Chapitre 5 Dysharmonie dentomaxillaire
L’usage décrit deux entités cliniques différentes sous le terme dysharmonie dentomaxillaire (DDM). Pour Cauhépé, c’est une « disproportion de volume entre les dents et les bases osseuses ». Château [1] distingue deux formes cliniques, « la macrodontie et la microdontie relatives au squelette du sujet » (figure 5.1). Ces définitions correspondent à l’expression tooth jaw discrepancy citée par Mayne, dans l’ouvrage de Graber (discrepancy exprimant toute discordance en général).
Fig. 5.1 Deux cas cliniques présentant une macrodontie relative (A) et une microdontie relative (B).
• si les diamètres dentaires peuvent être mesurés avec précision, il n’en est pas de même du contenant, les bases osseuses et apicales, particulièrement en présence d’anomalies associées, d’anomalies d’inclinaison des axes dentaires et de leur évolution au cours de la croissance, autres facteurs de dystopies;
• ce n’est qu’en relation squelettique de classe I que le volume des bases osseuses peut être estimé sans trop d’erreurs. Pour ces raisons, dans un contexte clinique complexe, la mesure de la dysharmonie dentomaxillaire « vraie » est entachée d’approximation.
Ces remarques nous paraissent essentielles.
Étiologie
Les dysharmonies dentomaxillaires sont fréquentes : la microdontie relative représente 8 % des cas orthodontiques, la macrodontie relative 60 à 80 % selon Tweed [2].
Cette fréquence s’explique par la multiplicité des facteurs étiologiques et de leurs interactions :
• l’évolution a réduit pour celles-ci le volume des maxillaires plus rapidement que celui des dents, et plus rapidement les dimensions des dernières dents de chaque série;
• le mélange des populations est le facteur princeps, cependant imprévisible, car les dents et les maxillaires sont soumis à des contrôles génétiques plurifactoriels plus ou moins forts, autrement dit à une certaine « imprécision de ces contrôles ». Les dents présentent des variations dimensionnelles individuelles très importantes (figure 5.2). Pour Sharma, les dents subiraient une influence environnementale plus importante dans les populations primitives. Pour Dempsey, les secteurs antérieurs des arcades sembleraient plus soumis à l’hérédité que les secteurs latéraux;
• embryologiquement, le système stomatognathique doit concilier sa dualité originelle, mésodermique et ectodermique, considérée comme cause possible de la dysharmonie;
• un autre facteur est l’asynchronisme de développement des dents et des maxillaires soumettant plus longtemps ces derniers à l’influence des troubles endocriniens, de la croissance, des fonctions mais aussi des pathologies du système osseux. Les dimensions des dents sont fixées très tôt, peu diminuées par l’abrasion depuis le Moyen Âge, avec même une tendance à l’augmentation dimensionnelle pour certaines d’entre elles. Par contre, les rapports des bases variant tout au long de la vie et les remodelages osseux provoquant souvent la réduction des zones alvéolaires, la macrodontie relative et les encombrements ont tendance à s’accentuer avec le temps. Ainsi, Bassigny distingue :
Fig. 5.2 Variabilité dimensionnelle des dents visualisée par les assortiments extrêmes des tailles de bagues anciennement utilisées.
Signes cliniques
Macrodontie relative
À l’arcade maxillaire, le manque de place en arrière des deuxièmes molaires temporaires peut contraindre les premières molaires permanentes à résorber la racine distale des deuxièmes molaires temporaires (figure 5.3) entraînant une péricoronarite ou empêchant le redressement des molaires permanentes par blocage dans la cavité de carie distale des deuxièmes molaires temporaires.
Fig. 5.3 Rétention de 16 en arrière de 55 entraînant la résorption prématurée de sa racine distale et donc son extraction.
Dans la région antérieure, des diastèmes inter-incisivocanins, dits diastèmes de Bogue, doivent apparaître avant l’évolution des incisives permanentes (figure 5.4). Leur absence traduit un défaut de développement transversal des arcades et précède habituellement l’apparition de malpositions des incisives permanentes.
Idéalement, les phénomènes de dentition devraient reproduire les schémas de van der Linden. Même lorsqu’il existe une macrodontie relative, les incisives centrales permanentes ont la possibilité d’évoluer sans retard supérieur à un an et demi, entraînant la chute des incisives centrales et latérales temporaires : une dent permanente prend la place de deux dents temporaires, ne permettant plus l’évolution des incisives latérales (figure 5.5).
Fig. 5.5 Les incisives centrales gênent l’évolution des incisives latérales. Trois ans plus tard l’extraction des premières prémolaires devient indispensable pour permettre la mise en place des canines.
B. Radiographie panoramique à 8 ans.
À la mandibule les incisives centrales permanentes doivent parfois évoluer lingualement par rapport à l’incisive temporaire correspondante. Les incisives latérales évoluent plus difficilement. Pour rester à l’aplomb de la crête gingivale, elles doivent accélérer la résorption des canines temporaires, leur mise en place sur l’arcade est nettement retardée. Le manque de place peut obliger les incisives centrales et latérales à évoluer en version ou en rotation parfois en dehors du sommet de la crête gingivale, dans une zone pauvre en gencive kératinisée (figure 5.6). La gencive attachée aura une épaisseur insuffisante sur ces dents dystopiques, des déhiscences gingivales apparaîtront, surtout sur les incisives mandibulaires. Pour éviter ces malpositions, il peut être opportun de guider l’évolution des incisives latérales par extraction des canines temporaires en tenant compte des anomalies associées.