14. Interventions psychologiques



Introduction297


Interventions individuelles298


Interventions de groupe303


Interventions familiales305


Interventions de réhabilitation308


Détection précoce310


Efficacité des interventions psychologiques313


Conclusion320



INTRODUCTION


Les nombreuses conséquences psychologiques et sociales des affections cancéreuses ont rendu nécessaire le développement et l’adaptation à l’oncologie des interventions psychologiques ou psychothérapeutiques existantes. Celles-ci se sont attachées à traiter les troubles psychologiques et psychopathologiques qui surviennent au cours de la maladie cancéreuse. Ces interventions, qu’elles soient individuelles, familiales ou groupales, constituent des traitements qui se surajoutent aux traitements médicaux conventionnels et cherchent à donner aux malades et à leurs proches une meilleure qualité de vie ou de survie. L’important développement de ces interventions en oncologie tient principalement à l’allongement de la durée de survie des patients et à la chronicité des affections cancéreuses qui engendrent incertitudes, peurs et difficultés d’adaptation. Le malade pourrait faire face à celles-ci avec l’aide de ces interventions psychothérapeutiques. Ces interventions psychologiques sont aussi souvent une réponse aux besoins exprimés par beaucoup de malades d’une approche la plus globale possible (Worden et Weisman, 1980). Ce souhait d’aide peut aussi être mis en relation avec le fait que certains malades, à tort ou à raison, attribuent la survenue de leur cancer à certains de leurs comportements ou à certains «stress» qu’ils ont expérimentés. Ces accusations ou auto-accusations, souvent irrationnelles, peuvent mener certains à recourir à des traitements psychothérapiques dans une optique curative et non supportive (Chochinov et Holland, 1989). En oncologie, ces interventions – dénommées psychothérapies adjuvantes par certains (Moorey et Greer, 1989) – ont pour but d’aider les malades à préserver au mieux leur intégrité psychique et physique, à récupérer des troubles réversibles et à compenser les troubles irréversibles (Lipowski, 1971; Moorey et Greer, 1989). Elles visent également à aider l’ensemble des personnes concernées – le patient, sa famille et les soignants – à faire face le mieux possible au cancer et aux stress associés (Bertman, 1980).

Un large éventail d’interventions psychologiques s’offre actuellement aux professionnels de la santé mentale qui veulent s’engager sur le terrain souvent méconnu de la lutte contre le cancer. Ces interventions paraissent actuellement indispensables si l’on veut maintenir et promouvoir la qualité de vie des malades. Les maladies cancéreuses, dont le nombre est supérieur à cent, diffèrent tant par leurs symptômes que par leurs traitements et évolutions. Ces différences impliquent des modalités et des contenus très variés dans les interventions proposées. Un type d’approche spécifique à chaque phase de la maladie est de plus recommandable. Le tout se complique encore par la variété importante des modes d’adaptation des malades et des différents besoins qu’ils expriment.

Les interventions psychologiques peuvent se compléter par des traitements pharmacologiques qui sont potentiellement utiles pour traiter certains symptômes, complications directes et indirectes du cancer et de ses traitements, et ce, aux différentes phases de l’évolution de l’affection cancéreuse. Parmi les complications les plus fréquemment observées, citons les troubles aigus ou chroniques de l’adaptation, les états dépressifs et anxieux, les nausées et vomissements anticipatoires, certains dysfonctionnements sexuels, les troubles du sommeil, l’anorexie, les troubles cognitifs et la douleur. Il faut rappeler par ailleurs que le cancer vient quelquefois compliquer un trouble psychiatrique préexistant ou précipiter le déclenchement de troubles aussi divers que les troubles affectifs unipolaires et bipolaires, les troubles psychotiques et les dépendances diverses (médicamenteuses, alcooliques, etc.).

«Les interventions psychologiques ou psychothérapeutiques » considèrent l’ensemble des moyens psychologiques qui peuvent être mis en œuvre dans un but thérapeutique» (Guyotat, 1978). Les interventions psychologiques les plus fréquemment utilisées en oncologie sont l’information et l’éducation du patient et de sa famille, le soutien et le conseil, sans compter les mises au point diagnostiques (Stam, Bultz et coll., 1986). Ces interventions se proposent d’agir par des techniques diverses, plus ou moins directives, sur la cognition, les émotions et les comportements et sont souvent utilisées conjointement en psychologie de la santé en général et en oncologie en particulier. La classification adoptée ci-après se veut pratique. Les interventions individuelles, familiales et de groupe seront successivement abordées. Le tableau 14-1 reprend les principaux objectifs des interventions psychologiques discutées dans ce chapitre.






Tableau 14-1 Interventions psychologiques : objectifs.
APPROCHES COGNITIVO-COMPORTEMENTALES
Offrir :



– un soutien instrumental


– une information-éducation


– une assistance dans la recherche de sens

Permettre :



– une expression-ventilation des émotions


– une correction des attributions erronées


– une correction des dramatisations


– une diversification des mécanismes d’adaptation

Développer :



– une capacité d’utiliser les ressources internes et externes


– une capacité de contrôler certains facteurs de stress


– une capacité de se détendre physiquement et psychologiquement


– une capacité de communiquer avec autrui à propos de malgré la maladie

Approches émotionnelles
Développer :



– une capacité de mettre des mots sur les sentiments


– une capacité de donner un sens aux sentiments


– une capacité de situer les sentiments dans un contexte


– une capacité de se «désidentifier» de ses symptômes, mutilation ou stigma


– une capacité de tolérer la différence


– une capacité de réduire les clivages menant à un sentiment de cohérence


– une capacité de reconstruire une cohérence de soi


– une capacité de travailler les impasses entre réalité de la maladie et désirs


– une capacité d’élaborer de nouveaux liens


– une capacité d’insérer la maladie dans son histoire


– une capacité de tolérer l’anticipation de la séparation, de la disparition et de la mort


INTERVENTIONS INDIVIDUELLES


Les interventions psychologiques individuelles proposées actuellement aux patients peuvent avoir des contenus très différents. Classifier ces interventions en catégories relève en grande partie d’un choix subjectif. L’absence actuelle de classification est liée à l’hétérogénéité des techniques psychologiques utilisées dans la prise en charge du patient et à la difficulté ou à l’impossibilité de mettre au point des modules standardisés d’interventions destinés à être utilisés avec des individus différents.

