9: Sclérodermies Systémiques

Chapitre 9 Sclérodermies Systémiques



Les sclérodermies sont des pathologies caractérisées par une fibrose cutanée et qui regroupent plusieurs entités : des sclérodermies localisées, maladies purement cutanées et qui ne s’accompagnent ni d’un phénomène de Raynaud ni du risque de complications viscérales, et les sclérodermies systémiques dont l’expression cutanée peut être limitée ou diffuse, qui sont des maladies vasculaires car elles débutent dans l’immense majorité des cas par un phénomène de Raynaud, souvent associées à des occlusions artérielles, des ulcérations pulpaires ou des nécroses digitales. La pathogénie des sclérodermies systémiques est imparfaitement comprise, mais elle fait appel à des anomalies vasculaires au niveau de la microcirculation et aussi probablement au niveau des artères de moyen et gros calibres.



PHYSIOPATHOLOGIE DE LA SCLÉRODERMIE SYSTÉMIQUE


Les lésions vasculaires avec activation du système autoimmun et inflammatoire sont reconnues actuellement comme les premières manifestations pathogènes de la maladie, qui précédent la fibrose et contribuent aux premières étapes mal comprises de la physiopathologie de la sclérodermie.



Vasculopathie


Les altérations morphologiques touchant le réseau capillaire peuvent être visualisées par la capillaroscopie qui visualise une microangiopathie organique : la présence de mégacapillaires, des anses dystrophiques, une raréfaction capillaire, un œdème, une désorganisation du réseau capillaire, des microhémorragies. On interprète la présence de capillaires géants et d’anses dystrophiques comme des tentatives infructueuses d’une angiogenèse. Les analyses histologiques effectuées au cours de la sclérodermie systémique (ScS) montrent un remaniement des parois des petites artères avec prolifération cellulaire et hyperplasie de l’intima, une hypertrophie de la média, et l’apparition d’une fibrose au sein de l’adventice, aboutissant à un rétrécissement de la lumière des petites artères avec ischémie en aval. Cette ischémie distale répétée pourrait entraîner des changements dans le métabolisme cellulaire et être à l’origine de la génération des formes réactives de l’oxygène en excès. Cette dysfonction vasculaire organique multifocale se manifeste aussi cliniquement par les ulcérations digitales, l’hypertension artérielle pulmonaire, la crise rénale sclérodermique, l’artériopathie, etc.









Autres acteurs potentiels dans la ScS







VEGF : médiateur proangiogénique clé dans la sclérodermie


Parmi les facteurs angiogéniques, le VEGF a été identifié comme un des principaux médiateurs dans l’angiogenèse et la vasculogenèse. Il induit la différenciation, la prolifération et la migration des cellules endothéliales, contribuant ainsi à la formation de nouveaux vaisseaux sanguins et joue un rôle clé dans le contrôle des différentes étapes de l’angiogénèse. Le VEGF intervient aussi en augmentant la perméabilité vasculaire. Une réduction de la concentration d’environ 50 % du VEGF, mais aussi de ses récepteurs mène à des malformations vasculaires létales dès les premiers stades embryonnaires. L’angiogenèse étant défectueuse dans la ScS avec réduction de la densité capillaire ou formation de mégacapillaires et déstructuration complète de l’architecture, nous pouvions nous attendre à un déficit en facteurs proangiogéniques dans la ScS, mais au contraire, nous constatons une surexpression du VEGF chez les patients. Les patients ayant les taux les plus importants ont significativement moins d’ulcérations digitales. Cependant, cette élévation de VEGF n’est pas suffisante pour prévenir après quelques années l’apparition de territoires avasculaires. Distler O et al suggèrent un rôle délétère du VEGF : une surexpression prolongée entraînerait une formation des vaisseaux incontrôlée avec une déstructuration complète de l’architecture vasculaire, une augmentation de la perméabilité vasculaire et même possiblement des lésions de fibrose [5]. Un travail récent montre que du VEGF en excès est contenu dans les plaquettes des sclérodermiques et que les plaquettes des sclérodermiques activent les cellules endothéliales [6].



