CHAPITRE 54 TRAITEMENT DES GLAUCOMES PRIMITIFS
GÉNÉRALITÉS
À toute détérioration de la structure oculaire correspond une altération de l’acuité visuelle ayant des répercussions plus ou moins graves sur le champ visuel et pouvant aboutir à une cécité.
Cette détérioration peut être la conséquence d’étiologies diverses dont la fréquence d’apparition est variable ; le facteur âge reste cependant prépondérant au moins dans trois cas :
– la dégénérescence maculaire après 75 ans et cela d’autant plus qu’elle va de pair avec l’allongement de l’espérance de vie. Elle est due à une altération ou à une destruction de la partie de l’œil responsable de la vision précise ;
– la cataracte, généralement bilatérale, conséquence d’une opacification du cristallin. C’est la première cause de baisse de l’acuité visuelle liée à l’âge et c’est aussi la seule qui soit réversible après intervention chirurgicale ;
– les glaucomes qui peuvent être de plusieurs types mais dont deux représentent 90 % de cette pathologie à savoir le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) qui s’oppose au glaucome aigu par fermeture de l’angle (GFA). Ils se caractérisent dans les deux cas par une augmentation de la pression intraoculaire (PIO). Les glaucomes secondaires (traumatiques, post-inflammatoires, iatrogènes, etc.) sont volontairement exclus de ce chapitre.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le glaucome à angle ouvert touche environ 800 000 à 1 million de personnes en France. Cette maladie est redoutable car elle ne provoque pas de douleurs ni de baisse de l’acuité visuelle du moins au début, et elle peut conduire à la cécité si elle n’est pas traitée. Un patient sur deux ne sait pas qu’il a un glaucome, et les dégâts sont irréversibles une fois constitués ; c’est pourquoi le dépistage précoce par un examen auprès d’un ophtalmologiste est capital.
Les facteurs de risque connus pour le GPAO sont les suivants :
– l’âge : la fréquence augmente après 40 ans ;
– l’origine ethnique : les personnes à peau foncée plus touchées et plus sévèrement ;
– les antécédents : le support génétique du GPAO a été démontré ;
– une PIO élevée, la myopie, le diabète, la prise de corticoïdes.
Le glaucome par fermeture de l’angle représente entre 10 et 20 % des glaucomes et ne survient que sur des globes oculaires prédisposés de par leur conformation anatomique. Le GFA est dans la majorité des cas un accident survenant chez un sujet à risque présentant une étroitesse constitutionnelle de l’angle iridocornéen due, par exemple, à une hypermétropie ou à un cristallin volumineux. L’augmentation de l’épaisseur du cristallin est normale au cours du vieillissement mais, dans le cas présent, elle va favoriser un blocage pupillaire.
PHYSIOPATHOLOGIE
Anatomopathologie du glaucome primitif à angle ouvert
Le GPAO, comme son nom l’indique, ne modifie pas l’angle iridocornéen. C’est le plus fréquent des glaucomes (60 à 70 %). Son évolution reste silencieuse et dans la plupart des cas longtemps asymptomatique. Ceci implique une volonté de dépistage systématique surtout après 40 ans.
Les signes cardinaux du GPAO sont dans l’ordre :
Il s’agit d’une affection bilatérale pour laquelle le traitement médical qui doit être maintenu à vie consiste à obtenir une normalisation du tonus oculaire car, dans le GPAO, l’hypertonie est un des signes essentiels, conséquence d’une diminution de la perméabilité du trabéculum. Il existe des facteurs aggravants conduisant :
– au GPAO pigmentaire ainsi appelé en raison d’une perte des pigments de l’iris qui viennent obturer le trabéculum ;
– au GPAO par pseudo-exfoliation, d’origine génétique, qui aboutit également au blocage du trabéculum.
Tous les traitements actuellement disponibles ne visent qu’à abaisser la PIO. Cependant, l’existence de glaucomes à pression normale explique le rôle majeur des phénomènes ischémiques dans la mort des cellules ganglionnaires rétiniennes au cours du GPAO, d’où la nécessité de maintenir la meilleure perfusion de la tête du nerf optique.
