Chapitre 7 Prise en charge des voies aériennes et de la ventilation
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ de comprendre les concepts de volume minute et d’oxygénation, ainsi que leur relation avec la physiopathologie des traumatismes ;
✓ d’intégrer les principes de la ventilation et des échanges gazeux à la physiopathologie des traumatismes, afin d’identifier les patients présentant une perfusion inadéquate ;
✓ d’expliquer par quels mécanismes l’oxygénothérapie et l’assistance ventilatoire sont bénéfiques pour les patients traumatisés ;
✓ en présence d’un patient traumatisé, de sélectionner le moyen le plus efficace pour assurer la perméabilité de ses voies respiratoires ;
✓ en présence d’un patient traumatisé nécessitant une assistance ventilatoire, de sélectionner le moyen le plus efficace pour subvenir aux besoins de celui-ci ;
✓ face à diverses situations impliquant des patients traumatisés, de formuler un plan de prise en charge des voies respiratoires et de la ventilation ;
✓ sur la base des recherches actuelles, de comprendre le rapport bénéfices/risques lors des discussions relatives à l’utilisation de nouvelles techniques invasives.
Le système respiratoire comporte deux grandes fonctions.
1. Il fournit l’O2 aux globules rouges (GR), qui vont le transporter et le délivrer à toutes les cellules de l’organisme.
2. Il permet l’élimination du dioxyde de carbone (CO2) produit par le métabolisme.
Anatomie
Les voies respiratoires peuvent être divisées en voies aériennes supérieures, voies aériennes inférieures et poumons (figure 7-1). Chaque partie du système joue un rôle important pour assurer les échanges gazeux (apport d’O2 aux GR et élimination du CO2 par les poumons).
Figure 7-1 Organes du système respiratoire : tractus respiratoire supérieur et tractus respiratoire inférieur.
(D’après Herlihy B., Maebius WK, The Human Body in Health and Disease, Philadephie, WB Saunders, 2000.)
Voies aériennes supérieures
Les VAS sont formées par la cavité nasale et la cavité orale (figure 7-2). L’air pénétrant dans la cavité nasale est humidifié, réchauffé et filtré pour retenir certaines impuretés. Derrière ces cavités se situe le pharynx qui s’étend de l’arrière du palais mou jusqu’à l’extrémité supérieure de l’œsophage. Il est divisé en trois parties : le rhinopharynx (partie haute), l’oropharynx (partie moyenne) et l’hypopharynx (partie distale). Sous le pharynx se situe l’œsophage, qui mène à l’estomac, mais aussi la trachée, où débutent les voies aériennes inférieures. Au-dessus de la trachée se trouve le larynx (figure 7-3) qui contient les cordes vocales, leurs muscles et les cartilages aryténoïdes. Les « fausses » cordes vocales bloquent le passage de l’air et dirigent celui-ci à travers les cordes vocales. Juste au-dessus et en avant du larynx se trouve une grosse structure en forme de feuille appelée épiglotte qui agit comme un aiguillage, dirigeant l’air vers la trachée, les solides et les liquides vers l’œsophage.
Physiologie
En même temps que l’O2 passe de l’alvéole vers les GR, du CO2 est extrait du plasma vers les alvéoles, d’où il est éliminé lors des expirations (figure 7-4). Ce phénomène d’échange d’O2 et de CO2 à travers la membrane alvéolocapillaire est appelé diffusion transmembranaire ou diffusion pulmonaire. Il permet à des GR oxygénés et à du plasma avec un taux bas de CO2 de partir dans le cœur gauche et d’être éjectés vers les cellules du corps.
Dans l’exemple précédent, le patient présente une hypoventilation, même si sa fréquence respiratoire est de 40/ minute. Il est donc nécessaire pour l’intervenant préhospitalier d’apprécier aussi bien la fréquence que l’amplitude de la ventilation pour savoir si la respiration est efficace. Une erreur fréquente consiste à croire qu’une fréquence ventilatoire élevée est synonyme d’hyperventilation. L’appréciation de la quantité de CO2 éliminée est le meilleur moyen de juger le statut ventilatoire. Les effets de l’élimination du CO2 sur le métabolisme sont traités avec le principe de Fick et les métabolismes aérobie et anaérobie au chapitre 8.
Oxygénation et ventilation du patient traumatisé
Le processus d’oxygénation dans le corps humain comprend les trois phases suivantes.
