6: La brûlure: une pathologie inflammatoire

Chapitre 6 La brûlure


une pathologie inflammatoire





La réponse inflammatoire à la brûlure fait intervenir des phénomènes pro et anti-inflammatoires se succédant dans le temps.





Les applications diagnostiques (dosage des médiateurs) sont décevantes.


Parmi les applications thérapeutiques, seules l’utilisation des antioxydants (dont l’albumine) et l’hémofiltration à haut débit d’UF paraissent prometteuses.


L’agression cutanée est à l’origine d’une réponse locale impliquant des mécanismes biochimiques et cellulaires, dont l’objectif est de favoriser la réparation des lésions provoquées par le traumatisme. Lorsque la lésion cutanée est importante, ces phénomènes se généralisent à l’organisme conduisant à l’installation d’un état appelé SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrom ou Syndrome inflammatoire à réponse systémique) dont les conséquences sont telles qu’il peut être à l’origine de défaillances viscérales potentiellement létales.



Présentation générale des phénomènes mis en jeu


L’élément déclenchant est la lésion tissulaire. Elle est en général cutanée mais il peut aussi s’agir d’une lésion plus profonde (brûlure électrique) voire d’une atteinte cellulaire avec libération de radicaux libres comme lors des syndromes d’ischémie-reperfusion [1].


Les produits libérés par la lésion tissulaire entraînent une réponse en deux temps du système inflammatoire [1, 2] :



le second temps est une phase durant laquelle les phénomènes prédominants sont antiinflammatoires ; cette phase est sous la dépendance des lymphocytes T-helper Th-2 et de trois médiateurs principaux : les cytokines IL-4/IL-10 et le TGFβ [3] ; cette période est appelée CARS (Counter Anti-inflammatory Response Syndrome), Au cours de cette phase on observe une immunodépression. L’apparition d’une défaillance polyviscérale (défaillance polyviscérale tardive) est possible à ce stade.

L’intensité de la réponse est proportionnelle à la surface brûlée et dépend aussi des capacités propres de l’hôte, c’est-à-dire du terrain ainsi que de la prise en charge initiale [1, 4].



Phase inflammatoire : mécanismes (fig. 6-1)




Médiateurs pro-inflammatoires [1]



Cytokines


Il s’agit d’un groupe de substances polypeptidiques dont les principales sont les suivantes.


Le TNF-α est le médiateur central de la réaction inflammatoire [7]. Au niveau local, il met en jeu les défenses antimicrobiennes par l’activation des neutrophiles et des monocytes et promeut la réparation tissulaire par l’activation des fibroblastes et la mise en jeu des mécanismes d’angiogenèse. La libération systémique du TNF-α est d’une part responsable de lésions tissulaires expliquées par ses capacités à induire l’apoptose d’éléments cellulaires variés [8] et, d’autre part, d’effets variés comprenant hyperthermie, stimulation de la sécrétion des protéines de la phase aiguë par le foie (protéine C réactive, α1-glycoprotéine acide, α1-antitrypsine, α1-chymotrypsine, fibrinogène, haptoglobine, amyloide A), activation de la coagulation, dépression myocardique, vasodilatation systémique et catabolisme [1, 9]. Enfin, le TNF-α possède la capacité de provoquer la sécrétion d’autres médiateurs proinflammatoires, dont l’interleukine-1 (IL-1) et l’interleukine-6 (IL-6) [1].


L’IL-1 sécrétée par le monocyte entraîne des effets comparables à ceux du TNF-α à la différence notable qu’elle n’induit pas d’apoptose. L’IL-1 est le chef de file d’une famille de protéines – les interleukines – pour lesquelles des antagonistes naturels ont été identifiés et seraient impliqués dans des fonctions de régulation [10].


L’IL-6, sécrétée par le macrophage, met en jeu la sécrétion des protéines de la phase aiguë par le foie et active les lymphocytes B responsables de la réponse immunitaire humorale [1].


L’interféron-γ est sécrété principalement par les lymphocytes T et NK stimulés par des antigènes ou certaines cytokines (IL-12, IL-18). Son rôle principal est d’initier ou d’amplifier la réponse du macrophage.