Physiopathologie de l’humeur aqueuse
L’humeur aqueuse est un liquide incolore et limpide. L’iris divise l’espace occupé par l’humeur aqueuse en deux chambres d’inégale importance :
– la chambre antérieure qui sépare l’iris de la cornée ;
– la chambre postérieure qui sépare l’iris du cristallin et de la vitrée.
L’humeur aqueuse est sécrétée au niveau des procès ciliaires, à partir des éléments du sang capables de traverser par des mécanismes actifs ou passifs la barrière hématoaqueuse représentée par les tissus de l’iris et du corps ciliaire.
L’humeur aqueuse, grâce à la PIO qu’elle engendre, permet de maintenir la forme de la chambre antérieure de l’œil. Elle est animée de mouvements incessants créant des courants de la chambre postérieure vers la chambre antérieure et des courants de convexion dans cette dernière.
L’humeur aqueuse répond ainsi aux besoins métaboliques du cristallin, du centre de la cornée et du trabéculum qui sont loin des apports vasculaires du limbe. À l’inverse, elle permet le recueil et le transport des déchets.
Chez le sujet non glaucomateux, près de 90 % de l’humeur aqueuse s’écoulent hors de l’œil au travers du filtre trabéculaire vers le canal de Schlemm et ses efférents à savoir : veines épisclérales, veines orbitaires et jugulaires. Le reste est éliminé au travers de l’iris, du corps ciliaire, de la choroïde et de la sclère.
Il existe au niveau du trabéculum et de la paroi interne du canal de Schlemm une résistance normale à l’écoulement qui est vaincue grâce à un processus de vacuolisation cellulaire entretenu par un gradient de pression hydrostatique.
Dans le GPAO, l’augmentation de la PIO due principalement à l’humeur aqueuse, bien que non obligatoire, constitue un signe de base de cette affection.
Il faut savoir que des fluctuations de cette pression peuvent exister en raison :
– de variations nycthémérales ;
– de traitements médicamenteux (diminution avec bêtablo-quants, augmentation suite à une corticothérapie locale ou générale).
Le flux sanguin oculaire participe également mais à un degré moindre à cette PIO :
– lorsque la pression augmente, le flux artériel est maintenu sauf en ce qui concerne le débit au niveau de la choroïde qui diminue ; ceci a pour conséquence une diminution de la vascularisation de la tête du nerf optique et donc une altération de la fonction visuelle ;
– l’augmentation du flux ciliaire conduit à une hausse de la pression hydrostatique entre les capillaires et le milieu intraoculaire et se traduit par une augmentation de la production d’humeur aqueuse.
L’augmentation de la PIO perturbe également la circulation uvéale veineuse avec un retentissement en amont sur la circulation artérielle du corps ciliaire.
L’on considère comme théoriquement normale une pression statistiquement de l’ordre de 15 ± 6 mmHg. Le risque de dégradation du nerf optique augmente avec l’élévation de la PIO. Si pour une valeur de 20 mmHg ce risque est de 1, il passe à 12 pour une valeur de 24-25 mmHg.
Il n’existe pas de pression normale ou pathologique mais un facteur de risque qui augmente en même temps que la PIO. Si cette pression critique est facile à déterminer chez le sujet ayant déjà une dégradation des fibres axonales, il n’en va pas de même en l’absence de lésions. On prend alors en compte d’autres facteurs de risque (antécédents familiaux, vasculaires, etc.).
Si la PIO est supérieure à 26 mmHg, il faut systématiquement traiter même en l’absence de facteur de risque ou de lésions du nerf optique.
Rôle des récepteurs adrénergiques au niveau de l’œil
Les récepteurs bêta-adrénergiques (β2) sont présents au niveau de l’épithélium des procès ciliaires, dans le muscle ciliaire et dans la rétine.
Leur stimulation entraîne une diminution de la sécrétion de l’humeur aqueuse et une augmentation de son élimination par voie uvéosclérale.
