CHAPITRE 60 MÉDICAMENTS ET PÉDIATRIE
GÉNÉRALITÉS
La pratique pédiatrique est très spécifique, mais concerne une part importante de la population française : 25 % de la population est âgée de moins de 20 ans (16 millions au 1er janvier 2012 en France et 100 millions en Europe) avec plus de 800 000 naissances en France en 2011 (données Insee). L’enfant n’est pas un adulte en miniature : son métabolisme lui est propre et évolue au fil des ans [1]. De manière générale, l’enfant a un métabolisme énergétique plus important que celui de l’adulte rapporté à son poids. Ceci est en lien avec son développement fonctionnel et structural. Il consomme ainsi de manière relative, plus d’oxygène et de calories qu’un adulte.
Les erreurs d’administration en pédiatrie sont nombreuses et les pharmaciens peuvent participer à leur prévention [2, 3]. Le faible nombre d’essais cliniques chez les enfants induit l’absence d’indication mais surtout de posologies pédiatriques validées. Le manque de présentations disponibles commercialement oblige le pharmacien à préparer des formes adaptées prêtes à l’emploi et les infirmières à transformer les formes adultes pour un usage chez les enfants [4].
Parmi les raisons évoquées pour expliquer le manque d’essais cliniques en pédiatrie, sont cités l’aspect éthique, la difficulté logistique d’obtenir le consentement des deux parents, l’anxiété des parents à vouloir engager leur enfant dans un essai clinique, la peur d’effets indésirables ou d’un possible effet sur la croissance staturo-pondérale, le coût pour le laboratoire pharmaceutique [5]. L’utilisation en pédiatrie d’un médicament insuffisamment étudié n’est pas éthique et peut présenter un risque potentiel d’inefficacité ou de toxicité. Il n’est cependant pas non plus éthique de priver les enfants d’un accès aux innovations thérapeutiques.
La réflexion concernant la réalisation d’un essai clinique chez l’enfant doit considérer les aspects suivants : la prévalence et la sévérité de la pathologie chez les enfants, l’absence de disponibilité de traitements alternatifs (y compris leur efficacité et leur profil d’effets indésirables), l’appartenance du principe actif à une classe médicamenteuse connue ou non, l’utilisation du principe actif uniquement chez l’enfant, les différentes tranches d’âges d’enfants pouvant être traités, la sécurité sur le développement de l’enfant, le besoin d’une formulation pédiatrique spécifique. La raison décisive reste la volonté de traiter une maladie mettant en jeu le pronostic vital de l’enfant et pour laquelle le principe actif représente une vraie avancée thérapeutique [6].
La prescription en pédiatrie se fait parfois hors autorisation de mise sur le marché (AMM) à défaut d’études cliniques dans ce domaine, ce qui n’est pas sans risque [7].
Au niveau de la Food and Drug Administration (FDA), deux procédures parallèles ont été initiées avec le « Pediatric Research Equity Act » (Pediatric Rule auparavant) et le « Best Pharmaceuticals for Children Act » pour réaliser un développement pédiatrique pour les nouveaux médicaments et proposer une protection de brevet supplémentaire de 6 mois pour les anciens médicaments [5].
Le comité pédiatrique au sein de l’European Medicines Agency (EMA) a étudié de 2007 à 2010 plus de 700 dossiers de PIP ou de dispense de déposer un PIP dans certaines indications ou certaines tranches d’âge [8].
PHYSIOLOGIE : QU’EST-CE QU’UN ENFANT ? LES CLÉS POUR DÉBUTER
Le personnel médical qui travaille en pédiatrie est confronté à une très grande diversité de patients : l’âge des patients varie de 1 jour à 18 ans, l’âge gestationnel des nouveau-nés de 24 à 42 semaines, les poids de 500 g à plus de 100 kg, la clairance à la créatinine de 10 à 200 mL/min. Les posologies sont très souvent calculées en mg/kg ou en mg/m2 chez l’enfant. Le calcul de la surface corporelle de l’enfant implique de mesurer l’enfant. Si le poids doit toujours être précisé sur la prescription, il est très rare d’y trouver la taille. Le Tableau 60.1 présente les différentes méthodes pour calculer la surface corporelle et le Tableau 60.2 permet d’avoir des repères en fonction de l’âge [9].