Il y a dans toutes les interventions psychologiques le postulat d’une interaction continuelle entre personnalité et environnement. La plupart d’entre elles considèrent que les cognitions, les émotions et les comportements peuvent se modifier au cours du temps et que l’apprentissage joue un rôle dans ces changements. Pour schématiser, les approches cognitives sont sous-tendues par la notion que ce sont les cognitions qui influencent les comportements et les émotions alors que pour les comportementalistes, ce sont les comportements qui vont influencer les cognitions et les émotions. Les approches émotionnelles quant à elles sont sous-tendues par les notions d’expérience émotionnelle correctrice et de maturation émotionnelle. Les approches cognitives et comportementales sont souvent brèves. Elles se focalisent sur des buts mesurables. Elles mettent un accent particulier sur la collaboration entre le patient et le thérapeute et elles recourent à des modèles éducatifs et de raisonnement. Les approches émotionnelles sont quant à elles plus longues et mettent l’accent sur le processus du transfert qui peut se définir comme l’actualisation et la répétition dans le cadre thérapeutique des prototypes de relations anciennes notamment infantiles.


Approches émotionnelles


Les approches émotionnelles comprennent des interventions dérivant des thérapies d’inspiration psychanalytique (psychodynamique), des interventions orientées vers le soutien et la gestion de la crise, et des méthodes de résolution plus pratique des problèmes (conseils, etc.). Ces approches émotionnelles, plus que toutes autres, nécessitent l’établissement d’une relation de confiance entre le patient et son psychothérapeute. Les thérapies d’inspiration psychanalytique se concentrent principalement sur les facteurs psychologiques et/ou existentiels en rapport avec le diagnostic et l’évolution de la maladie cancéreuse. Ces types d’interventions utilisent une compréhension psychodynamique et traitent généralement du processus de deuil associé immanquablement aux expériences de pertes liées à l’affection cancéreuse (Crown, 1988). Le soutien et le conseil complètent souvent, en pratique, ces formes d’interventions (Kübler-Ross, 1969; Kübler-Ross, 1970). Ces psychothérapies utilisent souvent également une approche plus directive, dite «de crise», vu la fréquence et l’importance des crises existentielles déclenchées par le cancer (Aguilera et Messick, 1986; Capone, Westie et coll., 1979). Elles sont particulièrement indiquées dans l’accompagnement des patients en phase terminale, et de leurs proches (Hackett, 1976). Dans celles-ci, l’intervenant psychosocial encourage le patient à exprimer et à clarifier ses sentiments, lui offre une alliance thérapeutique et une disponibilité, donne du sens à ses réactions et l’encourage à agir sur son environnement. Ces interventions s’étayent sur une connaissance du passé du sujet qui peut éclairer le vécu du malade. La durée de ce type d’intervention est le plus souvent limitée dans le temps.

Il est important de rappeler que ces interventions s’étayent sur les concepts cognitifs d’apprentissage et d’expérience correctrice émotionnelle. Il faut savoir de plus que le but de ces psychothérapies n’est pas seulement d’aider le patient à s’adapter à son affection cancéreuse, mais également d’utiliser les affects mobilisés pour résoudre des conflits préexistants (Kaufman et Micha, 1987). Durant les phases de traitement et d’évolution de la maladie, la priorité est cependant plus souvent donnée au soutien du patient et à la gestion de la crise dont une des caractéristiques est la prise de conscience par le malade du risque létal. Les périodes de rémission et de guérison sont quant à elles plus propices à l’exploration de conflits anciens antérieurs à la maladie (Massie, Holland et coll., 1989). Le cas particulier des psychothérapies individuelles pour patients guéris mérite une analyse concernant le choix du lieu de la prise en charge. Dans certaines situations, la poursuite ou l’initiation de cette prise en charge dans l’institution, qui a précédemment assuré le traitement médical, peut maintenir le patient dans une position contraphobique par rapport à la récidive et consolider ainsi un sentiment de vulnérabilité bien compréhensible.

Les intervenants sont souvent confrontés au sentiment intense de dépendance que le malade peut développer à leur égard. Ils doivent particulièrement contrôler leur contre-transfert et leurs contre-attitudes, et éviter un surinvestissement de leurs malades, tout en gardant un niveau approprié de distance et de proximité thérapeutiques.

Le tableau 14-2 reprend les compétences contretransférentielles que les intervenants doivent développer. Ils doivent ne pas perdre de vue l’idéalisation de l’intervention psychologique, investie comme capable de guérir l’affection cancéreuse. L’idéalisation de la psychothérapie s’associe dans ces contextes tout naturellement à une idéalisation du pouvoir de l’intervenant. D’autre part, comme tous les autres membres de l’équipe de soins, ils sont fréquemment confrontés à la nécessité de prendre des décisions difficiles (recommander aux malades une mise au point, un traitement médicamenteux ou une hospitalisation) sur base d’indices souvent limités et avec des conséquences potentiellement graves pour le malade (diagnostic d’une «récidive», etc.).






Tableau 14-2 Interventions psychologiques : importance de compétences contre-transférentielles.



– Capacité de gérer ses émotions


– Capacité de reconnaître les sens associés aux émotions ressenties


– Capacité de s’étonner face aux imprévus


– Capacité de ressentir une impuissance


– Capacité de ressentir une impuissance


– Capacité de reconnaître l’importance du présent


– Capacité de différer des réponses en rapport avec des questions sensibles (pronostic)


L’âge des intervenants influence aussi le contre-transfert. L’analyse du transfert est souvent difficile pour de jeunes thérapeutes. Le contexte de vie de personnes plus âgées leur est en effet souvent inconnu. Ils ont ainsi une difficulté à tenir compte du contexte de vie d’une autre cohorte ou d’une autre époque. Ils ont par ailleurs des difficultés à travailler l’anticipation de la mort et le deuil d’une personne plus âgée, sans y avoir été préparé. L’intervenant peut enfin ne pas reconnaître les besoins infantiles d’une personne plus âgée que lui. Il peut en effet ne pas se laisser aller à imaginer et à ressentir le désir de dépendance ou le sentiment d’abandon qui peut surgir épisodiquement au cours d’une affection cancéreuse.


