CHAPITRE 53 TRAITEMENT DE LA DÉGÉNÉRESCENCE MACULAIRE LIÉE À L’ÂGE
ÉPIDÉMIOLOGIE
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est une maladie dégénérative rétinienne invalidante, d’évolution chronique, qui débute après l’âge de 50 ans [1, 2].
Il s’agit de la première cause de malvoyance après 50 ans dans les pays industrialisés [3], l’acuité visuelle devenant inférieure à 1/10e en 1 à 10 ans. Selon l’étude EUREYE, la prévalence de la DMLA dans la population âgée au-delà de 65 ans est de 3,3 % toute forme confondue, dont deux tiers de formes dites exsudatives et un tiers de formes atrophiques [4].
D’après ces estimations, 608 000 patients seraient atteints de DMLA en France métropolitaine. En utilisant les projections de l’Insee pour la population française et en l’absence de modifications notables des taux de prévalence, il est possible d’estimer que le nombre de cas de DMLA va augmenter de 50 % d’ici 20 ans et doubler d’ici trente ans, atteignant plus de 1,2 millions de cas, principalement en raison de la forte augmentation prévue du nombre de personnes de plus de 80 ans [5].
À partir d’un modèle de Markov spécifiquement développé afin de tenir compte de la mortalité, de la durée de traitement, de l’âge moyen du diagnostic et de la probabilité de l’apparition d’une DMLA dans le second œil, une étude a estimé l’incidence annuelle du nombre d’yeux atteints de DMLA traitables en France, pour une DMLA exsudative rétrofovéolaire entre 37 000 et 39 000, le modèle prévoyant une augmentation de 2 % par an jusqu’en 2025 [6].
La DMLA est une pathologie complexe dans la mesure où outre l’âge, il existe de nombreux facteurs de risque associés à une augmentation de son incidence [3], qu’il s’agisse de facteurs comportementaux (principalement tabagisme) ou de facteurs génétiques (mutation de gènes prédisposants tels que le complement factor H gene ou le locus 10q26) [7].
GÉNÉRALITÉS
Anatomie de l’œil humain
Les tuniques
La tunique la plus interne est la rétine, composée de deux couches :
– la couche pigmentaire (externe) empêche la lumière de diffuser dans l’œil ;
– la couche interne est une structure nerveuse, composée de nombreux photorécepteurs (cônes et bâtonnets) et de cellules traitant et acheminant l’information visuelle vers le cerveau.
La rétine se prolonge par le nerf optique. Dans l’axe optique de l’œil, se trouve une partie colorée de teinte jaunâtre : il s’agit de la macula ou tache jaune occupée en son centre par une petite dépression, la fovéa. C’est à l’emplacement de la fovéa que la densité de photorécepteurs est la plus importante, les rayons lumineux y parvenant directement avec le moins d’interférences.
Les structures liquidiennes
Le cristallin et son ligament suspenseur divisent le globe oculaire en deux segments. Le segment antérieur est remplie d’un liquide, l’humeur aqueuse, qui est continuellement renouvelée. Le segment postérieur est rempli d’une substance gélatineuse transparente, le corps vitré, ou humeur vitré. Le corps vitré contribue à la pression intra-oculaire (figure 53.1).
Acuité visuelle et évaluation
L’évaluation de l’acuité visuelle se fait classiquement de deux manières :
– mesure de l’acuité visuelle de loin : une échelle de lecture est placée à cinq mètres du patient, l’acuité étant chiffrée en 10es : l’échelle la plus utilisée est l’échelle de Monoyer utilisant des lettres de taille décroissante permettant de chiffrer l’acuité visuelle de 1/10e à 10/10es ;
– mesure de l’acuité visuelle de près : une échelle de lecture comportant des caractères d’imprimerie de tailles différentes, est placée à 33 cm du patient ; l’échelle la plus utilisée est l’échelle de Parinaud, qui est constituée d’un texte dont les paragraphes sont écrits avec des caractères de taille décroissante ; l’acuité visuelle de près est ainsi chiffrée de Parinaud 14 (P 14) à Parinaud 1,5 (P 1,5), la vision de près normale correspondant à P2.
PHYSIOPATHOLOGIE
Les modifications observées sont des altérations de l’épithélium rétinien pigmentaire (zones d’hyperpigmentation et d’hypopigmentation), l’apparition de drusens (agrégat de lipides et de protéines au niveau de l’épithélium rétinien pigmentaire) et de néovaisseaux choroïdiens [1, 2].
Il existe deux formes de DMLA.
Forme exsudative (ou néovasculaire ou humide)
Ces manifestations peuvent conduire à :
– une dégénérescence et à une fibrose au niveau des photorécepteurs entraînant une perte cellulaire ;
– des décollements et déchirures de la rétine, des hémorragies rétiniennes ou sous-rétiniennes sont possibles ;
La néovascularisation choroïdienne est due à un phénomène d’angiogenèse impliquant fortement le facteur de croissance vasculaire endothélial ou Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) [8]. Le VEGF est hautement sélectif pour les cellules endothéliales vasculaires, et induit l’angiogenèse en stimulant leur mitose. Le rôle du VEGF-A dans les maladies néovasculaires oculaires est à présent établi [9] : une fois secrété par l’épithélium pigmentaire rétinien, le VEGF-A est présent en grandes quantités dans les tissus excisés de patients présentant une DMLA et est surexprimé dans l’épithélium pigmentaire rétinien des yeux de patients atteints de DMLA [10].
Classification de la DMLA
Selon une récente étude française portant sur la localisation et le type de DMLA exsudative nouvellement diagnostiqués par angiographie, 81 % des cas avaient une localisation rétrofovéolaire, 57 % étaient de type occulte, et 45 % étaient à la fois de type occulte et de localisation rétrofovéolaire [11].
