généralités
D. Razavi, N. Delvaux and C. Farvacques
Introduction65
Phase des premiers symptômes66
Phase du diagnostic68
Phase du traitement71
Conclusion84
INTRODUCTION
L’étude des aspects psychologiques associés à la maladie cancéreuse a parallèmement évolué. Avant 1970, l’intérêt des chercheurs et cliniciens se portait principalement sur les facteurs psychologiques interférant avec le délai de traitement, la question polémique de la vérité à dire au malade et les problèmes posés par la confrontation à la mort. Depuis, le champ d’investigation s’est étendu aux aspects psychosociaux et éthiques de la cancérologie. Les rapports complexes «cancer-psychisme» commencent ainsi à être mieux compris.
Les réactions psychologiques sont importantes à connaître car il est fréquent chez les cliniciens de sousestimer et/ou de surestimer certaines variables psychologiques (Derogatis, Abeloff et coll., 1976; Silberfarb et Greer, 1982). La maladie cancéreuse est en effet à l’origine d’une série de réactions qui peuvent être cognitives, émotionnelles et comportementales, destinées à maintenir le meilleur niveau de fonctionnement possible. L’adaptation psychologique vise, en effet, à préserver l’intégrité psychique et physique, à récupérer les troubles réversibles, et à compenser les troubles irréversibles. À chaque phase de la maladie, les réactions psychologiques opèrent une intégration complexe entre la mémoire des expériences passées, la perception des menaces futures et les ressources disponibles (état physique, personnalité, soutien social). Ces réactions peuvent mener à une adaptation ou à un échec (Lazarus 1982; Lipowski 1971). La détresse émotionnelle qui s’en suit et se traduit en terme d’anxiété et de dépression peut donc être provoquée par différents facteurs.
Les réactions du patient cancéreux s’articulent donc autour des moments charnières de l’évolution de la maladie. Ceux-ci ont leur intérêt pour une classification des problèmes posés par la maladie, mais chacun d’entre eux, avec les crises qu’il génère, est une expérience qui intègre les précédentes. Ces moments charnières sont : la phase de crise existencielle couvrant la période des premiers symptômes, des investigations et du diagnostic, la phase du traitement et de l’effort d’adaptation associé, la phase de récidive éventuelle avec sa perte d’espoir, la phase préterminale et terminale avec sa détérioration physique progressive, et enfin, la phase de rémission et de guérison, qui s’inscrivent en négatif dans ce cheminement, et qui généreront, elles aussi, des périodes d’anxiété notamment liées à l’incertitude. Ces dernières naissent au cours de ce qui pourrait être assimilé à une période de récupération et/ou de résolution. Elles sont pour certains malades une réaction tardive à une crise évitée jusqu’alors. Même si l’adaptation à la maladie cancéreuse est très variable d’un individu à l’autre, ce découpage schématique en phases est utile pour mieux comprendre les vécus associés au cancer et à son évolution (Weisman, 1979b).
PHASE DES PREMIERS SYMPTÔMES
Il est important d’étudier les réactions initiales face aux premiers symptômes de la maladie cancéreuse ou éventuellement, l’absence de réaction. Le mode de réponse à cet événement peut dans certains cas expliquer le devenir physique et psychique. L’idée ou la reconnaissance de «j’ai un cancer» ne concorde pas nécessairement avec les premiers symptômes cliniques provoqués par les lésions néoplasiques. Il y a de nombreuses variantes dans la succession temporelle des cognitions, comportements et moments suivants : «le premier symptôme», «je vais consulter», «j’ai un cancer», et «le diagnostic de cancer». Beaucoup d’auteurs ont étudié cette période qui est, comme on le sait, importante pour la détection et le traitement précoces du cancer.
Les premiers symptômes ne coïncident pas nécessairement dans le temps avec une décision de consulter. Le déni, mécanisme par lequel un état de connaissance douloureux est ignoré, banalisé ou évacué, peut être suspecté en cas de retard de consultation. Ainsi pour certains, c’est l’aggravation des troubles qui amènera certains malades à se poser la question «est-ce que c’est grave?», «ai-je un cancer?». Chez d’autres encore, cette aggravation peut être si avancée que l’on ne pourra expliquer l’évolution du cancer que par un déni relevant de la psychopathologie.
