7. Adaptation, résilience et troubles psychiatriques



Introduction123


Notion d’adaptation123


Résilience et concepts associés124


Notion de trouble de l’adaptation128


Problématiques135


Conclusion140



INTRODUCTION



La maladie cancéreuse provoque des réactions psychologiques très variées, nous l’avons vu dans les deux chapitres précédents, qui se compliquent très fréquemment de troubles psychiatriques. Ces réactions ont des conséquences sur l’adaptation psychologique à la maladie, l’adhésion aux traitements et la réhabilitation des patients. Par ailleurs, les traitements ont eux-mêmes des conséquences méconnues, tant psychologiques que psychiatriques.

Il est difficile dans le contexte d’une affection cancéreuse de préserver son rôle familial et social. La perte de ce rôle familial et social est souvent difficilement évitable. Si pour certains, cette perte est définitive, pour d’autres elle n’est que transitoire avec des possibilités de réhabilitation tantôt partielle, tantôt totale. Dans de nombreuses cultures, des rôles sociaux adaptés au statut de malade existent et peuvent aider certains à retrouver une identité. Cela n’a pas toujours été reconnu partout. Ce rôle est primordial pour la réhabilitation des personnes atteintes de cette affection qui évolue de plus en plus souvent d’une façon chronique.


NOTION D’ADAPTATION



L’expression «bonne adaptation» fait référence à un fonctionnement émotionnel, cognitif et comportemental adapté à l’âge du sujet et à la situation vécue : diagnostic de cancer, transmission d’un pronostic, récidive ou progression de la maladie, douleur, deuil anticipatoire etc. En théorie, l’expression «mauvaise adaptation» laisse a contrario supposer un fonctionnement inadapté à l’âge du sujet et à la situation vécue. Mais la norme en terme de fonctionnement émotionnel, cognitif et comportemental relatif à un âge et à une situation dans le contexte d’une affection cancéreuse est difficile voire impossible à définir et à utiliser en clinique. L’existence d’un trouble ou de symptômes psychiatriques sera plus certainement le signe d’une mauvaise adaptation.

La gravité de la maladie – perçue subjectivement – n’est pas toujours associée à une mauvaise adaptation psychologique. Le fonctionnement physique – évalué objectivement – serait plus directement associé à l’adaptation. Un dysfonctionnement physique confronte en effet le sujet à des douleurs, à une dépendance à l’égard de l’entourage, et à une difficulté de se projeter dans le futur. Les contraintes au quotidien qu’il impose empêche ou rend plus difficile la mise en œuvre de stratégies d’adaptation comme la minimisation. Un dysfonctionnement physique est plus objectivable et donc inévitablement perçu avec toutes ses implications potentielles. Il constitue de ce fait un véritable facteur de risque de problèmes d’adaptation. L’individu sain dispose de son corps, alors que le sujet malade doit impérativement s’adapter à ce que son corps lui permet. Une maladie de mauvais pronostic sans dysfonctionnement physique associé permet l’utilisation d’une stratégie d’adaptation comme la minimisation. Un mauvais pronostic ne génère donc pas toujours des problèmes d’adaptation psychologique.

Quel est l’impact d’une maladie chronique au niveau de l’adaptation psychologique? Il n’y a pas de bonne définition de la maladie cancéreuse chronique. Il y a certainement un consensus pour considérer que le qualificatif «chronique» introduit l’idée que certaines affections cancéreuses sont susceptibles d’entraîner des interférences avec le fonctionnement quotidien et des hospitalisations fréquentes ou longues. En revanche, il n’y a certainement pas de consensus pour qualifier et quantifier plus précisément «l’interférence avec le fonctionnement quotidien» et «les hospitalisations fréquentes ou longues». Cependant, il peut être utile en clinique de considérer qu’une affection cancéreuse chronique est une affection qui entraîne des interférences avec le fonctionnement quotidien pendant plus de trois mois par an ou qui nécessite une durée totale d’hospitalisation de un mois par an. Il n’existe pas une relation simple et directe entre l’émergence d’une affection cancéreuse ayant un cours chronique et l’adaptation psychologique ultérieure. Une maladie chronique a de nombreuses conséquences psychologiques de type et d’intensité très variables. La chronicité d’une affection cancéreuse augmente le risque de développement de troubles de l’adaptation et de troubles psychiatriques. Généralement, il y a peu de stabilité des problèmes psychologiques rencontrés. En particulier, une réduction progressive de la régression et de l’anxiété s’observe fréquemment. L’idée que la durée de la maladie ait de réelles répercussions sur l’adaptation n’a pas été suffisament étudiée et démontrée.