Contribution de la plaquette sanguine dans la physiopathologie de la sclérodermie


La contribution des plaquettes dans la physiopathologie de la ScS est suspectée depuis longtemps car de nombreux arguments sont en faveur d’une activation plaquettaire, comme des taux élevés plasmatiques de β-thromboglobuline (β-TG), de Platelet-Factor 4 (PF-4) et une augmentation de l’agrégation plaquettaire chez les patients sclérodermiques [6]. Un « éventail supranormal » de multimères du facteur Von Willebrand a été retrouvé dans le plasma de patients sclérodermiques, or ces multimères sont des inducteurs potentiels de l’agrégation plaquettaire, de leur adhésion au sous-endothélium responsables en partie de l’occlusion des artérioles dans la microcirculation. L’ET-1, le t-Plasminogen Activator, le PAI-1, la β-TG, le PDGF et le TGFβ1 sont augmentés de façon significative dans le sérum des patients sclérodermiques comparés aux contrôles : sujets sains et phénomènes de Raynaud primitifs. Cependant, les sujets présentant un phénomène de Raynaud primitif ont eux aussi mais de façon bien plus modeste des taux plus élevés de ces facteurs que les sujets sains. Ces données suggèrent fortement l’implication de la plaquette dans la lésion de l’endothélium vasculaire dans la pathogénie de la ScS [7]. Des observations récentes décrivent une contribution possible d’une liaison anormale de la plaquette au collagène par augmentation de l’expression de son récepteur à la surface plaquettaire avec une augmentation de l’activité phosphitidylinositol-3 kinase dans les lysats plaquettaires des patients sclérodermiques entraînant une altération de la synthèse du NO et des RLO conduisant à une réactivité élevée des plaquettes au niveau de l’endothélium [59]. La raison de l’activation plaquettaire, secondaire à la lésion endothéliale ou à la présence d’anticorps antiplaquettes (antiglycoprotéine IlIa et anti-GPIIb/IIIa) n’est pas encore élucidée. Les chémokines libérées par les plaquettes activées, vont attirer les neutrophiles et monocytes sur le site de l’agrégation plaquettaire et avec l’IL-1? et autres cytokines moduler la fonction immunitaire. Les facteurs proangiogéniques libérés par les plaquettes activées vont jouer un rôle sur l’angiogenèse comme le VEGF. D’autres sur les cellules musculaires lisses (PDGF, TGFβ), sur les fibroblastes (PDGF, TGFβ, CTGF) et pouvant stimuler la synthèse de collagène et les composants de la MEC. IL semblerait donc que la plaquette soit impliquée dans la physiopathologie de la ScS. Elle est source de nombreuses molécules bioactives affectant le tonus vasculaire, l’inflammation, l’immunité, l’angiogénèse et le tissu conjonctif.



ÉPIDÉMIOLOGIE ET FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX



ÉpidÉmiologie


La prévalence de la ScS est difficile à évaluer en raison des différences de méthodologie. En France, l’étude de capture-recapture de le Guern (2004) trouve une prévalence de 15,8 pour 100 000 habitants [8]. Des foyers de plus forte prévalence ou incidence ont été décrits. C’est au sein de la tribu des Indiens Choctaw que la plus forte prévalence a été décrite (66 cas pour 100 000 habitants) soulevant l’implication d’un facteur génétique. La constatation, dans une province rurale de Rome, d’un foyer de 5 cas de ScS dans une population de 572 habitants ainsi qu’une prévalence plus forte dans 3 zones aéroportuaires du Sud et de l’Ouest de Londres suggère l’influence de facteurs environnementaux.


Le rôle des toxiques prend actuellement une place de plus en plus prépondérante. En effet, si la responsabilité de la silice est admise, plusieurs études cas-témoins récentes incriminent des agents chimiques et suggèrent même le rôle de facteurs environnementaux.



Rôle des toxiques professionnels et occupationnels



RELATION SCLÉRODERMIE SYSTÉMIQUE ET EXPOSITION AUX FACTEURS TOXIQUES



Silice


La silice est surtout nocive sous sa forme cristalline, hypothèse soulevée dès 1914 où était notée une fréquence anormalement importante de ScS chez des tailleurs de pierre. En 1957, Erasmus rapportait 16 cas de ScS dans un groupe de 8 000 ouvriers travaillant dans des mines d’or d’Afrique du Sud; six d’entre eux avaient une silicose. L’association « exposition à la silice (avec ou sans silicose) et ScS » porte ainsi le nom de « syndrome d’Erasmus ». Depuis, plusieurs études en particulier « cas-témoins » confirment ces données. Pour certains, ce lien n’est présent que chez les hommes exposés, pour d’autres que chez les femmes [4]. La disparité de ces résultats tient probablement du profil de la population concernée et de la méthodologie.