Approches cognitives


Ces approches comprennent des interventions allant de l’information à l’éducation, du conseil à la psychothérapie cognitive proprement dite. L’information est sans doute le type d’intervention le plus fréquemment utilisé par les soignants en cancérologie. Sa fonction essentielle est de diminuer l’incertitude et de permettre au patient de gérer au mieux les implications somatiques, affectives, familiales, sociales et professionnelles de la maladie et des traitements. Le type d’informations souhaitées peut être très variable en fonction des caractéristiques du patient lui-même (âge, niveau socioculturel, traits de personnalité, etc.) et de la situation vécue (phases de la maladie et des traitements). L’éducation est souvent le deuxième temps qui suit l’information du malade. Elle comporte une clarification de l’information concernant les procédures diagnostiques et thérapeutiques, leurs effets secondaires, et les possibilités de les contrôler. Elle implique un renforcement des informations données par les équipes soignantes, une identification des ressources psychosociales du patient ainsi qu’une explicitation des réactions émotionnelles habituellement associées à la situation (Massie, Holland et coll., 1989). Ces techniques éducatives peuvent être employées conjointement dans des programmes intégrés et s’accompagnent de plus en plus de l’utilisation de supports écrits, audiovisuels ou informatiques. Le conseil est un troisième type d’intervention cognitive qui, basé sur l’écoute du patient, aide celui-ci à exprimer et à comprendre ses réactions face à la maladie ou face à une problématique de la vie quotidienne, et l’encourage à passer à l’action pour résoudre le problème en question.

La psychothérapie cognitive est une technique dont l’application aux affections mentales et physiques s’est développée considérablement ces dernières années (Gelder, 1985; Massie, Holland et coll., 1989). Elle semble particulièrement intéressante à utiliser en oncologie en raison de son application sous forme d’interventions de courte durée et de la focalisation sur des symptômes cibles. La psychothérapie cognitive se base sur l’hypothèse théorique selon laquelle certains symptômes ou leurs conséquences sont en relation étroite avec les représentations mentales et les schémas de pensée. Ceux-ci peuvent engendrer ou entretenir une détresse psychologique ou des états psychopathologiques. La psychothérapie cognitive consiste donc à apprendre au patient à identifier ses représentations mentales et à contrôler ses pensées automatiques négatives, à lui en faire comprendre l’impact sur le développement de ses symptômes ou de certaines conséquences de ceux-ci, et à l’aider à modifier ses schémas de pensée par la mise en place de nouvelles stratégies d’adaptation. Elle peut être utile face à la détresse psychologique associée à des situations particulièrement stressantes telles que des douleurs non contrôlées pharmacologiquement ou par d’autres techniques (Nehemkis, Charter et coll., 1982; Tarrier et Maguire, 1984). Une équipe a ainsi évalué l’efficacité d’une thérapie cognitive destinée à favoriser l’adaptation et à encourager un comportement et un esprit de «lutte» (Moorey, Greer et coll., 1987). Ce mode de traitement est influencé par les travaux de Beck (1976) et de Lazarus, (1984) (Beck, 1976; Lazarus et Folkman, 1984). La thérapie cognitive doit aussi viser la gestion des difficultés rencontrées par le patient comme l’incertitude, qui domine souvent le quotidien des malades et de leurs proches, et pour laquelle une intervention psychologique s’avère souvent nécessaire. Le tableau 14-3 détaille le contenu potentiel de ce type d’intervention.






Tableau 14-3 Interventions psychologiques : cas particulier de l’incertitude.
Travail de clarification de l’incertitude



– Clarification du type d’incertitude (source, intensité, etc.) et de ses conséquences (peur, anxiété, etc.)


– Précision concernant l’existence de sentiments de même type dans le passé


– Précision concernant la gestion et la résolution dans le passé de ces sentiments

Travail de clarification de l’anticipation



– Clarification de ce qui est anticipé


– Clarification de ce qui est anticipé pour faire face au risque imaginé

Travail de modification des objectifs



– Clarification des objectifs anciens


– Clarification de ce qui est anticipable réellement


– Élaboration d’objectifs en rapport avec la réalité

Travail de recentrage sur le présent



– Reconnaissance des secteurs investis


– Élargissement à d’autres secteurs qui pourraient être investis

Travail de développement de l’évitement des affects et pensées liés à l’incertitude



– Clarification et précision des pensées et affects à éviter


– Enseignement de méthodes (distraction, relaxation)

Travail de renforcement des croyances et attributions en relation avec l’incertitude



– Clarification des attributions et croyances


– Clarification du sens donné à la maladie


– Clarification des attitudes en rapport avec la vie et la mort


– Investigation de leur efficacité à réduire l’incertitude


– Suggestion de nouvelles attributions


– Suggestion de croyances réalistes (concernant l’influence des traitements)



Approches comportementales


Les interventions comportementales sont fréquemment utilisées en psychiatrie et en psychologie médicale (Langosch, 1984; Massie, Holland et coll., 1989). Elles se concentrent essentiellement sur les symptômes des malades et considèrent que certains symptômes ou comportements peuvent résulter de réponses inadéquates et de conditionnements opérants. Des techniques comportementales se sont progressivement développées dans une optique adjuvante aux traitements oncologiques visant principalement à améliorer la qualité de vie des personnes confrontées aux différents stress associés au cancer (Mastrovito, 1989).

La relaxation constitue une des interventions comportementales les plus utilisées dans les programmes de traitements psychologiques en oncologie. Sapir la définit comme toute technique s’exerçant sur le tonus musculaire, visant son relâchement et pouvant agir également sur la personnalité dans sa globalité (Sapir, 1974). Sur le plan physique, la relaxation permet une prise de conscience du corps, un retour à un état de bien-être et de sensations agréables, et un contrôle des tensions par l’apprentissage de l’autodécontraction. Sur le plan psychique, la détente mentale favorise l’amélioration de l’attention et de la concentration, la prise de conscience et le contrôle des pensées, émotions et sentiments, et la prise de distance par rapport aux événements vécus. Deux grands types de techniques de relaxation sont à distinguer : les méthodes neuromusculaires, introduites par Jacobson et les méthodes utilisant l’autoconcentration et l’autohypnose introduites par Schultz (Jacobson, 1974; Schultz et Luthe, 1959). Ces deux méthodes sont souvent associées dans la pratique. L’imagerie mentale, le rêve éveillé, le biofeedback, la désensibilisation systématique et la distraction peuvent être utilisés conjointement. En oncologie, ces différentes techniques de relaxation sont préconisées pour contrôler les symptômes de stress (Most, Meyers et coll., 1987a; Most, Meyers et coll., 1987b; Most, Meyers et coll., 1987c; Portenoy et Foley, 1989). Si la relaxation est une des méthodes simples préconisées par certains pour un contrôle de l’anxiété dans des situations de menace existentielle, la question de son efficacité et de ses indications reste entière. Une étude menée sur des patients cancéreux traités par chimiothérapie semble montrer que ce sont les patients présentant un niveau d’anxiété bas qui en bénéficient (Carey et Burish, 1985). Cette observation a un sens si l’on pense que ce sont habituellement chez les malades utilisant le déni que l’on retrouve un bas niveau d’anxiété. La relaxation pourrait, pour ce groupe, agir comme une aide à l’évitement et serait probablement moins efficace chez les individus souhaitant garder un contrôle de la situation quel que soit le niveau d’anxiété qu’elle peut provoquer. Une étude comparant trois stratégies de relaxation proposées aux malades en cours de chimiothérapie montre une efficacité significativement plus importante d’une relaxation enseignée par des professionnels, comparativement à une relaxation enseignée par des volontaires formés, ou apprise au moyen de cassettes d’autorelaxation (Carey et Burish, 1987). Cette étude met bien en évidence la nécessité de confier de tels programmes à des équipes professionnelles spécialisées. L’efficacité de la relaxation a également été évaluée en postopératoire, dans le cas de patients ayant subi une intervention chirurgicale abdominale (Flaherty et Fitzpatrick, 1978). Les résultats de cette étude montrent que la relaxation permet au malade un moindre recours aux antalgiques. Cependant, d’autres études tentant d’évaluer l’efficacité de la relaxation en phases pré- et postopératoires n’ont pas toujours confirmé ce type de résultats positifs (Field, 1974; Smith, 1974).