RÉSILIENCE ET CONCEPTS ASSOCIÉS



Résilience et accomodation aux changements


Il faut rappeler à ce niveau que beaucoup de sujets sains se projettent dans l’avenir et imaginent leur adaptation dans l’hypothèse d’une survenue d’une affection médicale. Mais c’est une fois le diagnostic d’une affection médicale posé, qu’il faudra considérer la perception que le sujet se fait des changements physiques induits par sa maladie et de ce qu’elle représente pour lui. Une affection cancéreuse expose le sujet à une nouvelle réalité. Elle induit, si cela n’est déjà fait antérieurement, la construction d’une pensée liée à la fin de sa vie. Le «fantasme d’éternité», qui consiste à penser que la mort n’est pas menaçante et qu’elle n’arrive qu’aux autres, est ainsi remis en question. Cela engendre un processus de mise en tension au niveau du soi qui doit reconnaître, au moins partiellement sa mort annoncée. Il y a aussi une accommodation aux changements induits par la maladie. Le sujet se concentre souvent sur des compétences qu’il considère comme indispensables et qu’il ne souhaite pas perdre (notion de sélection). Le sujet souvent par ailleurs optimisera certaines de ses compétences en les pratiquant (notion d’optimisation) et tentera d’en acquérir de nouvelles (notion de compensation). L’accommodation aux changements est ainsi la résultante d’un travail utilisant des mécanismes aussi variés que la sélection de compétences pouvant être encore assurées, l’optimisation de ces compétences par des entraînements, et la compensation des déficits.


L’identité, en particulier le concept de soi, se transforme au fil des épreuves associées à la maladie. Le concept de soi se développe avec le temps. Il existe un effort soutenu pour construire un concept de soi qui puisse s’accommoder de la réalité nouvelle. La tendance globale est une distanciation active par rapport à la matérialité, un investissement du monde interne et de ce qui relève de la spiritualité. Il y a aussi une réduction du niveau des attentes par rapport à soi et aux autres. Enfin, les idéaux sont réétalonnés au niveau de ce qui est possible de réaliser. Ceci permet une préservation de l’estime de soi. Pour rappel, les adultes de tous les âges souhaitent se voir aimables, bons et compétents et évaluent positivement leurs performances. Ils se dévaluent aussi et relativisent l’importance des rôles qu’ils ne peuvent pas assurer et focalisent leur attention sur des dimensions de la vie qui leur permettent de préserver un haut niveau d’estime de soi. Face à un échec ou une perte, les adultes de tous les âges tentent de préserver une évaluation positive d’euxmêmes. Différents mécanismes sont utilisés pour cela : attribution de l’échec à des causes externes, révision des objectifs de vie (objectifs plus accessibles) et comparaison à d’autres (autres qui vont moins bien). L’accommodation aux changements est donc la résultante d’un travail psychologique.

Pour rappel, le soi est «l’ensemble psychologique d’un individu» à un moment donné incluant des attributs conscients et inconscients. Le soi est l’objet de l’inves tissement narcissique. Le soi doit se différencier du moi de la deuxième topique (instances structurales classiques : moi, surmoi et ça). Pour rappel aussi, le concept de soi est la représentation de soi dans le système de connaissance d’un sujet. Certains aspects de soi sont «centraux» et d’autres «périphériques». Ces notions d’aspects de soi «centraux» et «périphériques» expliquent pourquoi certaines adaptations sont difficiles et d’autres plus faciles. La perte de certains aspects de soi, lorsqu’ils sont «centraux», fragilise le sujet alors que ce n’est certainement pas le cas quand il s’agit de la perte d’un aspect de soi plus «périphérique».

Outre les aménagements au niveau des compétences et du concept de soi, il faut aussi rappeler que l’accommodation aux changements est favorisée par le niveau de développement des fonctions cognitives. C’est l’acquisition au cours du développement – à partir d’une pensée concrète – d’une pensée formelle qui permet un accès aux différentes et possibles combinatoires. La pensée formelle permet ainsi de résoudre des problèmes, de générer des hypothèses et de s’identifier à d’autres. L’acquisition d’une pensée formelle permet aussi une pensée réversible; elle permet aussi de se soustraire aux contraintes de la réalité, d’agir sur les représentations de la réalité et non uniquement sur la réalité elle-même. Elle permet aussi une meilleure gestion de ses désirs et de ses investissements relationnels. L’acquisition d’une pensée formelle permet la création et le développement d’un monde interne; elle facilite la formation d’une identité en permettant l’intégration des représentations du passé, du présent et du futur.

