53: Traitement de l’état de stress posttraumatique : approches pharmacologique et psychothérapeutique


Traitement de l’état de stress posttraumatique : approches pharmacologique et psychothérapeutique



Depuis plus de 100 ans maintenant, le traitement des troubles consécutifs à une exposition psychotraumatique fait l’objet d’un grand intérêt clinique et scientifique. Le début des années 1980 et la reconnaissance nosographique de l’état de stress posttraumatique (ESPT) ont vu la construction des premières études évaluant l’efficacité de divers traitements sur la base de méthodes expérimentales et statistiques. L’ensemble des données recueillies depuis a permis l’acquisition d’une connaissance fine des stratégies thérapeutiques efficaces dans la prise en charge du trouble et ce, tant dans le champ de la psychothérapie que dans celui de la pharmacothérapie. Actuellement, les données sont suffisamment convergentes pour qu’apparaissent, si ce n’est un consensus clair, au moins des recommandations. Ce chapitre propose d’en détailler les principaux résultats.



Approche pharmacologique dans le traitement de l’ESPT



Quelle stratégie ?


La diversité des symptômes, la forte comorbidité du trouble et la complexité des interactions entre phénomènes neurobiologiques et adaptation du sujet, laisse légitimement envisager une grande hétérogénéité dans les pistes pharmacologiques du trouble (Ducrocq, 2005). En effet, les approches potentielles peuvent sembler multiples et toucher tant le système catécholaminergique que l’axe hypothalamohypophysaire ou les voies sérotoninergiques, glutamatergiques, GABAergiques ou cannabinoïdes, ensembles de systèmes impliqués dans la réponse au stress, l’adaptation à l’environnement, les phénomènes de conditionnement de la peur ou l’hyperéveil. En outre, des mécanismes de kindling ou d’hypersensibilisation sont également impliqués, notamment dans les mécanismes de mémoire émotionnelle et les symptômes de répétition traumatique, ouvrant une possibilité thérapeutique pour les agents anticonvulsivants. Cependant, et malgré cette complexité, les données de la littérature sont assez homogènes et la majorité des auteurs s’accordent pour relever une bonne efficacité d’un nombre relativement restreint de classes thérapeutiques et de molécules. De plus, depuis quelques années, les biais des premiers travaux sont évités, travaux qui ont en effet trop longtemps porté sur des populations uniques de vétérans de guerre, un peu trop exclusivement chez des hommes ou encore basés sur des reculs insuffisants ou qui ne prenaient pas en considération la comorbidité ou le retentissement global du trouble.



Quelles classes thérapeutiques ?


Plusieurs études contrôlées, randomisées en double aveugle versus placebo, ont été menées ces dernières années pour être reprises à la fois dans des conférences de consensus, des ouvrages de recommandations et une revue Cochrane. Elles ne concernent maintenant pas moins de 25 molécules issues de 14 classes thérapeutiques différentes.




Inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS) et inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa)


Les antidépresseurs sérotoninergiques possèdent une activité théorique dans la modulation de la réponse au stress, l’impulsivité, les intrusions et plus largement la régulation de l’anxiété; ils ciblent donc principalement la réponse émotionnelle (Steckler, 2012). Associés au fait qu’ils ont fait l’objet de nombreux travaux concluant à leur efficacité, leur tolérance et leur sécurité d’emploi, ils représentent actuellement la classe de première intention dans la pharmacologie de l’ESPT constitué (Ballenger et coll., 2004; Schoenfeld, 2004) bien que la poursuite de travaux semble encore nécessaire à certains (Benedek, 2009 ; Ursano, 2004). Si ces molécules se sont initialement avérées efficaces tant la réduction symptomatique du trouble que la prévention de la rechute, la réponse au traitement serait finalement plutôt modeste, les bons répondeurs ne représentant en moyenne que 60 à 70 % des sujets traités quand seuls 30 à 40 % verraient une guérison totale du trouble. (Stein, 2002).


