12: Métabolisme et nutrition du brûlé grave

Chapitre 12 Métabolisme et nutrition du brûlé grave



Les grands brûlés ont des particularités qui les distinguent des autres traumatisés : la destruction de la peau occasionne la perte de ses fonctions de barrière, d’isolation thermique et de synthèse. Les pertes liquidiennes exsudatives journalières sont, chez l’adulte, de l’ordre de 1 litre par 10 % de surface corporelle brûlée (SCB), jusqu’à la guérison des plaies, et ces exsudats contiennent de grandes quantités de micronutriments. La réponse à une brûlure grave se fait en trois phases [1, 2]. La phase de réanimation est caractérisée par un état d’instabilité hémodynamique lié à l’extravasation liquidienne avec une réponse inflammatoire généralisée. La deuxième phase est caractérisée par un hypermétabolisme qui dure jusqu’à la couverture complète des surfaces brûlées. Dans cette phase on observe une augmentation des flux métaboliques. La troisième phase correspond à la période de réhabilitation et s’étend jusqu’à 2 ans après l’accident.


On subdivise les patients en brûlés graves (> 20% de la surface corporelle brûlée [SCB] ou avec des lésions par inhalation de l’arbre trachéobronchique) et très graves (> 50% SCB) [3]. Il y a moins de 500 patients à plus de 50 % SCB traités en France chaque année. La brûlure grave est donc peu fréquente, mais elle engendre des coûts de traitement élevés. La pratique de la médecine fondée sur l’évidence est particulièrement difficile à introduire dans ces conditions. La brûlure est une des rares pathologies où la nutrition constitue un traitement primaire et a un impact démontré sur la morbi-mortalité. La nutrition s’inscrit dans une stratégie globale qui inclut la diminution des pertes liées à l’hyperthermie et la douleur, la prévention et le traitement de l’infection, l’excision des tissus nécrotique et la couverture cutanée par excision et greffes [4]. Cette stratégie a été récemment décrite par des experts francophones dans un texte de consensus auquel le texte ci-après se référera largement [3].



Physiopathologie des altérations métaboliques


La brûlure grave représente une agression particulièrement intense qui entraîne des perturbations organiques majeures, et un hypermétabolisme et catabolisme intenses et durables avec des besoins nutritionnels fortement augmentés.





Réponse inflammatoire et stress oxydant


Les premières heures d’évolution sont dominées par la fuite capillaire liquidienne interstitielle et l’instabilité hémodynamiques consécutive à l’hypovolémie [3, 5].


La réponse inflammatoire locale est immédiate, déclenchée par les activations successives de la xanthine oxydase, du facteur de Hageman et du complément [3], puis des macrophages et des mastocytes [6]. Les cytokines libérées activent les cellules endothéliales des capillaires de la région lésée, ce qui, associé aux effets vasodilatateurs de l’histamine, des kinines et des radicaux libres sécrétés, permet la diapédèse des globules blancs. Les polynucléaires neutrophiles (PNN) et les monocytes attirés et activés par les cytokines renforcent, amplifient et prolongent la réponse inflammatoire [3].


Dès que la surface brûlée excède 20 % chez l’adulte (10 % chez l’enfant), les médiateurs passent dans la circulation et induisent une généralisation de l’inflammation et un « syndrome de réponse inflammatoire systémique » (SIRS). Cette réponse standardisée est remarquable par son intensité et sa durée [7]. Tant que la cicatrisation cutanée n’est pas achevée, elle est réactivée par la prolifération de bactéries, la sécrétion d’endotoxines et les interventions chirurgicales [3]. Elle persiste de manière atténuée plusieurs mois après la fermeture des plaies [8].


Une peroxydation lipidique et un stress oxydatif intenses caractérisent les brûlés graves, reflétés par l’excrétion massive de malondialdéhyde dans les urines [9]. Ils sont causés directement par la brûlure, mais aussi par la réponse inflammatoire, qui dépasse les capacités de neutralisation des défenses antioxydantes endogènes. S’y ajoutent encore les effets oxydants des traitements de réanimation (ventilation mécanique, fraction inspirée d’O2 élevée, transfusion, techniques d’épuration extrarénale). Les pertes de micronutriments antioxydants, en particulier par les exsudats, contribuent à réduire les capacités de défense de l’organisme [10].