La distraction, quant à elle, tend à réduire les nausées anticipatoires comme le montrent des expériences de distraction par jeux vidéo réalisées chez des enfants traités par chimiothérapie (Redd, 1989). Le mécanisme qui sous-tend ces effets n’est pas encore bien compris : la réduction des nausées anticipatoires est en effet observée indépendamment d’une relaxation physiologique et d’une réduction de l’anxiété. Toutefois, ces techniques de relaxation mériteraient d’être développées. Elles présentent l’avantage de pouvoir être utilisées par tout soignant moyennant une formation simple.

Les interventions chirurgicales entraînant fréquemment des troubles de l’image de soi et de la sexualité, des interventions psychologiques souvent complémentaires s’avèrent nécessaires. Le tableau 14-4 détaille le contenu potentiel des interventions se donnant comme objectif le traitement des troubles de l’image de soi et de la sexualité.






Tableau 14-4 Interventions psychologiques : cas particulier des troubles de l’image de soi et de la sexualité.



– Traiter l’anxiété et la dépression éventuellement sousjacente


– Informer le (la) patient(e) de certains mythes ou peurs (contagion, dissémination, etc.)


– Conseiller le (la) patient(e) et si nécessaire, son partenaire


– Discuter des considérations pratiques pouvant compenser ou pallier les troubles


– Initier une sexothérapie si nécessaire


– Désensibiliser par rapport aux phobies et aux peurs liées à la vue ou au toucher des modifications corporelles

Différentes techniques ont été proposées pour accroître l’efficacité de la relaxation. Il s’agit du biofeedback, de l’hypnose et de la visualisation ou de l’imagerie. Le biofeedback est une technique qui offre au sujet la possibilité de contrôler et de mieux percevoir certains de ses paramètres physiologiques en rapport avec le stress – rythme cardiaque, conductivité électrothermique, etc. – (Burish, Shartner et coll., 1981). Cette meilleure perception augmenterait l’efficacité des techniques de relaxation. Ceci n’a pas fait l’objet d’études contrôlées.

L’hypnose, dont l’application clinique se développa à l’origine en Europe, se retrouve actuellement surtout dans l’arsenal thérapeutique des pays anglo-saxons, et principalement dans le traitement des douleurs cancéreuses des enfants. L’efficacité de cette technique, aujourd’hui encore difficilement explicable scientifiquement, paye un lourd tribut à l’aura parapsychologique qui l’entoure (Gay, 2007). Au service de cliniciens avertis, l’hypnose peut se révéler efficace dans le contrôle de certains symptômes associés aux affections cancéreuses et à leurs traitements, tels les nausées et les vomissements (Richardson, 2006), les douleurs (Hilgard, 1986) et les hoquets irréductibles par les traitements médicamenteux classiques. Son utilisation pourrait se révéler potentiellement efficace en association avec les traitements médicamenteux, et ce précocement, dès l’apparition des symptômes, et non, comme c’est trop souvent le cas, en dernier recours après la chronification de ceux-ci. Les méthodes d’induction les plus communément utilisées sont la «fixation de l’œil» et la «lévitation du bras» (Hilgard et Lebaron, 1984).

Les méthodes dites de «visualisation» ou d’«imagerie mentale » s’étayent sur une suggestion d’images chez des patients en état de relaxation. La visualisation a pour objectif d’approfondir la relaxation en induisant une perception agréable, de permettre un retour aux expériences passées ou une anticipation du futur, et de stimuler l’imagination et l’acquisition de nouveaux mécanismes d’adaptation (Bridge, Benson et coll., 1988; Wilson, Moore et coll., 1982). L’efficacité psychologique et même physique de cette technique a été rapportée (Simonton, Simonton et coll., 1982). Il n’y a pas encore à l’heure actuelle de données confirmant l’efficacité de cette technique. Il est pourtant important de souligner que la méthode préconisée associe, à la visualisation proprement dite, une information du malade concernant son affection et ses conséquences, et une éducation sur les façons possibles d’y réagir, et ce, aussi bien à son intention qu’à celle de sa famille. Ces approches mixtes cognitivo-comportementales sont également proposées dans la préparation à certaines techniques diagnostiques invasives et consistent à anticiper avec le patient le déroulement de l’examen. Elles peuvent également être proposées dans le traitement de certaines phobies (Heimberg et Barlow, 1988).

Les interventions comportementales peuvent être ainsi utilisées pour contrôler certains effets secondaires liés aux traitements (Redd, Montgomery et coll., 2001). Les interventions psychologiques cognitivocomportementales peuvent cependant être associées au développement de réactions thérapeutiques négatives qu’il convient de ne pas sous-estimer. Le tableau 14-5 reprend, à titre d’exemple, quelques réactions thérapeutiques négatives.










