6. Adaptation psychologique

Concepts et problématiques

D. Razavi, N. Delvaux and C. Farvacques





Adaptation à la maladie : concepts associés87


Sens donnés à la maladie : concepts associés97


Modifications corporelles : problématiques101


Qualité de vie : concepts et problématiques110


Conclusion116



INTRODUCTION


La question de l’adaptation psychologique du malade cancéreux renvoie à différentes problématiques et notions qu’il convient maintenant de discuter. Ainsi, si la maladie cancéreuse est devenue aujourd’hui une affection chronique, elle reste toutefois dans l’imaginaire associée à la mort. Ainsi, sa survenue déclenche l’activation immédiate de défenses psychologiques visant à réguler les états d’inconfort émotionnel qu’elle engendre, et à permettre au patient de se confronter à une réalité souvent difficile à vivre. La détresse émotionnelle associée au cancer dépend aussi de l’évaluation qu’il fait de sa situation et des stratégies d’adaptation que le sujet met en place pour y faire face. Le patient qui présente une affection cancéreuse interprète ce qui lui arrive. Il lui attribue une signification. Il gère son quotidien avec des croyances, des pensées magiques et des comparaisons sociales. Les affections cancéreuses ont aussi des répercussions sur la qualité de vie et sur les éléments qui la composent. Certains traitements ainsi que leurs effets secondaires pourront par exemple altérer l’image du corps, la sexualité ou la fertilité des patients.


ADAPTATION À LA MALADIE : CONCEPTS ASSOCIÉS



Concept de mort


Pour bien comprendre les réactions psychologiques des patients cancéreux adultes, il est utile de se référer à la construction du concept de mort et à l’élaboration des mécanismes de défense face à l’anxiété et l’angoisse qui y est associée. Celles-ci font l’objet de différentes théories psychologiques relatives au développement psychoaffectif de l’enfant face à la mort. Abordé sous l’angle développemental, psychogénétique ou psychanalytique, le concept de mort fait intervenir de façon interactive à la fois des éléments irrationnels et rationnels, des variables émotionnelles et cognitives. Ces interactions sont complexes et peu connues. Un consensus existe cependant sur l’acquisition progressive du concept de mort.

Ce que l’enfant pense de la mort se développe et se remanie continuellement. L’enfant acquiert dans un ordre déterminé les notions de séparation, de perte des fonctions vitales essentielles, d’irréversibilité, d’universalité et d’irrévocabilité (Childers et Wimmer, 1971; Dailly, 1981; Ferrari, 1979; Gourdon-Hanus, Hanus et coll., 1980;Lang, 1978). Les théoriciens du développement cognitif ont traité de la question du rapport de l’enfant à la mort en abordant la construction du sens de la mort. Cette construction repose sur la notion d’irréversibilité. Le sens de l’irréversibilité de la mort apparaîtrait aux alentours de 7-8 ans, quand l’intelligence selon Piaget atteint le stade des opérations concrètes (Piaget, 1963).

Lang distingue quatre phases dans le développement du concept de mort. La première phase s’étend approximativement jusqu’à l’âge de deux ans (Lang, 1978). Elle serait caractérisée par une incompréhension et une indifférence totales à la mort. Les réactions de l’enfant seraient principalement provoquées par la séparation. La deuxième phase s’étend approximativement jusqu’à l’âge de six ans. Les références sensorimotrices de l’enfant, sa notion du temps et de l’espace ne lui permettent pas encore d’établir une distinction entre la vie et la mort. La mort est définie comme un état temporaire, simultané à la vie, comparable au sommeil (Nagy, 1948). La troisième phase se prolonge jusque neuf ou dix ans. Il s’agit d’une phase de réalisme (Gartley et Bernasconi, 1967; Lang, 1978) et de personnification (Nagy, 1948). La mort porte les traits d’une personne, d’un homme-squelette ou d’un homme-mort. Les auteurs soulignent la richesse des représentations de la mort entre cinq et dix ans (Ferrari, 1979; Gourdon-Hanus, Hanus et coll., 1980; Lang, 1978). Avant huit ans, pour l’enfant, vivre signifie être en mouvement (Piaget, 1976). En effet, la différence entre mouvement propre, endogène, et mouvement reçu se perçoit vers huit ou neuf ans. Par là même, l’animé se différencie de l’inanimé. Puis, au mouvement s’associe la reconnaissance des fonctions élémentaires comme boire, dormir et plus tard, se reproduire. Parallèlement, la mort acquiert progressivement une connotation d’immobilité et d’insensibilité : la personne morte ne peut ni bouger, ni ressentir, ni parler. La mort est associée à des représentations concrètes (cadavre, squelette) et aux rituels sociaux qui l’accompagnent (cercueil, tombeau, enterrement). Zlotowicz étudiant les étapes préalables à la maîtrise de cette irréversibilité trouve comme pré-requis, la capacité d’insérer les événements de la vie dans la durée (Zlotowicz, 1974). Pour accéder à la dimension irréversible de la mort, l’enfant doit être tout d’abord capable d’appréhender le déroulement de sa vie dans des périodes successives de temps. Puis s’ajoute un autre pré-requis : la possibilité pour le jeune enfant de concevoir sa propre croissance en lien avec le vieillissement de l’adulte. L’enfant doit enfin être capable de distinguer ce qui est vivant de ce qui ne l’est pas.

La notion d’irréversibilité de la mort apparaît probablement pendant cette troisième phase. Cependant, les auteurs sont en désaccord à ce sujet (Gartley et Bernasconi, 1967; Gourdon-Hanus, Hanus et coll., 1980). Certains se demandent même si cette notion est jamais acquise. À ce propos, Ferrari rapporte une réflexion sur la fonction du fantôme dans l’acceptation par l’enfant du caractère irréversible de la mort (Ferrari, 1979). Il décrit le fantôme comme un «objet transitionnel mortel» : l’acceptation de la réalité de la mort est une tâche sans fin, qui serait facilitée par la création d’une «aire fantomatique intermédiaire». Le clivage se situe non plus entre le moi et le non-moi, mais entre le vivant et le mort, dans le sens où «le fantôme participe encore à la vie et pourtant il est déjà mort». Durant cette troisième phase, la mort est associée au meurtre et à l’agressivité. Elle engendre angoisse, anxiété et culpabilité ou alors omnipotence fantasmatique : est mortel qui on peut ou on veut tuer.