1. La respiration externe est le transfert des molécules d’O2 de l’air atmosphérique vers le sang. L’O2 présent dans les alvéoles est à l’état gazeux. Chaque molécule d’O2 exerce donc une partie de la pression atmosphérique. Augmenter le pourcentage d’O2 dans l’air inspiré augmente la pression de l’O2 alvéolaire. L’air contient 21 % d’oxygène, le reste étant essentiellement de l’azote. Quand on apporte un supplément en oxygène, le pourcentage d’oxygène dans chaque inspiration augmente, ainsi que la quantité d’oxygène dans chaque alvéole.
2. La distribution de l’O2 est le résultat du transfert de l’O2 de l’atmosphère vers les GR durant la ventilation, puis le transport de ces GR vers les tissus via le système cardiovasculaire. L’efficacité de ce processus dépend du débit cardiaque, de la concentration d’hémoglobine et de la saturation en O2 de l’hémoglobine contenue dans les GR. Le volume d’O2 consommé par le corps en une minute est appelé consommation d’O2. De manière schématique, l’on pourrait décrire les GR comme les camions-citernes d’O2 du corps. Ces « camions-citernes » se déplacent sur des autoroutes (système cardiovasculaire) pour décharger leur O2 au niveau des points de distribution du corps que sont les capillaires.
3. La respiration interne est la diffusion de l’O2 des GR vers l’intérieur des cellules des tissus. Le métabolisme normal (cycle de Krebs) produit de l’énergie, du CO2 et de l’eau. Les échanges en oxygène entre les GR et les tissus se font à travers la fine membrane des capillaires, et tout facteur qui interrompt ce processus bloquera le cycle d’échange gazeux. L’apport supplémentaire en O2 peut lutter contre ces facteurs de blocage. Les tissus ne peuvent pas consommer une quantité suffisante d’O2 si un taux adéquat d’O2 n’est pas disponible, et ne peuvent donc pas fonctionner.
Physiopathologie
1. L’hypoventilation peut résulter d’une perte ou altération de la commande ventilatoire, généralement due à une atteinte neurologique.
2. L’hypoventilation peut résulter d’une obstruction des voies aériennes supérieures ou inférieures.
3. L’hypoventilation peut être causée par une diminution de la capacité d’expansion des poumons (compliance pulmonaire).
4. L’hypoxémie peut résulter d’une diminution de la diffusion de l’O2 à travers la membrane alvéolocapillaire.
5. L’hypoxie peut être causée par une diminution du flux sanguin au niveau alvéolaire.
6. L’hypoxie peut résulter d’une incapacité de l’air d’atteindre les alvéoles, généralement à cause de la présence de liquides ou de débris dans les alvéoles.
7. L’hypoxie peut être causée, au niveau cellulaire, par la diminution du flux sanguin aux cellules des tissus.
La suite de ce chapitre va traiter des deux premières causes d’hypoventilation, à savoir les atteintes neurologiques et les obstructions « mécaniques » des voies respiratoires. Les anomalies de l’expansion pulmonaire seront traitées dans le chapitre 10. Enfin, les quatre dernières causes seront traitées dans le chapitre 8.
Atteinte de la fonction neurologique
Tout d’abord, une baisse de l’état de conscience s’accompagne d’une perte de tonus musculaire au niveau de la langue. Si le patient est en décubitus dorsal, la base de la langue chute en arrière et vient obstruer l’hypopharynx (figure 7-5). Pour cette raison, il est impératif de vérifier et de corriger si nécessaire la perméabilité des VAS chez tout patient présentant une altération du niveau de conscience. Chez ce type de patients, il peut aussi être nécessaire de pratiquer des aspirations répétées pour dégager l’hypopharynx du sang, des sécrétions et des débris qui peuvent s’y accumuler. Une altération du niveau de conscience peut également entraîner une atteinte de la commande respiratoire, ce qui entraîne une baisse de la fréquence respiratoire et/ou des volumes ventilatoires. Cette diminution du volume minute peut être temporaire ou permanente.
Obstruction mécanique
Une autre cause de chute du volume minute est l’obstruction mécanique des voies respiratoires. Elle peut être due à une atteinte neurologique ou être d’origine purement mécanique. Une diminution de l’état de conscience entraîne une perte du « contrôle » qui maintient en temps normal la langue dans une position non obstructive ; la langue chute en arrière, obstruant alors le pharynx (voir figure 7-5).
Évaluation des voies aériennes supérieures et de la ventilation
Prise en charge
Contrôle des voies aériennes
Assurer la liberté des voies respiratoires est la première des priorités lors de la prise en charge d’un patient traumatisé ; pour pouvoir sécuriser les voies respiratoires, rien n’est plus crucial qu’une évaluation adéquate de celles-ci (figure 7-6). Dès que l’on manipule les voies respiratoires d’un patient traumatisé, il faut garder à l’esprit la possibilité d’une lésion du rachis. Toutes les méthodes de contrôle des voies aériennes doivent être appliquées avec une stabilisation de la colonne cervicale en position neutre jusqu’à ce que le patient soit complètement immobilisé (voir chapitre 9).