Au plan physiopathologique, le pouvoir pathogène de la silice semble lié aux cristaux de dioxyde de silicium (SiO2), la cellule cible étant le monocyte-macrophage : les particules inertes inhalées de quartz, de taille inférieure à 10 μm, entrant au contact du tissu pulmonaire étant responsables de la stimulation et la prolifération des macrophages alvéolaires provoquant ainsi la libération d’enzymes et de cytokines, responsable de la prolifération et la synthèse de collagène, de fibronectine et de glycoaminoglycanes. La destruction du tissu pulmonaire par la silice et l’internalisation des particules par les cellules endothéliales lors du passage dans la circulation et leur présence au niveau lymphatique, seraient responsables d’activation lymphocytaire T et B.


La sclérodermie systémique est maintenant inscrite au tableau 25bis des maladies professionnelles comme « Affection non pneumoconiotique due à l’inhalation de poussières minérales renfermant de la silice » avec ou sans silicose.


Ainsi, tout patient dont l’exposition à la silice a été mise en évidence peut faire l’objet d’une déclaration en tant que maladie professionnelle et amener idéalement à un reclassement professionnel.



Solvants


Dès 1957, la responsabilité des solvants est soulevée. Depuis, les études publiées sont en faveur d’une forte imputabilité de l’exposition aux solvants organiques comme facteur de risque de ScS sans toutefois incriminer de façon fiable un type particulier de solvants. Cinq études cas-témoins viennent renforcer cette hypothèse en retrouvant des odds ratios moyens en cas d’exposition aux solvants de 2,6 [4]. Deux méta-analyses [9, 10] analysant, pour la plus récente, 11 études cas témoins (soit 1 291 ScS et 3 435 témoins) concluent à une association de la ScS aux solvants. Le mécanisme physiopathologique serait double, la pénétration se faisant au travers de la peau et par inhalation, du fait d’une haute volatilité. Après pénétration, les solvants se lieraient aux acides nucléiques et aux protéines et déclencheraient les mécanismes de réponse immunitaire cellulaire et humorale.


Il n’existe pas actuellement de tableau défini de maladie professionnelle concernant les cas de ScS avec exposition aux solvants. Une reconnaissance peut toutefois être acceptée par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.




RELATION EXPOSITION AUX TOXIQUES – GRAVITÉ DE LA MALADIE


Le lien avec le sexe masculin est controversé, constaté cependant dans la méta-analyse de Kattaneh [11], Par contre, l’exposition aux toxiques occupationnels est plus volontiers associée à une forme de mauvais pronostic de la maladie définie par les marqueurs de sévérité que sont l’extension de la sclérose cutanée, la présence d’une atteinte pulmonaire infiltrante et la positivité des antitopo-isomérase I, paramètres souvent associés. Les produits les plus impliqués sont les solvants et la silice. Ceci peut s’expliquer par le mode de pénétration de ces agents, inhalation pour la silice, transcutané pour les solvants [12].


L’influence des facteurs environnementaux est maintenant admise dans la genèse de la ScS. Un dépistage systématique et méthodique des expositions toxiques occupationnelles chez les patients doit être fait afin de mettre en place des mesures préventives, un reclassement professionnel, et un suivi plus strict des sujets exposés.




HISTOIRE NATURELLE,FACTEURS PRONOSTIQUES


L’atteinte initiale est le phénomène de Raynaud qui précède souvent de plusieurs années l’atteinte cutanée dont la diffusion conditionne le pronostic. Cette atteinte cutanée peut être mesurée par le calcul d’un score (score de Rodnan modifié) [14] (tableau 9-2), la mesure de la distance entre les index en position mains jointes, la distance interincisives en position bouche ouverte au maximum.



Schématiquement, on peut distinguer deux types évolutifs :


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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 9: Sclérodermies Systémiques

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