Tableau 14-5 Interventions psychologiques : réactions thérapeutiques négatives.
TYPE D’INTERVENTION RÉACTION NÉGATIVE
Désensibilisation (peur)
Dédramatisation
Relaxation
Expression des émotions
Induction d’une combativité
Imagerie mentale
Induction d’anxiété
Fausse réassurance
Induction d’anxiété
Effets sur proches
Idéalisation culturelle
Croyance à un lien guérisonintervention


INTERVENTIONS DE GROUPE


Les interventions de groupe tout comme celles qui utilisent l’approche individuelle peuvent être un traitement efficace dans certaines indications. Elles permettent d’éviter le repli sur soi des malades et de leurs proches par un partage d’expériences et une communication à leurs propos, entraînant ainsi une diminution du sentiment d’isolement social associé à la maladie cancéreuse. Le groupe pourrait diminuer l’impression d’abandon, rendre possible l’expression des émotions, et permettre de relativiser les sentiments de honte (Kaufman et Micha, 1987). Le sentiment d’appartenance à un groupe peut donner aux participants une nouvelle identité et permet leur «revitalisation» par les possibilités d’échanges émotionnels qui surviennent lors des séances de groupe. Par rapport aux interventions individuelles, les techniques de groupe favorisent, par l’observation et l’écoute mutuelle, un apprentissage de nouvelles stratégies d’adaptation. Les groupes ont comme principal but d’offrir aux participants le plus de moyens possibles afin de collaborer activement aux traitements administrés et de mieux faire face à la maladie. Les groupes produisent souvent une intensification de la transmission d’informations et de l’offre de soutien. Ce soutien est un processus complexe qui s’étaye sur l’empathie des membres du groupe par rapport aux difficultés vécues par un sujet particulier. Il s’appuie aussi sur la transmission au sujet en difficulté, d’informations qui participent au contrôle qu’il peut avoir sur les événements et à une certaine restauration de son estime de soi. Le groupe permet à ce dernier de s’adresser à des personnes susceptibles de répondre à ses attentes et demandes. Le sujet peut également choisir au sein du groupe des personnes qu’il considère comme compétentes pour cela. Le groupe évite de concentrer le poids du travail de soutien sur une seule personne. Un soutien n’est pas toujours assuré dans un groupe. En effet, si un sujet du groupe présente une détresse importante, il existe un risque de colmatage précoce de cette détresse par des réassurances immédiates et prématurées. Ces formes de réassurances empêchent chez les sujets en détresse une élaboration de ce qui est vécu. Le groupe, via la multiplication des sources d’information, risque aussi de générer un sentiment de confusion par rapport aux diverses informations réceptionnées. Une compréhension particulière et une modification de ce qui a été réellement transmis favorise et amplifie cela. Ces quelques éléments soulignent l’importance de la supervision et du soutien des animateurs de groupes de patients cancéreux et/ou de leurs proches. Il existe d’autres objectifs aux interventions psychologiques de groupe. Celles-ci sont reprises dans le tableau 14-6.






Tableau 14-6 Interventions psychologiques de groupe : objectifs spécifiques.



– Favoriser la création de liens


– Favoriser l’expression des émotions


– Intensifier le soutien


– Désensibiliser (peurs)


– Aider à utiliser du temps d’une manière optimisée


– Aider à utiliser des ressources familiales


– Aider à utiliser des ressources médicales


Les psychothérapies de groupe forment un ensemble très varié d’interventions psychologiques qui se différencient par leur contenu, leurs objectifs et leurs modes d’organisation (taille des groupes, fréquence des séances, etc.). Comme c’est le cas pour les interventions individuelles, les psychothérapies de groupe font appel, avec plus ou moins de directivité, de façon conjointe ou exclusive, à des techniques cognitives, émotionnelles et comportementales.

Les animateurs de groupe peuvent être tantôt des soignants, tantôt d’anciens malades. Les groupes organisés par des professionnels de la santé sont souvent proposés pour promouvoir le soutien émotionnel, l’information et l’éducation des malades et de leur famille. La plupart de ces groupes – organisés et animés par des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux ou des infirmières – mettent principalement l’accent sur les besoins émotionnels des participants (malades et familles). Le travail de groupe prend appui sur les relations entre les membres, tout en reproduisant dans le microcosme social qu’est le groupe, la complexité des relations soignants-soignés en oncologie (Lieberman, 1988).

Certains groupes se constituent à l’initiative des malades eux-mêmes (Mastrovito, 1989). Ils sont dénommés parfois groupes d’entraide, de self help (associations de colostomisés, de laryngectomisés, de mastectomisées, etc.). Ces groupes d’entraide – souvent autonomes – sont des associations spontanées de personnes qui se rassemblent dans le but de se soutenir mutuellement. Ils répondent à un besoin commun : celui de ne pas être seul pour faire face à un même handicap et/ou à un changement personnel et social (Lock, 1986).


Approches émotionnelles


De nombreux aspects sont communs aux groupes d’entraide et à ceux animés par des professionnels (Killilea, 1976). Un de ces aspects est certainement l’échange d’expériences vécues entre participants qui permet souvent aux malades de mieux identifier leurs besoins. Les groupes favorisent également une diminution du sentiment d’aliénation des malades par une validation des sentiments et attitudes issus des comparaisons interindividuelles qui sont réalisées. Ces groupes sont potentiellement aussi susceptibles de stimuler la circulation d’informations, apportant ainsi une meilleure compréhension des problèmes qui sont et qui seront rencontrés. L’aide mutuelle offerte à l’intérieur de ces groupes est largement reconnue aujourd’hui et a mené certains centres de soins à favoriser leur développement en leur sein. Ils peuvent permettre au malade de retrouver la solidarité, l’affection et le soutien d’autres personnes. Enfin, parents, conjoints, enfants, proches et soignants pourraient bénéficier aussi des apports de ces interventions.

Un autre effet souvent méconnu des groupes est le renforcement d’une certaine conformité, soit en favorisant l’adhésion des malades à leur traitement, soit quelquefois en y portant préjudice. Dans ce dernier cas, volontairement ou involontairement, le malade est détourné d’un traitement reconnu comme curatif vers un traitement alternatif dont l’efficacité n’a pu être démontrée. Ces techniques de groupe doivent donc s’inscrire dans un climat éthique qui détermine leur caractère thérapeutique et non manipulatoire.

Il est important de rappeler également que ceux qui offrent une aide au groupe en bénéficient eux aussi. Aider activement permet de se reconstruire une image et une estime de soi souvent altérées par la maladie cancéreuse. Une participation active favorise aussi l’adaptation par l’apprentissage de nouveaux rôles. L’activité des participants serait particulièrement stimulée dans les groupes organisés à l’initiative des malades euxmêmes. Les groupes organisés par des professionnels peuvent en effet favoriser parfois chez certains malades des comportements plus passifs. Il existe en effet différents types de groupes, des groupes formalisés avec des objectifs précis, et des groupes informels offrant, par exemple, un soutien matériel aux malades (Litwak, 1985). Une étude compare deux groupes de soutien destinés aux parents d’enfants cancéreux, l’un mené par des professionnels de la santé, l’autre par les parents eux-mêmes (Yoak et Chesler, 1985). Les groupes menés par les professionnels ont généralement pour objet principal d’aider les familles des enfants cancéreux à gérer leur détresse. Les groupes menés et organisés par les parents sont plutôt orientés vers des objectifs précis tels certains besoins matériels (prothèses, covoiturage, etc.). Chacun de ces types de groupe surestime ou sousestime donc certains besoins au profit d’autres : les malades et leur famille pourraient ainsi avoir tendance à sous-estimer leurs besoins émotionnels et les professionnels de la santé à surestimer ceux-ci en négligeant – pour ne citer qu’un seul exemple – les besoins matériels et/ou informationnels.


