Pathologie aiguë de l’aorte
P. Vignon, V. Aboyans and J.-L. Pascaud
Dans ses formes les plus graves, la pathologie aiguë de l’aorte expose au décès rapide par exsanguination secondaire à une rupture pariétale ou par complication cardiaque lorsque l’aorte ascendante est atteinte. Seul un geste chirurgical rapide est alors salvateur. C’est pourquoi les affections aortiques aiguës, qu’elles surviennent spontanément sur une aorte anormale (pathologie médicale) ou après un traumatisme thoracique fermé sévère (pathologie traumatique) sont des urgences vitales. Leur diagnostic repose sur des modalités d’imagerie en constante évolution, qu’il s’agisse de l’échocardiographie par voie transthoracique (ETT) ou transoesophagienne (ETO), de la tomodensitométrie (TDM) ou de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Seul un diagnostic précis permet un traitement adapté et permet de réduire la mortalité toujours élevée de cette pathologie tout en évitant les faux résultats positifs ou négatifs dont les conséquences peuvent être catastrophiques.
Ce chapitre a pour but de : 1) décrire brièvement les lésions de l’aorte observées en pathologie aiguë ; 2) rappeler les circonstances de découverte de la pathologie aiguë de l’aorte ; 3) proposer des algorithmes décisionnels pour le choix des techniques d’imagerie ; 4) décrire la sémiologie radiologique et échographique des principales affections aortiques aiguës (radiographie thoracique exclue). Les lésions traumatiques seront distinguées du reste de la pathologie aiguë de l’aorte. Les affections aiguës de l’aorte abdominale seront limitées aux anévrismes compliqués.
Modalités d’imagerie et pathologie aiguë de l’aorte
Le diagnostic des affections aortiques aiguës doit être rapide et précis car il conditionne souvent une sanction chirurgicale urgente, parfois chez un patient en état critique [1]. Le choix de la modalité d’imagerie dépend des circonstances cliniques (patient stable ou non), du plateau technique disponible (heure d’admission, activité programmée en cours, équipement du centre hospitalier) et de l’expérience de l’équipe médicale en charge du patient (prise en charge multidisciplinaire). La précision diagnostique des différentes modalités d’imagerie rapportée dans la littérature doit être interprétée en fonction de la génération du matériel utilisé. Actuellement, l’examen d’un patient suspect de pathologie aiguë de l’aorte devrait principalement faire appel à l’ETO multiplan ou à la TDM hélicoïdale. L’utilisation de la TDM impose l’injection de produit de contraste. Les dernières générations de TDM multibarrettes offrent l’avantage d’un temps d’acquisition plus court et d’une meilleure résolution spatiale qui permet des reconstructions spatiales plus fines [2, 3]. L’IRM avec injection de Gadolinium et acquisition dynamique est performante pour le diagnostic de la pathologie aortique [4]. Elle est rarement utilisée en situation d’urgence en raison de son délai d’obtention et de la surveillance aléatoire des patients qui est une limite fondamentale pour l’évaluation de la pathologie aiguë de l’aorte [1], y compris en traumatologie [5]. En revanche, l’IRM est un examen idéal pour le suivi des dissections aortiques chroniques [4] et celui des lésions traumatiques non opérées de l’aorte [6]. Les indications et la sémiologie de ces différentes modalités d’imagerie seront détaillées successivement pour les affections aiguës non traumatiques de l’aorte thoracique et abdominale, et pour les lésions traumatiques de l’aorte.
Pathologie aiguë non traumatique de l’aorte thoracique
La pathologie aiguë non traumatique est dominée par la dissection aortique et des lésions apparentées de la paroi aortique dont le risque évolutif commun est la rupture adventicielle mortelle (figure 1). La localisation anatomique de la pathologie aortique détermine largement son traitement : chirurgical lorsque l’aorte ascendante est touchée (risque majeur de rupture pariétale) et médical lorsque les lésions sont limitées à l’aorte thoracique descendante. L’hypertension artérielle est un facteur favorisant essentiel de la pathologie aiguë non traumatique de l’aorte, ainsi que certaines maladies du tissu élastique [7].
