25 Chirurgie unguéale
Introduction
La tablette unguéale est une plaque de kératine rectangulaire constituée de plusieurs couches de cellules cornées et située au-dessus du périoste de la phalange distale. On parle d’appareil unguéal lorsque l’on considère la tablette ou lame unguéale et ses structures adjacentes (Figure 25.1) : la matrice qui produit l’ongle et qui est partiellement recouverte par le repli sus-unguéal, le lit unguéal sous la tablette auquel elle adhère fortement, l’hyponychium qui correspond à la partie distale du lit unguéal d’où l’ongle se détache et les replis latéraux qui enserrent les parties latérales de la tablette.
Consultation préopératoire
Les contre-indications à la chirurgie unguéale sont en général exceptionnelles. Il faut néanmoins s’assurer de l’absence d’artériopathie sévère. Le diabète et le phénomène de Raynaud avec ou sans sclérodermie ne contre-indiquent pas une intervention indispensable mais doivent inciter à la prudence pour des indications moins impératives. Dans ces deux cas, la lidocaïne adrénalinée ne doit pas être utilisée et il est recommandé de réaliser le geste sans garrot [1]. On veillera à assurer un suivi postopératoire particulièrement attentif chez ces patients. En cas d’infection, il est souhaitable de différer l’intervention. Il faut par ailleurs évaluer le risque hémorragique potentiel en précisant les antécédents médicaux du patient (insuffisance hépatocellulaire) et ses prises médicamenteuses (anticoagulants, antiagrégants plaquettaires). On rappelle que ces traitements ne doivent pas être arrêtés, le risque hémorragique étant relativement faible.
Le risque dystrophique doit être apprécié et discuté avec le patient. Celui-ci concerne essentiellement les gestes en regard de la matrice proximale (Figure 25.2). Les biopsies de petite taille effectuées sur la matrice distale qui produit les couches profondes de la tablette unguéale ne se traduisent que par un amincissement localisé de la face ventrale, peu visible, de la tablette. Les gestes effectués sur le lit unguéal n’induisent qu’exceptionnellement des séquelles en dehors parfois d’une onycholyse distale lorsque le prélèvement dépasse 4 mm. Une exérèse latéro-longitudinale est responsable d’un rétrécissement de la largeur de la tablette en général harmonieux mais entraînant souvent une légère désaxation de la lame unguéale en direction du côté opéré (Figure 25.3).
Anesthésie
Quels anesthésiques locaux ?
Lidocaïne à 1 ou 2 % avec ou sans adrénaline
L’adjonction d’adrénaline à la lidocaïne a longtemps été contre-indiquée en raison du risque de nécrose distale par vasospasme. Plusieurs études montrent que, chez des patients sans troubles vasculaires, l’injection de lidocaïne adrénalinée est sûre [2]. En outre, elle permet une action plus rapide, une meilleure analgésie postopératoire (jusqu’à 8 heures d’anesthésie complète) et diminue le saignement postopératoire. Le garrot reste cependant le moyen le plus efficace pour avoir un champ parfaitement exsangue. Pour réduire la douleur liée au pH acide de la lidocaïne, il est possible de la tamponner par du bicarbonate de sodium molaire (1 volume de bicarbonate pour 9 volumes de lidocaïne).
Instrumentation
Matériel chirurgical
Le matériel nécessaire en chirurgie de l’ongle n’est pas spécifique en dehors :
Garrot – Hémostase
Le champ opératoire doit être parfaitement exsangue pour tous les actes de chirurgie unguéale. Celui-ci est obtenu le plus souvent à l’aide d’un garrot digital (drain en caoutchouc) placé à la base du doigt ou de l’orteil après réalisation de l’anesthésie locale. Une autre façon astucieuse pour la chirurgie des ongles des doigts est de glisser la main dans un gant chirurgical stérile et de percer le doigt de gant puis de le retrousser jusqu’à la base du doigt (Figure 25.6). La pression serait plus homogène qu’avec un drain qui délivre une pression variable [4]. Pour des interventions excédant 30 minutes (rares en pratique dermatologique), il est préférable d’utiliser un garrot pneumatique sous bloc régional ou anesthésie générale. L’hémostase au bistouri électrique n’est pas recommandée car le saignement s’arrête spontanément en l’absence de troubles de la coagulation grâce à un pansement légèrement compressif et la surélévation du membre. En cas de greffe en unité de l’appareil unguéal, un bourdonnet compressif est réalisé.
Compte rendu opératoire
La spécificité du compte rendu opératoire en chirurgie des extrémités réside dans l’usage (ou non) d’un garrot. On devra donc, à côté des renseignements habituels (cf. chapitre 35) préciser la durée d’utilisation de celui-ci sur le compte rendu.
Avulsion de la lame unguéale
Une avulsion unguéale consiste à désolidariser la tablette unguéale de ses attaches [5]. Elle permet d’explorer et/ou de traiter une lésion sous-unguéale ou supprimer une zone de tablette pathologique. On rappelle que la tablette adhère fortement à son lit en distalité mais de façon plus réduite sur ses bords latéraux et au niveau de la matrice distale et du lit proximal, ce qui permet après avoir décollé la cuticule de pratiquer une avulsion par voie postérieure.
Pour des avulsions partielles, il est aussi recommandé de repositionner la tablette :
Fig. 25.8 Onychomatricome.