Approches cognitivo-comportementales


Tout comme dans l’intervention individuelle, l’approche cognitive en groupe a pour objectif d’aider les participants du groupe en agissant sur leur représentation de la réalité de la maladie cancéreuse, des traitements et de leurs implications psychosociales. Elle comprend des interventions telles que l’information, l’éducation et la thérapie cognitive. Son utilisation doit être réservée à des professionnels compétents, susceptibles d’apporter des réponses nuancées à des patients souvent confrontés à une menace vitale et s’efforçant de faire face aux incertitudes. Si l’approche comportementale est en plein développement pour les prises en charge individuelles, elle a été peu appliquée jusqu’à présent aux groupes de malades. Quelques rares études prônent l’utilisation de techniques de groupe pour une préparation à la chirurgie (Schmitt et Wooldridge, 1973). Ces techniques sont à la fois éducationnelles, informatives et supportives : elles visent à offrir un soutien émotionnel au travers de l’information et de l’aide concrète apportées par les participants et les animateurs. Cette démarche pourrait bien évidemment être envisagée en préparation à certains traitements oncologiques.

Dans le cas des groupes d’entraide, l’approche cognitive doit être entendue au sens très large du terme. S’il est vrai que chaque groupe véhicule une idéologie, des messages peuvent parfois être transmis dans le but d’aider les participants à acquérir de nouveaux mécanismes d’adaptation. Il faut savoir que les groupes d’entraide mettent souvent l’accent sur le soutien matériel et informationnel à certaines périodes et l’interrompent à d’autres (en période de deuil, par exemple) pour des raisons inhérentes à leurs structure et composition. Une codirection de groupes par des consommateurs et des dispensateurs de soins permettrait peut-être de mieux répondre aux besoins très variés des malades et de leur famille. Cette codirection assurerait, à ce stade du développement de la médecine, une meilleure adhésion des malades à leur traitement par la possibilité d’offrir la meilleure réponse possible aux besoins des malades et de leur famille, et ce non seulement durant la phase des traitements, mais également ensuite lors de la phase de réhabilitation et/ou de palliation.

Certains auteurs relatent avoir utilisé des techniques de relaxation ou d’hypnose avec des groupes de patients en phase avancée présentant des problèmes de douleur (Spiegel et Bloom, 1983). Ces expériences sont encore trop peu nombreuses pour en tirer des conclusions quant à leur efficacité (Massie, Holland et coll., 1989). Récemment, certains auteurs se sont intéressés aux effets des groupes de méditation et ont mis en évidence une diminution significative des troubles de l’humeur et des symptômes de stress dans un groupe de patients atteints d’un cancer, bénéficiant de séances hebdomadaires de méditation par rapport à un groupe contrôle (Speca, Carlson et coll., 2000). Une autre étude qui s’est intéressée aux effets des groupes de relaxation et d’imagerie chez des patients dont le diagnostic de cancer a été posé récemment a pu mettre en évidence des effets positifs sur la détresse psychologique (Baider, Peretz et coll., 2001).


INTERVENTIONS FAMILIALES


Comme leur nom l’indique, les psychothérapies familiales s’adressent aux patients et aux proches avec qui ils entretiennent des liens de parenté. Utilisant des techniques sinon identiques, du moins fort semblables à celles des groupes, les psychothérapies familiales se différencient de celles-ci par leur composition. Elles réunissent en effet les membres d’une famille nucléaire (couple, parents et enfants, fratrie), élargie (différentes générations, membres apparentés par alliance), ou de familles non apparentées. Six formes de thérapie familiale ont été décrites : les thérapies structurelles qui ont pour but de réorganiser la structure familiale; stratégiques qui visent à résoudre des problèmes par l’interruption des «cercles vicieux» qui peuvent maintenir et consolider un comportement symptomatique; existentielles, basées sur le développement individuel et familial au travers d’une expérience partagée; communicatives, dans l’objectif de favoriser une communication claire et directe; «bowenienne», axée sur la maturation affective de l’individu au travers du système familial; et enfin, psychodynamique, dans le but de résoudre activement des conflits familiaux passés (Sargent, 1983). Des techniques diverses ont été proposées pour cela (Miermont, 2005).

Les problèmes familiaux qui surviennent dans le cours des maladies chroniques sont principalement dus à des structures en état de dysfonctionnement qui se développent alors que la famille tente de faire face à la maladie d’un de ses membres (Griffith et Griffith, 1987; Rolland, 1987). Dans le cas particulier de l’oncologie, la thérapie familiale doit ainsi incorporer souvent – en plus des formes énumérées plus haut – un modèle d’intervention de crise, complété d’une transmission d’informations et d’une éducation. Les familles, confrontées aux crises inhérentes au cours des affections cancéreuses, ont ainsi très souvent besoin d’une aide extérieure pour réagir, communiquer et faire face à la maladie (Bastiaans, 1985; Kaufman et Micha, 1987). Ces dernières années, les psychothérapies familiales se sont beaucoup développées mais n’ont pas encore fait systématiquement apparition dans les centres de traitement du cancer.

Sur le plan théorique, les psychothérapies familiales pourraient prévenir et traiter les troubles psychologiques et quelquefois psychiatriques qui se développent lors du diagnostic ou de l’évolution de la maladie cancéreuse, et qui risquent, de plus, de se consolider chez les survivants, dans la période qui suit le décès. Porter l’accent sur le confort de la famille des malades a plus d’une conséquence. La première conséquence indirecte est que le malade en bénéficie rapidement par l’amélioration tant quantitative que qualitative du soutien que la famille peut lui offrir; la seconde conséquence, plus directe cette fois, est le bénéfice que peut tirer chaque membre de la famille, de la répartition de la charge affective de la maladie tout au long des traitements et dans bien des cas, au-delà de cette phase, dans la réhabilitation ou dans le deuil. Il existe également d’autres objectifs spécifiques aux interventions psychologiques familiales. Citons notamment l’adhésion à un comportement rigoureux de surveillance médicale pour les proches risquant de développer le même type de cancer (Wellisch, Hoffman et coll., 1999). Le tableau 14-7 reprend les objectifs spécifiques des interventions familiales en oncologie.






Tableau 14-7 Interventions psychologiques familiales : objectifs spécifiques.