Plus tard, la mort semble s’inscrire dans l’ordre biologique en relation avec la vieillesse. Ce caractère d’inexorabilité de la mort dépendrait d’une bonne intégration de la sexualité et d’une maîtrise de l’idée de reproduction. Le caractère d’inexorabilité permet la modification du sens éthique attaché à la mort (vers sept ans selon Piaget) : de vengeance ou de punition, la mort devient un phénomène naturel, élément d’un cycle biologique. Le caractère universel de la mort s’acquiert progressivement et est favorisé par la survenue d’un décès dans l’environnement de l’enfant (Childers et Wimmer, 1971; Ferrari, 1979; Gourdon-Hanus, Hanus et coll., 1980; Lang, 1978; Raimbault et Royer, 1969).

La quatrième et dernière phase se caractérise, à partir de neuf ans, par l’enfant qui considère le plus souvent la mort comme un phénomène irréversible, irrévocable, universel et définissant la fin de la vie (Ferrari, 1979; Gartley et Bernasconi, 1967; Nagy, 1948). Au moment où il rentre dans la problématique de l’adolescence, l’enfant accède ainsi à la symbolisation de la mort, à la maîtrise de son concept et à l’angoisse existentielle. Pour certains adolescents, la vie spirituelle éternelle s’oppose alors à la destruction corporelle (Ferrari, 1979; Gartley et Bernasconi, 1967). Par ailleurs, la prise de conscience de la mort par l’enfant ne se réduit pas à un ensemble d’acquisitions cognitives se faisant indépendamment du développement émotionnel : la mort, la non-vie, le non-être font réagir affectivement l’enfant dès son plus jeune âge.

La perte des parents étant pour l’enfant une perte vitale, l’angoisse de séparation est très tôt mise en relation avec l’angoisse de mort (Maurer, 1966). L’enfant perçoit cette relation et se trouve dès le plus jeune âge dans des situations où il reconnaît l’équivalent de la mort. La mort est le néant, l’angoisse de mort est l’angoisse du non-être. Par exemple, chez le nourrisson, le passage de l’état de veille à l’état de sommeil, provoque, peut-être pour cette raison, une certaine angoisse. De même à trois mois, dans les jeux de peekaboo (coucou), le nourrisson mobilise son anxiété et s’efforce de confirmer sa conscience d’être, en perdant et en reprenant le contrôle de la disparition de l’objet et des émotions qui y sont associées (Maurer, 1966). C’est probablement autour de cette période qu’il associe de façon fantasmatique la mort à la disparition et au meurtre. Son désir de tuer se construirait secondairement à des interactions complexes entre la disparition de l’objet, la conscience du pouvoir de le faire disparaître et de l’anéantir (Lang, 1978). Selon Margat, l’acte originel qui crée le concept de mort et dont le «je» est sujet, est le meurtre (Margat, 1978). Ce désir de tuer subsisterait même s’il est dénié, refoulé ou déformé au cours du développement. L’homme serait fantasmatiquement un meurtrier. Pendant son enfance, il met à mort mère, père, frère et sœur. Cette série d’actes originels et destructeurs participe à la conceptualisation de la mort.

Très tôt également, s’élaborent des mécanismes destinés à se défendre contre les angoisses d’anéantissement et de mort (Maurer, 1966). Le déni est le système de défense le plus archaïque. Le petit enfant nie l’irréversibilité de la mort qu’il assimile au sommeil ou au voyage. Il pense qu’il est possible d’y échapper. L’enfant peut aussi déplacer son angoisse. Vers un an par exemple, l’enfant s’effraie quand l’eau du bain s’écoule. L’enfant déplace ainsi son angoisse de disparaître sur un élément de l’environnement. Vers deux ans, les phobies qui sont centrées sur le devenir des selles, petits bouts de corps qui disparaîssent, sont aussi des tentatives de maîtriser l’angoisse primitive en déplaçant l’objet de l’angoisse. Cette angoisse explique certains cas de constipation rebelle et d’opposition violente à l’apprentissage de la propreté chez l’enfant.

La projection de la mort sur l’autre est un mécanisme de défense qui apparaît vers l’âge de quatre ans. L’envie de détruire, l’agressivité et la frénésie qui les accompagnent sont proportionnelles au sentiment de danger et de menace. Ce mécanisme est illustré par les mutilations d’insectes, les jeux de cow-boys et d’indiens : en attribuant à l’autre le rôle du mort ou du meurtrier, l’enfant essaye de contrôler son angoisse tant de tuer que d’être tué (Maurer, 1966). La curiosité intellectuelle et la rationalisation apparaissent aussi vers quatre ans; elles permettent de maîtriser les angoisses et les peurs relatives à «l’inconnu». Les questions que l’enfant de cet âge pose au sujet de la naissance n’expriment pas toujours seulement une rivalité ou un malaise par rapport à un bébé qui vient de naître. L’enfant peut aussi chercher par ces questions sur l’origine de la vie à se rassurer contre l’angoisse de retourner au non-être.

Par le mécanisme de personnification, l’enfant de cinq ou six ans se représente la mort sous forme humaine. Le mécanisme est entretenu dans la pensée enfantine par la représentation de personnages menaçants, aux traits effrayants, véhiculée par l’entourage et les médias (Nagy, 1948). Vers cinq ou six ans, apparaît aussi un mécanisme de différenciation sexuelle qui modifie le vécu de la mort. Chez le garçon, la diablerie et les attitudes de casse-cou représenteraient des défis à la mort et des preuves de vitalité. En revanche, la fille se rassurerait face à l’angoisse de mort en prenant conscience de la possibilité de créer une autre vie. Plus tard, vers neuf ou dix ans, la mort est «acceptée-refusée» par le rire et l’humour. Et finalement, chez l’adolescent, la connaissance de la mort devrait être assimilée. Il pourrait alors élaborer une philosophie personnelle (Maurer, 1966). La conceptualisation de la mort comporte à la fois l’acquisition intellectuelle du sens de la mort et des concomitants émotionnels associés aux perceptions de celle-ci. Si la perception affective de la mort existe d’emblée, l’acquisition du concept de mort se fait progressivement. Cette élaboration est importante pour le développement de l’appareil cognitif et affectif. Le sens et le vécu de la mort apparaissent donc comme la conséquence d’une suite de séparations et de pertes qui organisent et font mûrir la pensée de l’adulte. La confrontation à la maladie cancéreuse entraînera aussi un développement du concept de la mort du sujet. Ainsi les malades parlent souvent de la mort et sont souvent moins effrayés par la mort elle-même que par ses circonstances. Leurs principales craintes sont relatives à la douleur physique et à la peur de manquer de dignité au moment de mourir. Ils se préoccupent aussi souvent de considérations en lien avec l’ «après-mort» (héritage, devenir des proches, «vie après la mort»…).


