9: Traumatismes crâniens

Chapitre 9 Traumatismes crâniens





Scénario


Votre collègue et vous-même êtes envoyés dans une allée où un homme âgé de 30 ans a été trouvé au sol, inconscient et saignant de la tête. Les témoins précisent qu’il a été agressé par un autre homme qui a fui après l’avoir frappé avec une batte en bois. Ils précisent que le patient est resté inconscient pendant 5 à 10 minutes, mais qu’il est maintenant réveillé. Les lieux semblent sûrs. L’examen primaire montre que les voies aériennes sont dégagées et qu’il respire normalement. On note une plaie du scalp d’environ 8 cm sur le côté droit, qui saigne abondamment mais qui est facilement contrôlée par compression directe puis relayé avec un pansement compressif. Son pouls est de 116/minute, sa peau est chaude, rose et bien perfusée. Il ouvre les yeux spontanément et répond aux ordres ; cependant, il ne se souvient pas des événements ayant conduit à son agression. Il montre quelques signes de confusion lorsqu’il tente de répondre aux questions (score de Glasgow à 14). Vous débutez une oxygénothérapie au masque à haute concentration. Durant l’immobilisation du rachis, il se met à parler de façon incompréhensible, il se rétracte lors des stimuli douloureux, et l’ouverture des yeux ne se fait plus qu’à la douleur (score de Glasgow à 9).


Comment devriez-vous modifier votre attitude devant l’altération du niveau de conscience de ce patient ? Quelles sont les lésions les plus fréquentes chez les patients présentant ces signes ? À ce stade, quelles sont vos priorités dans la prise en charge du patient ? Quelles actions vont être nécessaires pour combattre l’augmentation de la pression intracrânienne et pour maintenir la perfusion cérébrale durant un transport prolongé ?


Chaque année, approximativement 1,4 million de personnes consultent un service d’urgences aux États-Unis pour traumatismes crâniens. Si 80 % de ces patients présentent seulement des lésions cérébrales légères, près de 235 000 sont hospitalisés chaque année et près de 50 000 décèdent de leurs blessures [1]. Les lésions cérébrales traumatiques contribuent au décès de la moitié des patients traumatisés. Des lésions cérébrales traumatiques modérées à sévères sont identifiées chez environ 100 000 d’entre eux par an. Les taux de mortalité des traumatismes cérébraux modérés à sévères sont respectivement de 10 et 30 %. Pour les survivants de ces traumatismes, entre 50 et 99 % présentent des séquelles neurologiques permanentes de degrés variables.


Les accidents de la circulation restent la principale cause de lésion cérébrale traumatique chez les 5 à 65 ans, alors qu’il s’agit des chutes chez les enfants jusqu’à 4 ans et chez les personnes âgées. La tête est la partie la plus fréquemment atteinte chez les patients polytraumatisés. L’incidence des lésions du cerveau par arme à feu a augmenté ces dernières années aux États-Unis, et plus de 60 % de ces victimes meurent de leurs blessures.


Les patients présentant une lésion cérébrale traumatique sont parmi les plus difficiles à traiter. Ils peuvent être agités, et tenter de les intuber peut être extrêmement difficile en raison de trismus et de vomissements. La présence d’une intoxication par drogues ou alcool, ou bien un état de choc dû à d’autres lésions peuvent gêner l’examen. Parfois, des lésions cérébrales graves peuvent exister avec seulement des signes extérieurs très minimes de traumatisme. Une prise en charge préhospitalière efficace s’assure d’une bonne délivrance en oxygène et en nutriments au cerveau, identifie rapidement les patients suspects d’engagement ou d’hypertension intracrânienne. Cela peut permettre de diminuer non seulement le taux de mortalité, mais aussi le taux de séquelles neurologiques définitives dues à des traumatismes craniocérébraux.



Anatomie


La connaissance de l’anatomie du crâne et du cerveau est essentielle pour comprendre la physiopathologie des traumatismes crâniens. Le cuir chevelu est la partie la plus externe ; c’est la couche la plus épaisse de la peau couvrant le corps. Il fournit une certaine protection au crâne et au cerveau. Il est composé de différentes couches : la peau, des tissus conjonctifs, la galea aponeurotica et le périoste du crâne. La galea est importante, car elle apporte un support structurel au scalp et est une clé de son intégrité. Le scalp et les tissus mous qui recouvrent la face sont très vascularisés.