– Aider les familles à ne pas se replier sur elles-mêmes


– Aider les familles à créer de nouvelles relations


– Favoriser la communication malade-entourage


– Favoriser la communication dans l’entourage du malade

Les interventions familiales sont donc pour la plupart centrées sur les aspects émotionnels. Elles utilisent de façon variable le cycle de vie dans lequel se trouve la famille, les caractéristiques de la structure familiale, l’influence de l’histoire et des croyances notamment à propos du cancer, et la dynamique des relations avec l’équipe soignante (Northouse, 1984; Northouse, 1988; Rait et Lederberg, 1989). Ces interventions émotionnelles sont fréquemment complétées de techniques d’ordre cognitif et comportemental, visant au développement d’un système de soutien.


Approches émotionnelles


Ces interventions ont des contenus très variables. Elles incluent en effet un éventail d’interventions de différents types allant d’un soutien face à la crise, qui vise à offrir un confort émotionnel immédiat, à des thérapies psychodynamiques applicables en situation de dysfonctionnement, en passant par le recours à des conseils. Le soutien à la famille comporte les mêmes stratégies que l’approche individuelle. Certains aspects sont toutefois spécifiques à la dynamique familiale. Les membres de la famille ont souvent le sentiment que leur souffrance n’est pas légitime comparativement à celle du patient. Ils peuvent éprouver des sentiments ambivalents par rapport au membre malade en raison de la rupture qu’introduit le cancer dans la vie familiale, et vivre souvent cette ambivalence dans la solitude et la honte. Dans les interventions de crise, le fait de permettre l’expression de ces émotions et de les légitimer a un effet positif immédiat en restaurant l’estime de soi et en offrant une reconnaissance sociale.

Si des enfants sont parmi les proches immédiats du malade, des conseils s’avèrent souvent indispensables. Que leur dire et comment? Dans quelle mesure les faire participer aux traitements, à la réhabilitation, à la phase terminale ou au deuil? Les adultes éprouvent des difficultés amplifiées quand ces situations impliquent des enfants. Ils peuvent projeter sur eux leurs préoccupations, à tort ou à raison. Les besoins des enfants en informations sont souvent très importants, compte tenu de leur imagination particulièrement productive, pouvant donner naissance à des représentations terrifiantes ou culpabilisantes. Pour éviter ces complications diverses, les informations doivent, idéalement être dispensées selon leur développement cognitif et émotionnel par des parents préalablement informés. Une préparation des parents à ce rôle est donc fréquemment nécessaire. Ce qui convient d’être ajouté à ce niveau concerne la nécessité d’éviter au maximum une prolongation d’une détresse qui pourrait ralentir ou entraver le développement de l’enfant (Brown et Hughson, 1987). Suggérer aux parents de favoriser des périodes d’échanges avec d’autres enfants et d’autres familles pourra favoriser l’expression d’émotions et leur résolution progressive au travers de jeux qui sont, on le sait, la principale voie d’expression des enfants. Des séquelles psychologiques et/ou psychosomatiques ont été décrites chez ceux qui, enfant, ont perdu un ou deux de leurs parents. Un des objectifs des interventions familiales serait de prévenir leur développement chez ceux qui survivent à la perte de proches.

Les interventions psychologiques à l’intention des couples sont particulièrement indiquées en cas de répercussions de la maladie cancéreuse et de ses traitements sur les organes et le fonctionnement sexuel (Auchincloss, 1989). Elles sont également indiquées dans le soutien des épouses de patients présentant une affection cancéreuse : une étude met en évidence une meilleure adaptation à la maladie ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie des malades dont les épouses ont bénéficié d’un soutien (Blanchard, Ruckdeschel et coll., 1996).

Les interventions familiales sont également recommandées dans le cas des cancers dont le cours ou les traitements mènent à des longues rémissions ou à des guérisons définitives. Elles évitent à certains malades de cristalliser une «invalidité» ne correspondant guère à leur handicap fonctionnel et aident certaines familles à ne pas surprotéger inutilement leurs malades. Ces comportements de surprotection seraient particulièrement développés chez les parents d’enfants et d’adolescents malades. Des techniques d’intervention ont été décrites comme efficaces dans ce but (Fife, 1978).

Les psychothérapies familiales tiennent généralement compte de la phase développementale de la famille et de chacun de ses membres. Dans le cas des adolescents présentant un parent cancéreux, favoriser, si ce n’est déjà fait, des relations avec d’autres adolescents, est une mesure qui pourrait être fort utile, si de façon symétrique, les parents s’inscrivent dans un processus similaire. De cette manière, le développement de chaque «génération» pourrait se poursuivre et éviter d’amplifier certains conflits intrafamiliaux liés au développement, alors que la crise existentielle ouverte par la maladie cancéreuse est encore dans une phase aigüe ou subaigüe. Favoriser des rencontres familiales avec un professionnel de la santé (formé aux entretiens familiaux) pourrait s’avérer également nécessaire dans le cas, par exemple, concomitamment à la maladie cancéreuse, de troubles du comportement d’un adolescent (délinquance, drogue, etc.). Les cancers de mauvais pronostic et la phase terminale provoquent une véritable «onde de choc» dans de nombreuses familles. Les conséquences ne seront parfois manifestes que bien longtemps après le décès (Chochinov et Holland, 1989). Les psychothérapies familiales favorisent fréquemment le développement d’un deuil anticipatoire. Une question importante souvent discutée est le rôle positif ou négatif de ce deuil anticipatoire et les échanges qui lui sont associés. En l’absence d’étude contrôlant l’importance de toutes les variables sur lesquelles l’anticipation du deuil peut influer, il est raisonnable de penser qu’elle peut théoriquement être favorable à certains malades et membres de la famille : ceci pourrait être particulièrement vrai chez les personnes ayant la capacité de gérer les crises de façon interactionnelle. Ces interactions issues des échanges d’individus conscients de l’issue prochaine de la maladie évitent souvent les culpabilités, les remords et les conséquences de n’avoir pu tenir compte des désirs et besoins des parties en présence. Il est souhaitable que les ressources émotionnelles, dans ces situations limites, soient utilisées positivement. Les conflits qui se créent fréquemment dans les familles tout au long de la maladie devraient, dans la mesure du possible, se discuter afin d’éviter leur enkystement, source d’appauvrissement et de rigidification des systèmes familiaux. Dans certains cas cependant, favoriser un tel processus peut fragiliser ou alors culpabiliser encore davantage des individus incapables de gérer un tel deuil.