L’interleukine (IL)-6 plasmatique est corrélée à la surface brûlée [11], à la fièvre et au niveau métabolique [12]. La présence de TNFα est corrélée à l’intensité d’un sepsis [13] ; il est pyrogène, stimule la lipolyse, le catabolisme musculaire et la production de protéines de l’inflammation. Enfin, l’IL-1 participe à l’hyperthermie. L’amplification du SIRS passe par l’activation du nuclear transcription factor kappa B (NFκB) au niveau cellulaire, laquelle est modulée par plusieurs micronutriments, comme le sélénium (Se), les vitamines C et E [14].


La défaillance multiviscérale (multiorgan failure = MOF) est une complication que l’on observe chez le brûlé qui survit à la phase initiale. Plusieurs théories tentent de l’expliquer [15] : l’hypothèse macrophagique met en avant l’activation exagérée et prolongée des cellules pro-inflammatoires. L’hypothèse microcirculatoire repose sur une inadaptation entre demande et approvisionnement tissulaire en oxygène ; l’ischémie, les modifications endothéliales ou la coagulation entravent les échanges capillaires. L’hypothèse infectieuse le lie à la persistance d’un foyer infectieux générant des toxines. L’hypothèse la plus récente considère le MOF comme une adaptation physiologique à l’agression. Dans cette approche, la défaillance d’organe est consécutive à une désactivation métabolique fonctionnelle et réversible, semblable à l’hibernation, qui favorise la survie une fois l’infection surmontée [16]. Ces différentes hypothèses se rejoignent : la sécrétion de médiateurs pro-inflammatoires (incluant l’intervention des PNN et une dissémination par voie lymphatique) agit sur le capillaire et active la coagulation ; l’ischémie-reperfusion libère des radicaux libres oxygénés, qui entretiennent la réaction.





Hypermétabolisme et régulation thermique


Malgré toute l’attention portée à la nutrition, elle ne peut supprimer le catabolisme protéique, car les brûlés graves sont « résistants » à la nutrition dans ce contexte inflammatoire. Cette résistance se manifeste par la persistance d’un catabolisme azoté, malgré des apports de protéines excédant les pertes. Il s’ensuit un risque de dénutrition rapide avec ses conséquences négatives sur l’immunité et la cicatrisation. Un objectif thérapeutique important est de limiter l’hypermétabolisme et le catabolisme protéique pour prévenir la survenue de la dénutrition.


Le niveau métabolique augmente proportionnellement à la SCB, pour atteindre jusqu’à 200 % de la valeur basale en l’absence d’excision précoce des brûlures. Cependant, au-delà d’une SCB de 50 % environ, le métabolisme n’augmente plus [1]. La dépense énergétique de repos (DER) augmente durant les 7 à 20 premiers jours pour diminuer ensuite progressivement sur plusieurs mois, voire années selon la surface brûlée [3, 8, 17]. Les études de calorimétrie indirecte des vingt dernières années chez l’enfant [17, 18] et chez l’adulte [3] donnent des valeurs moyennes de DER plus basses (1,5 fois les valeurs normales) que celles rapportées classiquement et reflètent les progrès thérapeutiques des dernières décennies [19]. Les principaux déterminants de l’augmentation de la DER sont la surface brûlée, la réaction inflammatoire, la fièvre, les pertes caloriques cutanées, la stimulation par les hormones de stress et la cicatrisation. La manière pratique de déterminer la cible d’énergie pour la nutrition est discutée dans infra, p. 120.


La perte de la fonction d’isolation de la peau dans les zones brûlées est responsable de pertes caloriques. Les pertes par radiation sont augmentées, par la perte de l’épiderme et par la vasodilatation provoquée par l’inflammation. Mais ce sont les pertes évaporatoires qui représentent la principale cause de fuite de calories, surtout pour les lésions profondes : près de 580 kcal par kg d’eau évaporée. Ces pertes peuvent être réduites en élevant la température ambiante de la chambre à 25–28 °C. L’axe hypothalamo-hypophysaire et le système sympathique sont activés avec élévation du réglage de la température de référence (set point) qui induit une hyperthermie.


Le recours aux antipyrétiques ou la diminution de la température de l’environnement, en cas de fièvre, est généralement inefficace mais surtout responsable d’une augmentation de consommation d’énergie et ne devrait être envisagé que lorsque la température centrale dépasse 39,5 °C. Après cicatrisation, la régulation thermique restera perturbée de manière prolongée, car la capacité de vasodilatation et de sudation des zones greffées est perdue [20].