Le crâne (voûte crânienne) est composé de plusieurs os qui, dans l’enfance, fusionnent en une boîte dans laquelle est enfermé le tissu cérébral. Plusieurs ouvertures (foramens) permettent le passage des vaisseaux sanguins et des nerfs crâniens. L’ouverture la plus grande est située dans la région occipitale de la base (figure 9-1). Cette ouverture est le trou occipital ou foramen magnum ; une partie du tronc cérébral et de la moelle épinière passe à travers cet orifice. Chez le nourrisson, on peut sentir deux endroits souples (fontanelles) entre les os. Il n’a pas de protection osseuse au-dessus du cerveau au niveau des fontanelles jusqu’à la fusion osseuse, qui se produit typiquement vers l’âge de 2 ans.



Le crâne épais et solide protège le tissu cérébral de la plupart des blessures externes directes. Mais l’os crânien étant particulièrement mince dans les régions temporale et ethmoïdale, ces régions peuvent se fracturer plus facilement. Le crâne donne au cerveau une protection certaine. La base du crâne présente des irrégularités (voir figure 9-1) qui peuvent entraîner des contusions et des plaies du tissu cérébral lorsque le crâne et le cerveau sont soumis à des forces brusques.


Le tissu cérébral est couvert de trois différents types de membranes appelés méninges (figure 9-2). La méninge la plus externe est la dure-mère. C’est un tissu fibreux résistant, épais, non élastique, qui tapisse la face interne de la voûte du crâne. Dans des circonstances normales, l’espace situé entre la dure-mère et la table interne du crâne, l’espace extradural (appelé, au niveau du rachis, espace péridural), n’existe pas ; c’est un espace virtuel. La dure-mère adhère intimement à la voûte crânienne en la tapissant. Les artères méningées moyennes sont localisées au niveau des os temporaux, à l’extérieur de la dure-mère, dans cet espace. Un traumatisme de cet os temporal, qui est fin, peut entraîner une fracture et une plaie de l’artère ménin gée moyenne, ce qui est une cause fréquente d’hématome extradural.



Contrairement à l’espace extradural, qui est un espace virtuel, l’espace sous-dural existe et est situé entre la dure-mère et le cerveau. Cet espace est sous-tendu, par endroits, par des veines qui créent ainsi une communication entre le crâne et le tissu cérébral. En cas de rupture traumatique de ces veines, un hématome sous-dural voit le jour, qui (contrairement à l’hématome extradural) est veineux, à pression basse, et qui est souvent associé à des lésions du tissu cérébral. Les lésions de ces ponts veineux expliquent la morbidité des hématomes sous-duraux.


De l’autre côté de l’espace sous-dural se trouve le cerveau qui est recouvert par deux autres membranes (ou méninges), l’arachnoïde et la pie-mère. La pie-mère adhère intimement au cerveau en tapissant sa surface. Sur la surface de la pie-mère courent des vaisseaux sanguins qui émergent de la base du cerveau et vont recouvrir sa surface. L’arachnoïde recouvre ce réseau vasculaire de manière moins étroite, ce qui lui donne un aspect de feuillet de cellophane entourant le cerveau. Ce feuillet a également l’apparence d’une toile d’araignée, ce qui lui a valu le nom d’arachnoïde (la cellophane n’existant pas à l’époque où les anatomistes ont fait ces descriptions). Comme les vaisseaux courent sur la surface du cerveau mais sous l’arachnoïde, leur rupture (suite à un traumatisme ou à un anévrisme) entraîne une hémorragie dans l’espace sous-arachnoïdien, appelée hémorragie sous-arachnoïdienne. Ce sang ne passe normalement pas dans l’espace sous-dural, mais reste sous l’arachnoïde. Il peut être vu au décours de la chirurgie comme un fin feuillet de sang à la surface du cerveau, juste sous la membrane translucide qui le recouvre. Contrairement aux hématomes sous-duraux ou extraduraux, l’hémorragie sous-arachnoïdienne ne provoque pas d’effet de masse, mais elle peut être l’expression d’autres lésions graves du tissu cérébral.