La fluoxétine a été la première molécule étudiée mais actuellement nous ne disposons d’indications officielles que pour la sertraline (États-Unis) et la paroxétine (États-Unis et Europe). La venlafaxine et la mirtazapine se sont avérées représenter des pistes thérapeutiques intéressantes, sans que la littérature puisse cependant hiérarchiser l’intérêt de l’une ou de l’autre de ces molécules, faisant évoquer la possibilité d’un véritable effet commun lié à la classe elle-même.




Anticonvulsivants


Par leur effet antikindling, la classe des anticonvulsivants semble représenter une alternative de choix (Berlin, 2007). Il s’agit en revanche d’un groupe très hétérogène dont les mécanismes d’action demeurent à l’heure actuelle encore complexes et pas toujours précisément compris. Si l’utilisation de la carbamazépine ou du gabapentin, seuls ou en association à des ISRS, a été considérée comme efficace sur des travaux ouverts, les inhibiteurs glutamatergiques lamotrigine et topiramate ont fait l’objet de travaux à peine plus robustes chez l’homme (Hertzberg, 1999 ; Sitges, 2007). Si les anticonvulsivants ont longtemps été considérés comme très prometteurs, les travaux les plus récents tendent à modérer cet impact (Ravindran, 2010).




Synthèse


En toute cohérence avec l’avis du National Institute of Clinical Excellence (NICE, 2005), ainsi que de plusieurs recommandations internationales, un consensus franc se dégage actuellement, comme l’attestent les travaux d’Ipser et Stein dans la revue Cochrane de 2006, réactualisée par une méta-analyse en 2011 (Ipser, 2011 ; Stein, 2006). Sur plus de 517 études admissibles, 37 études contrôlées de 4 à 24 semaines pour un total cumulé de 5 008 patients sont retenues dans le cahier des charges pour une analyse finale qui confirme l’intérêt des antidépresseurs sérotoninergiques spécifiques (ISRS) en première ligne dans le traitement de l’ESPT constitué, voire chronicisé. L’intérêt des ISRS paroxétine, sertraline et fluoxétine est confirmé. Le citalopram, la mirtazapine ainsi que les anticonvulsivants ont été jugés efficaces, mais nécessitent la poursuite des travaux quand, au sein des antipsychotiques, la rispéridone semble présenter un intérêt spécifique en deuxième intention (Padala, 2006). Face à l’ESPT constitué, nous soutenons donc la nécessité de poursuivre le traitement par ISRS à pleine posologie pendant au moins un an, tout en rappelant les consignes de grande vigilance clinique durant les deux premiers mois qui suivent un arrêt, lequel doit demeurer prudent et progressif afin d’éviter les rechutes (Stein, 2009).



Approche psychothérapeutique dans le traitement de l’ESPT


Depuis le début des années 2000, de nombreux ouvrages de recommandations sont parus parmi lesquels se trouvent ceux publiés en 2000 (Foa, Keane et Friedman, 2000) et en 2009 (Foa, Keane, Friedman et Cohen, 2009) par l’International Society for Traumatic Stress Studies (ISTTS). Les données présentées ici sont en grande partie issues de ces deux publications.



Modalités d’élaboration des recommandations publiées par l’ISTSS


Les recommandations publiées par l’ISTSS abordent de manière spécifique le traitement de l’ESPT tel que le trouble est défini par le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) pour la première version et par le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2000) pour la version révisée. Les traitements sur lesquels elles portent intègrent non seulement des thérapies dont l’efficacité est reconnue à partir d’études cliniques contrôlées et randomisées mais également d’autres qui, sans avoir nécessairement fait l’objet d’études empiriques, sont utilisés de longue date auprès de personnes souffrant d’ESPT.


Chaque ouvrage est scindé en deux grandes parties. La première d’entre elles est composée de différents chapitres dont chacun est consacré à une revue de littérature adossée à une méta-analyse portant sur un traitement particulier et intégrant des études cliniques triées selon leur degré de rigueur méthodologique, lui-même défini à partir du nombre de critères parmi les sept gold standards définis par Foa et Meadows (1997) qui sont respectés. L’efficacité des traitements, quant à elle, est calculée à partir d’une taille d’effet. Dans ce cadre, une seule et unique méthode statistique est retenue pour l’ensemble des méta-analyses qui repose sur le calcul du coefficient g de Hedges (coefficient de la même famille que le d de Cohen). La deuxième partie des ouvrages, quant à elle, s’articule autour de recommandations pour chaque approche thérapeutique. Chacune d’entre elles se voit attribuer une note qui dépend de la force des preuves scientifiques dont elle bénéficie au regard de son efficacité. Le système de notation, pour sa part, est adapté d’un système de codage standardisé établi par l’Agency for Health Care Policy and Research, allant de A, la meilleure note à F, la plus mauvaise.