Autres médiateurs


Les chémokines sont également de protéines dont le chef de file est l’interleukine-8 (IL-8). Leur fonction essentielle est le chémotactisme des leucocytes [1]. L’IL-8 jouerait ainsi un rôle particulier – pro-inflammatoire – au niveau du parenchyme pulmonaire dans les syndromes d’inhalation de fumée [11]


La cascade du complément est composée de plus de 30 protéines agissant entre elles de manière complexe lors de l’inflammation et de la lyse microbienne. Deux des constituants (C3a et C5a) sont de puissants activateurs du chémotactisme des leucocytes et de l’inflammation. Ils agissent directement sur les neutrophiles et provoquent la libération de radicaux libres et de protéases [1, 12]. Un complexe protéique appelé MAC (Membrane Attack Complex), constitué des composants C5 à C9 du complément, induit, quant à lui, des lésions cellulaires et tissulaires significatives et serait un des facteurs majeurs à l’origine de la défaillance polyviscérale [1].


D’autres médiateurs non cytokiniques sont impliqués à divers titres dans la réaction inflammatoire [1]. Il s’agit principalement du facteur d’activation plaquettaire (PAF) et des dérivés de l’acide arachidonique, les eicosanoïdes (prostaglandines, leucotriènes, thromboxane A2).




Radicaux libres [18]



Espèces réactives de l’oxygène (ERO)


Les ERO sont des espèces chimiques ayant un ou plusieurs électrons libres sur leur orbite externe tels les radicaux superoxyde (O2•−), peroxyles (RO2), hydroxyle (OH) et l’ion hypochloreux (HOCl). Ces produits sont nécessaires au bon fonctionnement de la cellule si bien qu’à l’état normal il existe un équilibre entre la production de ces ERO et leur neutralisation par les systèmes protecteurs actifs (superoxyde dismutase, catalase, glutathion peroxydase) et passifs (vitamines E et C, flavonoïdes, bêtacarotène, sélénium, albumine) [19]. Sous l’action de cytokines pro-inflammatoires (interféron-γ, IL-1β et IL-8), voire du complément, macrophages et neutrophiles peuvent produire des quantités très élevées d’ERO. Il s’agit, pour une part significative, de l’anion superoxyde (ERO la plus réactive) produit par l’intermédiaire des NADPH oxydases membranaires. Ces ERO en excès sont à l’origine de destructions moléculaires (peroxydation lipidique, protéolyse, lésions des acides nucléiques) et cellulaires constituant le « stress oxydatif ».




Phase inflammatoire : conséquences physiopathologiques



Activation de la coagulation (fig. 6-2)


L’activation de la coagulation aboutit à la formation de thrombine, par l’intermédiaire des facteurs Xa (X activé) et Va (V activé). Deux voies permettent d’y parvenir [1] :





La thrombine provoque la fibrino-formation mais aussi la mise en œuvre de phénomènes pro-inflammatoires, par l’intermédiaire de cytokines sécrétées par les cellules endothéliales, les macrophages et les monocytes [21].


L’activation de la cascade de la coagulation fait l’objet d’une régulation par l’intermédiaire de plusieurs molécules :


L’antithrombine III (AT III) est une protéine excrétée par le foie, capable d’inactiver la thrombine en se liant à elle [22]. L’action de l’AT-III est facilitée par l’héparine et les glycosaminoglycanes présents sur les parois des cellules endothéliales. La fixation de l’AT-III sur les cellules endothéliales inhibe la production de TNF-α, par un mécanisme médié par les prostaglandines et le NF-κB, exerçant ainsi une action anti-inflammatoire [23].

La protéine C est une protéine circulante qui est activée par le complexe thrombine-thrombomoduline après fixation sur l’endothélium. La protéine C activée exerce sa régulation en inactivant les facteurs Va et VIIIa. Elle est également capable d’une action anti-inflammatoire en inhibant la sécrétion de TNF-α via une interaction avec le NF-κB [24]. La protéine C activée possède à la fois des propriétés anticoagulantes et anti-inflammatoires. Cependant sa consommation accrue durant les épisodes septiques est à l’origine d’une déplétion néfaste puisqu’à l’origine d’une activation des phénomènes de coagulation, des phénomènes inflammatoires et d’un accroissement de la mortalité [25].

Le TFPI (Tissue Factor Pathway Inhibitor) inactive la voie extrinsèque en formant un complexe avec le facteur tissulaire et le facteur VIIa [26]. Par ailleurs, il serait aussi capable de réduire la production de cytokines (effet anti-inflammatoire) [1].


Réponse hémodynamique


Le profil hémodynamique observé est de type hyperkinétique, c’est-à-dire qu’il associe une vasodilatation à une élévation du débit cardiaque. L’élévation du débit cardiaque serait réactionnelle à la baisse des résistances vasculaires et principalement le fait d’une tachycardie sur un myocarde dont la contractilité est cependant réduite [27, 28]. Les études animales montrent que la situation évolue en trois phases successives [1].