Le cerveau est également entouré par le liquide céphalorachidien (LCR), ou cérébrospinal, qui est produit par les systèmes ventriculaires cérébraux et qui entoure aussi la moelle épinière. Le LCR est un amortisseur liquide pour le cerveau et il est contenu dans l’espace sous-arachnoïdien.


Le tissu cérébral occupe à peu près 80 % de l’espace intracrânien et est divisé en trois parties : le cerveau (cerebrum), le cervelet et le tronc cérébral (encadré 9-1). Le cerveau est divisé en deux hémisphères gauche et droit. Chaque hémisphère est séparé en plusieurs lobes. Le cerveau contient les fonctions sensitives et motrices ainsi que les fonctions supérieures telles que l’intelligence et la mémoire. Le cervelet est situé dans la fosse postérieure de l’espace intracrânien, sous le cerveau. Il entoure le tronc cérébral et coordonne les mouvements. L’aire du cerveau responsable de la conscience est appelée système réticulaire activateur ; il est localisé dans le tronc cérébral. Des traumatismes crâniens peuvent détériorer le système réticulaire activateur, conduisant à une perte de connaissance transitoire initiale. Cela arrive chez des patients victimes d’une commotion cérébrale. La tente du cervelet, qui est une partie de la dure-mère, sépare les hémisphères cérébraux du cervelet et présente une ouverture, l’incisure tentoriale, à la hauteur du cerveau moyen.



Il y a 12 paires de nerfs crâniens qui prennent leur origine dans l’encéphale ou le tronc cérébral (figure 9-3). Le nerf oculomoteur, 3e paire de nerfs crâniens, contrôle la motricité des pupilles qui est un outil important dans l’évaluation des fonctions cérébrales chez les patients chez qui l’on suspecte un traumatisme crânien.




Physiologie



Débit sanguin cérébral


Il est capital que les neurones (cellules du cerveau) reçoivent un débit sanguin constant afin d’être alimentés en oxygène et en glucose. Ce débit sanguin cérébral est maintenu constant en assurant : 1) une pression adéquate (pression de perfusion cérébrale) afin de pousser le sang vers la tête, et 2) par un système d’autorégulation qui modifie les résistances au débit sanguin quand la pression de perfusion varie.



Pression artérielle moyenne


Le cœur est une pompe cyclique à deux temps ; de ce fait, les pressions qui rendent compte de son activité sont classiquement au nombre de deux. La pression diastolique est la pression de base qui est maintenue au sein du système vasculaire quand le cœur est au repos et ne pompe pas ; et la pression systolique est la pression maximale générée par la contraction cardiaque. Comme il est plus difficile de travailler avec deux pressions dynamiques différentes pour expliquer la physiologie vasculaire, on se sert d’une valeur moyenne unique de pression, notamment pour étudier le débit sanguin et la pression de perfusion des organes tels que le cerveau, qui prend en compte l’intégrité du cycle cardiaque ; c’est la pression artérielle moyenne (PAM).


Le calcul de la PAM suppose que la systole compte pour un tiers du cycle cardiaque et que, durant les deux tiers restants du cycle, la pression reste à une valeur de base dans le système vasculaire, soit à la valeur de la pression diastolique. La PAM est donc calculée en faisant une moyenne de la pression additionnée à celle de la pression de base, divisée par la période du cycle correspondant, plus la pression de base, c’est-à-dire la pression diastolique. Autrement dit, on calcule la pression additionnelle au cours de la systole, la pression différentielle, que l’on divise par trois, que l’on ajoute à la pression diastolique (pression de base) :



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et



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La plupart des moniteurs de pression artérielle mesurent la PAM, et cela de façon plus fiable qu’en analysant l’onde de pression artérielle. Comme le pourcentage de temps que le cycle cardiaque passe en systole augmente lorsque la fréquence cardiaque augmente, le calcul de la PAM, qui suppose que la systole représente un tiers du cycle, est de moins en moins fiable au fur et à mesure que le patient devient tachycarde. Dans ces cas, le calcul de la PAM est plus fiable s’il est fait à partir de l’analyse de l’onde de pression artérielle ; cela impose la présence d’un dispositif de monitorage de la pression artérielle (pression artérielle invasive).