Une étude rapporte ainsi que 80 % d’une série de soixante patients cancéreux reconnaissent l’existence d’un délai entre le premier symptôme et la recherche d’un traitement (Abrams et Finesinger, 1953). Que connaît-on de ce délai moyen ou médian? Pour le cancer du côlon et du rectum, celui-ci a pu être évalué en semaines ou en mois; pour le cancer du sein, il est exprimé par le pourcentage de patientes consultant dans le délai des trois mois qui suivent le premier symptôme. En ce qui concerne le cancer colorectal, une étude évalue par exemple ce délai à onze semaines (Roncoroni, Pietra et coll., 1999). Pour le cancer du sein, une étude rapporte que 19 % des femmes ayant des symptômes de cancer du sein attendent plus de trois mois avant de consulter un médecin (Burgess, Ramirez et coll., 1998). Pour citer un autre exemple, une étude rapporte pour le cancer de l’ovaire un délai moyen d’un mois; 52 % des patientes consultant avant cette période et 22 % de l’échantillon consultant après trois mois ou plus (Smith et Anderson, 1985).
Plusieurs facteurs psychosociaux ont été invoqués pour expliquer ce délai. Le premier est socioculturel et pourrait se résumer par le fait que certaines populations peuvent avoir une moindre conscience et davantage de difficultés à se représenter ce qu’est le cancer, de ses implications et de l’importance d’un traitement précoce. Les autres facteurs sont plus psychologiques : un déni de la réalité du cancer et/ou une répression des affects d’une part et une peur consciente du cancer, de son diagnostic et de ses traitements d’autre part. Ces facteurs peuvent aussi s’associer pour expliquer certains comportements observés (Ray et Baum, 1985). Le tableau 5-1 détaille les principaux facteurs influençant le délai de consultation.
FACTEURS INDUISANT UNE CONSULTATION RAPIDE– Symptômes (douloureux, visibles, etc.) – Information – Anxiété – Impulsivité – Bonne relation médecin-malade FACTEURS INDUISANT UN RETARD DE CONSULTATION– Pas de symptôme (ou non visible, ou non douloureux) – Peur de l’hôpital, de la chirurgie, de l’anesthésie, etc. – Raisons domestiques et professionnelles – Raisons économiques – Mauvaise relation médecin-malade – Déni et/ou banalisation du symptôme – Manque d’information |
Les arguments en faveur d’une influence socioculturelle se basent sur les délais observés dans les classes socio-économiquement défavorisées et dans les tranches d’âges élevées (Cameron et Hinton, 1968; Greer, 1974; Williams, Baum et coll., 1976). Ces populations ont en effet souvent des difficultés à accéder ou à integrér les informations. De plus, les patientes consultant avec un retard pour un cancer de l’ovaire rapportent ne pas avoir pensé à la possibilité du cancer, ou alors avoir attribué les symptômes perçus à d’autres causes (Smith et Anderson, 1985). Mais ce délai, il faut le souligner, ne semble pas dépendre uniquement du degré d’information des populations quant à la maladie cancéreuse, ou à l’importance d’un traitement précoce. Malgré les campagnes d’information menées au cours des cinquante dernières années, ces délais n’ont pas fortement diminué.
Aux influences socioculturelles s’additionnent souvent celles des facteurs psychologiques. Un premier choc intervient, très précocement semble-t-il, avec entre autres l’idée «j’ai un cancer» et les affects pénibles associés; un processus de rationalisation suit de très près cette phase, «mais il n’y a jamais eu de cancer dans ma famille» se disent, par exemple, certains. Cette phase s’interrompt le plus souvent par un événement survenant au niveau physique, familial ou social. C’est en effet un changement dans les caractéristiques des symptômes (sensations ou apparences), une consultation médicale pour une tout autre raison, ou encore les pressions familiales qui mèneront le plus souvent le malade à consulter. Pour certains patients, une information personnalisée (nouvelles d’un ami opéré ou mort de cancer) ou bien médiatisée (campagnes d’information, récolte de fonds, etc.) viendra déstabiliser les évitements, oublis ou dénis. Pour d’autres, les symptômes peuvent être dès le départ attribués à une autre maladie plus bénigne ou bien alors, être complètement déniés. Une étude réalisée sur un groupe de femmes présentant des symptômes de cancer du sein (Margarey, Todd et coll., 1977) rapporte comme variables associées au délai de consultation, un mode défensif de type déni et répression (peu de défenses de type intellectualisation), une anxiété non exprimée verbalement et des affects dépressifs exprimés. Les patients tardant à consulter auraient par ailleurs une tendance à éviter le terme cancer (Worden et Weisman, 1975). Le déni semble donc être un des facteurs psychologiques intervenant dans le retard de consultation. Une étude constate que les patients ont tendance à rejeter la possibilité d’une maladie grave et peuvent être distraits par des inquiétudes personnelles plus urgentes (Andersen et Cacioppo, 1995). D’autres facteurs semblent entrer en ligne de compte comme la peur de déranger le médecin et certaines croyances entourant la nature et l’efficacité des traitements (Burgess, Hunter et coll., 2001).