Réponse endocrinienne


La brûlure entraîne l’activation du système sympathique avec une augmentation des catécholamines plasmatiques et tissulaires : on observe donc une hypersécrétion de toutes les hormones de stress (glucagon, glucocorticoïdes et catécholamines). Cette hypersécrétion est une des principales causes de l’hypermétabolisme du brûlé, de l’état hyperdynamique du système cardiovasculaire et des modifications métaboliques (hyperglycémie, catabolisme protéique, lipolyse) [3, 19, 21]. Le glucagon augmente la production de glucose, en stimulant la glycogénolyse et la néoglucogenèse. Le cortisol stimule la protéolyse musculaire et l’efflux musculaire des acides aminés et ainsi favorise la néoglucogenèse. L’hyperinsulinémie est marquée, mais elle est associée à une résistance aux effets cellulaires de l’insuline [3], et ne permet pas de contrecarrer les effets des autres hormones hyperglycémiantes. À l’opposé, les sécrétions d’hormones anabolisantes (testostérone et hormone de croissance) sont diminuées. On constate une diminution des concentrations sériques des hormones thyroïdiennes T3 et T4 (syndrome de T3 basse).


Cette réponse hormonale aboutit à un catabolisme intense. Il s’ensuit une libération massive des substrats énergétiques nécessaires à la réaction inflammatoire. Il s’agit alors d’une réaction de défense adaptée, même si l’importance et la durée des perturbations expliquent l’effondrement rapide des réserves, avec un déséquilibre entre l’anabolisme et le catabolisme. Réduire ou moduler cette réponse endocrinienne est un objectif thérapeutique. De nombreuses études métaboliques ont montré des effets bénéfiques de ces stratégies : blocage des récepteurs β-adrénergiques [21], utilisation de l’hormone de croissance, d’IGF-1 (Insuline-Like Growth Factor-1) ou d’équivalents de la testostérone [22]. Ces traitements sont applicables pour les bêtabloquants dès la stabilisation hémodynamique (avec des interruptions temporaires lors de sepsis) et dès la baisse de la réponse inflammatoire pour l’oxandrolone. Au-delà, l’efficacité de l’oxandrolone a été prouvée chez l’enfant et l’adulte [23, 24, 25].





Tube digestif


Les modifications hémodynamiques et inflammatoires ont un impact direct sur le tube digestif, qui amplifie la réaction inflammatoire. L’intestin est à la fois, le « moteur » et la « cible » de cette réaction. Il a le rôle du « canari » du mineur qui alerte d’un danger [15]. L’augmentation précoce et transitoire de la perméabilité intestinale qui y est associée peut durer jusqu’à deux semaines [26].


La précocité et la qualité de la réanimation hydroélectrolytique initiale sont des facteurs déterminants de la survie du brûlé [27], car l’hypovolémie est à la base de l’hypoperfusion splanchnique. Un délai de réanimation de plus de 2 heures entraîne une augmentation significative de la morbimortalité par défaillance multiviscérale et sepsis. L’hypovolémie est compensée transitoirement par une vasoconstriction dans les organes non vitaux au profit des organes essentiels. Le phénomène persiste chez les brûlés graves alors que la volémie a été restaurée, et s’accompagne de l’accumulation d’hypoxanthine et de la conversion de la xanthine-deshydrogénase en xanthine oxydase [3]. Lors de la reperfusion, cette dernière catalyse la production de dérivés toxiques dont l’ion superoxyde qui réagit avec le peroxyde d’hydrogène pour former un radical hydroxyl et promeut la lipoperoxydation membranaire. L’augmentation de la nitric oxide (NO) synthétase inductible produit des lésions cellulaires et aboutit à la génération de peroxynitrites dont la toxicité cellulaire est très élevée [28]. Ainsi, l’ischémie-reperfusion et l’augmentation de la production locale de NO sont source de lésions muqueuses, d’inflammation intestinale et de translocation bactérienne. La translocation bactérienne est démontrée chez l’animal, et bien qu’elle soit également démontrée chez l’homme, son importance clinique reste controversée. Le niveau d’endotoxinémie est en revanche corrélé à la SCB [11]. L’endotoxinémie entraîne une vasoconstriction intestinale et une translocation. Il se crée ainsi un cercle vicieux où l’atteinte intestinale et la situation inflammatoire qu’elle engendre aggravent les lésions intestinales. Le débridement précoce des tissus brûlés diminue le risque [3].