Les TCC


Au total, sept programmes de TCC ont été considérés dans la revue de littérature mais seuls quatre d’entre eux ont reçu la note A et sont ainsi retenus par l’ISTSS comme traitements efficaces. Il s’agit de la thérapie par exposition prolongée (Foa, Hembree, et Rothbaum, 2007, pour le manuel le plus récent), de la thérapie du traitement cognitif (Resick et Schnicke, 1992), de l’entraînement à l’inoculation du stress (Kilpatrick, Veronen et Resick, 1982) et de la thérapie cognitive (Ehlers et al., 2003, 2005). Ces programmes sont identifiés dans la littérature comme les TCC centrées sur le trauma et comportent tous des éléments d’exposition aux souvenirs traumatiques et/ou aux indices évocateurs du traumatisme. Ils sont reconnus comme traitements de première intention dans la prise en charge de l’ESPT. Parmi eux, c’est la thérapie par exposition qui bénéficie de plus grand nombre d’études cliniques démontrant son efficacité et qui est ainsi identifiée comme traitement privilégié.


En ce qui concerne la thérapie par exposition, 22 études contrôlées randomisées, classées de niveau A et huit non randomisées, classées de niveau B, ont été recensées. Toutes démontrent l’efficacité de ce type de protocole de soins lorsqu’il est appliqué en individuel. Une analyse plus fine des données révèle que l’efficacité la plus grande est obtenue par l’association d’un protocole d’exposition en imagination aux souvenirs traumatiques et d’un autre d’exposition in vivo aux indices évocateurs du traumatisme. Dans ce cadre, le protocole le plus étudié, soit dans sa forme originale soit dans une forme dérivée, est l’exposition prolongée développée par Foa et son équipe (Foa et al., 2007). Celui-ci repose sur neuf séances de 90 minutes hebdomadaires ou bihebdomadaires. Il est organisé de telle façon que les deux premières séances sont consacrées à la psychoéducation du patient et les sept autres à la conduite de l’exposition en imagination et à la préparation de l’exposition in vivo. Un travail à la maison est également demandé, qui combine des exercices d’exposition en imagination avec des exercices d’exposition in vivo. Cinq études se sont intéressées à ce protocole (Foa et al., 1991; 1999; 2005). Toutes respectent les sept gold standards et sont ainsi classées de niveau A. Leurs résultats montrent que, comparativement aux conditions de contrôle sans traitement actif, l’exposition prolongée est associée à une réduction significative des symptômes du trouble. Ces gains thérapeutiques se maintiennent lors de la période de suivi qui s’étale, selon les études, de 3 à 12 mois. Par contre, aucune différence significative n’est véritablement retrouvée entre l’exposition prolongée et d’autres traitements actifs (entraînement à l’inoculation du stress, combinaison « exposition prolongée +  entraînement à l’inoculation du stress », combinaison « exposition prolongée  +  thérapie cognitive », EMDR) sur l’amélioration du trouble. Toutefois, cette absence de différence ne tient plus dès lors que l’on s’intéresse à d’autres dimensions comme l’anxiété ou la qualité de l’ajustement social. Par ailleurs, les traitements auxquels l’exposition prolongée est comparée sont soit eux-mêmes reconnus pour leur efficacité soit intègrent l’exposition prolongée au sein d’un traitement combiné.