SC = 0,024265×T 0,3964×P0,5378 |
SC = 4,88×p (0,8168–0,0154×log P) |
SC = √(P*T/3 600) |
P : poids en kg; SC : surface corporelle en m2; T : taille en cm
Comme la taille n’est pas toujours accessible, la formule SC = (4P+7)/(P+90)
est utilisée dans la pratique quotidienne [10].
L’International Conference on Harmonisation a défini en 2000 des classes d’âges d’enfants : les prématurés, les nouveau-nés à terme (0 à 27 jours), les nourrissons (28 jours à 23 mois), les enfants (2 à 11 ans) et les adolescents (12 à 16-18 ans selon les régions) [6]. (Attention aux faux amis en anglais, « infant » signifie « nourrisson » et non « enfant »).
La première année de vie est associée à des changements majeurs dans les processus affectant l’Absorption, la Distribution, l’Élimination ainsi que le Transport (pompes d’influx ou d’efflux) et le Métabolisme ADE-TM [11].
Les processus métaboliques sont souvent immatures à la naissance et il en résulte des clairances diminuées et allongement de la demi-vie d’élimination des médicaments pour lesquels le métabolisme est un mécanisme important pour l’élimination. Les CYP450 ne sont pas tous présents à la naissance. Le CYP3A7 diminue après la naissance, le CYP2D6 augmente rapidement après la naissance, les CYP3A4, CYP2C9 et CYP2C19 apparaissent dans le premier mois de vie, l’activité du CYP1A2 arrive entre 1 et 3 mois. Les CYP1A2, CYP2C9 et CYP3A4 dépassent la capacité de celles des adultes entre 6 à 12 mois de vie pour diminuer aux valeurs de l’adulte après la puberté. Pour les réactions de phase II, la sulfoconjugaison se développe in utero alors que la glucuroconjugaison est à 10 % des valeurs adultes à la naissance.
L’élimination rénale du nouveau-né est réduite, même si la filtration glomérulaire et la sécrétion tubulaire augmentent relativement rapidement pendant l’enfance [1].
ClCr = [K × T]/ Cr
ClCr : Clairance de la créatinine en mL/min/1,73 m2
K = 49 pour l’enfant (< 12 ans)
K = 62 pour les garçons (12-21 ans)
Les valeurs normales de débit de filtration glomérulaire selon l’âge sont présentées dans le tableau 60.3.
Âge | mL/min/1,73 m2 |
---|---|
0 – 1,2 mois | 52,0 ± 9,0 † |
1,2 – 3,6 mois | 61,7 ± 14,3 † |
3,6 – 7,9 mois | 71,7 ± 13,9 † |
7,9 – 12 mois | 82,6 ± 17,3 † |
12 – 18 mois | 91,5 ± 17,8 † |
18 mois – 2 ans | 94,5 ± 18,1 † |
2 – 3 ans | 104,4 ± 19,9 † |
3 – 4 ans | 111,2 ± 18,5 ‡ |
5 – 6 ans | 114,1 ± 18,6 ‡ |
7 – 8 ans | 111,3 ± 18,3 ‡ |
9 – 10 ans | 110,0 ± 21,6 ‡ |
11 – 12 ans | 116,4 ± 18,9 ‡ |
13 – 15 ans | 117,2 ± 16,1 ‡ |
†Débit de filtration glomérulaire déterminée par clairance à l’inuline;
‡clairance de la créatinine marquée.
COMMENT CHOISIR UN MÉDICAMENT EN PÉDIATRIE ?
Démarche générale
– 1. Quelle est la place du principe actif considéré dans l’arsenal thérapeutique (selon le RCP ou Résumé des Caractéristiques du Produit, les recommandations ou la bibliographie) ?
– 2. Quel est le recul d’utilisation de ce principe actif pour la tranche d’âge à laquelle le patient appartient ? Quelles sont les capacités de métabolisation du patient par rapport à son âge et au médicament ? Par exemple, il est inutile de donner de la codéine à un enfant de 3 semaines, il ne possède pas encore suffisamment de cytochrome 2D6 pour le métaboliser en morphine (AMM à partir de 1 an pour le Codenfan).