Compétences essentielles requises
Tout intervenant préhospitalier doit avoir une maîtrise parfaite d’un certain nombre de techniques de dégagement des voies respiratoires. Pour les intervenants disposant d’une formation et/ou de prérogatives limitées, ces techniques peuvent représenter le seul moyen de sécuriser les voies aériennes d’un patient [1]. Cependant, si elles sont correctement employées, ces techniques de base servent à maintenir la liberté des voies aériennes, et réduisent grandement le risque de décès du patient par asphyxie. Ces méthodes « basiques » sont tout aussi importantes pour les intervenants habilités à utiliser des méthodes dites avancées, telles que l’intubation trachéale, car elles constituent une alternative indispensable en cas d’échec des techniques invasives.
Techniques manuelles
Chez le patient inconscient, la langue, devenue flasque, chute en arrière et vient obstruer l’hypopharynx (voir figure 7-5). La chute de la langue en arrière est la cause la plus fréquente d’obstruction des voies aériennes supérieures. Du fait que la langue est fixée à la mandibule, des méthodes manuelles facilement réalisables permettent de rétablir ou de maintenir la perméabilité des VAS.
Subluxation de la mandibule. En cas de suspicion de traumatisme crânien, facial ou cervical, la colonne cervicale doit être maintenue en position neutre et en ligne. Cette technique permet de rétablir la perméabilité des VAS en réduisant au minimum la mobilisation de la tête et du rachis cervical (figure 7-7). La mandibule est poussée en avant en plaçant les pouces sur chaque pommette, les index et les majeurs sont placés sur la mandibule, poussant celle-ci vers l’avant.
Traction du menton. Cette technique convient aux patients présentant une obstruction partielle des VAS mais respirant spontanément (figure 7-8). Le menton et les incisives de la mâchoire inférieure sont pincés avec le pouce, l’index et le majeur, puis tirés vers le haut afin de dégager la mandibule vers l’avant. Le port de gants est impératif afin d’éviter une contamination par des substances corporelles. Pendant cette manœuvre, un assistant doit maintenir la tête immobile afin d’éviter toute mobilisation du rachis cervical.
Aspiration
préoxygéner le patient traumatisé de l’O2 à 100 % (FiO2 de 1,0) ;
préparer l’équipement tout en maintenant la stérilité ;
insérer la sonde d’aspiration sans le mettre en dépression. Aspirer pendant 15 à 30 secondes au maximum ;
réoxygéner le patient et ventiler pendant au moins cinq cycles de ventilation assistée.
Choix du matériel permettant le maintien de la perméabilité des voies aériennes supérieures
Avec l’intubation, plus la technique est réalisée, plus les chances de succès sont grandes. Un jeune intervenant n’ayant intubé que dans des conditions de bloc opératoire aura moins de chances de succès qu’un ancien rodé aux situations d’urgence. Plus il y a d’étapes à suivre, plus la procédure est longue à maîtriser ; et plus la technique est complexe, plus le risque d’échec est élevé. Quand une compétence augmente en difficulté, son apprentissage devient plus long (figures 7-9 et 7-10). Généralement, plus une technique est complexe, plus les conséquences seront lourdes pour le patient en cas d’échec ; c’est particulièrement le cas pour les VAS. Il est donc capital de sélectionner le bon outil pour le bon patient et pour la bonne situation.
Méthodes invasives basiques
Canule oropharyngée
La « voie aérienne artificielle » la plus utilisée est la canule oropharyngée (canules dites de Guedel) (figure 7-11). Celles-ci peuvent être introduites de manière directe, ou en position inversée.
Figure 7-11 Canules oropharyngées.
(Source : McSwain NE Jr, Paturas JL, The Basic EMT : Comprehensive Prehospital Patient Care, 2nd ed., St Louis, Mosby, 2001.)
Canules nasopharyngées
Les canules nasopharyngées sont des canules souples (souvent en latex) qui s’introduisent par une narine, en suivant la partie postérieure du nasopharynx et de l’oropharynx (figure 7-12).
Figure 7-12 Canules nasopharyngées.
(Source : McSwain NE Jr, Paturas JL, The Basic EMT : Comprehensive Prehospital Patient Care, 2nd ed., St Louis, Mosby, 2001.)