La peur d’être examiné, la peur de souffrir ou encore la peur d’être mutilé peuvent également expliquer un délai de consultation. Une étude investiguant les attitudes d’un échantillon de personnes non malades rapporte les principales préoccupations liées au cancer par ordre décroissant : les conséquences relatives aux répercussions familiales, la mort et la douleur. 15 % des personnes interrogées indiquent que leurs peurs de la maladie cancéreuse pourraient les retarder à consulter leur médecin (Levin, Cleeland et coll., 1985). Des facteurs de personnalité tels le contrôle de soi, l’indépendance et l’absence d’impulsivité seraient eux aussi associés à la longueur du délai. La manière de contrôler la peur et l’anxiété apparaît également comme un facteur qui peut expliquer les délais de consultation chez ceux qui consultent par anxiété et chez ceux qui évitent de consulter par peur. Une étude a pu mettre également en évidence que dans le cas du cancer du sein, les femmes qui ne parlent pas de leurs symptômes enregistrent les délais de présentation les plus longs (Burgess, Ramirez et coll., 1998).
Les facteurs cités précédemment ne peuvent expliquer tous les délais observés. Des facteurs géographiques, culturels, familiaux et relationnels (absence de relations satisfaisantes avec son médecin par exemple) doivent rester présents à l’esprit pour interpréter un délai trop long chez certains malades. Une relation médecin-malade continue et des bilans médicaux réguliers semblent être les variables déterminantes d’un dépistage précoce et efficace. Au-delà de l’information et de l’éducation du grand public, il est aussi nécessaire de mettre en place des structures de dépistage facilement accessibles.
Le délai comme facteur prédictif du pronostic est controversé. En effet, si une méta-analyse d’études sur le cancer du sein met en évidence que des délais de plus de trois mois entre le premier symptôme et le traitement sont associés à une survie plus courte de cinq années (Richards, Westcombe et coll., 1999), cette relation est moins évidente dans d’autres types de cancer. De même, un délai plus court permettrait un diagnostic plus précoce du cancer de l’œsophage (Martin, Young et coll., 1997) mais aucune relation de ce type n’a été mise en évidence de manière répétée pour le cancer colorectal, de l’estomac et du poumon (Billing et Wells, 1996) ou pour le cancer invasif du col de l’utérus (Symonds, Bolger et coll., 2000). Pour un patient donné, il est de plus difficile d’évaluer les répercussions de ce délai. L’impact du délai sur le pronostic est en effet influencé par la vitesse de croissance tumorale. Ainsi, il est facilement compréhensible que dans le cas d’une tumeur à croissance rapide, l’influence du délai sur le pronostic serait moins marquée que dans les cancers à croissance lente. Cette incertitude théorique quant à l’existence d’un lien direct entre le délai et la survie n’atténue cependant pas nécessairement les inquiétudes de patients qui craignent souvent que des délais puissent affecter leurs chances de «vaincre» la maladie : des délais plus longs sont associés à une plus grande détresse psychologique (Risberg, Sorbye et coll., 1996). La tendance actuelle pour bon nombre de cancers est de promouvoir un dépistage bien avant la phase symptomatique. Le concept de délai de consultation conserve cependant une place centrale dans les campagnes d’information et d’éducation destinées au grand public.