L’intestin grêle subit nombre d’atteintes, de l’iléus paralytique à l’ischémie intestinale, que l’on retrouvait fréquemment à l’autopsie dans les années 1980 [29]. Elles sont dans notre expérience devenues plus rares, mais graves quand elles surviennent – en lien avec des chocs hémorragiques en particulier.


Le gros intestin, en plus des complications de type ischémie colique et des colites pseudomembraneuses relativement fréquentes, peut présenter des dilatations non obstructives (syndrome d’Ogilvie) chez moins de 1 % des patients, qui peuvent mettre leur vie en danger. Les opiacés et sédatifs, largement administrés, sont des facteurs de risque bien établis. La stase digestive entraîne la prolifération des germes intestinaux et favorise la translocation. La sédation combinant opioïdes et sédatifs, voire des curares, doit être pesée à l’aune de la fonction intestinale dont le maintien est impératif.


Le syndrome du compartiment abdominal a été décrit chez le brûlé dans le contexte de sur-réani-mation liquidienne [30] : l’hypertension abdominale supérieure à 20 mm Hg augmente le risque d’ischémie intestinale ; sa prévention et son traitement font maintenant partie des pratiques cliniques quotidiennes.



Métabolisme des substrats


La tempête métabolique touche l’ensemble des substrats.



Glucides


Les brûlés graves présentent fréquemment une hyperglycémie causée par les hormones de stress et les cytokines. Ces médiateurs endocriniens et inflammatoires induisent une résistance marquée à l’insuline. Celle-ci modifie fortement la cinétique de production et d’utilisation du glucose. La production hépatique de glucose reste élevée dans l’état nourri, malgré l’hyperinsulinémie [31].


Les causes principales sont, d’une part, un déséquilibre entre la glycogénolyse augmentée et la glycogénogenèse réduite sous l’influence des catécholamines et du glucagon [3]. Il s’ensuit rapidement une déplétion du glycogène hépatique. D’autre part la néoglucogenèse est fortement stimulée à partir de ses précurseurs : 1) le lactate qui est retransformé en glucose dans le cycle de Cori [3], 2) l’alanine, la glutamine, la proline et la glycine libérés par les muscle, et 3) le glycérol peut représenter jusqu’à 20 % de la production de glucose chez le brûlé [3].


L’utilisation du glucose dans les tissus insulinosensibles (muscle squelettique et tissu adipeux) est fortement diminuée. L’ensemble (production endogène élevée et utilisation réduite) concourt à produire une hyperglycémie marquée. L’utilisation du glucose indépendante de l’insuline est en revanche fortement stimulée chez le brûlé en raison de l’hyperglycémie. Ce processus est particulièrement important dans les tissus impliqués dans la réponse immunitaire, la réponse inflammatoire et dans tous les tissus en forte croissance, telles les plaies ; d’autre part la glycolyse est augmentée, probablement en raison de la stimulation de la phosphofructokinase, enzyme limitante de la glycolyse [3].


L’oxydation du pyruvate est également augmentée [32]. L’hyperlactatémie est souvent observée, n’est donc pas le reflet d’une insuffisance d’oxydation du pyruvate mais représente, comme chez les patients septiques, un équilibre avec un rapport lactate/pyruvate normal [32].