– 3. Quelle est la forme disponible dans mon pays ? Ailleurs dans le monde ?
– 4. Quels sont l’âge et la condition du patient ?
– 5. Quelle est la posologie ? (en mg/kg ; mg/m2 ; mg)
– 6. Quelle est la posologie chez l’adulte ? (et selon le poids ou la surface corporelle de l’enfant, l’ai-je déj à dépassée ?)
– 7. La dose prescrite est-elle compatible avec la forme galénique disponible ?
– 8. Quel est le volume d’administration par prise et par jour ?
– 9. Pour toute administration intraveineuse, quelle est la vitesse d’administration conseillée chez l’enfant ? Le débit peut-il avoir des conséquences/effets indésirables que je dois connaître ?
– 10. Une préparation spécifique est-elle nécessaire ? Quelles sont les conditions/délais de réalisation de cette préparation ? Est-ce compatible avec un traitement ambulatoire au long cours (si applicable) ?
– 11. La fréquence d’administration prescrite est-elle compatible avec les habitudes de vie du patient et de sa famille, du mode de garde, de l’école ?
– 12. Le patient ou la famille du patient est-elle capable de lire, comprendre la prescription et réaliser l’administration ? Une formation et un conseil spécifiques sont-ils nécessaires ? Une éducation thérapeutique est-elle nécessaire (nutrition parentérale à domicile, école de l’asthme, diabète de type 1, drépanocytose …)
– 13. La notice est-elle précise et compréhensible ?
– 14. Existe-t-il une alternative thérapeutique pertinente et dont les modalités de prescription/administration seraient plus aisées pour le patient, moins risquées et plus sécuritaires ?
– 15. Le patient a-t-il déj à reçu le traitement précédemment ? Un autre traitement similaire ? Quelle a été sa tolérance ?
– 16. Le goût est-il adapté à l’enfant selon ses préférences et aversions ?
– 17. Y a-t-il une contre-indication liée aux excipients ?
– 18. Y a-t-il un risque de confusion avec les médicaments de la fratrie (dispositif doseur, dose) ?
– 19. La forme galénique est-elle munie d’un bouchon sécurisé/sécuritaire pour éviter les ingestions massives accidentelles ?
– 20. L’administration de ce médicament par un tiers peut-il causer un dommage à ce tiers (anticancéreux, immunosuppresseur, tératogène, mutagène) ?
Extrapolation à partir de la posologie adulte
Lorsqu’absolument aucune posologie n’est disponible et que la balance bénéfice/risque semble tout de même en faveur d’une utilisation chez l’enfant, il est possible d’extrapoler la dose pédiatrique à partir de la dose adulte. Il faut tenir compte des paramètres cinétiques du principe actif comme le précise le tableau 60.4. Bartelink et al. décrivent notamment le logigramme de choix d’une extrapolation de la posologie pédiatrique en fonction de la posologie adulte selon l’âge des patients, le métabolisme du médicament et son volume de distribution [11].
– la caspofungine a un volume de distribution d’une dizaine de litres chez l’adulte et la posologie suite à des études pédiatriques est actuellement de 70 mg/m2 pour des posologies adulte de 70 mg et 50 mg) ;
– le voriconazole a un volume de distribution de 4,6 L/kg, la posologie chez l’adulte en entretien est de 4 mg/kg deux fois par jour après une dose de charge de 6 mg/kg tandis que les études pédiatriques ont conclu à une posologie de 7 mg/kg 2 fois par jour en traitement d’entretien sans dose d’attaque ;
– la micafungine a un volume de distribution de 18 L chez l’adulte, soit approximativement 0,26 L/kg chez un adulte de 70 kg. La posologie recommandée chez l’enfant ne s’exprime pas en fonction de la surface corporelle, mais est de 2 à 4 mg/kg/jour. Pour un patient de 7,3 kg et 0,4 m2, l’approximation par surface corporelle de la posologie adulte conseillerait une posologie journalière de 23 mg alors que la posologie recommandée par les essais cliniques conseille une posologie de 15 mg par jour.
