations de frustration qui entraînent le repli et les tensions. On songe aux Harkis, que les blessures de la décolonisation algérienne n’ont pas fini de faire souffrir. Du côté des indépendantistes cette fois, les Algériens (ou Français d’origine algérienne) continuent à demander reconnaissance par la France du massacre des manifestants (au moins 200 morts) à Paris le 17 octobre 1961. Sur certaines questions, les communautés sont à « fleur de peau » : elles vivent leur traumatisme dans une tension parfois conflictuelle. Certains groupes extrémistes en profitent même pour attiser ce « mal-être » et entretenir la haine. Ils se nourrissent des blessures du passé pour fonder l’identité collective dans la rancune et l’agressivité. Reconnaître la réalité d’un traumatisme permet d’étouffer les vindictes communautaristes. C’est tout le sens de la reconnaissance par le gouvernement français de sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France ; c’est aussi l’objectif de l’officialisation d’une date anniversaire qui commémore les victimes de la traite « négrière ».

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Apr 25, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on complets psychomotriciens

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