Défenses psychologiques



Or, il existe un stress psychologique et physiologique, secondaire au diagnostic et aux traitements des affections cancéreuses. Les défenses psychologiques, les stratégies d’adaptation permettent de réduire ce stress. C’est ce qu’illustre la figure 6-1.








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Fig. 6-1
Réduction du stress psychologique et physiologique : illustration de la complémentarité des défenses psychologiques, des stratégies d’adaptation et du soutien social.


Les mécanismes de défense sont multiples et sont d’intensité variable (faible, modérée, intense). De nombreuses classifications sont proposées. Les différents mécanismes de défense pourraient être représentés par deux ensembles se superposant en partie.

Le premier ensemble de mécanismes de défense pourrait se regrouper autour du mécanisme de dissociation; le deuxième autour de mécanisme de distorsion cognitive. La dissociation est le mécanisme qui permet au sujet de se détacher de ses émotions. L’engourdissement émotionnel (issu d’un blocage ou d’une réduction des émotions), l’absorption dans l’imaginaire (détournement de l’attention, focalisée initialement sur un facteur de stress, vers une focalisation interne ou externe moins dérangeante), la déréalisation et la dépersonnalisation (qui impliquent toutes deux une déconnexion avec certaines évidences de la réalité ou de soi), l’amnésie et la fragmentation de l’identité impliquent une dissociation.

La distorsion cognitive est un mécanisme de défense qui permet au sujet d’altérer, de modifier ou de transformer sa perception de la réalité interne ou externe pour la rendre plus supportable. Le terme de distorsion revêt ici la signification d’altération, de modification ou de transformation. Les mécanismes qui impliquent une distorsion cognitive peuvent être classés selon leur degré de maturité. Le clivage et le déni sont les mécanismes de défenses les moins matures. Le clivage consiste en une division du monde en bons et mauvais. Le déni, quant à lui, est un mécanisme niant en partie ou en totalité les aspects les plus perturbants de la réalité. Les mécanismes de défense de maturité intermédiaire, également sous-tendus par une distorsion cognitive, sont l’intellectualisation, la rationalisation, l’isolation, le refoulement, le déplacement. La distorsion cognitive permet une illusion de contrôle et évite de la sorte le réalisme dépressif, elle vise la gestion des facteurs de stress externes ou un état d’inconfort interne. Ainsi l’intellectualisation transforme certains événements en une expérience peu ou pas émotionnelle par une sur utilisation de processus conscients de pensée. La rationalisation fait de même par une attribution de sens qui rend l’expérience plus supportable. L’isolation épargne la représentation de l’expérience tout en modifiant la conscience de l’affect. Le refoulement implique le retrait ou l’expulsion d’une idée du conscient avec préservation de l’affect, atténuant ainsi la représentation consciente de la relation entre la situation et l’affect. Le déplacement permet de focaliser l’attention sur une réalité plus sécurisante.


La maladie chronique et ses traitements sont associés à des facteurs de stress. Ces facteurs provoquent des états émotionnels inexpérimentés et parfois une détresse émotionnelle qui activent et initient au niveau psychologique des manœuvres et stratégies défensives. Ces facteurs de stress peuvent potentiellement aussi réactiver des conflits inconscients anciens, consolider ou confirmer des émotions expérimentées au cours des premières années de la vie. Un trauma peut ainsi réaliser certaines menaces perçues par un sujet au cours de ses relations – précoces ou plus tardives – antérieures.

Les facteurs de stress liés à une maladie chronique et ses traitements activent donc à la fois des défenses issues de conflits anciens et des défenses issues de la gestion des conflits nouvellement expérimentés. Au travers de ces défenses, il se construit donc un nouvel équilibre entre d’une part les besoins et désirs du sujet et d’autre part les contraintes imposées par la maladie chronique et ses traitements. Ce nouvel équilibre modifie les sentiments, pensées ou comportements du sujet et peut mener ainsi, par exemple, à une distorsion dans la perception de la réalité. L’activation de nouveaux et/ou la réactivation d’anciens mécanismes de défense a de nombreuses implications au niveau clinique. Selon les mécanismes de défense mis en place, certains sujets présenteront des distorsions au niveau de la perception de la maladie et de ses traitements qui entraîneront une adaptation sub-optimale à la réalité (en cas de non adhésion au traitement par exemple). Ces distorsions permettront cependant de tolérer ou de s’accommoder aux inconforts internes et/ou aux conflits qui résultent de la confrontation à la réalité. Ces distorsions permettent donc une meilleure adaptation psychologique.

L’activation d’un mécanisme de défense peut se révéler utile pour faire face à une situation donnée. Le sujet a peut-être eu «besoin d’invention» (dans le cas d’un déni) pour s’accommoder par exemple à une réalité douloureuse dans le contexte de certaines relations précoces marquées par des agressions. Il peut ensuite répéter sa «propension à inventer une réalité» pour s’accommoder aux inconforts d’une maladie (dans le contexte d’une affection cancéreuse par exemple). Il «réinvente» donc pour échapper à une réalité qui a réactivé des vécus pénibles anciens.Ultérieurement, celui-ci peut devenir problématique s’il ne permet plus au sujet de s’adapter aux nombreuses contraintes associées aux traitements, en cas de non adhésion à un traitement par exemple.


Déni et répression


La signification d’événements menaçants peut être progressivement intégrée ou peut être déniée. Le déni est souvent un processus premier dans la rencontre avec un contexte étranger incluant un danger. Le déni est un concept important en oncologie car il permet de comprendre de nombreuses situations cliniques. Chacun, dans sa pratique, a été en effet confronté à un grand nombre de malades se différenciant par leur façon de s’adapter à la maladie cancéreuse et à ses conséquences. Les dénis se différencient tant par le fait ou la menace qui est déniée, que par leurs formes, leurs intensités, leurs fonctions et leurs conséquences à court, moyen et long termes. Les mécanismes à la base du déni sont encore très mal compris et conceptualisés. Les fonctions et conséquences du déni sont donc l’objet de controverses. Il y a probablement autant de définitions du déni que d’auteurs qui s’y sont intéressés. Le déni, pour en donner une définition généralement acceptée, est un mécanisme psychologique inconscient et donc involontaire utilisé tant face à un trauma qu’à une menace future; il tend à minimiser ou à annuler une partie ou la totalité de la réalité ou de ses significations. Le caractère passé, présent ou futur d’un événement est une division utile en oncologie car les réponses psychologiques sont très souvent déterminées à la fois par des trauma qu’il faut intégrer et par des menaces futures qu’il faut anticiper. Le déni est une négation s’exprimant au niveau émotionnel, cognitif et comportemental. Le déni est un mécanisme psychique destiné à rendre les menaces existentielles non seulement plus tolérables mais également plus simples à gérer. Il participe au processus d’adaptation et peut avoir selon les individus différentes séquences et intensités (Breznitz, 1985).