ASPECTS CLINIQUE ET SÉMÉIOLOGIQUE
La DMLA exsudative se manifeste de plusieurs manières [1, 2].
Il existe des signes fonctionnels :
– comprenant en premier lieu gêne visuelle puis apparition de signes fonctionnels tels que : jaunissement des couleurs, retard à l’adaptation à l’obscurité, altération de la vision de lecture, besoin de davantage de lumière pour la lecture, retard à la récupération visuelle après éblouissement ;
– une baisse de l’acuité visuelle centrale (de près et de loin) avec conservation de la vision périphérique, l’apparition de métamorphopsies (lignes droites qui apparaissent comme courbes ou ondulées) et enfin l’apparition d’un scotome, la vision centrale devenant floue et déformée puis évoluant vers une tache noire centrale.
Les patients ressentent alors une baisse de l’acuité visuelle. À un stade terminal, en raison de l’étendue des lésions épithéliales, un scotome central est constitué et entraîne une baisse très importante de l’acuité visuelle [1, 2].
CLASSIFICATION DES MÉDICAMENTS UTILISABLES ET MÉCANISME D’ACTION
Lucentis (ranibuzumab)
Le ranibizumab est un fragment d’anticorps monoclonal humanisé recombinant dirigé contre le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire humain de type A (VEGF-A). Il se lie avec une haute affinité aux isoformes du VEGF-A (par exemple VEGF110, VEGF121 et VEGF165), empêchant dès lors la liaison du VEGF-A à ses récepteurs VEGFR-1 et VEGFR-2. La liaison du VEGF-A à ses récepteurs induit une prolifération des cellules endothéliales et une néovascularisation ainsi qu’une perméabilité vasculaire, tous ces facteurs étant considérés comme contribuant à la progression de la forme néovasculaire de la dégénérescence maculaire liée à l’âge.
Kenacort (triamcinolone)
La triamcinolone est un agent corticoïde parfois utilisé hors AMM dans le traitement de la DMLA. Son utilisation en injection intravitréenne, vise à diminuer les facteurs inflammatoires impliqués dans la DMLA et aurait par ailleurs un rôle anti-angiogénique et anti-fibrotique [12].
La liste des spécialités pharmaceutiques utilisables dans le traitement de la DMLA figure dans le tableau 53.1.
RELATION STRUCTURE – ACTIVITÉ
Il est intéressant de noter la grande similarité entre bevacizumab et ranibizumab [12] puisque ces deux anticorps sont produits à partir du même anticorps murin anti-VEGF A.4.6.1 de poids moléculaire 150 kD. Le bevacizumab est la forme humanisée de cet anticorps murin et possède un poids moléculaire d’environ 149 kD alors que le deuxième correspond au fragment actif (Fab) et humanisé de l’anticorps murin. Le poids moléculaire du ranibizumab est donc plus faible (48 kD). Le rationnel du développement du ranibizumab était qu’un anticorps monoclonal entier aurait une moins bonne pénétration dans la rétine après injection intra-vitréenne contrairement à un fragment Fab de plus petite taille.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
Il n’existe pas à ce jour de recommandation de pratique récente de la Haute Autorité de Santé portant sur la prise en charge de la DMLA. Un travail d’élaboration de ces recommandations est cependant en cours [1, 2]. Sur le plan européen, les seules recommandations récentes émanent du Royal College of Ophtalmologists (2009).
Dégénérescence maculaire liée à l’âge exsudative
Référentiels scientifiques
Visudyne (verteporfine)
Ce médicament a été principalement étudié au cours de deux études randomisées multicentriques, en double aveugle, avec contrôle placebo [13].
Sur le critère principal d’efficacité (proportion de patients perdant, au 12e mois, moins de 15 lettres (équivalent à 3 lignes) d’acuité visuelle par rapport à la vision de départ), ce médicament était statistiquement supérieur au placebo en terme de taux de patients répondant au traitement (61 % de répondeurs sous vertéporfine versus 46 % sous placebo, p < 0,001).
Macugen (pégaptanib)
Ce médicament a été le premier anti-angiogénique à obtenir une autorisation de mise sur le marché. Celle-ci s’est basée sur 2 études randomisées versus injections simulées en double insu ayant montré après 54 semaines que la proportion de patients ayant perdu moins de 15 lettres d’acuité visuelle a été plus importante dans le groupe traité par pégaptanib 0,3 mg par rapport à des injections simulées (70 % vs 55 %), cette différence étant statistiquement significative que bien pouvant être considéré comme cliniquement modeste [14].
Lucentis (ranibizumab)
L’efficacité et la tolérance du ranibizumab dans le traitement de la DMLA ont été montrées dans 3 études de phase III. Dans l’étude MARINA (DMLA avec néovascularisation rétrofovéolaire occulte ou visible minoritaire), le pourcentage de patients ayant perdu moins de 15 lettres d’acuité visuelle (environ 3 lignes) a été de 94,6 % avec le ranibizumab versus 62,2 % pour des procédures d’injections simulées, cette différence significative s’étant maintenue jusqu’à 24 mois [15]. Sur ce même critère, le ranibizumab a été supérieur à la verteporfine dans l’étude ANCHOR (DMLA avec néovascularisation rétrofovéolaire occulte ou visible majoritaire) avec des pourcentages de 96,4 % et 64,3 % respectivement [16]. Enfin, l’étude PIER, qui concernait des DMLA exsudatives rétrofovéolaires des trois types, a rapporté à 12 mois une perte en nombre de lettres de mesure d’acuité visuelle significativement plus faible avec le ranibizumab 0,5 mg (-0,2 lettre) qu’avec les injections simulées (-16,3 lettres) [17], ce bénéfice ayant été maintenu à 24 mois [18].