54: Clinique et prise en charge du psychotraumatisme chez l’enfant


Clinique et prise en charge du psychotraumatisme chez l’enfant



Le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1996) parle de traumatisme psychique pour « un événement ou des événements durant lesquels des individus ont pu trouver la mort ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de blessures graves ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée ». Le psychotraumatisme regroupe chez l’enfant des situations très variées comme la maltraitance (sexuelle, physique ou psychologique), les autres agressions (sexuelles, physiques ou autres), le harcèlement (notamment en milieu scolaire : school bullying) ou les accidents et catastrophes d’origine naturelle ou non (accidents de la voie publique ou accidents domestiques). On distingue le psychotraumatisme de type I quand l’événement est unique, limité dans le temps et le psychotraumatisme de type II, quand l’événement est prolongé ou répété (Terr, 1991).


Il existe un consensus pour reconnaître la fréquence élevée de ces événements et de leurs conséquences psychopathologiques, même s’il reste encore difficile d’établir des prévalences. La victimation touche tous les âges, même dans les premiers mois de vie (ainsi par exemple les « bébés secoués »). Les deux sexes sont concernés. Le sexe féminin reste la cible principale des abus sexuels de tous types, les agresseurs étant pour près de 90 % des hommes; dans près d’un tiers des cas, les auteurs sont du même groupe d’âge que leurs victimes. La fratrie joue aussi un rôle sous-estimé comme auteur de maltraitances.


S’il existe certaines spécificités, la clinique des conséquences psychopathologiques des différents types d’événements converge, en dépit de leur grande diversité, vers des aspects comparables où prédomine le type de l’état de stress posttraumatique, aigu ou chronique. Il a des caractéristiques développementales en fonction de l’âge des victimes [3]. Dans les formes d’événements répétés ou prolongés, on observe un aspect particulier qui est celui de l’état de stress posttraumatique complexe. Ces entités ne résument pas la clinique car le psychotraumatisme peut être responsable de la survenue de presque tous les types de troubles mentaux : troubles émotionnels, troubles du comportement, troubles des conduites alimentaires et autres addictions, à l’âge adulte troubles de personnalité… Les complications ont une particulière gravité : suicide, fugue, addictions, délinquance…


La prise en charge est dominée par le souci prédominant du dépistage précoce des situations et de la protection de l’enfant. Des traitements ont fait preuve de leur efficacité mais peu de jeunes victimes ont encore accès à des soins correctement conduits. Il s’agit avant tout de psychothérapies.


Nous présenterons successivement les particularités propres aux principaux événements, les conséquences psychopathologiques puis les principaux axes de la prise en charge des enfants.



Visages du psychotraumatisme chez l’enfant


Il existe un grand polymorphisme clinique. Les situations les plus fréquentes sont représentées par la maltraitance et le harcèlement en milieu scolaire. Certains aspects sont très actuels comme l’utilisation malveillante de téléphones portables. Le pouvoir traumatogène de l’événement est d’autant plus grand qu’il s’agit d’événements d’origine humaine plus que naturelle, intentionnel qu’accidentel, que l’auteur est connu plus qu’inconnu, proche plus que non familier. Il peut s’agir d’agressions directes avec menace personnelle ou d’être témoin d’incidents graves, comme d’un accident, d’un crime ou de violences conjugales.



Accidents


Les accidents représentent la première cause de décès entre 1 et 15 ans et touchent un enfant sur 10 annuellement. Ils persistent à une fréquence élevée. Ils sont plus fréquents chez les garçons et les enfants en bas âge (1–4 ans). Ils regroupent des aspects variés : accidents de la circulation ou accidents de la vie courante (accidents domestiques, accidents scolaires, accidents de sports et de loisirs). Ils peuvent être source de séquelles qui réduisent la qualité de vie et aggravent le risque psychotraumatique. Ils sont responsables de traumatismes de type I. Ils sont non intentionnels mais mettent en cause la surveillance par l’entourage et posent la question d’un diagnostic différentiel avec la maltraitance physique ou la négligence, notamment pour les jeunes enfants (par exemple pour les brûlures ou les chutes).



Inceste


La loi a étendu la conception de l’inceste longtemps fixée de façon restrictive à des relations sexuelles entre proches parents. L’Assemblée nationale a adopté, le 26 janvier 2010, la proposition de loi modifiée par le Sénat, visant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux. La définition adoptée affirme que « viols et agressions sexuelles sont qualifiés d’incestes lorsqu’ils sont commis au sein de la famille, sur un mineur, par un ascendant ou par toute autre personne ayant une autorité de droit ou de fait ». Un amendement gouvernemental a permis d’ajouter l’inceste entre frère et sœur et l’inceste commis par le concubin d’un membre de la famille. Les abus sexuels incestueux rentrent dans le cadre général de la maltraitance. Ils ont pour spécificité de représenter une atteinte simultanée du développement psychique et psychosexuel de l’enfant, et de son lien familial.



Maltraitance


L’ODAS (Observatoire décentralisé de l’action sociale) distingue, depuis 1993, « les enfants en risque » des « enfants maltraités » : « L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. L’enfant en risque est celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation, ou son entretien, mais qui n’est pour autant pas maltraité. Les enfants en danger comprennent l’ensemble des enfants en risque et des enfants maltraités. En 1996, on comptait en France 53 000 enfants en risque et 21 000 enfants maltraités; les violences physiques représentaient 7 500, les abus sexuels 6 500 et les négligences graves et violences psychologiques 7 000 des 21 000 enfants maltraités. D’autres données font penser à une sous-estimation de la prévalence de la maltraitance et de ses conséquences.