Il convient aussi de différencier différents mécanismes pouvant limiter ou annuler l’accès à une conscience d’un trauma ou d’une menace : la fragmentation de la réalité, une hypervigilance à des détails de celle-ci au détriment d’indices significatifs, et la rationalisation permettant à beaucoup de contenus terrifiants d’être assimilés, masqués par un contenant familier (Spence, 1985). La figure 6-2. illustre l’hypothèse d’un mécanisme d’arrêt cognitif décrit par Dorpat pour expliquer le déni (Dorpat, 1985). Comme on le voit, un danger est neutralisé. Le sens (de la menace, du danger) associé à une réalité se retrouve ainsi dissocié de celle-ci. Cette neutralisation a une influence sur l’importance des affects douloureux et sur la représentation mentale de l’événement vécu. Comme le schéma le montre, c’est sur la notion qu’il existe une évaluation préconsciente du danger que se base l’hypothèse de l’arrêt cognitif pour expliquer le mécanisme du déni.








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Fig. 6-2
Déni : hypothèse de l’arrêt cognitif.


Le concept de déni implique – soulignons-le à nouveau – la notion d’un mécanisme inconscient et donc involontaire. Dans les différentes théories cognitives, cette inconscience d’un mécanisme mis en place pour faire face à un trauma ou à une menace s’associe à une perception préconsciente du trauma ou de la menace. Cela expliquerait l’oscillation si fréquemment observée entre déni et intrusion. La perception d’une menace est probablement liée à des mécanismes d’élaboration et de travail de l’information déterminés par la personnalité ou l’histoire du sujet. Dans les dénis majeurs ou dans les dénis pathologiques, il est probable qu’un mécanisme d’expulsion de ce qui est perçu intervienne. Dans ces cas, la perception préconsciente du trauma ou de la menace serait évacuée. Le sujet lui-même ne pourrait en conséquence plus accéder à la représentation de cette perception et surtout au sens qui lui est lié.

Dénier doit se différencier d’ignorer : on ne peut ainsi dénier ce qui n’a été ni perçu ni connu à un moment donné. L’ignorance, cependant, est rare chez les patients cancéreux mais elle ne peut être exclue dans une phase asymptomatique et dans le cas où le malade n’a pas été informé. Dans les phases ultérieures, l’ignorance est difficile à invoquer, même dans le cas d’une absence de transmission du diagnostic ou du pronostic au malade. Ignorer alors tout ou une partie des messages porteurs de sens peut être une des manifestations possibles d’un déni. Le déni doit donc se différencier de l’ignorance, particulièrement dans le contexte médical où la réalité (du pronostic, des implications des traitements, etc.) est souvent une construction incluant à la fois des perceptions précises, des informations concernant celles-ci et des sens divers qui leur sont attribués.

La rationalisation est, pour ne citer que quelques-unes de ses facettes, un mécanisme qui, tout en reconnaissant le stimulus potentiellement générateur de danger et de détresse, lui enlève cette signification. La rationalisation peut de la même façon ne pas identifier le sens de l’affect qui accompagne la perception du stimulus; ainsi la peur peut ne pas être reconnue ou perçue uniquement comme une tension dissociée de son sens. La rationalisation vide ainsi la perception tant cognitive qu’émotionnelle de son sens. La rationalisation peut aussi se manifester par une préoccupation centrée sur certains fragments neutres d’une globalité menaçante. L’évitement doit, sinon se différencier totalement du déni, être compris comme une manifestation comportementale de celui-ci. L’évitement survient chez certains, ajoutant donc à la distance psychologique une distanciation spatiale. Il existe également différents types d’évitement : l’évitement total, l’évitement des informations malgré une persistance de la recherche de celles-ci, et l’exposition sélective aux informations les moins probantes. Ainsi, certains comportements de recherche d’informations peuvent de façon répétitive se couper de leur but principal qui en est l’obtention.


La répression se différencie du déni par une minimisation ou une annulation non pas de perceptions mais de représentations et d’affects. Le déni traite la réalité externe et la répression la réalité interne. La répression est donc un processus qui vise à l’effacement de l’affect tout en maintenant la représentation neutralisée au niveau du préconscient (Parat, 1991). Il s’agit donc d’un effort volontaire et délibéré de mise et de maintien à l’écart, qui mène à une neutralisation de l’affect. La représentation devient en conséquence beaucoup plus tolérable. Certains auteurs ont rapporté une association entre le déni et la répression : les individus utilisant la répression comme mécanisme psychologique utiliseraient également plus fréquemment le déni (Spence, 1985). Une étude expérimentale a pu valider la pertinence de ce concept (Anderson et Green, 2001; Conway, 2001). Notons à ce stade que les auteurs anglo-saxons utilisent le terme suppression, le terme «repression» étant utilisé en anglais pour signifier le refoulement.

La répression est donc un mécanisme conscient d’exclusion de certains affects qui sont sources de détresse liée à une perception plus objective de la réalité. La répression a donc comme fonction de permettre à un malade de se soustraire d’une réalité psychique douloureuse et constitue en conséquence un potentiel non négligeable dans une affection souvent chronique. Ce mécanisme se différencie du déni par son caractère conscient : «je ne souhaite pas penser à cela ou ressentir cela». La répression et le déni sont tous deux des négations : «je ne suis pas malade», «je vais très bien», elles-mêmes étant l’expression d’une neutralisation d’un sens (dans le cas du déni) ou d’un affect (dans le cas de la répression). La répression n’est pas toujours un bon régulateur émotionnel. Il s’agit probablement des cas où elle est consolidée par des interactions familiales ou sociales. Ainsi, si la répression devient un régulateur d’interactions familiales ou sociales, elle peut ne pas assurer sa fonction au niveau psychologique, le malade recherchant dans cette hypothèse une régulation d’inconforts interpersonnels liés par exemple aux besoins de certains proches. Si celle-ci se fait au détriment des besoins individuels, la répression peut donner naissance à une inquiétude et à une solitude importante.

Le déni dans un contexte d’une menace à venir ou dans celui d’un trauma mériterait également d’être différencié. Il faut ainsi rappeler que des traumas intenses ou prolongés ou des expériences limites peuvent partiellement ou totalement être oubliés. Il est également possible d’observer un «oubli de l’oubli». Cette formule rappelle que les expériences vécues, les informations reçues ou les perceptions peuvent aussi être expulsées du champ de la conscience. Les mécanismes impliqués dans ce processus diffèrent de ceux observés dans le contexte de menaces possibles ou de traumatismes non perçus.