Le contrôle glycémique est aussi un enjeu important chez le brûlé, depuis qu’une importante étude prospective dans une population de réanimation à prédominance chirurgicale [33] a montré que la normalisation de la glycémie réduit la mortalité des patients normoglycémiques (entre 4,4 et 6,1 mmol/l) comparé au groupe dont la glycémie est maintenue à des valeurs plus élevées (entre 10 et 11,1 mmol/l). Cependant, cette étude a été réalisée sur une population dont la majorité était constituée de patients de chirurgie cardiaque. Les polytraumatisés et les brûlés graves ne représentaient que 4 % des patients étudiés. Dans cette sous-population, il n’existe pas de différence significative de mortalité entre les patients selon leur glycémie. En l’absence d’insulinothérapie chez les brûlés graves, des hyperglycémies de 10–15 mmol/l sont fréquentes avec les risques de glycosurie, polyurie osmotique suivie d’une déshydratation, et d’infection [34, 35]. Il est donc indispensable de contrôler la glycémie, ce qui est parfois difficile car de nombreux éléments modifient en permanence l’équilibre glycémique (traitements cutanés itératifs, variations hémodynamiques et thermiques, chirurgie répétée avec périodes de jeune suivies d’alimentation de rattrapage…), les tentatives de normalisation de la glycémie exposant les patients aux risques d’hypoglycémie. La cible de glycémie optimale chez le brûlé reste discutée : faut-il « normaliser » la glycémie ou la maintenir la plus stable possible à un niveau intermédiaire ? Des études rétrospectives ont comparé le devenir de patients brûlés avec des niveaux de glycémie moyenne élevés ou normaux [4] : les patients dont la glycémie moyenne reste dans les limites de la norme ont une mortalité plus faible, présentent moins de complications infectieuses et ont un meilleur taux de prise de greffes que ceux dont la glycémie est élevée. Une étude pédiatrique prospective sur le modèle avant après a montré que l’insulinothérapie intensive (cible 90 to 120 mg/dl soit 4–6 mmol/l) pouvait être introduite sans effets néfastes, et qu’au contraire elle était associée à une réduction des infections urinaires et de la mortalité [35].


En l’état actuel des connaissances, on considère qu’un contrôle de la glycémie est indispensable : il est nécessaire de combattre des glycémies supérieures à 10 mmol/l, et il est raisonnable de les maintenir entre 5 et 8 mmol/l, sans que cette cible soit validée. Elle devrait permettre un apport adéquat de glucides tout en limitant les risques d’hyper- ou d’hypoglycémie.



Protéines


L’hypercatabolisme protéique est initialement utile dans la mesure où, en l’absence de support nutritionnel adéquat, il permet la synthèse par le foie des protéines de l’inflammation, favorise la réplication des cellules impliquées dans la défense immunitaire, fournit des substrats nécessaires à la cicatrisation [3]. Cependant, il aboutit rapidement à une perte importante de la masse maigre. On assiste alors à une cascade de déficits incluant dépression de l’immunité, inhibition de la cicatrisation, atrophies musculaires et de la muqueuse digestive. Ces processus sont le résultat d’un déséquilibre entre vitesses de synthèse et de destruction des protéines [36, 37]. Chez le brûlé, la synthèse protéique est augmentée [37], mais insuffisamment pour s’opposer à la dégradation très accélérée des protéines. Les flux de leucine et d’arginine, la transformation de l’arginine en ornithine et l’oxydation de l’arginine sont fortement augmentés chez les brûlés [38]. La glutamine doit être considérée comme essentielle chez les brûlés, car elle est nécessaire à l’immunité, la cicatrisation et au maintien du tube digestif. Une supplémentation est recommandée (voir infra).


La protéolyse s’accompagne d’une libération massive d’acides aminés (surtout d’alanine et de glutamine) par les muscles. Une diminution des sécrétions des hormones anabolisantes explique en partie cette situation [37]. Les cytokines jouent également un rôle important : l’IL-6 favorise la synthèse des protéines de l’inflammation par le foie [12] et le TNFα augmente le catabolisme musculaire en potentialisant l’action du cortisol.



Lipides


Catécholamines, glucocorticoïdes et glucagon sont les principaux responsables d’une lipolyse intense chez le brûlé [3]. La stimulation du système nerveux sympathique et la résistance à l’insuline participent à l’utilisation des réserves lipidiques. Ainsi, l’oxydation des lipides permet de préserver les glucides pour leur utilisation par les tissus dont c’est la seule source possible d’énergie. Le cerveau peut partiellement s’adapter pour utiliser les corps cétoniques comme substrats ; cependant, chez le brûlé, la cétogenèse est déprimée [39].


Chez les patients gravement brûlés, la lipolyse entraîne une libération d’acides gras très excessive par rapport aux besoins : 70 % d’entre eux ne sont pas oxydés mais rééstérifiés en triglycérides à une vitesse qui peut dépasser la vitesse maximale de leur libération hépatique, conduisant à une accumulation de graisse dans le foie [3].