Approches cognitivo-comportementales


Les interventions émotionnelles gagnent souvent à être complétées dans le cadre familial par d’autres types d’aide visant à développer le réseau de soutien. Les ressources individuelles, intra- et extrafamiliales, peuvent être potentialisées par l’information et la liaison avec les soignants, l’éducation à certains soins et le recours à des services d’aide divers. Les familles éprouvent en effet souvent le sentiment d’être abandonnées et impuissantes dans l’impossibilité où elles sont de contrôler, en partie ou en totalité, la maladie et les symptômes qui affectent leur proche. Souvent, un soutien judicieux, complété d’une information, voire d’une éducation à certains soins ou techniques (pompe à morphine, à aspiration, etc.), favorise leur participation active à la situation et combat leur sentiment d’isolement face à une médecine de plus en plus technologique. Leur participation profite au malade qui se sentira mieux soutenu avec la perception qu’à travers l’association de ses proches aux traitements, il peut encore participer au processus de décision et de vie familiale. La participation familiale active aux programmes de soins évite et retarde les sentiments d’impuissance et de détresse qui entraînent chez le malade le sentiment, bien souvent exprimé, d’être une charge pour les siens. L’information est encore trop souvent limitée aux aspects médicaux et techniques des soins et devrait s’étendre aux besoins psychosociaux associés aux différentes phases d’évolution de la maladie (Stetz, 1987). Certains auteurs recommandent ainsi une information, voire une formation, des membres de la famille aux techniques comportementales de contrôle des nausées et vomissements anticipatoires, de l’anxiété précédant certaines procédures diagnostiques ou thérapeutiques lourdes, et parfois même de certaines douleurs (Redd, 1985; Weddington, Blindt et coll., 1983).

Le traitement peut ainsi être complété par un soutien instrumental, psycho-éducationnel et émotionnel qui permettra aux proches de suppléer et de maintenir certains rôles et fonctions du membre malade. Les proches (enfants, compagnon ou époux, parents) expriment souvent le besoin d’une information concernant ces suppléances. Le soutien instrumental est le préliminaire et la base qui peut permettre une création et construction progressives de ces rôles et fonctions. Les services sociaux devront être particulièrement attentifs à l’existence de ressources suffisantes pour assurer cette transition; ces ressources sont souvent issues du réseau familial élargi mais peuvent dans certains cas faire défaut et devoir être fournies par des organismes d’intérêt collectif.


INTERVENTIONS DE RÉHABILITATION


Les données actuelles relatives aux problèmes psychosociaux posés par le cancer et l’expérience du contact avec les patients et les familles soulignent l’urgence de développer des interventions médico-psychosociales pluridisciplinaires visant à la réhabilitation des patients et des familles. Les séquelles psychologiques doivent faire l’objet d’une prise en charge parallèlement aux traitements médicaux (Houts, Yasko et coll., 1986). La réhabilitation peut être définie comme un processus visant à aider la personne à améliorer son fonctionnement (physique, mental, sexuel, social, professionnel) (Broadwell, 1987). Les interventions de réhabilitation ne peuvent s’envisager souvent que dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire. C’est en effet la nécessité de techniques et de compétences diverses et spécifiques qui a mis en évidence l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire dans la prise en charge des patients et des familles confrontés au cancer.

La réhabilitation vise les objectifs suivants : une meilleure adhésion aux traitements oncologiques, une réduction de l’invalidité secondaire aux traitements, une meilleure qualité de vie et une autonomie quelle que soit la phase de l’affection, une réduction de la fréquence et de la durée des hospitalisations, et l’optimalisation des rééducations fonctionnelles et du contrôle des douleurs chroniques. La réhabilitation inclut généralement quatre phases (Dietz, 1981). La première phase est préventive : elle est destinée à réduire l’impact et la sévérité des problèmes et handicaps anticipés, et à aider l’individu à faire face à ceuxci. La seconde phase (phase de récupération) est destinée à aider le malade à retourner à son niveau de fonctionnement prémorbide sans séquelles liées à l’affection oncologique ou au traitement. La troisième phase (phase de soutien) est destinée quant à elle à limiter les changements fonctionnels secondaires à une perte de fonction ou à un handicap, et à aider le malade à s’y adapter. La quatrième phase enfin est palliative : elle est destinée à réduire ou à éliminer les implications liées à l’évolution de l’affection cancéreuse et à améliorer le confort du malade et de sa famille. La réhabilitation est un concept dynamique permettant d’intégrer, à tout stade de l’évolution du cancer, des interventions visant à la prévention, au traitement et à la palliation des séquelles de la maladie et des traitements, en considérant l’individu traité dans sa globalité (Watson, 1990). Le tableau 14-8 détaille les principaux buts et objets des interventions de réhabilitation en oncologie.
















Tableau 14-8 Interventions de réhabilitation : buts et objets.
Buts des interventions Objets des interventions

Symptômes de l’affection cancéreuse Effets secondaires des traitements Conséquences psychosociales
Prévention
Détection précoce
Restauration
Soutien
Palliation
0
0 à +
+
++
+++
++
++
+++
++
+
++
++
+++
+++
++++

Toutes ces interventions combinées peuvent encore être considérablement potentialisées par une meilleure communication à l’intérieur du réseau entourant, soutenant et traitant le patient. Dans la majorité des cas, un travail de liaison avec les soignants de première ligne – médecins et infirmières travaillant en institution ou à domicile – s’avère indispensable. La réhabilitation reste donc inachevée sans un travail de liaison avec les professionnels de la santé qui ont ou auront la charge du malade cancéreux. Cette charge est, on le sait, lourde émotionnellement (Delvaux, Razavi et coll., 1988). Le travail de liaison nécessite une information et, si nécessaire, une formation psychologique de tous ceux qui favoriseront la réhabilitation du malade – institutions diverses, médecins généralistes et spécialistes, infirmières, kinésithérapeutes, orthophonistes, employeurs, etc. – (Maguire, Razavi et coll., 1990; Razavi, Farvacques et coll., 1988). La liaison avec les membres de la famille ou les proches significatifs permet également une meilleure coordination des soins. Le développement des réseaux extra-hospitaliers destinés à promouvoir la prise en charge globale des malades permet une offre en ambulatoire ou à domicile de services incluant de nombreuses compétences. Cette offre reste cependant encore insuffisante. Le nombre d’acteurs formés spécifiquement pour activer réellement un système de soins complémentaires ou alternatifs aux soins hospitaliers reste faible. Le tableau 14-9 détaille les principales interventions non psychosociales.









Tableau 14-9 Interventions de réhabilitation : interventions non psychosociales.
Interventions médicales Interventions non médicales
Traitement chirurgical

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