Chapitre 6 Thromboses veineuses cérébrales
L’incidence des thromboses veineuses cérébrales (TVC) est mal connue, mais elle est probablement plus marquée que ce qui est classiquement admis [13]. L’extrême diversité de la présentation clinique retarde souvent le diagnostic. L’évolution clinique est généralement favorable sous héparinothérapie. Les étiologies infectieuses sont devenues rares. Les TVC compliquent 1 à 2 accouchements sur 10 000; 10 % des TVC sont observées dans le cadre de la grossesse [36].
Étiologies
Les étiologies infectieuses sont devenues plus rares et représentent probablement moins de 10 % chez l’adulte ; les causes classiques sont représentées par les infections locorégionales (sinusites, otomastoïdites, méningites, empyèmes, abcès cérébraux, septicémies). Parmi les causes non infectieuses, il convient de distinguer les étiologies locales (envahissement tumoral, traumatisme, thrombose jugulaire sur cathéter), les perturbations hormonales (post-partum immédiat, contraceptifs oraux), certains traitements médicamenteux (androgènes, danazol, contraceptifs oraux, L-asparginase, corticoïdes), les maladies auto-immunes et inflammatoires (maladie de Crohn, lupus, Behçet, Gougerot-Sjögren, Wegener, sarcoïdose), les néoplasies viscérales et les hémopathies (leucémies, lymphomes, polyglobulie, thrombocytémie, etc.), les thrombophilies et les troubles de l’hémostase (thrombophilies congénitales, déficits en antithrombine, en protéine C ou en protéine S, syndrome des anticorps antiphospholipides, cryoglobulinémie) et la déshydratation chez le nourrisson. Les traumatismes crâniens avec fracture de la voûte ou de la base qui irradie vers le sinus veineux sont associés à une thrombose veineuse dans 40 % des cas [15]. Dans 25 à 35 % des cas, l’étiologie de la TVC reste indéterminée [13, 60].
Clinique et topographie
Les céphalées dominent le tableau clinique, représentent le premier symptôme et sont notées dans deux tiers des cas, elles sont parfois associées à un œdème papillaire et traduisent une hypertension intracrânienne ; les céphalées peuvent être le seul signe noté au moment du diagnostic ; les déficits neurologiques et les crises d’épilepsie inaugurent les TVC dans 15 % des cas et traduisent les répercussions parenchymateuses (œdème, hématome) ; les crises inaugurales sont particulièrement fréquentes chez l’enfant et le nouveau-né ; les déficits et les crises bilatérales ou à bascule sont rares ; des troubles de la conscience sont relativement fréquents et dominent le tableau clinique en cas de thrombose des veines profondes [13, 14, 16].
Les TVC touchent par ordre de fréquence décroissante le sinus sagittal supérieur, les sinus transverses, le sinus droit et les veines profondes, les veines corticales, les sinus caverneux [13].
Le dosage des D-dimères note des taux élevés dans la plupart des TVC récentes, mais des données négatives sont possibles lorsque la clinique évolue depuis plus d’un mois. Le diagnostic de TVC est peu probable lorsque les taux sont inférieurs à 500 ng/mL [13, 35].
Imagerie
L’IRM est l’examen de référence qui analyse simultanément la perméabilité des structures veineuses et les répercussions des thromboses veineuses au niveau du parenchyme cérébral. La scanographie reste souvent l’examen réalisé en première intention dans le cadre d’un événement neurologique aigu. La mise en évidence d’un hématome doit toujours faire rechercher l’obstruction d’un collecteur veineux adjacent. Les progrès récents de l’ARM, notamment avec les techniques qui utilisent l’injection de gadolinium, rendent l’angiographie par cathétérisme totalement obsolète et amènent à la réserver aux contre-indications de l’IRM et de l’ARM avec gadolinium et à quelques situations difficiles de doute, notamment lié à des insuffisances techniques de l’ARM. Les progrès récents des scanographes multicoupes rendent la technique quasiment aussi efficace que l’ARM pour l’analyse des collecteurs veineux, mais la scanographie reste souvent, en dehors des hématomes cérébraux, moins performante pour l’évaluation des répercussions parenchymateuses.
Scanographie
Le scanner cérébral peut révéler la thrombose veineuse cérébrale devant des signes de localisation neurologique liés soit à un hématome intracérébral, qui se traduit par une hyperdensité cortico-sous-corticale dont la topographie est directement liée au siège de la thrombose veineuse, soit à un ramollissement veineux, qui se traduit par un œdème de type vasogénique et une hypodensité cortico-sous-corticale (fig. 6.1 à 6.3, 6.10, 6.15, 6.16, 6.25 et 6.27). La thrombose du sinus sagittal supérieur induit des ischémies veineuses œdémateuses ou hémorragiques localisées dans les régions parasagittales fronto-pariéto-occipitales ; l’atteinte du sinus transverse induit des lésions temporo-occipitales inférieures ou cérébelleuses ; l’atteinte du sinus droit, de la grande veine de Galien et/ou des veines cérébrales internes se traduit par des lésions thalamo-capsulo-lenticulaires habituellement bilatérales (fig. 6.23, 6.24 et 6.27). Toute anomalie densitométrique dans ces régions doit conduire à un examen systématique et attentif des densités du sinus et des veines corticales adjacentes.