Autorégulation du débit sanguin cérébral


Cependant, le facteur le plus important pour la bonne perfusion du cerveau n’est pas la PPC elle-même, mais le débit sanguin cérébral (DSC). Le cerveau maintient un DSC constant face à des situations très variées. C’est connu sous le nom d’autorégulation. Cette autorégulation est cruciale pour maintenir une fonction cérébrale normale.


Pour comprendre l’autorégulation, il faut se rappeler que, pour tout fluide :



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Dans le cas du cerveau, cela se traduit par :



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ou



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Comme, pour le cerveau, le facteur déterminant est le DSC, il est plus facile d’écrire :



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En regardant cette équation, il est aisé de comprendre comment le cerveau peut garder un débit sanguin constant. Si une personne décide de passer de la position couchée à la position debout, la PPC va chuter du fait de la gravité. Le seul moyen de garder le DSC constant est donc de faire chuter les résistances vasculaires cérébrales (RVC). Cela est accompli en dilatant les vaisseaux cérébraux. Afin de compenser les variation de la PPC, il se produit un processus de modification du calibre des vaisseux sanguins cérébraux qui ajuste les résistances vasculaires cérébrales (RVC). C’est ainsi que le cerveau accomplit son autorégulation.


Les personnes qui font des malaises ou perdent connaissance quand elles se lèvent trop brusquement ont tout simplement un système d’autorégulation qui ne réagit pas assez vite pour compenser la baisse du DSC du fait de la gravité, ce qui entraîne une chute de la PPC et un dysfonctionnement cérébral marqué.


Pour fonctionner normalement, les mécanismes d’autorégulation ont besoin d’un minimum de pression de base. Si la pression est à 0 mmHg, il est évident que la vasodilatation n’augmentera pas le débit. Il existe donc des valeurs minimales au-dessous desquelles le système ne fonctionne plus. Ainsi, si la PPC est inférieure à 50 mmHg, le système d’autorégulation ne peut plus compenser la chute de la PPC, et donc le DSC commence à chuter. La fonction cérébrale décline au fur et à mesure que le DSC chute, et on augmente le risque de voir apparaître des lésions cérébrales ischémiques définitives.


Pour aggraver le tout, un cerveau présentant des lésions traumatiques a besoin d’une PPC plus haute que la normale pour activer les mécanismes d’autorégulation qui permettront de maintenir un DSC adéquat. Bien que chaque patient pris individuellement ait probablement une valeur cible de PPC au-delà de laquelle le DSC est adéquat, il est impossible de déterminer cette valeur sur le terrain. De ce fait, on se borne à supposer qu’une PPC de 60 à 70 mmHg est suffisante pour maintenir un DSC convenable.


Malheureusement, la meilleure manière de mesurer le DSC n’est pas très pratique, et de ce fait, la PPC est utilisée pour estimer la normalité du DSC. La mesure de la PPC nécessite un moniteur tensionnel (pour obtenir la PAM) et un moniteur de pression intracrânienne (PIC). En l’absence de moniteur de la PIC, la meilleure pratique est d’essayer de maintenir une PAM normale élevée. La majorité des références de la littérature médicale concernant le devenir des patients traumatisés crâniens se fondent sur la pression artérielle systolique (PAS) plutôt que sur la PAM ; la PAS est donc utilisée pour évaluer la qualité de la perfusion cérébrale en l’absence de moniteur de la PIC. Ces références suggèrent que des PAS supérieures à 90 mmHg sont bénéfiques pour les patients souffrant de traumatismes craniocérébraux [26].



