Chapitre 6 Les actions infirmières en psychiatrie
Le décret de compétence
Les soins infirmiers intègrent qualités techniques et qualité des relations avec le malade.
La formulation est claire : les soins infirmiers doivent s’organiser. Certes nous verrons dans le chapitre 8 que l’adaptation directe et littérale de la démarche de soins enseignée en formation initiale est assez peu adaptée à l’exercice en psychiatrie. Mais il n’en reste pas moins que la formalisation des actes soignants infirmiers autour d’un projet défini et « lisible » est exigée.
• entretien d’accueil du patient et de son entourage ;
• aide et soutien psychologique ;
• activités à visée sociothérapique individuelle ou de groupe.
• Surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques, qui associent le médecin, l’infirmier et le patient ;
• Mise en œuvre des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l’infirmier et le patient et des protocoles d’isolement ;
On retrouve ici l’item précédent mais renforcé dans sa mise en action prescrite.
Voilà pour ce qui est du texte. Intéressons-nous maintenant à la pratique. Face à la diversité des missions qui sont confiées aux infirmiers en psychiatrie, nous avons choisi de les étudier en les regroupant par pôles (tableau 6-1). Cette forme de classification nous permet de sortir de l’énumération descriptive des actes pour mieux repérer leurs fonctions et leurs regroupements dans différents domaines du soin en psychiatrie. Nous sommes en effet convoqués autour de six pôles complémentaires que sont le pôle de la vie quotidienne, le pôle du « cadre », le pôle psychothérapique classique, le pôle d’activités spécifiques, le pôle somatique et le pôle institutionnel. Certes, de nombreuses actions (la relation d’aide par exemple) peuvent s’observer dans ces différents pôles. De la même façon certaines situations cliniques peuvent engager en même temps plusieurs pôles (comme les visites qui touchent autant la question du quotidien que celle du cadre). Mais ce qui est sûr, c’est que cette approche systématisée permet d’y voir un peu plus clair dans ce maelström d’actes plus ou moins visibles qui constitue la journée d’un infirmier en psychiatrie.
Le pôle vie quotidienne | |
Le pôle « du cadre » | |
Le pôle psychothérapique classique | |
Le pôle d’activités « spécifiques » | |
Le pôle somatique | |
Le pôle institutionnel |
Les pôles d’actions infirmières
Le pôle vie quotidienne
L’accueil
Le temps initial d’accueil
présentation du soignant au patient (nom, prénom, fonction) et présentation de l’équipe ;
entretien d’accueil infirmier ou médico-infirmier quand l’état du malade le permet :
installation dans la chambre ;
remise d’un livret d’accueil comprenant la charte de la personne hospitalisée ;
explication des règles principales de fonctionnement du service ;
exposé clair de la façon de demander de l’aide en cas de besoin ;
Les informations recueillies seront inscrites sur le dossier de soins.
L’attitude globale d’accueil
Au-delà de ce temps initial, la disposition psychique d’accueil au quotidien est un des processus clés de la fonction infirmière en psychiatrie. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4 consacré au soin relationnel, l’accueil des émotions du patient, de son histoire, de ses angoisses, de ses doutes, de sa conflictualité et de sa lourdeur parfois constituent le premier temps du travail de contenance. Pour cela, il importe que l’infirmier soit disponible psychiquement et physiquement durant l’accueil, c’est-à-dire soit calme et rassurant. Cela n’est possible que s’il n’est pas préoccupé ou sollicité par des tâches parallèles ou des soucis personnels trop importants.
La permanence, la surveillance
Cette dernière se déploie autour de quatre axes :
la continuité psychique qui rend compte de l’exigence psychique de continuité que nous essayons de mettre à disposition du patient ;
la permanence réelle qui est la traduction concrète de la continuité physique des soignants et du soin ;
la surveillance qui est la fonction qui soutient ces deux premiers items ;
l’écoute et l’observation qui renvoient au travail permanent de connaissance du malade et d’adaptation du cadre thérapeutique en fonction des besoins et de l’évolution du patient.