Fig. 6.1 Thrombose du sinus sagittal supérieur révélée par un hématome frontal gauche.
Les coupes scanographiques sans injection de produit de contraste (a, b, c) visualisent un hématome frontal gauche. Il existe une hyperintensité spontanée au niveau du sinus sagittal supérieur (étoiles) et de plusieurs veines corticales (flèche). La coupe scanographique axiale après injection de produit de contraste (d) visualise un signe du « delta » au niveau de la partie pariétale du sinus sagittal supérieur (flèche).

Fig. 6.3 Hématome temporal postérieur droit révélateur d’une thrombose du sinus transverse droit.
Les coupes scanographiques sans injection de produit de contraste (a, b) visualisent un hématome temporo-occipital droit. Il existe une petite hémorragie sous-arachnoïdienne au niveau de la vallée sylvienne droite (flèches). Noter l’hyperdensité du sinus transverse droit (tête de flèche en b). Les coupes IRM sagittale (c) et axiale (d) en T1 visualisent l’hématome parenchymateux en signal hyperintense. Le thrombus du sinus transverse apparaît également hyperintense. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (e) confirme l’obstruction complète du sinus transverse droit.

Fig. 6.10 Hématome frontopariétal gauche associé à une thrombose veineuse corticale.
L’hématome apparaît hypo et isointense en IRM en T1 (a) et présente un signal mixte hyper et hypointense en T2 (b). L’ARM veineuse (c) note une perméabilité normale du sinus sagittal supérieur. Les coupes scanographiques réalisées sans injection de produit de contraste (d–g) démontrent à proximité de l’hématome une hyperdensité spontanée au niveau d’une veine corticale (« signe de la corde ») (flèches).

Fig. 6.15 Thrombose du sinus sagittal supérieur.
L’IRM en coupe sagittale en T1 (a) visualise une petite hyperintensité au niveau de la partie antérieure du sinus sagittal supérieur et une isointensité au niveau de sa partie moyenne et postérieure. Les coupes sagittale et coronale en T1 après injection de gadolinium (b, c) notent un défaut d’opacification au niveau de l’ensemble du sinus sagittal supérieur avec un signe du « delta » sur la coupe coronale. L’ARM veineuse en contraste de phase 3D (d) confirme l’absence de flux au niveau de l’ensemble du sinus sagittal supérieur.

Fig. 6.16 Thrombose du sinus sagittal supérieur et du sinus transverse droit dans un contexte d’hypotension intracrânienne spontanée.
La coupe sagittale en T1 (a) note un signal légèrement hyperintense très hétérogène au niveau du sinus sagittal supérieur. La coupe coronale en T1 après injection de gadolinium (b) visualise un signe du « delta » au niveau du sinus sagittal supérieur et une absence de rehaussement du sinus transverse droit (flèche). L’examen démontre un épaississement et une prise de contraste diffuse au niveau de la dure-mère de la convexité de la faux du cerveau et au niveau de la tente du cervelet en rapport avec une hypotension intracrânienne chronique. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (c, d) confirme l’opacification très hétérogène du sinus sagittal supérieur et l’absence d’opacification du sinus transverse droit.