Hyperventilation


L’hyperventilation diminue la PIC mais a également un impact sur le DSC. En fait, les données disponibles semblent montrer que l’hyperventilation diminue de manière plus fiable et plus constante le DSC que la PIC. Elle réduit la PIC en diminuant la pression partielle en dioxyde de carbone (PaCO2) en augmentant son élimination pulmonaire lors des expirations (la fréquence respiratoire étant augmentée). Cette baisse de la PaCO2 (hypocapnie) modifie l’équilibre acidobasique au niveau du cerveau et provoque une vasoconstriction. Cette vasoconstriction cérébrale réduit le volume intravasculaire cérébral, diminuant ainsi le volume sanguin cérébral et donc aussi, souvent, la PIC [7,8].


Dans des circonstances normales, l’autorégulation maintient un DSC adéquat en s’assurant que les résistances cérébrales soient correctes pour la PPC disponible qui, elle-même, maintient un DSC constant adéquat (DSC = PPC/RVC). Il est important de noter que l’hyperventilation shunte ce système d’autorégulation. Ainsi, l’hyperventilation entraîne une vasoconstriction, qui peut faire chuter suffisamment la PIC, mais qui augmente également les RVC, que la PPC soit ou non à des valeurs optimales, permettant un maintien du DSC. Ainsi, l’hyperventilation peut réduire le DSC, exposant le cerveau déjà blessé à des lésions de type ischémique. Une PaCO2 inférieure à 35 mmHg augmente le risque de lésions cérébrales ischémiques, et une PaCO2 supérieure aux valeurs normales comprises entre 35 et 45 mmHg (hypercapnie) entraîne une vasodilatation des artérioles cérébrales, ce qui augmente le DSC et aussi potentiellement la PIC. (La prise en charge des traumatismes craniocérébraux en utilisant l’hyperventilation est abordée plus loin dans ce chapitre.)



Physiopathologie


Les lésions cérébrales traumatiques peuvent être séparées en deux catégories : les lésions cérébrales primaires et les lésions cérébrales secondaires.




Lésion cérébrale secondaire


Une lésion cérébrale secondaire correspond à un processus lésionnel actif et durable qui se met en place après la lésion primaire. À partir du moment où survient le traumatisme cérébral, ce ou ces processus physiopathologiques débutent et continuent de léser le cerveau, pendant des heures, des jours ou des semaines après le traumatisme lui-même. Le but essentiel de la prise en charge des traumatismes craniocérébraux (TCC) est d’identifier ces phénomènes, de les limiter ou de les stopper.


Avant l’avènement des scanners, le mécanisme le plus fréquent de lésion cérébrale secondaire était les saignements intracrâniens ignorés. La littérature fait référence à ces patients qui « parlent et qui meurent », autrement dit à ces patients parfaitement lucides après un traumatisme crânien qui se dégradent progressivement, s’enfonçant dans un coma de plus en plus profond, et qui finissent par décéder d’un engagement suite à un saignement intracrânien passé inaperçu. Clairement, dans ces cas, si le processus hémorragique avait pu être diagnostiqué et contrôlé, leur vie aurait pu être sauvée [911]. L’hypertension intracrânienne, l’effet de masse et l’engagement sont toujours de nos jours des causes de lésions cérébrales secondaires, mais leur prise en charge a été révolutionnée par la démocratisation des scanners, des moyens de mesurer la PIC et, au bout du compte, la plus grande promptitude à opérer le patient. Dans l’environnement préhospitalier, l’identification, la prise en charge et le transport précoce des patients à haut risque d’engagement vers une structure adaptée sont les objectifs essentiels.


Avec la multiplication des scanners, il est plus facile de nos jours de diagnostiquer les lésions intracérébrales. Cependant, il est également devenu évident que d’autres mécanismes aggravent les lésions cérébrales primaires, et ce bien après l’événement traumatique. De grandes études à la fin des années 1980 ont montré que l’hypoxie et l’hypotension, quand elles ne sont pas reconnues ni traitées, sont des facteurs tout aussi délétères pour le cerveau que l’hypertension intracrânienne. D’autres études ont montré qu’une diminution de l’apport d’oxygène au niveau du cerveau ou que le manque en combustible énergétique (le glucose notamment) avaient des effets beaucoup plus dévastateurs sur un cerveau déjà traumatisé que sur un cerveau sain. De ce fait, en plus des hématomes intracrâniens, l’hypoxie et l’hypotension sont deux autres causes de lésions cérébrales secondaires [5,6,1214].


