8: Immunologie et infection

Chapitre 8 Immunologie et infection



Les infections représentent une complication particulièrement fréquente chez les brûlés graves. Une enquête récente réalisée sous l’égide de la Société française d’étude et de traitement des brûlures (SFETB, www.sfetb.org) auprès de la quasi-totalité des centres de brûlés français sur une période d’observation de quatre mois, montre que 19 % des patients admis en centre de brûlé présente au moins une infection, mais ce chiffre atteint 48 % si l’on considère les brûlés de plus de 30 %. Les complications infectieuses représentent par ailleurs l’une des premières causes de mortalité passée la phase aigue comme en témoigne une étude autopsique récente [1]. Cette grande susceptibilité aux infections s’explique principalement par la perte du revêtement cutané, première ligne de défense immunitaire, et les désordres immunitaires induits par l’agression initiale. En effet, les brûlures graves induisent une réaction inflammatoire systémique accompagnée d’une réaction anti-inflammatoire ayant pour objet de limiter les effets de la première [2]. Dans la majorité des cas, passée la phase initiale, il existe une immunodépression secondaire à la réaction anti-inflammatoire, portant à la fois sur l’immunité innée et acquise (cellulaire et humorale) qui expose les patients aux complications infectieuses graves. La durée de séjour souvent longue et les fréquentes interventions liées aux soins (pansements, gestes chirurgicaux, dispositifs médicaux invasifs) représentent des facteurs aggravants. Si les lésions cutanées représentent le site infectieux le plus fréquemment rencontré, les autres sites habituels sont aussi concernés, en particulier les poumons chez les patients ventilés ou ceux victimes d’exposition aux fumées d’incendie. La prévention des épisodes infectieux est un enjeu essentiel de la prise en charge des brûlés graves. Elle fait appel à la maîtrise de l’environnement (air, eau, isolement géographique), au respect des procédures de soins et à l’utilisation d’antiseptiques locaux afin de contrôler la prolifération microbienne. Concernant plus spécifiquement la stratégie thérapeutique, la nutrition entérale et l’excision-greffe précoce sont deux éléments essentiels, permettant d’accélérer la restitution de la barrière cutanée et réduire ainsi le risque infectieux [3]. Des données récentes montre par ailleurs qu’il existerait une susceptibilité génétique individuelle capable d’influencer la sévérité de la réponse inflammatoire et les complications infectieuses [48], laissant entrevoir la possibilité de dépister les patients à risque afin d’optimiser la stratégie préventive.



Inflammation et immunité



Balance pro/anti-inflammatoire


La brûlure s’accompagne immédiatement d’une réaction inflammatoire locale qui se généralise secondairement pour aboutir à un syndrome inflammatoire systémique (SIRS) [1]. La réponse inflammatoire induite est complexe et implique de nombreuses interactions entre différents types cellulaires (monocytes, macrophages, polynucléaires, cellules endothéliales), différentes voies de production de molécules inflammatoires (acide arachidonique/prostaglandines, système du complément, système de la coagulation, chémokines, cytokines) ainsi que les voies de régulation des systèmes neuroendocrines et métaboliques.


Chacun de ces acteurs va interagir avec les composants du système immunitaire pour en modifier le fonctionnement. Initialement il existe une composante pro-inflammatoire permettant l’activation et le recrutement des cellules impliquées dans l’immunité non spécifique dans le but de limiter les lésions et débuter les phénomènes cellulaires de réparation. Une réaction anti-inflammatoire est aussi initiée (Compensatory Anti inflammatory Response Syndrome ou CARS), classiquement de manière différée, ayant pour objet d’éviter l’emballement de la réaction pro-inflammatoire et de limiter les effets délétères potentiels de celle-ci (fig. 8-1). Il semble en fait que cette réponse antiinflammatoire soit précoce pouvant être initiée au même moment que la réponse pro-inflammatoire et qu’elle dure en revanche beaucoup plus longtemps, comme en attestent les études de cinétique de l’IL-10 chef de file des cytokines anti-inflammatoires [911]. Ces deux réactions représentent la réponse physiologique de l’organisme permettant un équilibre qui limite les effets délétères de l’une ou l’autre réaction et permet très précocement de mettre en œuvre les phénomènes de réparation tissulaire. Elles sont en théorie d’ampleur modérée et les leucocytes activés ne sécrètent que de faibles quantités de médiateurs inflammatoires [2]. Ce sont des phénomènes itératifs d’activation inflammatoire (fig. 8-2) qui aboutiraient à l’emballement du système et aux effets délétères associés selon la théorie dite du « second hit hypothesis » [2]. Dans cette hypothèse les leucocytes activés par la lésion traumatique vont répondre de manière explosive à toute nouvelle agression conduisant à une réaction inflammatoire systémique sévère. Parmi les agressions secondaires, un rôle particulier a pu être attribué aux lésions fonctionnelles de la muqueuse digestive dont l’atteinte serait liée à la diminution du débit sanguin mésentérique en réponse à l’atteinte hémodynamique secondaire à la brûlure [12]. La translocation bactérienne ou endotoxinique à partir de la muqueuse digestive pourrait être ainsi impliquée dans ce phénomène de suractivation secondaire de la réaction inflammatoire [13]. De nombreuses autres agressions peuvent survenir au décours de la prise en charge des patients (voir fig. 8-2) susceptibles de réactiver les phénomènes inflammatoires en cours, soit sur le versant pro-inflammatoire à la phase précoce, soit anti-inflammatoire lorsque l’agression survient de manière différée (sepsis par exemple) et conduirent à l’apparition d’un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) [14]. Ainsi les complications septiques vont être favorisées par l’immunodépression induite, mais vont aussi aggraver cette dépression immunitaire en réactivant ou pérennisant la réaction inflammatoire.