L’accommodation aux changements est aussi favorisée par l’habituation à la séparation et par l’individuation. La vie inclut une succession de séparations. Le processus d’individuation se poursuit jusqu’à la mort. Les relations interpersonnelles, les investissements de vie, la dépendance aux autres, l’expérience de la parentalité et de la grand parentalité incluent des expériences de séparation-individuation. Ces expériences permettent une acceptation graduelle de la réalité : la réalité de sa maladie, de son vieillissement et de sa mort.

L’accommodation aux changements est aussi permise par les acquis issus du développement antérieur et par l’expérience qui découle des défis qui ont été relevés durant les phases développementales passées. Une modification des significations liées aux relations interpersonnelles et à la solitude s’observe ainsi fréquemment pour ne citer qu’un exemple. Alors que le sentiment non recherché de solitude est un vécu fréquent au cours de la première moitié de la vie, au cours de la seconde moitié de celle-ci, la recherche d’une certaine solitude devient fréquente.


Mentionnons enfin que le «développement du moi» peut aussi faciliter l’accommodation aux changements. Le «développement du moi» est lié aux influences de facteurs constitutionnels, maturationnels, expérienciels et sociaux. Le «développement du moi» s’exprime par une plus grande tolérance et par une plus grande facilité d’expression des affects. Le «développement du moi» s’exprime aussi par un émoussement des défenses les moins matures (investissement de fantasmes et passages à l’acte) et par un renforcement des défenses les plus matures (répression, sublimation, altruisme).


Résilience et croissance



La croissance s’exprime par un plus grand sentiment de force et de sagesse. Elle s’associe aussi à une plus grande reconnaissance de ses fragilités et de ses limites, en même temps qu’à une plus grande importance donnée au relationnel. Une plus grande valeur sera, par exemple, accordée à l’amitié, à la compassion et à l’altruisme. La croissance correspond plus profondément à un changement de philosophie de vie : chaque nouveau jour est apprécié, les objectifs de vie sont révisés, et les croyances modifiées.

Lorsqu’elle est secondaire à une perte ou à un trauma, la croissance est souvent associée à une recherche d’un sens nouveau à donner à la vie et aux choses. Une perte ou un trauma engendre souvent une phase de désorganisation au niveau du soi. Celle-ci peut modifier la vision du monde du sujet. Par la suite, la construction d’une nouvelle vision du monde plus adaptée à la réalité vécue participe au processus de croissance. L’abandon d’objectifs anciens qui ne sont plus perçus comme des priorités, la recherche de sens et l’adoption de nouvelles stratégies d’adaptation participent à cette construction de nouveaux schémas de pensées. La rumination fréquemment rapportée dans cette phase de désorganisation reflète l’intense travail cognitif en cours.

L’afflux d’informations nouvelles liées au trauma ou à la perte est traité par la mémoire de travail et subit un traitement cognitif. Ceci pourrait expliquer les phénomènes d’intrusions d’images, de pensées ou d’émotions qui sont fréquemment rapportés. Ce traitement cognitif peut générer une détresse émotionnelle en raison du type et du nombre d’informations nouvelles à traiter. Les défenses psychologiques – telles la dissociation et la distorsion cognitive qui ont été décrites dans un chapitre précédent –ont comme fonction de réduire l’inconfort lié à cette détresse. Il y a ainsi une oscillation entre les intrusions qui dérivent du traitement cognitif et les minimisations qui dérivent des mécanismes de défense.

Les défenses psychologiques et le traitement cognitif des informations permettent l’assimilation, des informations véhiculées par le trauma ou la perte aux schémas de pensée existants, ou l’accommodation des schémas de pensées à ces informations. Les schémas de pensée sont ainsi modifiés. Assimilation et accomodation sont deux processus différents. L’assimilation de nouvelles informations ne change pas la vision du monde du sujet. Le sujet considèrera par exemple que ce qui lui arrive est injuste; ce sentiment d’injustice ne remettant cependant pas en question sa vision de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Dans le cas d’une accommodation des schémas de pensées aux informations nouvelles, le sujet découvre que la survenue de sa maladie ne doit pas être interprété selon sa vision de ce qui est juste ou pas. Il découvre que la survenue de son cancer est plutôt liée aux lois du hasard; il intègre donc ce faisant, à sa vision du monde, la notion du hasard.