PHASE DU DIAGNOSTIC
L’idée «j’ai un cancer», lorsqu’elle est intégrée par le patient, induit une crise existentielle qui pousse le sujet à se poser des questions sur son histoire et sur ses relations avec ses proches. Le sujet est aussi confronté à son futur et à la durée de sa vie. Après le choc de l’information que certains métaphorisent comme «un coup reçu», le sujet tente de se resituer et de se redéfinir par rapport à son environnement immédiat. La confirmation d’un diagnostic de cancer est souvent associée à une sentence de mort et à une catastrophe. Ainsi, les préoccupations sont d’abord principalement existentielles. Pensées relatives à la mort, sentiment de vulnérabilité, détresse émotionnelle (pessimisme, désespoir, anxiété) s’associent à une remise en question des relations avec le monde environnant, qu’il soit familial, professionnel ou social. Le diagnostic ouvre une crise individuelle et interpersonnelle. Cette période dure environ trois mois pour près de 70 % des patients (Weisman et Worden, 1976).
Ces réactions ne sont pas spécifiques au cancer et se retrouvent chez les patients présentant d’autres affections médicales. Les préoccupations existentielles sont dans cette phase très importantes et ont ensuite tendance à diminuer progressivement. Ainsi, 55 % des patientes atteintes d’un cancer du sein interrogées avant la biopsie attribuaient leurs peurs à leur cancer contre 18 % au risque de perdre un sein (Maguire, Lee et coll., 1978). Il est probable qu’il se produise une transformation progressive de l’objet des craintes avec le temps. Une diminution significative des symptômes psychologiques après quatre à six mois n’a, en effet, pas été observée malgré une diminution des préoccupations relatives à la maladie (Lloyd, Parker et coll., 1984). Dans le cas du cancer du sein, la mastectomie et l’atteinte du schéma corporel associée se sont révélées être la préoccupation essentielle des femmes trois et douze mois après leur intervention (Morris, Greer et coll., 1977).
La détresse émotionnelle des malades fluctue avec un pic symptomatique au moment du diagnostic. L’intensité de cette détresse est quant à elle très variable. Dans une étude portant sur un groupe de patientes atteintes d’un cancer du sein diagnostiqué à un stade précoce, huit patientes sur les quarante-quatre interrogées présentaient un état dépressif (Hughes, 1982). Dans un groupe de quarante patients présentant un lymphome malin, quinze avaient au moment du diagnostic une symptomatologie dépressive et anxieuse (Lloyd, Parker et coll., 1984).
La période où apparaît le cancer dans le cycle de vie est également importante pour mieux comprendre ses conséquences psychologiques. Chaque phase d’un cycle de vie est caractérisée par une réalité biologique, psychologique et socioculturelle qui détermine des différences dans le vécu relatif à la maladie et à ses conséquences. De plus, tout au long de ce cycle de vie surviennent des crises liées à son déroulement (enfance, adolescence, maturité, involution). Les conséquences seront variables selon que la maladie cancéreuse est diagnostiquée avant, pendant ou après ces crises. C’est lorsqu’elle survient au moment de ces crises que la maladie cancéreuse et ses conséquences sont les plus difficiles à gérer; il y a dans ces cas concomitance de deux crises, et il est possible d’observer quelquefois un déni ou un évitement de l’une au profit de la résolution de l’autre. La gestion psychologique de la maladie cancéreuse peut être, au contraire, théoriquement facilitée, si elle survient lors d’une phase de vie paisible associée à un sentiment d’épanouissement.
Ainsi, la maladie cancéreuse prend des significations très différentes selon le moment de son apparition, donnant à l’événement des conséquences psychologiques très différentes. Pour les adolescents, par exemple, la perte d’autonomie provoquée par la maladie complique les efforts d’individuation propres à cette phase de leur vie. De la même façon, la perte de libido, d’un organe sexuel ou d’une fonction sexuelle liée au cancer ou à ses traitements constitue d’autant plus un handicap pour une réhabilitation complète qu’elle survient chez des adolescents ou des adultes aspirant à se réaliser au niveau affectif et sexuel. Troisième exemple, l’altération de l’image du corps, qu’entraîne certains traitements (mastectomie, hystérectomie, vulvectomie, castration, etc.) est vécu plus difficilement si elle empêche l’individu d’accéder à ce qu’il aspire. Enfin, la mastectomie aura des conséquences psychologiques différentes selon le degré d’investissement et d’épanouissement sur le plan de la féminité, de la maternité et de la sexualité.