Il est difficile et toujours très artificiel de dégager des mécanismes psychologiques de leur contexte. Ainsi, il est important de rappeler que le déni peut s’associer à une construction d’illusions et de croyances. Cette production en temps normal permet le fonctionnement quotidien : cela est particulièrement le cas dans l’exemple maintenant classique du déni de la mort. La créativité dans cette optique est une alternative bien plus active que les illusions et les croyances et peut donc également être considérée comme une capacité de se soustraire à la confrontation du réel et de ses limites. Les illusions et les croyances, par la place plus passive du sujet par rapport à celles-ci, sont plus susceptibles de mener à une distorsion de la réalité ou de céder face à la pression de la réalité.


Les menaces déniées ne sont pas toujours les mêmes : le déni de la réalité du diagnostic et du pronostic dans la première phase de la maladie peut s’associer ou laisser la place à celle des conséquences personnelles, familiales, professionnelles et sociales de l’affection. Si dans certains cas, le déni peut apparaître comme un mécanisme de défense efficace, élaboré pour se protéger d’une réalité trop douloureuse, son utilisation face à une menace peu sévère doit faire suspecter une fragilité de l’individu pour affronter d’ultérieures difficultés. Une menace peu sévère doit bien sûr s’évaluer sur la base des investissements personnels mis en cause et menacés par la maladie cancéreuse.

Une dimension sociale est également présente lorsque le déni se voit renforcé par le personnel soignant et les proches du malade, ces derniers pouvant être également incapables d’intégrer cognitivement et émotionnellement les sens associés à la situation déclenchée par la maladie cancéreuse. Cette incapacité est bien évidemment plus limitée dans le temps que celle des patients. Ceci peut expliquer le fait que ce sont souvent les personnes les moins impliquées affectivement qui se prononcent pour une information complète du malade cancéreux.

La fonction du déni est certainement très différente selon les situations. Ainsi, il peut permettre à l’individu de mesurer progressivement la gravité d’une situation tout en lui évitant d’être submergé par l’impact psychosocial de la maladie cancéreuse et de ses conséquences. Cela rendra possible des réponses adaptatives. Dans les situations générées par les affections cancéreuses, la part d’activité que le patient peut engager est souvent limitée et le déni peut en conséquence également avoir une fonction de régulation émotionnelle (Lazarus et Folkman, 1984). Le tableau 6-1 détaille les principales manifestations du déni.






Tableau 6-1 Déni : manifestations.



– Annulation de liens associatifs


– Réduction de la réactivité émotionnelle


– Momification


– Rôles stéréotypés et rigides


– Pensées confuses et dissociées de la réalité


– Attention réduite


– Trouble de la concentration


– Perte de mémoire

Dans certains cas, l’absence ou l’échec de déni peut entraîner une intrusion de perceptions réalistes ou irréalistes avec des conséquences qui échappent au contrôle du sujet. Le tableau 6-2 détaille les principales manifestations de l’intrusion.






Tableau 6-2 Intrusion : manifestations.



– Angoisses


– Ruminations et préoccupations


– Peur de perdre le contrôle


– Pensées, idées et images intrusives


– Hypervigilance


– Comportements répétés


– Cauchemars


– Saisissements


– Fausses perceptions


– Pseudo-hallucinations

Il est souvent question du déni pathologique. Définir une limite sur le continuum existant entre les dénis qualifiés d’adaptatifs et ceux décrits comme pathologiques est difficile. Si le déni adaptatif minimise la menace et le danger, le déni pathologique entraîne une véritable rupture avec la réalité. Différencier le pathologique de l’adaptatif est plus simple si l’on tient compte des comportements inadaptés accompagnant le déni pathologique : par exemple lorsque le déni par son intensité expose le malade à des dangers. Une autre différence réside dans la stabilité du processus : les dénis adaptatifs doivent permettre une résistance et une sensibilité aux influences de l’environnement permettant des jugements et des prises de décisions compatibles avec l’autoconservation (avis de l’entourage, etc.) (Janis, 1985). Les mécanismes à la base des dénis adaptatifs et pathologiques sont probablement très différents. De plus, un passage des dénis qualifiés ici d’adaptatifs aux dénis pathologiques est théoriquement possible. On doit s’interroger sur le rôle de l’expulsion dans ce contexte : il peut y avoir à la base de certaines formes de dénis majeurs, une expulsion des perceptions perçues au niveau préconscient. Il est probable aussi que l’attention du sujet ne s’est pas focalisée sur la perception en question. Il est probable que le sujet qui dénie contrairement au sujet anxieux, n’a son attention mobilisée ni par des stimuli menaçants ni par des stimuli à la signification ambiguë. Il existe ainsi probablement une sensibilité différente ayant des conséquences particulières sur le traitement de l’information : l’hypovigilance de celui qui dénie et l’hypervigilance de celui qui est anxieux mènent à des traitements de l’information très contrastés.










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Fig. 6-3
Déni : attention, perception et expulsion.


Dénier être malade, c’est devenir étranger à soi, se cliver en un soi sain et invulnérable et un autre soi qui est imparfait et destiné à la mort. Le déni est la conséquence d’un clivage réactionnel au ressenti de dépression vécu comme intolérable. Réduire ce clivage peut mener à la dépression et à un désespoir pouvant nécessiter une intervention psychologique ou psychiatrique.


Stratégies d’adaptation


La détresse psychologique dépend à la fois de l’évaluation que se fait un sujet de la situation vécue, de ses défenses psychologiques, de ses réponses – ou de ses stratégies d’adaptation – psychologiques et du soutien social. Le niveau de détresse psychologique ne dépend donc qu’en partie seulement des réponses – ou des stratégies d’adaptation – psychologiques du malade. La figure 6-4 (p. 99) illustre le rôle complémentaire des défenses psychologiques, des stratégies d’adaptation et du soutien social pour réduire entre autres le niveau de détresse psychologique. En pratique difficile à définir, le terme anglais «coping» se réfère à toutes réponses psychologiques secondaires à une exposition à un ou des facteurs de stress. Le coping est généralement catégorisé en «coping centré sur les émotions» et «coping centré sur les problèmes». Le terme d’adaptation utilisé pour traduire le concept de coping exprime mieux que le terme d’ajustement par exemple l’activité qui sous-tend les processus psychologiques mis en place pour faire face à une affection cancéreuse. Le terme d’adaptation met bien l’accent sur le fait que les processus psychologiques considérés ici peuvent être aussi issus d’intentions et de constructions.








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Fig. 6-4
Stratégies d’adaptation : facteurs influençant leurs utilisations.