Des recherches supplémentaires ont montré qu’il existait quatre classes de mécanismes responsables de lésions secondaires, le quatrième englobant ce qui se passe au niveau cellulaire et qui est déclenché par le traumatisme. La compréhension de tous ces mécanismes permettra peut être un jour de pouvoir manipuler, modifier voire stopper l’apparition de lésions cérébrales secondaires, et de déboucher sur de nouvelles possibilités thérapeutiques. Pour l’instant, ces travaux ne s’effectuent que dans des laboratoires.


Les mécanismes des lésions secondaires sont les suivants.




Causes intracrâniennes



Effet de masse et engagement


Ce sont les mécanismes lésionnels secondaires les plus fréquemment reconnus. Ces mécanismes sont le résultat d’interactions complexes décrites dans la doctrine de Monro-Kellie [15]. Le cerveau est enfermé dans un espace clos (une fois que les fontanelles sont fermées), espace totalement occupé par le cerveau, du sang et du LCR. Si n’importe quelle autre masse, telle qu’un hématome, un œdème ou une tumeur, occupe plus de volume, certaines des autres structures vont être poussées vers l’extérieur du crâne (figure 9-4).



La façon dynamique dont le sang, le cerveau ou le LCR sont forcés hors du crâne, en réponse à un effet de masse, est la deuxième partie de la doctrine de Monro-Kellie. En premier lieu, en réponse à l’augmentation de volume d’une masse intracrânienne, le volume de LCR est diminué. Le LCR baigne le cerveau, le tronc cérébral et la moelle épinière, et circule au sein des systèmes ventriculaires. Plus la masse en cause augmente de volume, plus la quantité de LCR forcée hors du cerveau est importante, si bien que le volume total de LCR intracrânien est diminué. Le volume sanguin contenu dans le crâne est, par le même mécanisme, réduit, le sang veineux représentant la part la plus importante du sang « expulsé » du secteur intracrânien.


Du fait de la réduction des volumes sanguins et de LCR, la PIC n’augmente pas durant la phase précoce de développement d’une masse intracrânienne. Si la masse croissante est la seule pathologie en cause, le patient peut donc être asymptomatique pendant cette phase initiale. Dès que ce moyen de compensation est dépassé, la PIC augmente rapidement. La structure suivante expulsée de la boîte crânienne est le cerveau ; c’est l’engagement. Différentes structures peuvent engager (hernie), ce qui peut comprimer des centres des fonctions vitales et mettre en péril les apports sanguins du cerveau. Les conséquences et les différents tableaux cliniques sont présentés plus loin dans ce chapitre.


Si la masse expansive se situe le long de la grande convexité, comme dans le cas d’un hématome extradural en regard du lobe temporal, le lobe temporal sera tout d’abord poussé vers la partie centrale du cerveau appelée tente du cerveau. Ces mouvements poussent la partie médiane du lobe temporal, l’uncus, vers le IIIe nerf crânien, vers le tractus moteur, vers le tronc cérébral et le système réticulaire activateur (SRA), situés du même côté. Ce tableau est appelé engagement uncuéal, et se caractérise par une atteinte du nerf crânien III, ce qui provoque une mydriase du côté du processus expansif (figure 9-5). Il existe également dans ce cas une paralysie ou une baisse de la force motrice (compression du tractus moteur) du même côté, ce qui entraîne une faiblesse du côté opposé à la lésion intracrânienne. À un stade plus avancé, le SRA est comprimé et le patient sombre dans le coma, ce qui est de très mauvais pronostic.



Certaines masses situées au niveau de la convexité peuvent donner un tableau d’engagement cingulaire (sous-falcoriel), isolé ou associé à un engagement uncuéal. Dans l’engagement sous-falcoriel, le gyrus cingulaire, situé le long de la surface médiane des hémisphères cérébraux, est poussé sous la faux du cerveau, qui est la division de la dure-mère entre les deux hémisphères. Cela peut entraîner des lésions de la partie médiane du cerveau.