Sondes supraglottiques
Les sondes supraglottiques offrent aux intervenants préhospitaliers une alternative fonctionnelle de contrôle des voies aériennes (Encadré 7-1 et figure 7-13). De nombreux pays autorisent l’emploi de ces équipements parce qu’ils ne nécessitent qu’une formation minimale pour être utilisés de manière adéquate. Ces sondes sont insérées sans vision directe des cordes vocales (à l’aveugle). Les intervenants autorisés à pratiquer des techniques avancées, telles que l’intubation endotrachéale, doivent considérer ce type de sondes comme une technique de secours très utile en cas d’échec de l’intubation, même après qu’une intubation en séquence rapide ait été réalisée. On peut même, dans certaines circonstances (après évaluation précise), les préférer d’emblée à une intubation classique. L’avantage majeur de ces sondes est qu’elles peuvent être insérées quelle que soit la position du patient, ce qui peut être particulièrement intéressant chez les patients incarcérés, avec des possibilités d’accès minimes, ou chez les patients traumatisés avec suspicion importante de lésion du rachis cervical. Certaines de ces sondes existent en taille pédiatrique.
Indications
Intervenants de niveau « basique » (si autorisé par la direction médicale) : patient traumatisé inconscient avec perte des réflexes de déglutition, et qui est en arrêt ventilatoire ou bradypnéique avec une fréquence ventilatoire inférieure à 10/minute.
Intervenants de niveau « avancé » : alternative à l’intubation, lorsque l’intervenant n’est pas capable de réaliser l’intubation endotrachéale et n’arrive pas à ventiler facilement le patient avec un ballon autoremplisseur et une canule oro- ou nasopharyngée.
Intubation endotrachéale
L’intubation endotrachéale (IET) est traditionnellement l’une des méthodes de choix pour obtenir un contrôle efficace des VAS chez un patient traumatisé apnéique ou nécessitant une ventilation assistée (figure 7-14 et Encadré 7-2). Des études récentes ont cependant montré que, dans un environnement urbain, les patients traumatisés en état critique bénéficiant d’une IET n’ont pas un meilleur pronostic que ceux transportés en étant oxygénés avec un masque autoremplisseur et une canule oropharyngée [1]. La décision d’intuber la trachée ou de choisir une autre option doit être prise après une évaluation précise des VAS visant à déterminer le niveau de difficulté attendu de l’intubation. Il faut toujours évaluer le risque d’hypoxie dû à des tentatives infructueuses d’intubation sur des VAS difficiles.
Encadré 7-2 Équipement pour l’intubation endotrachéale
Facteurs prédictifs d’intubation difficile
Il est impératif, avant chaque intubation, d’évaluer les facteurs prédictifs d’intubation difficile. Ils sont nombreux (Encadré 7-3), certains étant dus au traumatisme lui-même, d’autres à des particularités anatomiques propres au patient.
L’acronyme LEMON a été développé comme outil mnémotechnique pour retenir les principaux signes faisant redouter une intubation difficile (voir la signification de cet acronyme dans l’Encadré 7-4). Des techniques alternatives doivent être prêtes en cas de difficultés attendues. Le temps de transport vers une structure hospitalière compétente est également un facteur à prendre en compte dans la décision d’intuber. Un exemple peut être un patient qui maintient ses VAS avec une canule et qui est assisté au BAVU, à quelques minutes du centre hospitalier. Il peut alors être décidé de garder la perméabilité des VAS avec des méthodes de base. Il faut toujours évaluer le rapport risques/bénéfices de la technique choisie.
Encadré 7-4 Évaluation des critères d’intubation difficile (LEMON)
E – évaluer la règle 3-3-2 (voir ci-dessous). Pour permettre l’alignement des axes pharyngé, laryngé et oral, et donc simplifier l’intubation, les indications suivantes devraient être observées.
La distance entre les incisives du patient doit être d’au moins 3 travers de doigts (3).
La distance entre l’os hyoïde et le menton doit être d’au moins 3 travers de doigts (3).
La distance entre l’encoche de la thyroïde et le plancher de la bouche doit être d’au moins 2 travers de doigts (2).
Classe I : palais mou, luette, gorge, piliers visibles
Classe II : palais mou, luette, piliers visibles
Classe III : palais mou, base de la luette visible
Classe IV : uniquement le palais dur de visible
Classification de Mallampi. Utilisée pour visualiser l’hypopharynx.
(Source : NAEMT : ATLS.)
Malgré tout, l’IET est la méthode de choix pour le contrôle des VAS parce qu’elle :
permet une ventilation avec O2 à 100 % (FiO2 de 1,0) ;
élimine la nécessité de maintien d’une étanchéité masque/visage ;
diminue significativement le risque d’inhalation (corps étrangers, vomi ou sang) ;
facilite l’aspiration trachéale profonde ;
prévient l’insufflation gastrique ;
fournit une voie supplémentaire (bien que limitée) pour l’administration de médicaments.