Fig. 6.25 Thrombose veineuse corticale révélée par des crises d’épilepsie subintrantes.
L’examen scanographique sans injection (a) visualise une hypodensité pariétale droite. L’IRM en coupe axiale en FLAIR (b) confirme l’existence d’un signal hyperintense cortico-sous-cortical. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (c) démontre une perméabilité normale du sinus sagittal supérieur. L’IRM en coupe coronale en T1 après injection de gadolinium (d) note un défaut d’opacification partiel au niveau d’une veine corticale avec une image en « rail » (flèche). La scanographie après injection de produit de contraste en coupe axiale (e) et en coupe coronale (f) confirme une absence d’opacification au niveau de cette même veine corticale (flèche).

Fig. 6.27 Thrombose des veines cérébrales profondes.
Aspect évolutif sous traitement. Le bilan initial (a–d) réalisé lors d’un bilan de troubles de la conscience démontre sur l’examen scanographique (a) une hyperdensité spontanée au niveau du sinus droit (flèche). L’IRM en T2 (b) visualise un signal hyperintense touchant les deux noyaux thalamiques ainsi que les noyaux lenticulaires. L’imagerie de diffusion (c) note un signal hyperintense dans ces mêmes régions en rapport avec une diminution de l’ADC. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (d) confirme l’absence d’opacification au niveau des veines cérébrales internes et du sinus droit. Le bilan de contrôle réalisé 4 mois plus tard (e–g) après évolution clinique favorable démontre une disparition des anomalies de signal sur les coupes axiales en T2 (e), l’existence de zones hypointenses thalamiques en T2 en écho de gradient (f) témoignant de petites séquelles hémorragiques. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (g) note une reperméabilisation totale des veines cérébrales internes, de l’ampoule de Galien et du sinus droit.

Fig. 6.23 Thrombose des veines cérébrales profondes chez un nourrisson déshydraté.
La coupe sagittale en T1 (a) visualise un signal spontanément hyperintense au niveau du sinus droit et des veines cérébrales internes (flèches). Il existe également une zone en signal hyperintense au niveau du sinus sagittal supérieur (flèche). Les coupes axiales en T1 (b) et en T2 (c) notent des anomalies de signal au niveau des noyaux gris thalamiques avec un signal partiellement hyperintense en T1 et un signal mixte en T2 associant hyper et hypointensité, témoignant d’une ischémie hémorragique à ce niveau.

Fig. 6.24 Thrombose des veines cérébrales profondes chez un patient qui présente des troubles de la conscience.
L’IRM en coupe axiale en T2 (a) et en FLAIR (b) note un signal hyperintense touchant les deux régions thalamiques ainsi que la région paraventriculaire droite. La coupe sagittale en T1 (c) visualise un signal spontanément hyperintense au niveau de l’ampoule de Galien et au niveau des veines cérébrales internes (flèches).
Le thrombus veineux est spontanément hyperdense ; l’hyperdensité apparaît précocement, mais diminue nettement après le huitième jour. L’appréciation de l’hyperdensité veineuse peut être délicate, car elle est modulée par le taux d’hémoglobine et l’hématocrite ; une déshydratation ou une polyglobulie peuvent conduire à des faux positifs, d’où l’intérêt de comparer les densités des différents sinus cérébraux, afin de confirmer des augmentations densitométriques locorégionales ; en cas de thrombose la densité du sinus est habituellement supérieure à 70 UH [6] (fig. 6.1, 6-3, 6.4, 6.23 et 6.27). L’injection de produit de contraste visualise souvent un signe du « delta » (fig. 6.1, 6.5 et 6.13) ou du « triangle vide » qui correspond au rehaussement des parois du sinus, alors que la lumière du sinus n’est pas rehaussée en raison de la présence d’un thrombus intraluminal ; ce signe apparaît à partir du cinquième jour et persiste pendant deux mois [13] (fig. 6.1, 6.6, 6.15 et 6.27). L’angioscanographie telle qu’elle peut être réalisée avec les scanners multicoupes permet une étude précise de l’ensemble des collecteurs veineux, dont la qualité est proche de celle de l’ARM avec gadolinium. La présence de granulations de Pacchioni se traduit par des lacunes au sein du sinus sagittal supérieur et/ou des sinus transverses ; une densité proche de celle du LCS oriente vers une telle variante anatomique (Fig. 6.7 à 6.9). Le diagnostic de thrombose veineuse corticale reste délicat, tant en scanographie qu’en IRM et en angiographie conventionnelle. L’hyperdensité spontanée d’une veine corticale (« signe de la corde ») reste un signe inconstant ; les coupes obtenues après injection peuvent démontrer une hypodensité intraluminale associée à une prise de contraste de la paroi veineuse ; les reformations multiplanaires sont utiles pour démontrer l’anomalie (fig. 6.10).

