Chapitre 5 Les conflits de la cheville
Les conflits de la cheville ne sont pas rares et doivent être reconnus. Ils peuvent être dus à des microtraumatismes répétés lors d’hypersollicitation sportive (football, danse…). Le conflit antérolatéral est plus volontiers à la source de douleurs chroniques séquellaires après une entorse de la cheville. Nous aborderons les conflits les plus fréquents : antérolatéral, antérieur et postérieur.
1 Conflit postérieur de la cheville
Introduction
Il existe en fait trois entités regroupées sous le terme de « syndromes de conflit postérieur » (« posterior impingement syndromes »)[1] :
Le conflit postérieur de cheville («posterior ankle impingement ») revêt plusieurs terminologies équivalentes telles que « syndrome du carrefour postérieur », « syndrome de l’os trigone », « syndrome de compression du talus »[2].
Souvent décrit comme un « casse-noisettes », il fait partie des conflits dus à un mécanisme de compression et percussion [3]. La compression des éléments osseux et des parties molles de la région postérieure de la cheville se fait entre la malléole tibiale postérieure et le calcanéus lors des mouvements de flexion plantaire de la cheville.
Clinique
Circonstance de survenue
Le conflit postérieur est typiquement une pathologie chronique, microtraumatique. Les sports les plus concernés sont ceux exagérant la flexion plantaire avec, en premier lieu, la danse classique (montée sur pointes). On retrouve également d’autres sports tels que le football (shoot du versant dorsal du tarse), le basketball, le volley-ball et le saut en longueur (réception en flexion plantaire forcée), le patinage artistique [1,4,5].
Le conflit postérieur peut également survenir après un traumatisme aigu, notamment chez les danseurs de ballet et les footballeurs [5]. La symptomatologie apparaît 4 à 6 semaines après le traumatisme. Ce délai de survenue des symptômes est expliqué par le fait que les douleurs sont plutôt causées par les phénomènes de réparation inflammatoires post-traumatiques que par le traumatisme lui-même [1].
Examen clinique
Le diagnostic de conflit postérieur est tout d’abord évoqué à l’interrogatoire. Le patient se plaint de douleurs postérieures de cheville exacerbées par la flexion plantaire.
Anatomie et facteurs favorisants
Les variantes morphologiques favorisantes doivent être recherchées.
Composante osseuse
Talus
Le tubercule postérieur est formé de deux parties, l’une médiale et l’autre latérale, formant une gouttière, dans laquelle chemine le tendon du LFH (fig. 5-1).
Le tubercule postérolatéral est de morphologie et de taille variables. Il est le site d’insertion du ligament talofibulaire postérieur [6]. Lorsqu’il est hypertrophié, ce tubercule postérolatéral prend le nom de processus de Stieda (fig. 5-2).
Le tubercule postéromédial est plus court et donne son insertion au ligament deltoïde [1,2,6].
Os trigone
Un centre d’ossification secondaire se forme à la partie postérieure du talus, entre 11 et 13 ans chez le garçon et entre 8 et 10 ans chez la fille [7]. Cet ossicule se développe à partir d’une extension cartilagineuse du versant postérieur du talus. Normalement, ce noyau d’ossification va fusionner avec le talus au cours de la première année après son apparition. Mais, chez 8 à 13 % de la population, l’ossicule reste séparé et sera alors appelé « os trigone ». Chez 1,4 % de la population, il est bilatéral.
Cet ossicule est un os accessoire, composé d’une partie corticale périphérique et d’un centre spongieux. Il forme avec le tubercule postérolatéral du talus une articulation de type synchondrose [2,8].
Habituellement, cet os trigone comporte trois faces : une antérieure, en rapport avec le tubercule postérolatéral du talus, une inférieure, pouvant s’articuler avec la face supérieure du calcanéus, et une postérieure, sans rapport articulaire (fig. 5-3). Il est le plus souvent unique et mesure moins de 1 cm de grand axe. Il peut également être bipartite ou multipartite [9]. Le tendon du LFH chemine médialement par rapport à lui.
Malléole tibiale postérieure
Elle est dite proéminente si elle dépasse de plus de 5 mm la ligne parallèle à l’épiphyse tibiale passant par la marge tibiale antérieure [10].
Parties molles
Les tissus mous comprimés peuvent être la capsule articulaire tibiotalienne et sous-talienne postérieure, les ligaments talofibulaire postérieur, intermalléolaire postérieur et tibiofibulaire postéro-inférieur, le tendon du LFH et sa gaine [5].
Ligaments
Trois ligaments jouent un rôle dans le conflit postérieur.
Ligament tibiofibulaire postéro-inférieur
Il fait partie de la syndesmose tibiofibulaire inférieure et est le plus proximal des trois ligaments. Il s’insère sur le bord inférolatéral de la malléole tibiale postérieure et sur le bord postérieur de la fibula [1] (fig. 5-4).
Ligament intermalléolaire postérieur ou « marsupial meniscus» [11,12]
Il est retrouvé dans 20 à 30 % de la population, mais est probablement sous-estimé. Il peut être bilatéral dans 20 % des cas. Dans une étude cadavérique [13], ce ligament existait chez 59 % de la population générale, mais n’était visualisé en imagerie par résonance magnétique (IRM) que dans 19 % des cas.