Un autre type d’engagement, l’engagement tonsillaire ou des amygdales cérébelleuses, survient quand le cerveau est poussé vers le bas, vers le foramen magnum, et force le cervelet ainsi que la médulla dans la même direction. Les amygdales cérébelleuses (structure la plus caudale du cervelet) et la médulla s’engagent dans le foramen magnum, et la médulla est littéralement écrasée. Les lésions de la partie basse de la médulla provoquent des arrêts respiratoires et cardiaques, qui sont le stade ultime de l’engagement [16] (figure 9-6).




Syndromes cliniques d’engagement

Différents signes cliniques peuvent permettre de suspecter que le patient est en train d’engager. Classiquement, la mydriase unilatérale est un signe d’engagement uncuéal. Des anomalies de la fonction motrice peuvent aussi accompagner un engagement. Ainsi, une faiblesse musculaire controlatérale peut être associée à un engagement uncuéal. Si l’engagement s’aggrave, des structures du tronc cérébral comme le noyau rouge et le noyau vestibulaire peuvent être lésées. Cela se traduit soit par un tableau de décortication (flexion des membres supérieurs, extension et rigidité des membres inférieurs), soit, à un stade plus avancé, par un tableau de décérébration (tous les membres sont en extension, le patient peut même se mettre en pont, c’est l’opisthotonos). Le tableau de décérébration survient quand le tronc cérébral est lésé ou endommagé. Après l’engagement, à la phase terminale du processus, les membres deviennent flasques et paralytiques [17,18].


À un stade final, les engagements provoquent souvent des anomalies du rythme respiratoire, voire des apnées, ce qui a pour effet d’aggraver l’hypoxie neuronale et de perturber la capnie (CO2). La dyspnée de Cheyne-Stokes se traduit par la succession de rythmes lents, avec des respirations profondes amples qui s’accélèrent progressivement puis redeviennent lentes et amples. De brefs épisodes d’apnée peuvent survenir entre les cycles. Les dyspnées centrales correspondent à des ventilations amples et rapides, alors que les dyspnées ataxiques correspondent à des respirations complètement irrégulières sans rythme déterminable. Si l’engagement se poursuit, la ventilation cesse du fait de la compression du tronc cérébral [16].


Au fur et à mesure que l’hypoxie cérébrale se développe, des réflexes sont activés afin de maintenir les apports en O2 au cerveau. Pour contrecarrer l’élévation de la PIC, le système orthosympathique s’active pour augmenter la PAS, et de ce fait la PAM, afin de maintenir une PPC convenable. La PAS peut atteindre alors des valeurs de l’ordre de 250 mmHg. Cependant, lors de la détection de l’élévation anormale de la PAS par les barorécepteurs carotidiens et aortiques, des stimulations sont envoyées au tronc cérébral, ce qui active le système parasympathique. Via la Xe paire de nerfs crâniens, le nerf vague, la réponse à cette augmentation de la PAS se traduit finalement par un ralentissement du rythme cardiaque. Le phénomène de Cushing correspond à ce tableau qui combine élévation de la pression artérielle et bradycardie, survenant au cours des augmentations importantes de la PIC.







Causes extracrâniennes (systémiques)



Hypotension


L’ischémie cérébrale est habituelle en cas de TCC. Des signes d’ischémie sont retrouvés chez 90 % des patients qui décèdent d’un TCC, et parmi les survivants, beaucoup ont des lésions ischémiques [19]. De ce fait, une baisse du DSC a un impact net sur le devenir de ces patients, et la prise en charge de ce facteur est un élément primordial pour limiter la survenue de lésions cérébrales secondaires d’origine systémique.


Dans la banque de données nord-américaine sur les TCC, les deux facteurs prédictifs d’un pronostic sombre sont le temps écoulé avec une PIC supérieure à 20 mmHg et avec une PAS inférieure à 90 mmHg. En fait, un seul épisode de PAS inférieure à 90 mmHg peut grever franchement le pronostic [20]. Plusieurs études ont confirmé l’impact capital qu’avait l’hypotension sur le devenir des TCC.


Nombreux sont les patients souffrant de TCC qui présentent d’autres lésions hémorragiques pouvant être responsables d’une chute de la PAS. Un remplissage vasculaire agressif ayant pour but de maintenir une PAS supérieure à 90 mmHg est un point essentiel afin d’éviter la survenue de lésions cérébrales secondaires d’origine systémique.