Il a été fréquemment rapporté que 30 à 90 % des patients présentant une affection cancéreuse considèrent que cette adversité a amélioré leur qualité de vie et leur a apporté des changements positifs. Ces réactions psychologiques positives ont souvent été considérées comme inappropriées ou même pathologiques. Elles ont été aussi considérées comme menant à minimiser une réalité dérangeante et pouvant en conséquence compromettre l’adaptation ultérieure. Elles ont été aussi considérées comme pouvant mener le sujet à de mauvaises décisions. Il apparaît actuellement que des croyances et des émotions positives permettent une focalisation prolongée de l’attention sur des informations dérangeantes mais utiles; des anticipations et des émotions négatives ne permettraient pas cela. Les connaissances acquises par rapport à la situation vécue sont alors plus nombreuses et précises. Les croyances et les émotions positives, favorisant le maintien de l’attention sur des informations négatives, permettent ainsi de mieux comprendre la situation induite par le diagnostic de cancer et de ses traitements. Les croyances et les émotions positives mèneraient aussi à un recours plus fréquent aux avis et à l’aide d’autrui. Les croyances et émotions positives offrent donc un avantage par un accès accru aux informations disponibles et par une meilleure compréhension de ce qui est vécu. En présence de croyances et d’émotions positives, les efforts d’adaptation consentis se concentrent donc plus aisément sur la résolution des problèmes qui peuvent l’être. Les croyances et les émotions positives mèneraient aussi à des formes plus actives de résolution de problèmes, avec entre autres l’essai et l’expérimentation de différentes stratégies de résolutions des problèmes qui se posent. La mise en place de processus psychologiques permettant l’expérimentation et finalement la sélection d’une ou de stratégies d’adaptation, facilite souvent une adaptation durable. Les sujets exposés à l’adversité, s’ils préservent des croyances et des émotions positives, maintiendraient des capacités d’apprentissage et développeraient une créativité pour s’y adapter. Les situations complexes et les sollicitations répétées imposées par une affection cancéreuse apparaissent donc plus facilement et durablement gérables avec des croyances et des émotions positives (Aspinwall et MacNamara, 2005).


Résilience et point de rupture dans l’adaptation


Considérer la notion de résilience nécessite de considérer la notion de point de rupture de l’adaptation dans un contexte de changement. La capacité à gérer un changement de vie, une perte, un handicap ou une dégradation n’est pas innée. Les facteurs qui peuvent potentiellement fragiliser un sujet sont nombreux. Vu le nombre de facteurs pouvant fragiliser un sujet, il est difficile voire impossible en clinique de formuler une estimation de la probabilité de survenue d’une rupture dans l’adaptation. En d’autres mots, l’adaptation ou la non adaptation à un facteur de stress est déterminée par de très nombreux facteurs souvent interdépendants. Quelques considérations peuvent illustrer cela. Une longue stabilité par exemple – pour citer un facteur méconnu – peut être associée à une certaine fragilité lorsque survient un changement majeur induit par une affection médicale. Une stabilité acquise et investie au cours d’une vie peut en effet menacer l’adaptation en présence d’un réel changement. Par ailleurs, certains acquis résistent mieux que d’autres aux changements induits par une maladie : une autonomie est plus difficile à préserver que l’humour ou un caractère chaleureux. Enfin, le soutien social est un autre facteur dont il faut tenir compte pour comprendre une adaptation ou une non adaptation. L’existence d’un soutien social informel – issu de proches et d’amis – favorise souvent l’adaptation. Cependant le soutien social informel peut faire totalement défaut quand les proches et les amis sont décédés. Ceci survient très fréquemment dans une population qui vieillit. Lorsque survient l’épreuve d’une maladie, les personnes âgées peuvent présenter ainsi des difficultés d’adaptation. Rappelons cependant que la solitude issue de deuils répétés peut s’associer au sentiment d’être un survivant. Ce sentiment d’être un survivant contribue à la construction d’une nouvelle identité.