La peur, l’anxiété, et la dépression sont les sentiments le plus fréquemment déclenchés par la maladie. Les sentiments d’impuissance et de solitude s’y associent quelquefois, pour aboutir à un désespoir et à un pessimisme, qui ne sont pas toujours justifiés par la situation clinique. Si ces sentiments se perpétuent, ils risquent d’entraîner le malade vers une idéation ou des comportements suicidaires, d’abandon ou de repli. Les réactions psychologiques bien compréhensibles qui font suite au diagnostic d’une affection cancéreuse peuvent ainsi se compliquer par des troubles psychopathologiques. La préservation d’un niveau d’estime de soi suffisant permet à beaucoup de poursuivre leur vie, de collaborer activement au traitement et à certains de réagir comme s’ils relevaient un défi.
Dans un premier temps, le plus souvent, le déni, la peur, l’anxiété et la dépression alternent. Dans un second temps une adaptation plus stable peut s’observer. Certains individus confrontés à l’incertitude rechercheront activement des informations. Une étude rapporte un taux de 14 % de patients présentant ce comportement dans la phase diagnostique; celui-ci ne se retrouve que chez 3 % des patients en phase avancée de leur affection (Cook Gotay, 1984). Cela peut expliquer, pour certains, un retard dans l’acceptation du traitement. Les dénis (car les formes sont nombreuses) sous-tendus par des mécanismes psychologiques – des défenses psychologiques –, sont destinés à rendre les menaces existentielles plus tolérables (Weisman, 1979a). La figure 5-1 illustre les principales phases du processus psychologique induit par le diagnostic et le traitement.
Fig. 5-1 |
Les réactions de fuite des malades sont souvent sousestimées. Elles peuvent s’expliquer par une détresse psychologique, une décision de ne pas adhérer au traitement proposé ou de recourir à des médecines «parallèles». Une étude menée aux États-Unis sur les utilisateurs des médecines parallèles met en évidence l’importance de ces comportements dans des classes socio-économiques favorisées et donc bien informées (Cassileth, Lusk et coll., 1984). Le taux de non adhésion généralement admis est de 30 % et atteint 60 % chez les adolescents (Green, 1983; Lewis, Linet et coll., 1983; Smith, Rosen et coll., 1979). L’importance du problème de non adhésion aux traitements est considérable compte tenu du bon pronostic actuel de certaines affections cancéreuses moyennant un traitement adapté.
Le taux élevé de non adhésion aux procédures diagnostiques et thérapeutiques chez les adolescents est expliqué par la concomitance d’une affection à plus d’un titre source de détresse et d’une période particulièrement turbulente caractérisée par un refus fréquent de toute dépendance. Les adolescents qui refusent leurs traitements, comparés à ceux qui l’acceptent, présenteraient significativement moins de détresse subjective et d’états anxieux, et une croyance plus grande dans l’influence et le contrôle des facteurs extérieurs sur leur santé tels que la chance ou le destin (Blotcky et Cohen, 1985). Ces données n’expliquent cependant pas totalement les réactions de fuite rencontrées chez les adolescents; elles permettent de garder à l’esprit qu’il existe, outre l’effet déstabilisateur de la concomitance «adolescence-cancer», des facteurs individuels très variables de résilience à l’irruption de la maladie cancéreuse dans leur vie.
Les sens donnés à l’apparition de la maladie cancéreuse sont très variables. Certains chargent le destin, la pollution ou des événements passés (attributions externes) et d’autres attribuent à certains de leurs comportements la survenue de leur cancer (attributions internes). Ces accusations ou autoaccusations souvent irrationnelles, peuvent favoriser l’adhésion à des idéologies nouvelles et/ou à certains modes de traitements (par un régime alimentaire sélectif et quelquefois même une psychothérapie). Le refus des traitements peut favoriser l’exploitation des patients cancéreux par des médecines dites «parallèles». Le recours à ce type de médecine n’est cependant pas toujours la conséquence d’une volonté de fuir des traitements mal tolérés. Ce recours peut s’expliquer pour certains par l’espoir et le souci de guérir à tout prix et par tous les moyens. Pour d’autres, le recours aux médecines parallèles procure un soutien psychologique qu’ils n’ont pu trouver dans l’institution où ils sont traités.