La stimulation β1 peut entraîner une vasoconstriction (corps ciliaire et rétine) néfaste dans le glaucome, d’où l’intérêt de substances sélectives des récepteurs β2.
Les récepteurs bêta-adrénergiques sont présents au niveau de l’épithélium des procès ciliaires, du trabéculum et des parois vasculaires.
Leur stimulation entraîne une augmentation de la sécrétion de l’humeur aqueuse et facilite l’écoulement trabéculaire.
Leur blocage entraîne une diminution de la sécrétion d’humeur aqueuse, propriété à l’origine de l’utilisation thérapeutique des bêtabloquants.
Physiopathologie du glaucome par fermeture de l’angle
Il s’agit d’une affection aiguë et douloureuse qui constitue une urgence ophtalmique. Le globe oculaire est dur, la cornée perd son brillant (devient « glauque ») avec larmoiement et mydriase. Ces signes s’accompagnent de photophobie et d’une diminution brutale de la vision sur un œil rouge et douloureux. Les prodromes sont décrits par les patients comme la perception de halos colorés.
L’humeur aqueuse sécrétée en permanence par les procès ciliaires ne peut s’évacuer en raison d’un accolement de l’iris sur le cristallin au niveau pupillaire. Il en résulte une accumulation de l’humeur aqueuse dans la chambre postérieure avec augmentation de la pression. Sous la poussée, il y a renflement de l’iris qui s’adosse à la cornée, ce qui explique la fermeture de l’angle iridocornéen. Dans ces conditions, l’humeur aqueuse ne peut s’évacuer par le trabéculum, celui-ci se trouvant isolé de la chambre antérieure.
Il existe des facteurs déclenchants comme le stress, l’angoisse, l’émotion, l’accommodation, l’obscurité mais ce sont surtout les médicaments capables de provoquer une mydriase qui représentent de par leur mécanisme d’action le risque majeur. Les parasympatholytiques et bêta-sympathomimétiques employés par voie générale ou locale sont dans ce cas.
Il faut donc bien avoir à l’esprit que la mention « contre-indiqué en cas de risque de glaucome » concerne le GFA et non le GPAO.
DIAGNOSTIC ET SURVEILLANCE DU GLAUCOME
Le glaucome est un problème majeur de santé publique, nécessitant un dépistage systématique de masse, en particulier dans la population de plus de 40 ans.
La surveillance d’un glaucome tout comme son dépistage repose sur trois examens clés :
Tonométrie
La pression oculaire qui règne à l’intérieur de l’œil est évaluée à l’aide d’un tonomètre. Après instillation d’une goutte de collyre anesthésique dans chaque œil, on applique sur la cornée un prisme en plastique qui permet de mesurer la PIO. La normale est comprise entre 9 et 21 mmHg, et ne dépend pas directement de la pression artérielle. Cette PIO peut varier suivant les heures de la journée et de la nuit. On peut également enregistrer cette PIO avec un tonomètre à air qui envoie un petit jet d’air sur la cornée.
La gonioscopie, réalisée après instillation d’un collyre anesthésique, consiste à appliquer sur la cornée un verre de contact de petite taille permettant d’examiner l’angle iridocornéen et de classifier le type de glaucome.
Examen de la papille optique
Il s’effectue par l’examen de fond d’œil. Il comprend l’examen de l’aspect, de la forme, de la couleur de la papille optique avec différents systèmes optiques. Cet examen peut se réaliser avec ou sans dilatation de l’iris, et des photographies de la papille peuvent même être enregistrées.
Évaluation du champ visuel
L’enregistrement du champ visuel par périmétrie permet de réaliser un bilan fonctionnel et d’adapter ainsi la stratégie thérapeutique. De même, il permet de suivre l’évolution de la maladie. L’altération du champ visuel se caractérise principalement par l’apparition de scotomes (lacune dans le champ visuel) de formes variées.