Il n’y a pas de marqueurs directs d’un point de rupture dans le processus d’une adaptation à un ou à des facteurs de stress. Les marqueurs de la rupture sont indirects : ce sont donc les conséquences d’une non adaptation qui indiquent si un sujet a atteint un point de rupture. La prise en considération des conséquences négatives d’une non adaptation pour définir un point de rupture se justifie car il est à ce stade impossible de déterminer autrement ce point de rupture. Un point de rupture se définit donc a posteriori en fonction du nombre et de la sévérité des conséquences négatives. Voici à titre d’exemples, quelques conséquences à prendre en considération quand il s’agit de déterminer un point de rupture : rupture dans la continuité de la façon de vivre, besoin important de soutien pour s’adapter, difficulté de construction d’une nouvelle identité, et développement d’une dépersonnalisation.


NOTION DE TROUBLE DE L’ADAPTATION



Définition



Il est aussi important de faire la distinction entre d’une part l’évaluation du facteur de stress et d’autre part la mise en place de stratégies d’adaptation (Lazarus et Folkman, 1984). Il s’agit là d’étapes différentes qui surviennent à des moments distincts et qui impliquent des capacités spécifiques. On peut considérer l’évaluation comme un processus cognitif dont la fonction serait de déterminer le type et l’amplitude du facteur de stress et d’apprécier subjectivement celuici. L’évaluation serait suivie d’une mise en place de stratégies d’adaptation dans le but de faire face au facteur de stress (Moorey et Greer, 1989). Ces stratégies d’adaptation ont généralement pour fonction de réduire ou de faire disparaître le facteur de stress indésirable et menaçant, et de maintenir et d’assurer au malade et à son entourage le niveau de tension psychologique et physiologique le plus bas.

Il est essentiel aussi pour discuter de la notion de trouble de l’adaptation (TA) de mentionner la fragilité de certaines stratégies d’adaptation en considérant bien sûr la spécificité des problématiques et menaces qui s’articulent autour des moments clés de la maladie. L’adaptation à une réalité aussi difficile à gérer que celle d’une affection cancéreuse est-elle déterminée par la personnalité du sujet et/ou par les aspects purement circonstanciels des situations vécues? La littérature fournit très peu d’informations à ce sujet. De plus, l’idée d’investiguer la personnalité prémorbide se heurte à de nombreuses difficultés méthodologiques. Les résultats d’une étude comparative de six maladies chroniques parmi lesquelles le cancer montrent que l’adaptation psychologique serait indépendante des différentes pathologies somatiques investiguées (Cassileth, Lusk et coll., 1984). L’adaptation dépendrait donc des capacités et des ressources des individus. Cependant, une autre étude se montre beaucoup plus nuancée en ce qui concerne le cancer (Ell, Nishimoto et coll., 1988). L’étude longitudinale de l’adaptation à court terme et à long terme montre que le statut psychologique initial serait un important prédicteur de l’adaptation psychologique ultérieure. Cette étude longitudinale montre aussi que beaucoup de facteurs sont susceptibles d’influencer l’adaptation (information, soutien). L’érosion des ressources adaptatives face à la chronicité de la maladie cancéreuse est un autre paramètre dont il faut tenir compte. La figure 7-1 illustre le développement possible du stress et de certaines de ses complications, en tenant compte de la chronicité des facteurs de stress et du continuum adaptation-difficulté d’adaptation-trouble de l’adaptation.








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Fig. 7-1
Facteurs de stress chroniques : conséquences au niveau de l’adaptation.


La figure 7-2 illustre le stress quotidien, les crises épisodiques et leurs principales complications potentielles : les difficultés et les troubles de l’adaptation et les troubles psychiatriques.








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Fig. 7-2
Facteurs de stress : complications psychologiques et psychiatriques.