Phase 1


Elle est caractérisée par une augmentation des résistances vasculaires systémiques et pulmonaires. Cette augmentation est précoce et survient dans les 30 minutes à 1 heure [29, 30], ce qui explique que cette phase – tout comme la suivante – est rarement observée en clinique. Cette vasoconstriction entraîne une augmentation des résistances vasculaires pulmonaires, réduit la fraction d’éjection du ventricule droit et peut provoquer une insuffisance ventriculaire droite [31, 32]. Cette vasoconstriction n’est pas homogène : elle prédominerait au niveau du secteur splanchnique expliquant ainsi la libération de facteur dépresseur myocardique et les translocations bactériennes à point de départ digestif, dont les effets néfastes sont bien documentés [33, 34, 35]. Les mécanismes biochimiques qui sous-tendent ces réactions sont sous la dépendance du thromboxane A2, qui est un vasoconstricteur puissant [31, 32].




Phase 3


Elle exprime le profil hyperdynamique hyperkinétique bien connu. Il existe une baisse de la réponse aux vasoconstricteurs et notamment au niveau pulmonaire avec une réduction de la vasoconstriction hypoxique et une augmentation du débit shunté [30, 37, 38]. Le facteur atrial natriurétique agit sur la guanylate cyclase particulaire ce qui entraîne la production de guanosine monophosphate (GMP) cyclique, responsable de la vasodilatation observée [1, 39, 40, 41].



Fonction cardiaque


À la phase aiguë de la brûlure, il existe clairement une dépression myocardique, bien que celle-ci ne s’exprime pas nécessairement [17, 42]. Cette dépression myocardique est habituellement transitoire, apparaissant dans les deux heures suivant la lésion et disparaissant en général vers la 72e heure [17, 43]. Elle est sous la dépendance de phénomènes inflammatoires, et notamment de médiateurs pro-inflammatoires précoces (TNF-α et IL-1β) et tardifs (HMGB1, High Mobility Group Box 1 et MIF, Macrophage Migration Inhibitory Factor) [17]. Cette dépression myocardique est contrebalancée par l’action de cytokines anti-inflammatoires mais surtout par la mise en œuvre par la cellule myocardique de protéines cardioprotectrices telles que les HSPs (Heat Shock Proteins) [17]. Celles-ci sont des molécules immunodominantes capables d’interagir avec les cytokines pro-inflammatoires pour les inactiver.



Perméabilité vasculaire


Les phénomènes inflammatoires augmentent la perméabilité endothéliale au niveau systémique mais surtout pulmonaire. La formation de l’œdème qui en résulte est le mécanisme principal à la source de la défaillance respiratoire associée à la brûlure. Les phénomènes évoluent aussi en trois phases selon les données issues des modèles animaux endotoxinémiques [44].




Au cours de la phase 2


Le flux transvasculaire reste élevé et l’on observe une augmentation de la perméabilité aux protéines, à l’origine de la constitution d’un œdème riche en protéines [47, 48]. Sous l’effet des médiateurs, la cellule endothéliale se contracte [49], ce qui accroît la taille des pores intercellulaires et élève la perméabilité endothéliale, permettant le passage de grosses molécules. La stimulation de la cellule endothéliale provoque aussi la sécrétion de molécules d’adhésion – qui fixent les polynucléaires – et de l’IL-1 qui va les activer [50, 51, 52] Ces polynucléaires peuvent alors migrer hors du vaisseau et sécréter – tout comme les macrophages – radicaux libres et protéases qui constituent leurs moyens de défense contre les bactéries. Ces radicaux libres peuvent alors endommager la membrane endothéliale [53, 54] et activer à leur tour la contraction des cellules endothéliales accroissant ainsi la perméabilité [55]. Les médiateurs impliqués dans la genèse de ces phénomènes seraient principalement les endotoxines, le TNFα, l’IL-1, et peut-être les métabolites de l’acide arachidonique ; les mécanismes sont cependant encore loin d’être compris [1].



Au cours de la phase 3


L’œdème reste présent mais s’appauvrit en protéines. La perméabilité retrouve des valeurs proches de la normale et la pression hydrostatique se normalise [1]. La persistance de l’œdème (et d’un flux transvasculaire élevé) est ainsi plutôt attribuée à l’augmentation du coefficient de filtration, c’est-à-dire à la perméabilité à l’eau et aux solutés [1]. Ceci traduit certainement une augmentation du nombre de pores intercellulaires disponibles en raison de l’augmentation du lit vasculaire induit par la vasodilatation [1].

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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 6: La brûlure: une pathologie inflammatoire

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