Micronutriments


Les micronutriments sont particulièrement importants dans le contexte de brûlure, en particulier pour les défenses antioxydantes, immunitaires et pour la cicatrisation (tableau 12-1). La réponse inflammatoire s’accompagne d’une redistribution des micronutriments. On observe un déplacement du zinc de ses réserves (muscle, peau, os) vers les tissus où la prolifération cellulaire et la synthèse protéique sont intenses, en particulier le thymus, la moelle osseuse et le foie [40]. Le stress oxydatif consécutif aux brûlures augmente l’expression de la métallothionéine (MT) dont le contenu hépatique s’élève suite à l’augmentation rapide de l’expression du MT-I mRNA. L’activité de la glutathion peroxydase (GPX) hépatique et érythrocytaire augmente à 24 heures Les concentrations sériques de zinc diminuent à 12 heures en miroir des concentrations hépatiques. En conséquence, les concentrations sériques du fer, du sélénium, du zinc et de leurs protéines de transport baissent. Hors brûlure les taux de cuivre et manganèse augmentent lors de l’inflammation, alors que chez les brûlés, à cause de leurs pertes cutanées, le cuprémie en particulier reste basse de manière prolongée. Chez le brûlé grave, on observe donc un déséquilibre des antioxydants circulants qui modulent la libération du NFkB [14].


Tableau 12-1 Fonctions des micronutriments.















Fonction Micronutriment
Antioxydant Cu, Mn, Se, Zn sont des cofacteurs des principales enzymes antioxydantes de l’organisme : Cu-Zn et Mn superoxyde dismutase (SOD), catalase, GSHPx et certaines ferroxydases (céruloplasmine) [14].
Vitamine B3 : convertie dans les tissus en NAD+ et NADP+, lesquels sont importants en tant que donneurs d’électrons pour la réduction du glutathion oxydé.
Vitamine C : antioxydant puissant. Plusieurs études démontrent un bénéfice de la supplémentation en vitamine C.
Des mégadoses (110 g) administrées pendant les 24 heures suivant une brûlure grave réduisent les besoins en liquides de réanimation.
Une normalisation de la perméabilité capillaire et une diminution de la formation de peroxynitrites dans l’endothélium en sont probablement le mécanisme. La vitamine C à forte dose (14 mg/kg/heure) réduit la peroxydation lipidique chez le chien [90, 91].
Vitamine E exerce sont action au voisinage des membranes. Elle atteint son niveau plasmatique le plus faible après 6–8 jours, en même temps que les peroxydes lipidiques culminent. Sa concentration reste basse jusqu’au 20e jour après brûlure.
Immunité (Cu, Se, Fe, Zn) et vitamines (C et E) sont impliqués dans les défenses immunitaires : le déficit en cuivre diminue la production d’anticorps et altère la fonctionnalité des PNN. Le déficit en fer réduit la production d’anticorps et l’immunité cellulaire et la fonction des PNN. Le sélénium participe à la défense immunitaire par ses fonctions antioxydantes. Il module la fonction de phagocytose des PNN. Le zinc est impliqué dans l’immunité cellulaire et humorale. Son déficit provoque une augmentation de l’incidence des infections bactériennes, fongiques et virales.
Des gigadoses de vitamine E chez le rat brûlé ont des effets favorables sur la muqueuse intestinale. La supplémentation précoce en Cu, Zn pendant 8 jours chez des patients brûlés est associée à une réduction des complications infectieuses, en particulier des infections pulmonaires [75, 77, 86].
Cicatrisation Le cuivre est essentiel pour la croissance et la réparation tissulaire (cofacteur des amines oxydases responsable de la maturation du collagène). Le déficit en zinc contribue à perturber la cicatrisation. L’expression des intégrines d es kératinocytes, responsables de leur adhésion cellulaire et de leur migration, est fortement stimulée in vitro et in vivo par le Zn. Chez le brûlé, les concentrations de Cu, de Se et de Zn dans la peau diminuent lors du processus de cicatrisation [14, 92].
Vitamine A : participe à l’intégrité épithéliale. Des concentrations plasmatiques abaissées ont été rapportées chez les brûlés, mais leur interprétation est compliquée par la baisse de sa protéine vectrice, la RBP dans le cadre du SIRS.
Les vitamines du groupe B sont essentielles au métabolisme des glucides et donc à la cicatrisation. Leurs concentrations sont abaissées chez le brûlé. Néanmoins, les tests fonctionnels sont peu perturbés.
Vitamine C essentielle pour la synthèse du collagène, via l’activité des proline et lysine hydroxylases. Besoins accrus pendant la cicatrisation. Il est recommandé d’en donner de fortes doses (1–2 g/jour) en association avec de la thiamine, de la riboflavine et de l’acide nicotinique.