Les troubles de l’adaptation (adjustment disorders) semblent devoir être considérés comme un tableau psychopathologique en demi-teinte, comme une entité marginale, se situant sur le continuum normalpathologique (Fabrega, Mezzich et coll., 1987). Sur ce continuum, la catégorie des TA occupe effectivement une position intermédiaire, néanmoins difficile à définir dans la mesure où aucune donnée précise n’est actuellement disponible sur l’évolution naturelle des troubles de l’adaptation en oncologie. Pour poser le diagnostic de TA, il est nécessaire de préciser les concepts de réaction inhabituelle, de symptomatologie intermédiaire, d’inadéquation comportementale et relationnelle. Les TA sont définis d’après le DSM-III-R comme une réaction non adaptée à un ou plusieurs facteurs de stress, apparaissant au cours des trois mois suivant la survenue de celui-ci ou de ceux-ci, et qui ne persiste pas plus de six mois (American Psychiatric Association, 1987). La nature non adaptée de la réaction se traduit par une altération du fonctionnement social ou professionnel ainsi que par des symptômes exagérés par rapport à une réaction normale et prévisible au stress. Il est à noter que la perturbation ne doit répondre aux critères d’aucune autre catégorie diagnostique du DSM-III-R. Il ne peut ainsi s’agir ni d’un deuil – compliqué ou non – ni d’une forme de réactivité exagérée. Les TA peuvent s’exprimer par des perturbations de conduite (vandalisme, bagarre, etc.) ou par des perturbations de l’humeur (humeur anxieuse, dépressive etc.).

L’ICD-10 (International Classification of Diseases) souligne l’importance de définir les réponses mal adaptées à des facteurs de stress sévères ou chroniques (World Health Organization, 1990). Cette classification diagnostique distingue les réactions aiguës de stress des troubles de l’adaptation. Les réactions aiguës de stress surviennent consécutivement ou anticipativement à des stress sévères et peuvent durer de quelques heures à quelques jours. Une résolution rapide est fréquente, quelques heures dans le cas d’un facteur de stress aigu et deux à trois jours dans le cas d’un facteur de stress chronique. Des symptômes résiduels peuvent cependant subsister. Les troubles de l’adaptation interfèrent quant à eux avec le fonctionnement social et entravent les performances habituelles. Les troubles sont souvent déclenchés dans le mois suivant l’apparition de l’événement stressant et leur durée n’excède généralement pas six mois. Au-delà d’une durée de six mois, il convient de revoir le diagnostic posé. L’ICD-10 propose celui de réaction dépressive prolongée ou de syndrome de stress post-traumatique, outre bien sûr ceux de troubles anxieux ou dépressifs. Le DSM-IV a quant à lui rajouté les qualificatifs d’aigu et de chronique selon que les symptômes durent moins de six mois ou plus de six mois (American Psychiatric Association, 1994). En effet, dans un certain nombre de cas, les TA ne sont pas transitoires et ne disparaissent pas après six mois; le ou les facteurs de stress ne sont pas spécialement massifs et soudains, mais peuvent être continus et se cumuler. Il semble dès lors essentiel de tenir compte de la chronicité ou non du facteur de stress pour établir le diagnostic (Andreasen et Wasek, 1980).

L’étiologie des TA a été fort peu étudiée, cela principalement en raison du fait qu’il existe de nombreux facteurs étiologiques : personnels, culturels, circonstanciels et médicaux. Cette multiplicité complique l’identification des causes à la base de la genèse et du développement des TA. De nombreux auteurs soulignent d’autre part que la notion d’adaptation est étroitement liée à celle de la limite entre «normal» et «pathologique» et que les critères utilisés seraient relativement différents d’un contexte à l’autre (Andreasen et Wasek, 1980; Fabrega et Mezzich, 1987). L’évaluation de l’adaptation est à mettre en relation étroite avec les sphères culturelles et historiques dans lesquelles sont plongés les cliniciens (Fabrega et Mezzich, 1987). Des attitudes et des comportements peuvent être interprétées différemment selon le lieu, l’époque, l’observateur et les méthodes thérapeutiques accessibles. Ainsi la tolérance du clinicien et son seuil de sensibilité interfèrent avec le diagnostic de ces troubles. Ce seuil est variable et lié à des facteurs tels que l’intensité, la durée des symptômes et les circonstances de leur apparition. Une étude prospective montre que l’âge du sujet et le type de trouble de l’adaptation semblent être des variables discriminantes dans le devenir des patients présentant ces troubles (Andreasen et Hoenk, 1981).