D’un point de vue concret, ce pôle se traduit par :
une permanence de la présence soignante 24 h/24 (trois postes le plus souvent) ;
des relèves destinées à assurer la continuité des informations et des prises en charge ;
une planification journalière (entretiens, activités, permissions…) ;
une surveillance permanente (sécurité, observation, disponibilité, accompagnement…) ;
des moments informels (échanges, jeux, discussions imprévues…) qui renforcent l’enveloppe contenante liée à la continuité ;
observer l’évolution des patients, dans leur rapport aux autres et à eux-mêmes, les effets des traitements ;
prévenir tout éventuel passage à l’acte sur eux-mêmes ou sur les autres, prévenir les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur quotidien et qui les mettraient en échec ou engendreraient de la violence ;
soutenir leurs actions, les efforts dans les tâches, les difficultés dans leur rapport à la maladie, les projets.
La continuité
La continuité dont nous voulons parler ici se réfère à celle qui entoure et accompagne la psychogenèse que nous avons décrite dans la première partie de l’ouvrage. C’est celle qui permet à l’espace de soin d’accueillir, d’étayer et de contenir la souffrance des patients et d’éviter autant que faire se peut les ruptures et volte-face en résistant aux attaques des patients et de leur maladie. En effet, nous avons vu dans le chapitre 5 que les pathologies graves avaient tendance à créer des ruptures internes (dans le psychisme des patients), des ruptures externes (dans le lien de ces malades, dans leurs rapports familiaux…). Cette tendance à la discontinuité est renforcée par l’attaque même des capacités de penser de l’autre par l’archaïque et la puissance de la conflictualité psychique à laquelle nous avons à faire face.
Mais a contrario, prenons garde à ne pas tomber dans l’excès inverse d’une continuité qui deviendrait oppressive tant elle refuserait de ménager certains espaces libres, permettant aux patients de s’exprimer, de transgresser aussi parfois, bref de vivre. C’est ce que nous rappelions dans le premier chapitre quand nous avons montré à quel point l’approche dynamique de la psychogenèse révèle que l’individuation est portée par une rythmicité alternant harmonieusement présence et absence. Nous pouvons donc penser que la présence psychique soignante repose, de la même manière, sur cette alternance. Par ailleurs, la continuité ne doit par faire oublier pour autant la nécessité de laisser des espaces aux patients. En effet, c’est ainsi que les patients pourront déployer leurs propres contenus psychiques tout en bénéficiant des vertus structurantes d’une alternance présence-absence (soignante) bien tempérée. La bonne distance soignante (chapitre 5) n’est donc ni celle de la fusion (qui ne permet pas l’émergence de la subjectivité), ni celle d’une trop grande distanciation (qui ne répond pas au besoin psychique du patient d’être assuré dans la continuité).
La présence attentive : un mélange d’écoute et d’observation
L’infirmier se situe dans une triple position d’observateur. Il est à la fois :
observateur spectateur : il regarde d’une position extérieure ce qui se passe autour de lui ;
observateur participant : il se positionne comme partenaire de l’interaction qu’il observe ;
observateur interne : il s’observe lui-même dans ce qu’il pense, ressent et comprend de ses propres réactions (ce qui rejoint la mise en pensée des éléments contre-transférentiels).
Cette triple observation est :
intentionnelle car elle procède d’un travail, d’une « intention » consciente qui va diriger notre attention vers l’observation. Il ne s’agit pas de « feeling » ou de « routine » mais d’un acte infirmier défini, transmissible et reproductible ;
préparée, car elle ne se fait pas « par hasard » ou « quand on a le temps ». Elle est un élément essentiel et structurant de toute démarche de soins ;
objective, ou en tout cas le plus possible, ce qui paradoxalement passe par le maniement de sa propre subjectivité pour y « voir un peu plus clair » dans un ressenti ou une impression immédiate.