Figure 1 |
Description
La dissection aortique correspond à une déchirure spontanée de la paroi aortique au sein de la média, à partir d’une brèche de l’intima (porte d’entrée) ou d’une lésion intrapariétale (hématome, ulcère athéromateux pénétrant). La paroi aortique ainsi fragilisée est exposée au risque imminent de rupture de sa partie externe (voir figure 1). La porte d’entrée de la dissection aortique est le plus souvent située au niveau de l’aorte ascendante. La dissection aortique est une pathologie évolutive. Le processus tend à s’étendre longitudinalement et transversalement le long de l’arbre artériel (aorte et ses collatérales). Deux classifications anatomiques anciennes sont utilisées : la classification de De Bakey et celle de Stanford (figure 2). La récente classification proposée par la Société européenne de cardiologie intègre les hématomes de paroi et les ulcères athéromateux comme des formes cliniques de dissection aortique [7]. Elle est moins utilisée et ne sera pas détaillée ici. Par définition, la dissection aortique aiguë correspond à un diagnostic établi dans les 2 semaines qui suivent les premiers symptômes ; sinon, la dissection est considérée comme chronique [8].
Figure 2 |
L’hématome de paroi aortique correspond à une hémorragie au sein de la média par rupture de vasa vasorum, sans communication avec la lumière du vaisseau [9]. À l’inverse de la dissection aortique, l’hématome intrapariétal touche préférentiellement l’aorte thoracique descendante (environ deux tiers des cas). Il peut évoluer vers la rupture adventicielle, mais aussi vers la rupture intimale, et créer alors une dissection aortique secondaire (voir figure 1).
L’ulcère athéromateux pénétrant correspond à une lésion creusante de la paroi aortique à partir d’une plaque ulcérée intimale qui rompt la limitante élastique interne pour s’étendre en profondeur vers la média [10, 11]. Il siège le plus souvent au niveau de l’aorte thoracique descendante et peut évoluer vers le faux anévrisme, la rupture au sein de la paroi aortique (hématome de paroi voire dissection), ou la rupture adventicielle (voir figure 1).
Plus rarement, un anévrisme athéromateux ou un faux anévrisme mycotique peuvent se compliquer de syndrome fissuraire et devenir alors symptomatiques. Ils touchent principalement l’aorte thoracique descendante.
Circonstances de découverte
Le diagnostic de pathologie aiguë de l’aorte est facilement évoqué lorsque la douleur thoracique est au premier plan, ce qui concerne plus de 70 % des patients [12]. La « douleur aortique » est une douleur précordiale ou interscapulaire migratrice, brutale, intense, pulsatile ou à type de déchirement. Elle est considérée comme secondaire à l’étirement de la paroi de l’aorte, quelle qu’en soit l’origine. Vilacosta et al. [13] ont proposé le terme « syndrome aortique aigu » pour caractériser les situations cliniques où le patient hypertendu se présente avec une douleur aortique.
Dans les autres situations cliniques, le piège est de ne pas évoquer le diagnostic d’affection aortique aiguë. La présentation clinique peut être alors variée [12] : infarctus du myocarde par dissection coronaire, état de choc cardiogénique, ischémie aiguë, compression d’un organe de voisinage (figure 3), etc.
Figure 3 |
Choix de la technique d’imagerie
La présence d’un état de choc doit faire craindre une extravasation sanguine et une rupture adventicielle imminente. On estime sa fréquence à environ 8 % et, dans 95 % des cas, le choc complique une dissection de l’aorte ascendante [12]. L’absence de défaillance circulatoire ne doit pas rassurer. On estime en effet qu’en l’absence de traitement chirurgical, la mortalité des dissections qui touchent l’aorte ascendante est d’environ 1 % par heure dans les 48 premières heures [1]. En cas de choc, l’ETT peut être proposée en première intention (figure 4). En effet, la dissection touche alors probablement l’aorte ascendante [12], et le manque de sensibilité de l’ETT concerne principalement les lésions de l’aorte descendante [14]. De plus, l’ETT est l’examen le plus rapide à réaliser au lit du patient instable et elle ne pose pas de problème de tolérance, à la différence de l’ETO dans ce contexte [15]. L’ETT s’attache principalement à mettre en évidence des signes d’extravasation sanguine (hémopéricarde), sans chercher à caractériser la lésion aortique responsable (nature, situation anatomique exacte, extension, atteinte de la valve aortique, etc.). Cela suffit en effet à emporter la décision chirurgicale, permet de gagner un temps précieux et limite le risque de mort subite intrahospitalière. L’ETO n’est alors réalisée qu’en peropératoire, chez un patient anesthésié, afin de guider la stratégie chirurgicale (figure 4). Lorsque l’ETT n’est pas contributive, l’ETO est généralement réalisée après avoir placé le patient choqué sous ventilation mécanique. L’ETO permet d’identifier le mécanisme voire la cause de l’état de choc, qu’il s’agisse d’une affection aortique aiguë ou non [16].