Selon le cas, l’approximation sous-estime ou surestime la posologie finalement validée par les essais cliniques. Cette approximation est à n’utiliser que lorsqu’aucune donnée n’est disponible et le recours à un dosage des concentrations sanguines ou plasmatiques doit être envisagé (collaboration avec le laboratoire commercialisant le médicament, techniques locales de dosage de médicament).
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
Formes galéniques disponibles
La mise à disposition de formes galéniques adaptées à l’enfant est essentielle pour améliorer l’observance au traitement et la sécurité d’administration. Les critères de saveur et de couleur peuvent influencer la bonne acceptation de l’enfant, mais ces critères varient d’une région à l’autre. Des études de palatabilité sont donc nécessaires. De même, la durée de conservation, la stabilité d’une présentation ainsi que la présence et la qualité de l’instrument de mesure font partie des critères de choix des formes galéniques pour l’enfant.
Voie orale, formes liquides
Pour les enfants, la forme orale liquide est intuitivement la plus adaptée. Sur 200 formes orales liquides d’automédication analysées aux États-Unis par Shonna Yin et al., 24 % ne présentaient pas de dispositif doseur et 98,6 % des dispositifs doseurs n’étaient pas conformes aux recommandations [14]. La plupart des formes orales liquides en France sont disponibles avec des seringues doseuses ou des cuillères mesures. Il est cependant important de connaître les limites à une bonne utilisation de cette forme galénique.
Il existe des solutions et des suspensions buvables. Les suspensions prêtes à l’emploi ou à reconstituer sont intéressantes pour les médicaments de fort mauvais goût et pour diminuer le volume final à administrer [15]. Toutes les suspensions buvables doivent être agitées avant chaque administration au patient pour assurer une homogénéisation de la suspension et l’administration d’une dose reproductible. Lors de la prescription et la dispensation d’une suspension buvable, il est important de préciser le volume d’eau nécessaire pour la première reconstitution : une erreur de volume de reconstitution entraîne ensuite des erreurs de doses à l’administration.
Différentes concentrations de formulations liquides sont parfois nécessaires pour éviter l’administration de volumes trop importants à un enfant. En effet, on estime que le volume de liquide maximum toléré est de 5 mL pour un enfant de moins de 5 ans et 10 mL au-delà [16]. Cependant, la cohabitation de présentations avec des concentrations différentes peut induire des confusions et des erreurs médicamenteuses. Ainsi, il existe trois différentes présentations de granulés pour suspension buvable à 125, 250 et 500 mg/5 mL de josamycine (Josacine). Chaque présentation apporte sa propre pipette doseuse (en dose-kg). L’inversion de seringue doseuse entre les formulations induit des erreurs de doses. Concernant le traitement de l’épilepsie de l’enfant, on peut noter une évolution variable des présentations pédiatriques. La présentation de la solution buvable à 200 mg/mL d’acide valproïque (Depakine) a été modifiée pour que la seringue orale doseuse ne soit plus graduée qu’en mg (et non en mg et mL, ce qui induisait une confusion pour les patients). Il en était déj à de même pour le sirop à 57,64 mg/mL. Au contraire, la seringue orale de la solution buvable de levetiracétam (Keppra) est désormais graduée en mL et non en mg comme précédemment. Ce changement peut entraîner des erreurs d’administration avec une administration de 100 fois la dose prescrite puisque la solution est concentrée à 100 mg/mL.
Tout flacon entamé doit être éliminé à la fin d’un traitement pour éviter tout risque d’utilisation ultérieure d’un flacon contaminé malgré la présence de conservateurs dont une partie d’ailleurs est inscrite sur la liste des excipients à effet notoire de l’ANSM (anciennement AFSSAPS). Dans certains cas, le flacon sera périmé avant que la totalité ne soit utilisée par les parents. Il faudra donc vérifier qu’ils ont compris qu’il faut entamer le nouveau flacon alors que le précédent n’est pas terminé. Par exemple, voriconazole (Vfend) se conserve 14 jours uniquement après reconstitution alors que le traitement peut être de 21 jours ou plus. La rifampicine (Rifadine) se conserve seulement 14 jours après ouverture du flacon alors qu’elle peut faire partie d’un long traitement antituberculeux avec notamment l’isoniazide (PMS-Isoniazide) qui peut se conserver jusqu’à 3 mois après ouverture.