Le «coping centré sur les émotions» est sous-tendu par des processus cognitifs dirigés vers une diminution de la détresse (évitement, distanciation, attention sélective, comparaisons) ou des processus cognitifs de réévaluations positives («il aurait pu m’arriver pire», par exemple). Dans certains cas, paradoxalement, les processus cognitifs peuvent accroître la détresse (autoaccusation, autopunition), ils signent alors un fonctionnement masochiste. Le sujet masochiste répète et s’auto inflige inconsciemment le plus souvent ce qu’il a subi au cours de son développement (abus, maltraitance) et réutilise les stratégies d’adaptation déjà mis en œuvre durant sa prime enfance. Le «coping centré sur les problèmes» est quant à lui sous-tendu par des processus cognitifs destinés à rechercher des solutions et à résoudre les problèmes, pouvant être ciblés soit sur l’environnement ou ciblés sur le sujet lui-même (changement de son niveau d’aspiration).

Les réponses – ou stratégies d’adaptation – à des facteurs de stress antérieurs peuvent faciliter une adaptation à un facteur de stress ou, au contraire, rendre celle-ci difficile. Elles peuvent évoluer avec le temps, sembler inadaptées dans un premier temps et adaptées dans un second temps. De plus, elles peuvent produire des effets positifs dans certains contextes et avoir des effets négatifs dans d’autres contextes. Une réponse psychologique n’est donc pas en soi positive ou négative. La diversité des réponses psychologiques permet certainement une meilleure adaptation dans des contextes complexes. Répéter au cours du temps un type de réponse peut a contrario poser des problèmes dans certaines situations nécessitant un répertoire de réponses diversifiées.

Existe-t-il un type de réponse psychologique associé à une meilleure adaptation psychologique? Les stratégies d’adaptation centrées sur la résolution des problèmes peuvent réduire la détresse psychologique dans le contexte d’un facteur de stress contrôlable, tandis que les stratégies centrées sur les émotions pourront réduire la détresse psychologique causée par un facteur de stress incontrôlable. Dans le contexte de facteurs de stress liés directement au diagnostic et au traitement d’une affection cancéreuse on peut par ailleurs observer fréquemment un développement de nouvelles stratégies d’adaptation au cours du temps. Ce développement est associé souvent à une adaptation réussie. A contrario, une disparition de stratégies d’adaptation est associée à un trouble de l’adaptation ou à un autre trouble psychopathologique.

Le fait que la détresse psychologique ne dépende que partiellement des réponses – ou stratégies d’adaptation – psychologiques d’un sujet, a favorisé l’émergence de concepts complémentaires. Ceux-ci sont nécessaires pour mieux expliquer et comprendre les diversités de l’adaptation, les mécanismes psychologiques qui la sous-tendent et, ce qui peut permettre leurs pertinences et leurs efficiences dans des contextes précis. C’est le cas de la «compétence d’adaptation » (coping competence) qui est une disposition psychologique permettant une bonne adaptation quelles que soient les réponses – ou stratégies d’adaptation – psychologiques utilisées (Schroder, 2004). La «compétence d’adaptation» est présentée comme une résistance par rapport à un style d’attribution dépressogène et à un déficit motivationnel. Derrière ce concept, il y a l’idée qu’il doit exister des dispositions psychologiques qui facilitent le recours optimal à des stratégies d’adaptation. C’est le cas du «lieu de contrôle» (locus of control) qui représente une croyance en rapport avec le contrôle que le sujet pense avoir (contrôle interne) ou ne pas avoir (contrôle externe) sur la situation vécue. C’est le cas enfin également de «l’optimisme» en tant que disposition psychologique, une disposition sous-tendue par la croyance que les choses se passeront bien. C’est le cas enfin de l’«auto-efficacité» (self efficacy) qui est la croyance selon laquelle le patient a la capacité de réaliser quelque chose ou de pouvoir surmonter un obstacle.

Le rôle du clinicien est donc d’évaluer si un sujet donné est suffisamment «équipé» pour répondre de manière adéquate à un ou des facteurs de stress. Le fait de parler avec un sujet de ses «coping» ou le fait de les évaluer mène celui-ci à considérer différemment ses réponses psychologiques. Un sujet peut ainsi penser à des alternatives de réponses. Le rôle du clinicien est, en fonction de cette évaluation, d’accroître d’une part l’efficacité des réponses utilisées par le sujet et d’élargir d’autre part le répertoire des réponses qui pourront être utiles pour s’adapter à un contexte particulier. La figure 6-4 illustre la séquence qui mène à une utilisation de stratégies d’adaptation; cette figure illustre aussi les nombreux facteurs qui peuvent influencer l’identification de potentielles stratégies d’adaptation pour faire face à un ou des facteurs de stress, l’évaluation de leur pertinence et la sélection des stratégies d’adaptation qui seront utilisées.


SENS DONNÉS À LA MALADIE : CONCEPTS ASSOCIÉS



Attributions











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Fig. 6-5
Attributions de sens.


L’attribution de causalités déterminent une série de comportements sociaux et de sentiments. Elle se fait pour la plupart des individus sur un mode linéaire (une cause entraîne un fait, alors que les relations entre le fait et la cause sont plus souvent circulaires). Ces attributions peuvent être internes ou externes, stables ou instables, globales ou spécifiques. Le mode d’attribution est important pour comprendre certaines culpabilités : («c’est à cause de moi» signe une attribution interne), de certains affects dépressifs («c’est à cause de moi, je suis incapable de fournir l’effort pour m’en sortir» signe une attribution interne incontrôlable), et de certaines colères et agressivités («c’est à cause de vous» signe une attribution externe). Le caractère stable, interne et global des attributions peut prédire des réactions dépressives importantes en cas de maladie. Le mode d’attribution peut d’autre part favoriser l’adaptation quand elle est instable, spécifique, externe et contrôlable.



Certains ont cherché à trouver dans ces attributions, un moyen de prévoir l’adaptation des patients et leur collaboration aux traitements. Ceux qui s’attribueraient la responsabilité de leur affection pourraient s’attribuer de la même façon une responsabilité dans leur guérison et dans leur survie par une meilleure adhésion aux traitements. Le pourcentage important de patients attribuant une responsabilité à leur comportement ou à leur personnalité peut d’autre part expliquer un certain nombre de demandes de psychothérapies fantasmées comme ayant des vertus thérapeutiques. Le recours aux médecines parallèles peut, quant à lui, être favorisé par des attributions externes telles que l’attribution aux régimes alimentaires d’un pouvoir curatif. L’hypothèse que plus le phénomène d’attribution est marqué, plus le délai pour la recherche de traitement s’accroît, devrait être investiguée. Un certain nombre de patients ne passent pas par une phase d’attribution. La signification et les effets de cette absence n’ont pas été étudiés.