Fig. 6.4 Thrombose du sinus transverse gauche.
Les coupes scanographiques axiales (a–d) notent une hyperdensité spontanée au niveau du sinus sigmoïde gauche étendue du golfe de la jugulaire jusqu’au niveau de l’origine du sinus transverse associée à une hyperdensité du sinus droit (flèches). L’IRM en coupe axiale en FLAIR (e) visualise un signal hyperintense dans le sinus thrombosé. L’ARM veineuse après injection de gadolinium (f) confirme l’absence d’opacification du sinus transverse gauche.

Fig. 6.5 Thrombose du sinus sagittal supérieur, du sinus transverse gauche, de la veine jugulaire interne gauche et de plusieurs veines corticales, révélée chez un homme de 53 ans par un hématome temporal postérieur gauche.
L’IRM en coupes sagittales en T1 (a-c) démontre un hématome temporal postérieur gauche aigu en iso et hypersignal avec de rares zones hyperintenses. Plusieurs veines corticales (flèches) et le sinus saigttal supérieur présentent un signal spontanément hyperintense. La coupe coronale en T2 (d) et la scanographie (e) confirment l’hématome et notent un signal hyperintense en T2 et un signe du « delta » en scanographie au niveau du sinus sagittal supérieur et du sinus transverse gauche (flèches). L’anigo-IRM en coupe sagittale après injection de gadolinium (f) confirme la thrombose du sinus sagittal supérieur. Les coupes axiales en imagerie de diffusion (g-i) visualisent les structures veineuses thrombosées en signal hyperintense ; l’hématome temporal apparaît hypointense.

Fig. 6.6 Thrombose du sinus sagittal supérieur, du sinus droit et des sinus latéraux diagnostiquée dans le post-partum chez une femme de 37 ans.
L’examen scanographique en coupes sagittale (a), axiales (b, c) sans injection, visualise, d’une part, un lipome du corps calleux et, d’autre part, une hyperdensité du sinus droit (flèche), de la partie antérieure du sinus sagittal supérieur et des deux sinus transverses. L’angioscanner en coupe sagittale (d) opacifie les zones non thrombosées du sinus sagittal supérieur (flèches) et l’ampoule de Galien. L’IRM en coupe sagittale en T1 après injection de gadolinium (e) réalisée 24 heures plus tard démontre l’extension de la thrombose à la totalité du sinus sagittal supérieur et confirme l’obstruction du sinus droit et l’extension vers l’ampoule de Galien. L’IRM en T2 en écho de gradient (f) note un signal hypointense au niveau des deux sinus transverses.

Fig. 6.7 Granulations de Pacchioni au sein du sinus sagittal supérieur.
L’angioscanographie en coupe sagittale (a) note de multiples défects d’opacification au niveau du sinus sagittal supérieur (flèches) dont les densités sont proches de celle du LCS. Les coupes coronales en T1 en inversion-récupération (b, c) visualisent des zones de signal de type liquidien au niveau du sein du sinus sagittal supérieur (flèches blanches). Ces coupes notent également des granulations de Pacchioni parasagittales (flèches noires).

Fig. 6.8 Granulations de Pacchioni au sein du sinus transverse gauche.
La coupe scanographique après injection de produit de contraste (a) note un défect d’opacification qui présente des densités de type liquidien (flèche). L’ARM veineuse après injection de gadolinium (b) retrouve le défect d’opacification au sein du sinus transverse gauche (flèche).

Fig. 6.9 Granulation de Pacchioni au sein du sinus transverse droit.
La coupe scanographique axiale après injection de produit de contraste (a) et la coupe sagittale native de l’ARM veineuse après injection de gadolinium (b) visualisent un petit défect d’opacification au sein du sinus transverse droit (flèches). Noter que le sinus apparaît parfaitement perméable.
Les signes scanographiques associés intéressent le parenchyme cérébral et les méninges : œdème cérébral et/ou hématome parenchymateux dans le territoire de drainage veineux concerné à prédominance sous-corticale, prise de contraste de la faux du cerveau, prise de contraste leptoméningée, hémorragie sous-arachnoïdienne localisée.

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