En plus des hémorragies, un second facteur peut altérer le DSC. Le DSC cortical habituel est de 50 ml/100 g de tissu cérébral/minute. Après un TCC sévère, cette valeur peut chuter jusqu’à 30 voire 20 ml/100 g/minute, notamment dans les traumatismes les plus graves. La physiopathologie de ce phénomène n’est pas exactement connue. Cette baisse du DSC peut être due à une perte des phénomènes d’autorégulation, ou à un mécanisme de protection pour diminuer l’activité générale du cerveau. Quelle qu’en soit la cause exacte, les effets, combinés avec ceux d’un état de choc hémorragique, augmentent le risque de survenue de lésions ischémiques cérébrales [8,9,20,21].


De plus, comme nous l’avons vu précédemment, le système d’autorégulation est défectueux. Le résultat est qu’une PPC plus élevée est nécessaire pour maintenir un DSC adéquat. Les zones sévèrement touchées du cerveau peuvent perdre toute leur capacité d’autorégulation. Dans ces zones, les vaisseaux sanguins se dilatent, détournant ainsi le sang de zones intactes saines qui pourraient le rester si la PPC locale était maintenue [22,23]. Enfin, une hyperventilation énergique peut aggraver la situation et augmenter le risque de processus ischémiques du fait de la vasoconstriction qu’elle provoque.


Cette combinaison de perte de l’autorégulation, de détournement du débit sanguin et d’état de choc hémorragique représente un danger majeur de voir apparaître des lésions ischémiques supplémentaires chez le patient souffrant de TCC. C’est la raison pour laquelle le maintien d’une PAS supérieure à 90 mmHg, même si cela nécessite un remplissage vasculaire agressif, est essentiel dans la prise en charge des TCC, afin d’éviter la survenue de lésions cérébrales secondaires d’origine systémique.



Hypoxie


Un des éléments les plus importants apportés par la circulation au cerveau lésé est l’oxygène. Des lésions cérébrales définitives peuvent survenir en 4 à 6 minutes seulement d’anoxie. Des études ont également montré l’impact certain qu’avait une saturation en oxygène inférieure à 90 % chez les patients souffrant de TCC [2,5,14]. Un nombre non négligeable de patients ne sont pas pris en charge de façon adéquate sur le terrain [14]. De plus, plusieurs études ont mis en évidence que certains de ces patients avaient une SaO2 trop basse [13]. Les efforts demandés dans la prise en charge des voies aériennes et dans l’oxygénation de ces patients découlent de ces études.


Des travaux utilisant des monitorages de l’oxygénation du tissu cérébral ont montré l’impact de l’état de choc hémorragique sur l’apport d’oxygène au cerveau. Limiter l’hypotension est un élément clé pour assurer une bonne oxygénation du cerveau traumatisé [24].


L’hémorragie est fréquente chez les patients traumatisés crâniens, ce qui peut provoquer non seulement un état de choc, mais aussi une anémie par perte d’hémoglobine.


Pour que du sang oxygéné soit délivré au cerveau, il faut que les poumons fonctionnent de façon adéquate, ce qui n’est pas toujours le cas après un traumatisme. Les patients qui présentent des voies aériennes supérieures (VAS) obstruées par du sang ou du contenu gastrique, une contusion pulmonaire ou un pneumothorax ont une pathologie qui va modifier leur fonction respiratoire et leur capacité d’oxygéner leur sang. Pour que le cerveau soit bien oxygéné, il faut donc s’assurer que le taux d’hémoglobine soit satisfaisant, mais aussi que les VAS soient perméables, que la fonction respiratoire soit efficace et que l’air inspiré contienne de l’oxygène.


Tout comme pour l’hypotension, limiter les risques de survenue d’épisodes d’hypoxie cérébrale en assurant une bonne ventilation à travers des VAS perméables et maintenir un état hémodynamique satisfaisant est une composante capitale de la prévention des lésions cérébrales secondaires d’origine systémique en cas de TCC.

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May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 9: Traumatismes crâniens

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