La thérapie du traitement cognitif, bien qu’intégrant une composante d’exposition, est pour l’essentiel une thérapie cognitive de groupe centrée sur les croyances mises à mal par la confrontation traumatique. Ce protocole a été développé par Resick et Schnicke (1992) et cible le traitement d’un ESPT consécutif à un viol. Il s’organise en 12 séances collectives hebdomadaires de 90 minutes chacune. Il a été adapté en 2005 au soin de femmes victimes d’abus sexuels dans l’enfance pour devenir un programme en 17 séances mêlant des moments de prise en charge individuels et collectifs (Chard, 2005). Cinq études se sont intéressées à son efficacité. Trois d’entre elles sont classées de niveau A (Chard, 2005; Monson et al., 2006; Resick et al., 2002), une est classée de niveau B (Resick et al., 2008) et la dernière est classée de niveau C (Schultz et al.; 2006). Les résultats de ces cinq études concluent, comparativement à une liste d’attente, à l’efficacité de la thérapie du traitement cognitif. Les gains thérapeutiques obtenus se maintiennent durant la période de suivi qui s’étale de trois à neuf mois selon les études. Toutefois, lorsque le protocole est comparé à un autre traitement actif (exposition prolongée, entraînement à l’inoculation du stress), aucune différence statistiquement significative n’apparaît.


L’entraînement à l’inoculation du stress a été adapté à la prise en charge de femmes violées par Kilpatrick, Veronen et Resick en 1982. Sous ce dernier format, le programme inclut 20 heures de traitement qui se décomposent en séances de psychoéducation, d’entraînement à la relaxation musculaire, de contrôle respiratoire, de jeux de rôle, de modelage, d’apprentissage d’autoadministration de consignes, d’exposition in vivo graduelle et d’entraînement au « stop-pensées ». Quatre études se sont intéressées à son efficacité en administration individuelle (Foa et al., 1991, 1999; Kilpatrick et al., 1982; Resick et al., 1988). Cependant, parmi elles, seules les deux études les plus récentes sont classées de niveau A. Leurs résultats démontrent que, comparativement à une liste d’attente, neuf séances de 90 minutes chacune d’entraînement à l’inoculation du stress permettent une réduction significative de la symptomatologie de l’ESPT. Les gains thérapeutiques obtenus se maintiennent durant le suivi d’1 an qui s’ensuit. L’entraînement à l’inoculation du stress reçoit ainsi la note A comme traitement des traumatismes liés aux violences sexuelles, que ces violences surviennent à l’âge adulte ou dans l’enfance.


La thérapie cognitive est le protocole le plus récent. Il a été formalisé par Ehlers et son équipe (Ehlers et al., 2003, 2005). Il s’articule autour de deux phases. La première d’entre elles repose sur quatre à 20 séances hebdomadaires d’une durée, pour la première séance, de 90 minutes et de 60 minutes pour les suivantes. Outre des exercices de thérapie cognitive centrés pour l’essentiel sur les notions de danger/sécurité, de compétence/incompétence personnelle, d’image de soi et de confiance en l’autre, elle intègre également des exercices d’exposition en imagination et in vivo. À l’issue de cette phase, les patients bénéficient de deux à trois séances mensuelles de consolidation de 60 minutes chacune. Au total, cinq études se sont intéressées à l’efficacité du protocole développé par Ehlers et son équipe : trois contrôlées et randomisées (Duffy et al., 2007; Ehlers et al., 2003; 2005) et deux non randomisées (Ehlers et al., 2005; Gillepsie, Duffy, Hackmann, & Clark, 2002). Parmi toutes ces études, seules les études d’Ehlers et al. (2003) et la deuxième d’Ehlers et al. publiée dans l’article de 2005 respectent les sept gold standards. Malgré ces faiblesses méthodologiques, l’ensemble des études retrouve, comparativement à des conditions de contrôle basées sur une liste d’attente ou sur un guide « pour s’aider soi-même », une efficacité de la thérapie cognitive. Lorsqu’elle est comparée à un traitement actif comme la thérapie d’exposition (Resick et al., 2008), elle s’avère d’une efficacité comparable. De plus, le maintien des gains thérapeutiques est meilleur à long terme (5 ans) pour la thérapie cognitive que pour celle d’exposition (Tarrier, Sommerfield, 2004). Enfin, les études s’intéressant au protocole développé par Ehlers et ses collègues enregistrent un faible nombre de dropouts (abandons).

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 53: Traitement de l’état de stress posttraumatique : approches pharmacologique et psychothérapeutique

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