Les violences physiques touchent principalement les très jeunes enfants. Les traumatismes crâniens représentent la première cause de décès chez l’enfant maltraité. Les fractures du crâne, présentes chez 15 % de ces enfants, indiquent un impact direct. Mais des lésions intracrâniennes peuvent exister en l’absence de fracture. Ainsi, l’hématome sous-dural s’observe essentiellement chez l’enfant âgé de moins de 2 ans et est le plus souvent consécutif au syndrome dit « du bébé secoué », c’est-à-dire à des mouvements de translation et de rotation brutale imposés à la tête du nourrisson. La forme aiguë réalise un tableau de détresse vitale neurologique alors que la forme chronique est plus difficile à diagnostiquer (augmentation de la vitesse de croissance du périmètre crânien, troubles du comportement, troubles alimentaires à type de vomissements ou de stagnation pondérale, signes neurologiques avec malaise et/ou convulsions). Bien que plus rares, les lésions viscérales représentent la seconde cause de décès. Leur risque principal est d’évoluer à bas bruit et de ne se révéler que quelques jours après le traumatisme. L’imagerie doit donc être d’indication large, au moindre doute. L’association de lésions tégumentaires et/ou muqueuses d’âges différents est très évocatrice de mauvais traitements. Elle impose d’effectuer un examen clinique complet sur l’enfant entièrement dévêtu. La moindre contusion sur le corps d’un jeune nourrisson est toujours hautement suspecte et doit conduire à une évaluation. Les radiographies de squelette complet sont d’indication large, notamment avant l’âge de 2 ans. Après 2 ans, les clichés sont orientés en fonction de la clinique. Sont très évocatrices de violences physiques des fractures d’âges différents, une fracture ancienne négligée avec présence d’un cal hypertrophique, un arrachement métaphysaire, une fracture de l’arc postérieur d’une côte, du sternum, de l’acromion avec arrachement de l’extrémité de la clavicule, des apophyses épineuses et transverses des vertèbres, une embarrure occipitale et la fracture spiroïde d’un os long. Si le diagnostic de lésions traumatiques est aisé, le diagnostic de mauvais traitements est en revanche beaucoup plus difficile à établir. Il repose sur un faisceau d’arguments en s’appuyant notamment sur une évaluation pluridisciplinaire et sur le caractère des lésions, leur topographie, leur aspect multifocal, leur association, leur répétition (lésions d’âges différents) et leur évolution favorable au cours de l’hospitalisation; l’existence d’un retard dans le recours aux soins; l’entretien avec les parents sur les circonstances du traumatisme comporte souvent des discordances, des incohérences, voire des invraisemblances entre les lésions constatées et les explications fournies; l’aspect de l’enfant et son comportement, en sachant ne pas trop se fier aux apparences : un enfant sale et négligé peut n’être victime d’aucune brutalité alors qu’un enfant maltraité peut avoir un aspect soigné; le recueil des antécédents de l’enfant et des autres enfants de la fratrie.


Les circonstances dans lesquelles un médecin peut rencontrer un enfant ou un adolescent victime d’agressions sexuelles sont multiples. Deux scénarii sont schématiquement possibles. Dans le premier, l’agression sexuelle est le motif de la consultation. Dans le second, l’agression n’est pas verbalisée et l’enfant exprime ce qu’il a subi à travers des plaintes somatiques (douleurs abdominales, céphalées, malaise…) ou des troubles des conduites (fugue, tentative de suicide, anorexie, troubles du sommeil…) qu’il faut savoir décoder. Lorsque l’agression a comporté une pénétration sexuelle et date de moins de 72 heures, l’examen médicolégal est une urgence. En effet, dans ce délai, la recherche de sperme peut être positive et l’auteur identifié par son empreinte génétique. Néanmoins, il s’agit d’un examen dont le médecin doit s’abstenir s’il n’en a pas l’habitude en confiant la victime à une équipe spécialisée. L’hospitalisation s’impose en cas d’agression intrafamiliale, lorsque l’agresseur vit au domicile, en cas de grossesse et/ou de signes évoquant une infection génitale ou si le retentissement émotionnel sur l’enfant ou sur son entourage apparaît majeur. Les carences et négligences correspondent à la non-satisfaction des besoins physiologiques (alimentation, sommeil…) et/ou affectifs de l’enfant. Aux urgences, le tableau le plus fréquemment observé est celui d’accidents et/ou d’intoxications à répétition par défaut de surveillance. Ce type de maltraitance n’est pas l’apanage des milieux sociaux défavorisés.


Une maltraitance psychologique accompagne les violences physiques, sexuelles, ou les négligences graves. Mais elle peut être isolée, l’enfant souffrant de rejet, d’abandon, de menaces, de dévalorisation, d’injustices criantes, voire plus activement de cruauté mentale. Elle met en danger le développement affectif et social de l’enfant, l’harmonie relationnelle nécessaire à ce développement et éventuellement la structuration même de sa personnalité. Elle affecte particulièrement l’estime de soi. Elle peut compromettre sa capacité de percevoir, de sentir, de comprendre et d’exprimer des émotions. Elle est difficile à détecter, à évaluer et à prouver. De nombreux cas de violence psychologique ne sont jamais dénoncés. On sait la fréquence des violences conjugales et que des enfants en sont souvent témoins; ils en sont aussi victimes, même quand ils ne sont pas eux-mêmes frappés : contraindre un enfant à voir ou à entendre sa mère se faire agresser, c’est lui infliger une forme de violence psychologique. Le fait de grandir dans un tel environnement est fortement insécurisant et nuit gravement au développement psychologique et social de l’enfant qui peut prendre l’agresseur comme modèle de comportement ou finir par croire que la victimisation est partie intégrante de toute relation; c’est ainsi que le cycle de la violence se perpétue de génération en génération.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 54: Clinique et prise en charge du psychotraumatisme chez l’enfant

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