La confrontation à la réalité de la mort génère souvent un traumatisme psychique qui s’associe très fréquemment à des sentiments d’incrédulité et d’irréalité. Ceux-ci conduisent le sujet à douter profondément de ses anciennes attitudes et convictions. Ce sont ces doutes qui le poussent à rechercher un ou des sens en rapport avec l’expérience vécue et subie. Cette recherche de sens peut être fortement investie et peut parfois devenir obsédante et compulsive. Les sens trouvés peuvent s’amplifier et favoriser l’émergence de croyances très construites. En d’autres termes, un trauma active une séquence de cognitions : perplexité incrédule, doutes significatifs, recherche de sens et construction de croyances. Pour être comprise, chacune de ces croyances doit être ainsi déconstruite tant au niveau de sa signification que de son développement temporel et de ses conséquences.


Croyances et pensées magiques


Les croyances – celles des patients bien sûr mais aussi celles de leurs proches et des professionnels de la santé – jouent un rôle important dans le déroulement du traitement des affections cancéreuses. Les croyances prédisent en effet les comportements des patients présentant une affection cancéreuse : entre autres, l’adhésion aux traitements et le recours aux médecines alternatives et complémentaires (Bogart, Bird et coll., 2004). L’adaptation psychologique est par ailleurs déterminée par les croyances. L’adaptation à la maladie et aux traitements s’étaye en effet sur des croyances relatives à la santé en général et aux traitements en particulier (Coates et Boore, 1998). Les croyances, particulièrement celles qui sont relatives à l’efficacité et à la toxicité des traitements déterminent ainsi le niveau d’espoir des patients. Rappelons enfin à ce niveau que les croyances des proches déterminent le type de soutien qu’ils offrent.

Les professionnels de la santé en général et les médecins en particulier ont aussi de nombreuses croyances (Smith, Harrison et coll., 1984). Ces croyances déterminent le type d’informations qu’ils transmettent et le type de soutien qu’ils offrent. Il existe des différences de croyances entre patients et professionnels de la santé notamment par rapport au contenu optimal de leur rencontre. Ainsi d’une part, les croyances des patients déterminent des attentes par rapport aux soins et d’autre part, les croyances des professionnels de la santé déterminent leurs façons d’interagir avec les patients. Ceci peut poser des problèmes. Les professionnels de la santé qui par exemple ne répondent pas aux préoccupations des malades renforcent parfois les croyances des malades qu’ils ne peuvent pas être aidés (Bell, Kravitz et coll., 2002). Les croyances des patients par rapport aux soins prédisent ainsi leur satisfaction par rapport à ceux-ci.

Le concept de «pensée magique» (magical thinking) a été aussi considéré pour comprendre les comportements de certains patients cancéreux. Il existe en effet, tant dans une population normale que dans une population de patients cancéreux, la croyance que certaines pensées peuvent porter chance ou influencer le cours des événements. La pensée magique se développe très tôt dans la vie. Elle se réorganise, se renforce ou s’atténue au travers d’influences culturelles, spirituelles ou religieuses. La propension à produire une pensée magique et à l’utiliser dans un contexte marqué par des incertitudes et des doutes est probablement liée à la faculté humaine de générer très rapidement des jugements par rapport aux causalités. L’émergence rapide de ces jugements s’explique par le fait que des pensées sont constamment présentes à l’esprit et qu’elles sont immédiatement activées et utilisées dans un contexte associé à des incertitudes et des doutes. Cette mise en relation, essentiellement subjective, se réalise donc bien avant l’émergence et la production d’une pensée plus logique et objective. Dans la plupart des cas, l’apparition d’une pensée magique facilite l’adaptation dans un contexte marqué par des incertitudes qui génèrent, comme on le sait, des peurs diverses, une anxiété ou une détresse. L’illusion d’une «force magique» explique cette adaptation facilitée. L’expression «fusion pensée-action» (thought-action fusion) a été proposée pour nommer autrement la pensée magique. Cette expression traduit bien l’idée selon laquelle certaines pensées ont le pouvoir de produire certains événements, comme pourraient le faire certaines actions. Cette expression témoigne d’un continuum normal pathologique traduisant les différentes intensités et les divers contenus de ces croyances (Berle et Starcevic, 2005). Une «fusion penséeaction» liée à une croyance, qui réduit la détresse, doit ainsi se différencier de celle qui est liée à des pensées obsédantes, qui induit une détresse.

Il existe bien sûr des croyances plus élaborées – très souvent culturellement construites – qui peuvent déterminer l’adaptation à la maladie. Toute discussion à propos de ces formes plus élaborées de croyances nécessite de définir brièvement les termes utilisés à leur propos (Koenig, 2004). La spiritualité, terme très général, recouvre toutes les formes de croyances – également l’absence de croyances – qu’elles soient religieuses ou non. La notion de foi, terme plus restrictif, désigne les croyances qui sont liées au religieux. La notion de sens, terme plus restrictif aussi, désigne les croyances non religieuses. La notion de fonction de la spiritualité désigne quant à elle l’utilité des croyances et les bénéfices associés.

La fonction de la spiritualité a été étudiée. Dans la plupart des études c’est la fonction de la religiosité et donc de la foi religieuse qui fut investiguée. Les résultats de ces études aux méthodologies quelquefois discutables mettent en évidence des impacts souvent positifs et parfois négatifs au niveau psychologique (Thune-Boyle, Stygall et coll., 2006). Les études réalisées indiquent que la religiosité ou la spiritualité facilitent le maintien au cours du temps d’une estime de soi, donnent du sens à ce qui est vécu et préservent ainsi l’espoir. Rappelons à ce niveau qu’une perte de sens est souvent associée à une détresse, un désespoir, une idéation suicidaire et parfois à une demande d’euthanasie. A contrario, l’attribution d’un sens à ce qui est vécu dans une épreuve peut accroître la tolérance à la douleur et à la fatigue. Rappelons enfin que la spiritualité intervient de manière déterminante en favorisant l’adaptation en fin de vie (McClain, Rosenfeld et coll., 2003). Mentionnons à ce niveau que le soutien spirituel -religieux ou non- manque fréquemment dans le contexte de la prise en charge des patients cancéreux (Balboni, Vanderwerker et coll., 2007).