Figure 4 |
En l’absence de défaillance circulatoire, le choix de la modalité d’imagerie dépend en grande partie des contingences logistiques présentes à l’admission du patient (figure 4). Dans ce cas, l’ETT a une précision diagnostique globalement insuffisante [2, 14]. En revanche, la précision diagnostique de l’ETO multiplan, de la TDM hélicoïdale et de l’IRM est proche pour l’identification des dissections aortiques [1, 2]. La TDM est l’examen le plus souvent réalisé en raison de sa disponibilité et sa facilité d’exécution [12]. L’IRM est rarement réalisée pour déterminer la cause d’un syndrome aortique aigu en raison de ses contraintes logistiques qui sont rédhibitoires dans ce contexte clinique (tableau 1).
ETO : échocardiographie transoesophagienne ; ETT : échocardiographie transthoracique ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; TDM : tomodensitométrie. | ||||
*Valeurs extrêmes rapportées dans les études, d’après [2]. | ||||
**La caractérisation d’une dissection comporte : extension anatomique sur l’aorte et ses collatérales, siège de la porte d’entrée, existence de porte(s) de réentrée, caractère circulant ou non du faux chenal, signes d’extravasation (hémopéricarde, hémomédiastin, hémothorax), complication cardiaque (tamponnade, insuffisance aortique et mécanisme, infarctus du myocarde par dissection coronaire). | ||||
§Le manque de spécificité dans certaines études est lié à des faux diagnostics positifs en rapport avec des artefacts linéaires (aorte ascendante). | ||||
⌢Le manque de spécificité dans certaines études est lié à des faux diagnostics positifs en rapport avec des artefacts le plus souvent secondaires aux mouvements respiratoires (aorte ascendante). | ||||
ETT | ETO multiplan | TDM hélicoïdale | IRM | |
---|---|---|---|---|
Diagnostic* | ||||
Sensibilité | 35 à 80% | 88 à 98% | 83 à 94% | 95 à 100 % |
Spécificité | 39 à 96% | 77§à 100 % | 87⌢à 100 % | 95 à 100 % |
Logistique | ||||
Avantages | – Diffusion – Rapidité – Ambulatoire – Non invasif | – Diffusion – Rapidité – Ambulatoire – Pas de produit de contraste ni d’irradiation – Précise l’atteinte cardiaque éventuelle | – Diffusion – Non invasif – Évalue l’extension aux collatérales | – Non invasif – Pas de produit de contraste ni d’irradiation – Caractérisation précise de la dissection |
Inconvénients | – Opérateur-dépendant – Qualité d’image parfois insuffisante – Précision insuffisante pour l’aorte descendante – Caractérisation incomplète de la dissection** | – Opérateur-dépendant – Risque d’intolérance si ventilation spontanée (contrôle de la pression artérielle nécessaire : sédation et antihypertenseur) – Contre-indiquée si pathologie oesophagienne – N’examine pas l’aorte abdominale ni les collatétrales de l’aorte | – Requiert le transport des patients – Injection de produit de contraste – Irradiation – Identifie mal : porte d’entrée, insuffisance aortique | – Accessibilité – Surveillance aléatoire du patient – Durée de l’examen – Contre-indiquée si implants ferrromagnétiques |
Indications proposées | – Choc – Patient en ventilation spontanée non transportable | – Choc – Patient ventilé (urgences ou bloc opératoire) | – Patient stable (en ventilation spontanée) | – Suivi des dissections chroniques |
Description des signes d’imagerie
Échocardiographie-doppler
Le diagnostic de dissection aortique repose sur l’identification d’un flap intimal dans la lumière du vaisseau [17]. Le flap correspond à la partie interne de la paroi aortique clivée par la dissection (figure 5). Il apparaît comme une image linéaire qui traverse la lumière de l’aorte (figure 6). Le flap intimal sépare la lumière aortique en deux chenaux : un vrai chenal (la lumière native de calibre réduit) et un faux chenal (la paroi aortique disséquée) qui peut être circulant ou non. Le doppler couleur aide à distinguer le vrai du faux chenal où les vitesses de déplacement du sang sont en règle les plus basses (figure 7). Le flap intimal est habituellement mobile et ses mouvements suivent le gradient de pression entre le vrai et le faux chenal (figure 8). Il doit être cherché dans tous les segments de l’aorte thoracique et abdominale, car son extension est très variable en fonction du type anatomique de la dissection (voir figure 2). La porte d’entrée apparaît comme une solution de continuité au niveau du flap intimal et détermine, avec l’extension de la dissection, son type anatomique (voir figure 2). Le doppler couleur permet d’identifier la porte d’entrée voire la ou les porte(s) de réentrée de la dissection (figure 9). Le principal diagnostic différentiel du flap intimal est l’artefact linéaire (figure 10). L’artefact est une image virtuelle créée par la réverbération des ultrasons (figure 11) qui ne correspond pas à une structure anatomique réelle [18]. Lorsqu’il est situé dans la lumière de l’aorte ascendante, l’artefact linéaire peut conduire à une thoracotomie inutile s’il n’est pas identifié. Ce diagnostic différentiel fondamental repose sur des critères diagnostiques validés en ETO [19, 20]. L’artefact linéaire dans l’aorte ascendante est fréquent puisqu’on l’observe chez 26 % des patients examinés en ETO pour syndrome aortique aigu [19]. L’artefact en miroir pose moins de problème diagnostique et n’a pas les mêmes implications thérapeutiques, car il touche principalement l’aorte thoracique descendante (figure 12).