MÉDICAMENTS PRESCRITS DANS LE GLAUCOME À ANGLE OUVERT
Médicaments réduisant la sécrétion de l’humeur aqueuse (tableau 54.1)
Bêtabloquants par voie locale
Les collyres bêtabloquants se sont imposés comme un traitement pharmacologique de choix. Ils diminuent la pression oculaire chez l’homme sain ou glaucomateux en réduisant la production de l’humeur aqueuse essentiellement par deux mécanismes d’action :
– diminution de la sécrétion active des cellules de l’épithélium ciliaire en empêchant les transferts ioniques responsables du passage de l’humeur aqueuse dans la chambre postérieure ;
– diminution de la diffusion et de l’ultrafiltration passive par blocage des récepteurs adrénergiques ou constriction des vaisseaux et des capillaires ciliaires.
La baisse initiale de PIO est rapide avec un maximum d’efficacité 2 à 4 heures après instillation selon le produit et une durée d’action de 24 heures en moyenne, chaque instillation devant avoir au moins 12 heures d’efficacité.
Trois questions principales vont guider le choix de l’ophtalmologiste :
– le médicament est-il aussi efficace que le timolol, qui reste aujourd’hui le produit de rérence ?
– quelle est la tolérance locale et générale ? Du point de vue bronchique, aucun bêtabloquant ne peut dispenser de précautions d’emploi et ils sont contre-indiqués en cas d’asthme sévère ;
– quelles sont les particularités distinctives : effet ASI (activité sympathomimétique intrinsèque), anesthésique local, picotements, brûlures, bradycardie, bronchoconstriction, dyslipidémie, débit sanguin oculaire, demi-vie sérique ? La durée d’action est un facteur garant de l’efficacité du traitement afin d’éviter le caractère néfaste des pics tensionnels. À long terme, le blocage des récepteurs β entraîne leur multiplication, ce qui est une source possible d’échappement thérapeutique et de rebond à l’arrêt du traitement. Ce phénomène semble moins fréquent avec les collyres ayant un effet ASI.
Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique
Les épithéliums du corps ciliaire contiennent une forte concentration d’anhydrase carbonique. Celle-ci est à l’origine de la création d’un effet osmotique qui va entraîner un flux passif d’eau et donc d’humeur aqueuse dans la chambre postérieure. L’inhibition de l’anhydrase carbonique a pour conséquence une baisse de production de l’humeur aqueuse et donc une baisse de la PIO. Pour que cette baisse soit significative, il faut inhiber au moins 99 % de l’enzyme.
– par voie générale : acétazolamide (Diamox), de façon provisoire soit en attente d’une intervention chirurgicale, soit lorsqu’il y a contre-indication aux autres traitements ou dans le traitement de la crise du GFA ;
– par voie locale : dorzolamide (Trusopt, Dorzolamide) soit en association avec un collyre bêtabloquant (une goutte 2 fois par jour), dorzolamide-timolol (Cosopt), soit en monothérapie chez les patients ne répondant pas aux bêtabloquants ou lorsque ceux-ci sont contre-indiqués (une goutte 3 fois jour).
Agonistes alpha2-adrénergiques
La stimulation des récepteurs α2-adrénergiques présynaptiques ciliaires inhibe la libération synaptique de la noradrénaline et par là entraîne une diminution de la sécrétion ciliaire de l’humeur aqueuse. Contrairement aux bêtabloquants peu efficaces la nuit, les α2-agonistes demeurent actifs durant tout le nycthémère. Les effets indésirables sont en partie liés à leur sélectivité.
L’apraclonidine, sous forme de collyre, est indiquée dans le traitement additionnel à court terme dans le but de retarder une intervention chirurgicale ou au laser. Chez l’adulte, l’efficacité de l’apraclonidine diminuant avec le temps, le traitement sera d’un mois maximum, une goutte 3 fois par jour en association avec d’autres antiglaucomateux.
La brimomidine présente une très bonne sélectivité par rapport aux récepteurs α2 et possède un double mécanisme par réduction de la sécrétion d’humeur aqueuse et augmentation de son élimination par voie uvéo-sclérale.
Il est à noter que les sympathomimétiques directs, comme la dipivéphrine prodrogue de l’adrénaline, ne sont plus utilisés ni même commercialisés du fait de leurs effets indésirables plus marqués.

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