A. Avulsion postérieure partielle. B. La tablette est repositionnée en fin d’intervention.
Avulsion distale
Avulsion partielle
Elle doit être privilégiée car une partie de la tablette est conservée et continue à exercer une pression sur les parties molles limitant le risque d’incarnation antérieure. Elle peut être médiane ou latérale. Lorsque la lésion est distale, on peut se contenter d’avulser seulement un quadrant ou une hémitablette (Figure 25.9).
L’avulsion latéro-longitudinale est réalisée pour lever un conflit entre la tablette et le repli latéral (spicule unguéal) et avant matricectomie chimique (Figure 25.10). Au niveau de l’hallux, les cornes matricielles s’enroulent autour de la phalange. Il est donc nécessaire, avant avulsion, d’aller soigneusement détacher latéralement le repli sus-unguéal de la face dorsale de la tablette et les attaches sous-unguéales afin d’éviter de laisser un fragment de tablette qui risquerait de compromettre l’efficacité du phénol. L’avulsion doit être effectuée par un mouvement de rotation interne très progressif.
Avulsion postérieure ou proximale
Elle est conseillée pour exposer la matrice ou la partie proximale du lit unguéal et en réaliser des prélèvements biopsiques de qualité, car l’avulsion distale est parfois difficile en raison de la forte adhérence de la tablette au lit de l’ongle exposant à un risque d’arrachage de la matrice qui conduira à prélever un spécimen biopsique mal ou non interprétable. Ce geste peut, en outre, traumatiser l’hyponychium. Pour exposer la totalité de la matrice, on peut réaliser cette avulsion postérieure partielle après avoir récliné le repli sus-unguéal (Figure 25.11). Le décolleur détache le repli sus-unguéal de la face dorsale de l’ongle sur toute sa largeur. Le repli est récliné et le décolleur s’insère délicatement sous la partie proximale de la tablette par un mouvement antéropostérieur. La tablette est ensuite découpée à la pince à partir du repli latéral à hauteur souhaitée et ouverte comme un feuillet de livre sur toute la largeur de l’ongle.
Biopsies unguéales
Les biopsies unguéales sont finalement assez peu réalisées car les éléments cliniques, dermoscopiques et éventuellement d’imagerie (radiographie standard, IRM) vont permettre de préciser le diagnostic. Lorsqu’ils ne sont pas probants, ou pour justifier un geste chirurgical plus large aux conséquences fonctionnelles importantes, il faudra pratiquer une biopsie dont la technique est fonction du siège de la lésion [6]. Une onychopathie polydactylique isolée avec des altérations de la surface de l’ongle ou de plusieurs sous-unités justifiera plutôt d’une biopsie latéro-longitudinale alors que devant une onycholyse ou une hyperkératose sous-unguéale inexpliquée, après avoir éliminé une onychomycose, on réalisera plutôt une biopsie du lit unguéal.
Trois types de biopsie peuvent être réalisés facilement sans risque dystrophique majeur.
Biopsie de matrice distale
Elle peut être réalisée au punch de 3 mm. Le repli proximal est incisé à 45°. L’incision doit être assez superficielle sur le repli proximal pour ne pas risquer de léser la matrice sous-jacente. Le repli est détaché de la face dorsale de la tablette à l’aide du décolleur. L’incision est réalisée des deux côtés si la lésion est médiane pour bien le récliner et exposer la matrice ou d’un seul côté si la lésion est latéralisée. Le repli est maintenu à l’aide d’un crochet de Gillis ou d’une pince à griffe. La lésion est prélevée au punch de 3 mm en étant finalement assez superficielle car la matrice n’est pas, à ce niveau, très adhérente à la phalange sous-jacente et se soulève très facilement. Le prélèvement est manipulé avec précaution si possible à l’aide d’une aiguille sous-cutanée, coupé de ses attaches avec des ciseaux à iridectomie. La suture n’est pas indispensable lorsque la perte de substance matricielle mesure moins de 3 mm. Le repli proximal est suturé au fil à peau 3/0. Il faut toujours penser à pratiquer une avulsion postérieure en cas de mélanonychie pour rechercher un débordement pigmentaire sur la jonction matrice distale – lit unguéal (Figure 25.12).
Biopsie latéro-longitudinale (Figure 25.13)
Elle permet d’étudier l’appareil unguéal dans son ensemble.
Lorsque la tablette est dure et épaisse, il est possible de tremper l’ongle dans une solution antiseptique 10 à 15 minutes avant la biopsie pour le ramollir ou utiliser une préparation à l’urée quelques jours avant l’intervention. La tablette peut être prédécoupée au bistouri électrique mais il est préférable d’avulser latéralement l’ongle. En effet, l’ongle fixé dans du formol a tendance à durcir, ce qui pose des problèmes de coupe au laboratoire.
Chirurgie du repli sus-unguéal
Lecture anatomique
Le repli sus-unguéal (dénommé aussi proximal ou postérieur) recouvre le 5e postérieur de la tablette unguéale et la matrice proximale et intermédiaire puis il s’invagine pour former un espace virtuel ou cul-de-sac postérieur. Celui-ci est fermé par une expansion cornée du repli qui adhère fortement à la tablette : la cuticule. On distingue une face dorsale identique à la peau digitale dorsale. Les ¾ antérieurs de la face ventrale constituent l’éponychium dont la couche cornée participe à la formation de la cuticule, alors que la matrice proximale tapisse son quart postéro-inférieur.