Figure 5 |
Figure 6 |
Figure 7 |
Figure 8 |
Figure 9 |
Figure 10 |
Figure 11 |
Figure 12 |
Les signes indirects de dissection aortique sont les suivants. L’aorte est volontiers dilatée de manière symétrique en raison de l’augmentation de la tension pariétale secondaire à l’amincissement de la paroi (figure 13). Les signes associés aux complications de la dissection dépendent de son type anatomique. En présence d’une dissection de l’aorte ascendante, une anomalie de contraction segmentaire du ventricule gauche (dissection étendue aux coronaires) ou une insuffisance aortique de mécanisme variable peuvent s’observer (figure 13). L’extravasation de sang est identifiée par la présence d’un hémopéricarde (dissection de l’aorte ascendante), ou bien d’un hémomédiastin ou d’un hémothorax, en règle gauche (aorte horizontale ou descendante) (figure 14).
Figure 13 |
Figure 14 |
Le diagnostic des autres affections aiguës de l’aorte thoracique fait essentiellement appel à l’ETO multiplan. L’ETT n’est en effet pas assez performante pour mettre en évidence des anomalies parfois subtiles qui siègent majoritairement sur l’aorte thoracique descendante. L’hématome de paroi apparaît comme un épaississement (≥ 7mm) en croissant ou circonférentiel de la paroi aortique (figure 15). L’hématome peut être homogène ou non, avec une alternance de plages d’aspect granité et de zones vides d’échos [21]. L’aorte peut être dilatée. Surtout, le doppler couleur confirme toujours l’absence de porte d’entrée intimale et l’absence de circulation au sein de la paroi aortique (figure 15). L’hématome peut évoluer vers la dissection aortique (figure 16). Les mêmes signes d’extravasation qu’au cours de la dissection aortique aiguë peuvent être observés, notamment lorsque l’hématome de paroi est situé sur l’aorte ascendante (figure 17).
Figure 15 |
Figure 16 |
Figure 17 |
Le diagnostic d’ulcère athéromateux pénétrant repose sur la mise en évidence d’une lésion creusante au sein de la paroi aortique, en règle très athéromateuse et calcifiée (figure 18). L’ulcère peut être de petite taille et s’accompagne fréquemment d’un hématome de paroi localisé ou d’un faux anévrisme sacciforme partiellement thrombosé [11].
Figure 18 |
L’anévrisme athéromateux apparaît comme une dilatation importante et symétrique d’un segment de l’aorte, le plus souvent descendante. Sa fissuration est suspectée sur des signes indirects d’extravasation de sang (figure 19). Ces derniers peuvent aussi être en rapport avec la fissuration d’un faux anévrisme aortique circulant en doppler couleur (figure 20).
Figure 19 |
Figure 20 |
Tomodensitométrie
Le diagnostic de dissection aortique aiguë repose sur l’identification d’un flap intimal séparant deux chenaux distincts (figure 21). L’identification du vrai chenal repose sur les signes suivants (figure 22) : opacification précoce et constante (possible retard d’opacification du faux chenal) ; calibre en règle inférieur au faux chenal ; contour parfois irrégulier par compression du faux chenal ; déplacement de calcifications intimales dans la lumière aortique ; le faux chenal peut être partiellement thrombosé [3, 14]. L’aorte est dilatée de façon harmonieuse. La porte d’entrée n’est pas toujours identifiable [1]. La TDM permet d’évaluer précisément l’extension de la dissection, donc d’en déterminer le type anatomique, notamment avec les procédés de reconstruction spatiale (figure 22). L’extension aux collatérales de l’aorte peut également être documentée (figure 23), alors que ces vaisseaux ne sont pas explorables avec l’ETO multiplan [22]. En revanche, la TDM est moins précise que l’échocardiographie pour le diagnostic des complications cardiaques de la dissection de l’aorte ascendante (voir tableau 1). Elle est fiable pour identifier les signes d’extravasation (hémopéricarde, hémomédiastin, hémothorax) [1]. Les scanners de dernière génération permettent des reconstructions tridimensionnelles fines (figure 24).