PNN = polynucléaires neutrophiles


Depuis les années 1970, des déficits en éléments traces et vitamines ont été décrits de manière répétée chez les brûlés graves, devenant cliniquement visibles entre le 2e et 4e mois après l’accident [41]. Ces déficits sont proportionnels à la sévérité de la brûlure et sont associés à des problèmes de cicatrisation ainsi qu’à des complications infectieuses [14]. En phase aiguë, soit au cours du premier mois, les concentrations plasmatiques des micronutriments sont abaissées au-delà de ce qu’explique la réponse inflammatoire. Ces concentrations anormalement basses s’expliquent par des pertes exsudatives de Cu, de Se et de Zn tant que les brûlures ne sont pas fermées [14], et dans une moindre mesure par les urines, les drainages et les hémorragies peropératoires : ces pertes représentent 10 % du contenu corporel pour le SE et Zn, et jusqu’à 20 % pour le Cu. En phase aiguë on n’observe pas de tableau clinique de déficit, mais plutôt un syndrome de déficit aigu avec des altérations biologiques qui précèdent la clinique. Ce syndrome déficitaire est en partie responsable des complications infectieuses observées chez les brûlés.


Le déficit en Cu est particulier aux brûlés [41] : ses concentrations plasmatiques restent très basses pendant plusieurs semaines, proportionnellement à la SCB. Le déficit peut être sévère au point de causer des arythmies fatales.


Toutes les vitamines ont un statut perturbé : celui des vitamines C et E est particulièrement altéré avec des concentrations plasmatiques souvent inférieures à 50 % de la normale [14].


Les pertes exudatives contiennent aussi de grandes quantités de magnésium et de phosphate jusqu’à la fermeture des plaies dont les besoins sont de ce fait accrus [42].



Évaluation nutritionnelle


La surveillance de l’état nutritionnel aide à définir des apports adéquats ainsi qu’à identifier les patients à risque de complications. En pratique, elle repose sur l’association de critères cliniques et biochimiques.


Une enquête réalisée en France dans 18 services spécialisés de soins aux brûlés, avait montré une grande disparité dans les pratiques de surveillance de l’état nutritionnel des brûlés [3]. À ce jour, il n’existe toujours pas de consensus car il est difficile d’évaluer et d’interpréter l’état nutritionnel chez ces patients. En effet, les critères de surveillance habituels (poids, créatinine, et albuminémie) sont difficiles à interpréter en raison de l’hypermétabolisme extrême et des effets propres de la brûlure (œdèmes, pertes liquidiennes exsudatives et azotées au niveau des zones brûlées).



Évaluation clinique et anthropométrique


L’anamnèse et l’examen clinique à l’admission ont pour objectif de tenter d’obtenir des renseignements sur l’état prébrûlure : poids corporel et perte de poids récente, pathologies associées, usage de stupéfiants ou éthylisme seront déterminants pour l’évolution. Une dénutrition préalable est en effet de mauvais pronostic [3, 22].


Le poids corporel en phase de réanimation reflète les œdèmes et les volumes liquidiens perfusés et le font varier indépendamment de l’état nutritionnel. Ultérieurement, après 7-10 jours, en l’absence d’inflation hydrique majeure, le poids corporel redevient un bon reflet de l’état nutritionnel. Les autres mesures anthropométriques sont peu utiles chez le brûlé grave. La mesure du pli cutané et de la circonférence brachiale est rarement réalisable à cause des plaies. La bio-impédance n’est pas validée chez le brûlé, dont les brûlures fréquentes aux membres rendent la réalisation difficile. Les autres méthodes (résonance magnétique nucléaire, DEXA) sont difficilement praticables chez le grand brûlé en phase précoce. La mesure de la force musculaire est souvent rendue impossible par la localisation des brûlures.


En revanche, la cicatrisation est observable au quotidien, et son retard est une des conséquences de la dénutrition et des déficits en micronutriments. Les perturbations peuvent être objectivées en évaluant sa qualité (tissu de granulation, épidermisation).

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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 12: Métabolisme et nutrition du brûlé grave

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