Des facteurs sociaux et familiaux influencent également les réactions des malades. Les mythes qui gravitent autour du cancer viennent complexifier la réalité médicale. Cela est bien compréhensible pour une affection dont l’étiologie reste mal connue : chacun projette librement ses théories. Il existe ainsi un continuum important entre le cancer synonyme de mort prochaine et une perception plus réaliste de ses conséquences. Cette influence sociale et culturelle est modulée par l’expérience du sujet au contact du cancer de proches. Il est facile de comprendre l’aliénation, l’isolement et les dramatisations (apparentes ou cachées) que le cancer provoque. Les significations symboliques qui s’associent aux affections cancéreuses ont aussi des conséquences directes sur la réhabilitation. Le risque de contagion, de mort et les superstitions diverses associées mythiquement au cancer entraînent encore fréquemment un rejet de la part des employeurs, des assurances et même des amis.
En phase de diagnostic et tout au long de la maladie, le thème de la mort est présent mais souvent masqué dans le discours des patients cancéreux. La peur de la mort, et de la disparition doivent être différenciées (elles peuvent coexister ou se succéder) des peurs en relation avec l’abandon «forcé» de ses objets d’amour (enfants, conjoint, etc.), et des peurs de la souffrance et de la déchéance; cette dernière est souvent la conséquence d’expériences pénibles vécues au contact de proches ayant eu une fin de vie particulièrement douloureuse ou alors des mythes décrits plus haut qui agissent, on le sait, avec force sur la coloration (agréable, douloureuse, positive ou négative) des événements (Kastenbaum et Aisenberg, 1976).
PHASE DU TRAITEMENT
La figure 5-2 illustre la phase diagnostique et la phase des traitements incluant les différentes modalités thérapeutiques (radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie, immunothérapie, etc.). Ce tableau illustre aussi la place des soins supportifs qui permettent non seulement un meilleur contrôle des symptômes mais également une intensification des traitements. Cette intensification des traitements peut donc, malgré les progrès réalisés dans le contrôle symptomatique, mener à un accroissement de la dose administrée, de la durée de son administration et donc de son «agressivité». Les soins supportifs sont par définition l’ensemble des soins orientés vers le contrôle et le traitement des conséquences biologiques, psychologiques et sociales des affections cancéreuses et de leurs thérapeutiques.
Fig. 5-2 |
La détresse des malades est fréquemment liée au caractère invasif des méthodes d’investigation et de traitement. Elle peut être quelquefois uniquement liée au caractère nouveau et étranger de l’environnement médical. Pour ceux qui ne sont pas hospitalisés, les traitements requièrent souvent des déplacements fréquents posant des problèmes multiples allant du prix des trajets à l’inconfort engendré parfois par la distance à parcourir ou par des difficultés de stationnement. Ces difficultés qui paraissent secondaires mobilisent des ressources déjà limitées par la maladie et par l’âge de certains malades. Le tableau 5-2 détaille les principaux facteurs de stress associés aux traitements en oncologie.
– Problèmes et pensées liés à la mort – Problèmes de dépendance – Problèmes d’altération de l’image de soi – Inconfort et effets secondaires – Problèmes divers (financiers, professionnels, etc.) |
Outre les conséquences objectives des traitements, les patients doivent souvent faire face à l’image qu’ils se font de ceux-ci : la chirurgie souvent associée à une extirpation totale du «mal cancéreux», la radiothérapie vécue quelquefois comme échec des autres traitements ou bien comme responsable elle-même de la survenue d’autres cancers (Karasawa et coll., 2005).
Il existe un continuum dans le vécu émotionnel des malades face aux procédures médicales allant d’une simple appréhension bien compréhensible à des peurs incontrôlables. Ces réactions, leurs significations, leurs intensités, et leurs fonctions ont toutefois peu fait l’objet de travaux de recherche. Les traitements lourds et la maladie engendrent contraintes et difficultés qui ne peuvent être mises en parenthèses. On parle ainsi de «syndrome d’Atlas» pour illustrer l’effort important d’adaptation du patient. Cette expression métaphorique permet également de se représenter le peu de marge de manœuvre des malades cancéreux durant la phase de traitement. Enfin, soulignons que la «position» d’Atlas implique aussi une certaine perte de liberté et des choix se limitant à des alternatives extrêmes : lutter et se faire traiter ou alors abandonner.