Il s’insère sur la marge supérieure de la fosse malléolaire fibulaire, puis a un trajet oblique, situé entre le ligament tibiofibulaire postéro-inférieur en haut et le ligament talofibulaire postérieur en bas. Il se termine sur la marge postérieure de la malléole médiale [1] (fig. 5-5).
Tendons et muscles
Muscle soleus accessorius (soléaire accessoire)
Il est retrouvé dans 8 à 10 % de la population et est bilatéral dans 30 à 50 % des cas [11,14].
Cinq types de terminaison sont décrits :
Ce muscle est le plus souvent asymptomatique, mais il peut entraîner un conflit postérieur et parfois nécessiter une excision chirurgicale [11].
Jonction myotendineuse du muscle long fléchisseur de l’hallux
Elle peut être bas située, avec une prévalence inconnue mais probablement sous-estimée [11].
Tendinopathie du muscle long fléchisseur de l’hallux
C’est au niveau de la gouttière du tubercule postérieur du talus, au sein du tunnel ostéofibreux inextensible, que le tendon est le plus vulnérable (cf.fig. 5-1). Les sportifs faisant des mouvements répétitifs de flexion-extension sur la pointe des pieds sont les plus exposés (danseurs avec mouvements de plié et grand plié) [1,15]. Le surmenage du tendon dans son tunnel peut entraîner une tendinopathie et peut être une cause, toutefois peu fréquente, de conflit postérieur.
Les différents syndromes
On peut décrire plusieurs entités cliniques, regroupées en deux syndromes distincts : le syndrome de compression osseuse et le syndrome de pincement des tissus mous. L’association des deux syndromes est fréquente [6].
Syndrome de compression osseuse
Traumatisme aigu
La fracture du tuberculepostérolatéral ou fracture de Shepherd[16] en est la cause principale (fig. 5-6).
La fracture du tubercule postéromédial ou fracture de Cedell[17] correspond à une avulsion du ligament tibiotalien postérieur à son insertion sur le tubercule médial du talus. En urgence, l’immobilisation plâtrée amène la guérison.
Il peut également s’agir d’une contusion ou d’une fracture de l’os trigone (fig. 5-7) ainsi que d’une fracture de la synchondrose.
Microtraumatismes répétés
La compression de l’os trigone ou du tubercule postérolatéral du talus est visualisée sous la forme d’un œdème intra-osseux.
La compression de la synchondrose se manifeste par l’apparition de remaniements microgéodiques et d’un œdème osseux des berges (fig. 5-8et5-9). Une résection-arthrolyse peut être proposée [18].
Syndrome de pincement des tissus mous
La compression de ces tissus mous peut entraîner un épanchement intra-articulaire (fig. 5-7 à 5-10) et une synovite talocrurale ou sous-talienne postérieure (fig. 5-11)[1,18]. La capsule articulaire postérieure peut être le siège d’un œdème et prendre un aspect nodulaire, inflammatoire, surtout en postérolatéral.
La ténosynovite du LFH, le plus souvent sténo-sante, peut être la conséquence du conflit osseux. Elle est à différencier de la tendinopathie vraie du LFH, cause rare de conflit postérieur. Hamilton et al. [19] ont décrit l’évolution de cette ténosynovite (exsudative, sténosante, nodulaire, rupture partielle) qui peut aller jusqu’à l’hallux rigidus.
Les ligaments postérieurs (tibiofibulaire postéroinférieur, intermalléolaire postérieur et talofibulaire postérieur) sont presque toujours intacts mais souvent épaissis [1]. Un épaississement du ligament intermalléolaire postérieur est défini en IRM s’il est de taille au moins équivalente à celle des ligaments tibiofibulaire postéroinférieur et talofibulaire postérieur. Ce ligament (ou pseudoménisque postérieur) peut, en flexion plantaire, s’insinuer dans la partie postérieure de l’interligne tibiotalien [2,12] et être source de conflit postérieur.
Imagerie[4,5]
Le bilan d’imagerie est indispensable pour faire le diagnostic positif de conflit postérieur et pour en déterminer la cause. Il permet d’éliminer les autres causes de douleurs postérieures de la cheville [6].
Radiographies standard
Elles peuvent mettre en évidence un processus de Stieda ou un os trigone. Ces deux variantes anatomiques sont souvent rencontrées chez les patients asymptomatiques et leur implication dans la pathogénie ne peut être incriminée sur ces seules radiographies. Cette technique d’imagerie est donc peu spécifique.
Elle est aussi peu sensible, puisqu’une fracture peut facilement passer inaperçue.
Des radiographies de cheville de profil en flexion plantaire, comparatives, peuvent montrer une diminution de la flexion plantaire du côté sympto-matique par rapport au côté controlatéral ou un conflit de l’os trigone ou du processus de Stieda entre la malléole tibiale postérieure et la face supérieure du calcanéus [4].
Enfin, les radiographies de profil peuvent identifier un épanchement liquidien tibiotalien avec un comblement de la graisse de Kager.
Échographie
De plus, le tendon du LFH est le plus difficile des tendons du compartiment médial de la cheville à visualiser. En effet, le tendon, avec son double site de réflexion (sur le tubercule postérolatéral du talus et sous le sustentaculum tali), a un trajet trop profond et trop compliqué pour être facilement étudié en échographie [18].
Enfin, l’échographie peut être utilisée pour réaliser des infiltrations échoguidées.