L’importance de ces phénomènes inflammatoires et leur durée par rapport à l’évolution de la maladie est difficile à prévoir à l’échelle individuelle. En effet, s’il existe une relation clairement établie entre la surface totale brûlée et l’amplitude de ces phénomènes [15], la prise en charge va induire de nombreuses situations susceptibles de les pérenniser et de les réactiver régulièrement (voir fig. 8-2).



Immunité innée


L’immunité innée concerne l’ensemble des mécanismes physiologiques non spécifiques participant à la défense de l’hôte contre une agression étrangère quelle qu’en soit l’origine (microbienne, virale, parasitaire, chimique, mécanique…). Ces mécanismes sont donc actifs immédiatement ou activés très rapidement en réponse à l’agression sans sensibilisation préalable. Ils comprennent les défenses liées à la barrière épithéliale, l’activation du complément, la production de cytokines et la phagocytose des débris cellulaires et bactériens par l’intermédiaire des cellules du système monocytes/macrophages, des cellules dendritiques et celles de la lignée granuleuse [16].



Barrière épithéliale


La peau est la première barrière de défense contre les microorganismes qu’elle héberge. La brûlure induit une rupture de cette barrière qui va permettre la colonisation du tissu lésé par la flore cutanée du patient. En effet, si l’agression thermique détruit les microbes sur la surface cutanée, les germes hébergés au sein de la racine des follicules pileux persistent et pourront se développer. Les exsudats et les produits de dégradation du tissu cutané vont par ailleurs favoriser la prolifération microbienne en constituant un milieu propice à leur développement. Enfin, au sein du tissu lésé, la perte de l’apport vasculaire (ischémie voire nécrose, thromboses) ne permettra pas à la réaction inflammatoire non spécifique de s’exprimer puisque les leucocytes ne pourront l’atteindre. Cette colonisation microbienne et la prolifération des germes aboutissent à un inoculum très important qui constitue souvent la première étape de l’infection locale voire de la dissémination systémique [17].


Au niveau pulmonaire, les atteintes thermiques ou caustiques liées au syndrome d’inhalation de fumées d’incendie vont entraîner des lésions épithéliales et endothéliales qui pourront, combinées aux atélectasies éventuelles favoriser la prolifération microbienne et l’infection pulmonaire secondaire. La rupture des ces mécanismes de défense physiologiques explique aussi la plus grande survenue d’infections en rapport avec les procédures invasives utilisées en réanimation (cathéters veineux centraux, sonde d’intubation, sonde urinaire).




Dysfonction des leucocytes


Les acteurs essentiels de l’immunité innée sont les macrophages, les cellules dendritiques et les polynucléaires neutrophiles qui vont à la fois intervenir sur l’élimination des débris cellulaires et tissulaires mais aussi sur l’activation de la cascade inflammatoire via la sécrétion de chémokines et de cytokines permettant le recrutement et l’activation de cellules immunocompétentes parmi lesquels le lymphocytes T est un acteur central. L’activation de ces cellules permet ainsi d’amplifier la réponse inflammatoire et immunologique non spécifique mais aussi d’activer la réponse immunitaire adaptative via l’activation des lymphocyte T (helper et cytotoxiques) et B.