Comparaison sociale


Le concept de comparaison sociale facilite l’explication de certains comportements observables en cancérologie. Ces comportements peuvent être très différents dans leur expression et dans leur moment d’apparition. Ainsi, il n’est pas rare dans la phase diagnostique, de voir des malades rechercher non seulement des informations mais également des personnes ayant vécu une expérience qu’ils considèrent comme similaire à la leur. Ces modèles, s’ils ne peuvent se retrouver au niveau du réseau relationnel, sont recherchés au niveau des médias. Rappelons aussi que les expériences anciennes de contact avec des proches malades peuvent constituer pour certains un réservoir à comparaisons.

Quelles sont les fonctions de ces comparaisons? Elles semblent participer d’une part au processus d’évaluation d’une situation complexe et d’autre part pourraient permettre le rétablissement d’un niveau d’estime de soi (Festinger, 1954). La comparaison permet non seulement une meilleure perception de la réalité de la maladie cancéreuse, mais également une évaluation par le malade de ses capacités à gérer cette nouvelle réalité. Elle permet de relativiser ses sentiments et d’éviter des dramatisations. Une restauration de l’estime de soi est favorisée par les échanges dans les comparaisons issues de la relation avec d’autres malades, probablement par des processus d’identification.

Des auteurs ont émis l’hypothèse que certaines comparaisons sociales pourraient favoriser l’adaptation. La similarité de certaines situations vécues par les malades permet la récolte de nombreuses informations et un maximum d’échanges favorisant une meilleure évaluation par le malade de la situation générale (Goethals et Darley, 1977). La comparaison à des images favorables permet par un processus d’identification de rétablir un niveau d’estime de soi (Brickman et Bulman, 1977). Cependant, d’autres études ont pu montrer que lorsque l’estime de soi est atteinte ou menacée, les comparaisons aux images favorables sont évitées en faveur de celles à des images moins heureuses (Wilson, 1971). Les malades chercheraient ainsi à minimiser la situation générée par la maladie cancéreuse et à souligner leur situation avantageuse (Taylor, Wood et coll., 1983). Cette tendance se retrouve très nettement dans un groupe de patientes présentant un cancer du sein (Wood, Taylor et coll., 1985). Si l’on pense à l’utilisation de l’identification à des images idéalisées durant les périodes de croissance (notamment chez l’enfant), le recours à des images malheureuses peut être compris comme un moyen transitoire utilisé dans un processus d’adaptation à des situations de perte. Pour décrire cette situation et les sentiments qui l’accompagnent, et pour mieux illustrer le «relatif soulagement d’être épargné» tiré par certains malades de la mort d’autres qu’ils avaient connus dans des conditions comparables à la leur, l’expression de «syndrome du Minotaure» est utilisée. Le nom de ce syndrome renvoie à la légende des enfants sacrifiés pour nourrir le monstre mi-homme, mi-taureau de la mythologie grecque, et au sentiment de soulagement bien compréhensible de certains à être les derniers à être livrés en pâture à celui-ci. En clinique, certains comportements ayant comme but la recherche de ce type de comparaison peuvent être observés. Il n’existe pas à ce propos de données quantitatives. Ces comportements paraissent importants à considérer chez des patients jeunes à des phases muettes cliniquement sur le plan somatique et se trouvant confrontés à une réadaptation socioprofessionnelle en n’ayant cependant pas pu intégrer complètement le cancer, ses conséquences, et l’atteinte de l’image et de l’estime de soi qui y est associée. Une recherche compulsive de comparaisons pourrait expliquer chez certains l’investissement dans les systèmes professionnels associés à l’aide directe ou indirecte des patients cancéreux.



MODIFICATIONS CORPORELLES : PROBLÉMATIQUES



Image du corps


Beaucoup de traitements altèrent l’image qu’ont les malades de leur corps. La notion d’image du corps doit être différenciée de celle de schéma corporel. Il existe en effet une perception du corps qui dérive de l’intégration des expériences sensorielles de celui-ci, et qui élabore, progressivement au cours du développement du système nerveux central et périphérique, un schéma corporel préconscient. Poids, taille, forme et mouvement y sont intégrés. Cependant, la notion de schéma corporel est étroitement liée à celle de l’image du corps qui implique les attitudes et les sentiments éprouvés pour le corps. Le développement de l’image du corps est étroitement influencé par l’individuation, le développement de la personnalité, les relations interpersonnelles (familiales, professionnelles et sociales) et la culture (Bruchon-Schweitzer, 1990). Ainsi, les mutilations, les défigurations, les modifications du fonctionnement corporel entraînent des changements dans les perceptions et la représentation qu’une personne a de son corps. Chaque partie corporelle a de plus une signification symbolique. Au deuil consécutif à la perte d’une partie du corps ou d’une fonction s’ajoute ainsi un changement de la perception de soi, de la satisfaction corporelle, et de l’image du corps.

Les affections cancéreuses du sein, notamment, nécessitant une mutilation entraînent d’importants problèmes psychologiques qui peuvent persister pendant des années (Hopwood et Maguire, 1988). En plus, des répercussions sur la sexualité qui seront abordées plus loin, on observe parfois des comportements d’évitement comme, par exemple, ne plus se regarder dans un miroir, se déshabiller dans le noir ou encore un évitement plus ou moins total du contact visuel avec leur cicatrice. Des patientes rapportent éviter totalement de regarder leur cicatrice ou tenter le faire. Les patientes rapportent se sentir réduites sur le plan des choix vestimentaires et ne plus pouvoir regarder de façon neutre les images attractives des magazines ou leurs amies qu’elles peuvent quelquefois jalouser. De plus, les perceptions de la région mutilée peuvent être très variables, allant d’une hypoesthésie à des hyperesthésies, voire des douleurs. Le camouflage, l’isolement social volontaire peuvent prendre quelquefois des formes extrêmes dénommées «complexe de Quasimodo» (Harris, 1982). D’une manière plus générale, les sujets jeunes n’ayant pas encore établi de lien affectif et sexuel stable se sentent diminués et évitent des rencontres et des situations qui pourraient les confronter à leur image. Ces rencontres et situations, si elles surviennent, sont associées à des difficultés diverses (honte, choix d’un partenaire stigmatisé, difficulté d’établissement de relations intimes, utilisation de désinhibants, etc.).

La perte d’une fonction comme dans le cas d’une colostomie consécutive au cancer du rectum entraîne également d’importantes séquelles psychologiques. Une étude comparant une population de patients colostomisés à un groupe de patients chez qui le sphincter anal a pu être préservé montre que la perte de la fonction anale entraîne comparativement plus de perte de l’estime de soi. Les malades se sentent sales (30 %), honteux (20 %) et constamment préoccupés par des idées relatives à leur affection (20 %) (MCDonald, 1982).

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 6. Adaptation psychologique

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