La catégorisation issue du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (American Psychiatric Association, 1987) pose plusieurs problèmes car, à l’inverse de la plupart des tableaux psychopathologiques qui se veulent précis, rigoureux et exclusifs, la catégorie des TA présente un profil clinique qui n’est pas clairement défini et peut sembler ambigu (Fabrega et Mezzich, 1987). La classification proposée par l’ICD-10, bien qu’offrant plus de possibilités diagnostiques, reste également insuffisamment précise pour être utilisée telle quelle en recherche clinique. La solution consisterait donc à trouver et valider des critères qui soient opérationnels, concrets et précis, pour permettre de mieux comprendre la genèse et le développement des réactions individuelles secondaires à différents facteurs de stress. Pouvoir se doter de critères plus précis et spécifiques est en effet nécessaire afin d’identifier la présence d’un éventuel TA. Il faudrait en effet pouvoir différencier les réactions comportementales, cognitives et émotionnelles normales rapidement réversibles, de celles plus pathologiques qui peuvent persister plus longtemps ou se compliquer (troubles anxieux, troubles dépressifs).


Prévalence et description clinique


Dans une étude portant sur 250 patients cancéreux nouvellement admis pour traitement d’un cancer, 47 % de patients présentent un diagnostic psychiatrique (Derogatis, Morrow et coll., 1983). Parmi ces 47 % de diagnostics posés, deux sur trois sont des TA. Dans une population psychiatrique générale, la prévalence des TA ne serait que de 2,3 % (Fabrega et Mezzich, 1987). Une autre étude ayant pour cadre un service de consultation-liaison psychiatrique dans un hôpital général indique que 11,6 % des patients qui sont adressés à ce service présentent un diagnostic de TA (Chandarana Conlon et coll., 1988). Il est intéressant de constater que même si ces chiffres sont moins élevés qu’en cancérologie, il s’agit néanmoins du troisième type de diagnostic en importance, après les troubles affectifs majeurs et les troubles mentaux organiques. L’évaluation de la prévalence des TA pose des problèmes en raison du manque de critères objectifs pour diagnostiquer ces troubles et il est donc difficile de comparer les données provenant des différentes études disponibles.

Le cancer, plus que toute autre affection peut-être, nécessite un effort continu d’adaptation et peut par conséquent entraîner une déstabilisation épisodique de l’adaptation. De nombreux patients cancéreux trouvent la force et les ressources nécessaires pour faire face aux traumas successifs qui peuvent survenir au cours de la maladie. L’adaptation n’est cependant pas immédiate et les efforts pour y parvenir s’étaleraient de quelques jours à quelques mois selon les individus et les phases de la maladie. Les manifestations anxieuses et dépressives ne sont pas toujours l’expression d’un trouble de l’adaptation et peuvent donc être la conséquence des efforts continus réalisés pour s’adapter. Le terme «adjustment» utilisé en anglais traduit mieux cette notion que le terme d’adaptation. Il est utile de rappeler à ce niveau les principaux symptômes anxieux et dépressifs. Le Tableau 7-1 détaille les principaux symptômes anxieux et dépressifs observés chez les patients cancéreux. Il est aussi utile à ce niveau de rappeler les différentes fonctions d’une humeur anxieuse ou dépressive. Pour un sujet confronté à un ou des facteurs de stress, il s’agit ainsi de communiquer son besoin d’aide, de signaler son inclusion dans des conflits, de réguler certains patterns d’investissement, et d’exprimer son retrait d’engagements liés à des objectifs impossibles à atteindre. L’anxiété et la dépression ont ainsi des fonctions qui peuvent favoriser l’adaptation : réduire le niveau d’investissement en rapport avec des objectifs difficiles à atteindre (favorise l’acceptation de la situation), éviter un investissement immédiat et peut-être prématuré d’objectifs alternatifs (évite le changement impulsif), éviter des actions dangereuses et des efforts futiles.






Tableau 7-1 Anxiété et dépression : symptômes.


SYMPTÔMES ANXIEUX



– Crise de larmes


– Anxiété diffuse, craintes, peurs


– Doute quant à l’efficacité des soins et à la compétence des soignants


– Sentiment de perte de contrôle


– Hypervigilance et état d’alerte quasi permanent


– Nervosisme, prémonition d’un danger imminent, inévi table


– Distractibilité, troubles de la mémoire et de la concen tration


– Activités compulsives


– Agressivité verbale et/ou comportementale passagère



SYMPTÔMES DÉPRESSIFS



– Retrait social et loquacité décroissante


– Agitation ou ralentissement psychomoteur


– Perte d’intérêt et/ou de plaisir dans les activités habi tuelles


– Ruminations, pessimisme


– Sentiment de culpabilité inapproprié, d’autoaccusation


– Sentiment d’incompréhension, de non-reconnaissance de l’état de malade


– Sentiment d’inutilité sociale

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