Le macrophage est le chef d’orchestre de la réaction inflammatoire après agression thermique et des effets cellulaires responsables de la dysfonction immunitaire [20]. L’activation initiale du macrophage va induire immédiatement la sécrétion de molécules pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNF-α, IL-12, IFN-γ, PGE-2, espèces réactives azotées) qui vont initier la réaction systémique et intervenir sur l’immunité en activant les lymphocytes T, en augmentant la cytotoxicité des lymphocytes natural killer (NK), en augmentant la production, la margination et l’activation des leucocytes [20]. Cette réaction physiologique est parfaitement adaptée à la lutte de l’organisme contre les lésions induites ; cependant, au cours des brûlures étendues, il existe très souvent une hyperactivation du macrophage qui conduit à une dysfonction macrophagique, sous l’effet de stimuli répétés (endotoxinémie, infections…). Cette dysfonction semble liée principalement à l’activation de la cascade de l’acide arachidonique. Le traumatisme induit l’activation des phospholipases membranaires qui entraîne la libération d’acide arachidonique ayant pour effet via les cyclooxygénases (COX-1 constitutive et COX-2 inductible) la production de prostaglandines, thromboxane et leucotriènes par les macrophages [21]. La cyclooxygénase inductible (COX-2), activée par la réaction inflammatoire, est beaucoup plus puissante que la COX-1 et joue ainsi un rôle très important en permettant la production de très grandes quantités de PGE2. La production de dérivés azotés pourrait aussi jouer un rôle synergique avec la voie de l’acide arachidonique sur le macrophage [14]. En effet, le macrophage possède une NO synthase inductible, 1 000 fois plus puissante que la NO synthase constitutive (exprimée principalement par les cellules nerveuses et endothéliales) et qui est activée par certains médiateurs de l’inflammation (TNF-α, IFN-γ). Des travaux expérimentaux montrent un effet synergique entre COX-2 et NO synthase inductible : i) des molécules donneuses de NO augmentent l’expression de la COX-2 et de la PGE-2, ii) des inhibiteurs de la NOS synthase bloquent la production de PGE-2 et par ailleurs iii) la PGE-2 peut augmenter l’activité de la NO synthase sous l’effet du TNF-α [18]. Ces effets synergiques conduisent à la libération de grandes quantités de PGE2 qui va agir sur le macrophage en augmentant l’activité de l’adenylate cyclase et ainsi le taux intracellulaire d’AMP cyclique. L’AMP cyclique va moduler de nombreuses voies de signalisation intracellulaire, et modifier ainsi l’effet de facteurs de transcription impliqués dans l’expression de gènes des molécules pro-inflammatoires (IL-1, TNF-α, IL-12). L’effet sur les macrophages est la diminution des capacités de phagocytose, la diminution d’expression des cytokines pro-inflammatoires au profit de cytokines anti-inflammatoires (IL-4, IL-10) et la diminution d’expression du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMH II) diminuant ainsi les capacités de présentation de l’antigène. La baisse d’expression du CMH II est un marqueur de dysfonction macrophagique et d’immunodépression chez les patients septiques, qui est aussi retrouvé précocement chez les brûlés à partir du 2e jour [22]. Sa persistance au-delà de la première semaine a d’ailleurs pu être associée à la survenue de complications septiques et à une mortalité accrue [22]. L’« up-régulation » de la production de PGE-2 est prolongée dans le temps jusqu’à 21 jours expliquant l’immunosuppression prolongée du brûlé [23]. La diminution de production de l’IL-12, l’augmentation de celle de l’IL-4 et l’IL-10 et la diminution d’expression du CMH II vont avoir des conséquences sur la diminution des fonctions des lymphocytes T. L’activation de la NO synthase inductible par le macrophage et la production d’espèces réactives azotées vont aussi conduire à diminuer les fonctions des lymphocytes T. Ces différents éléments illustrent le rôle primordial du macrophage dans le développement de la dysfonction immunitaire post-brûlure et les relations entre dysfonction macrophagique et dysfonction lymphocytaire.


Concernant les polynucléaires neutrophiles, il existe une diminution du chimiotactisme, de la phagocytose et des capacités cytotoxiques consécutives à une dégranulation initiale massive et une incapacité de restaurer l’activité enzymatique des lysosomes. On a pu montrer que les polynucléaires de patients brûlés avaient une diminution des capacités cytolytiques sur le Staphylococcus aureus [24] jusqu’à 100 jours après l’accident initial, et que par ailleurs les exsudats de patients brûlés exerçaient in vitro une inhibition des fonctions de phagocytose et de chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles [25].

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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 8: Immunologie et infection

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