Il est important de souligner aussi que certains malades qui refusent un traitement pourraient l’accepter une semaine ou deux plus tard. La décision de se faire traiter fait suite à celle de l’évaluation de la réalité nouvelle. Les patients sont donc souvent dans l’incapacité de prendre une décision s’ils en sont encore à évaluer la situation à laquelle ils sont confrontés. Si l’on poursuit plus loin la logique de ce qui précède, il est aisé d’imaginer qu’une proposition de traitement aura plus de chance d’aboutir en fin de processus d’évaluation. Certains patients, au contraire, refuseront plus tard ou au moment de la récidive le traitement qu’ils avaient accepté, apparemment sans réticence, au moment du diagnostic. Cette réalité clinique pose la question de l’interprétation de tels revirements d’attitude alors que tout permettait de croire à une future et longue «compliance» du malade. Cela a des conséquences non négligeables pour certains traitements, dont l’efficacité dépend de la dose, de la durée et de la fréquence d’administration. On pourrait faire l’hypothèse que ces malades ont accepté leur traitement avant d’en avoir évalué toutes les facettes. Le processus de décision précéderait celui de l’évaluation qui surviendrait alors que le traitement serait déjà engagé et remettrait ainsi l’adhésion à celui-ci en question. Une adhésion ultérieure est possible et pourrait être favorisée par le maintien d’une bonne relation médecinmalade. Si le médecin s’identifie à son traitement, la relation médecin-malade peut se dégrader et pousser le malade à consulter ailleurs ou ce qui est plus grave, à recourir à des alternatives thérapeutiques fantaisistes. Mentionnons enfin que les traitements chimiothérapiques, hormonothérapiques, chirurgicaux et radiothérapiques, de par leur fréquente association, sont sources d’effets secondaires psychiatriques réversibles et irréversibles.
Radiothérapie
Les traitements radiothérapiques sont une source de détresse psychologique souvent liée aux effets secondaires qui les accompagnent : fatigue, pertes de pilosité, lésions dermatologiques, perte d’appétit, asialie, nausées, vomissements etc. Cette détresse psychologique est présente chez environ 20 % des patients en cours de traitement de radiothérapie (Stiegelis, Ranchor et coll., 2004). La plupart des symptômes disparaissent dans le mois qui suit la fin des traitements, sauf la perte de pilosité et l’asialie. Les traitements radiothérapiques, s’ils sont administrés au niveau du petit bassin ou en irradiation corporelle totale, provoquent une sécheresse des muqueuses. Ils peuvent aussi entraîner des atrophies, des fibroses, des sténoses au niveau des organes génitaux et provoquer en conséquence une stérilité ou des troubles sexuels. Lorsque la radiothérapie est administrée au niveau cérébral, des troubles neurologiques (cognitifs, voire mentaux de type démencep précoce) peuvent se développer.
Comparativement aux chimiothérapies dont l’administration peut s’étaler sur de nombreux mois, voire plusieurs années, la durée de la radiothérapie est limitée dans le temps (deux à six semaines). Les différences de durée de traitement n’ont pas été étudiées en tant que telles comme facteur influençant les réactions psychologiques. Une longue durée de traitement nécessite une mobilisation psychique active qui pourrait théoriquement nécessiter une période de récupération d’une durée proportionnelle.
Les réactions psychologiques généralement associées à la radiothérapie sont caractérisées en début de radiothérapie par de l’anxiété et des peurs diverses concernant les effets secondaires, les procédures d’administration et parfois l’efficacité du traitement. Récemment, une étude a ainsi montré que cette anxiété concerne les effets secondaires immédiats (61 %), les résultats du traitement (41 %), l’exposition à la radiation (27 %), l’excès d’irradiation (22 %), l’équipement et les machines (17 %) et l’isolement lors du traitement (12 %) (Karasawa et coll., 2005). La fin du traitement fait au contraire apparaître une humeur dépressive, l’expression d’un sentiment de malaise, voire d’une certaine irritabilité (Holland, 1989b). Ces symptômes sont souvent réactionnels à l’apparition des effets secondaires et en particulier à la fatigue. Les effets secondaires peuvent aussi réactiver les peurs par rapport à la récidive du cancer et la mise en doute du caractère curatif de la radiothérapie. La fin du traitement radiothérapique, administré généralement de façon journalière, signe l’arrêt des relations quasi quotidiennes établies avec l’équipe soignante et l’espacement des contrôles médicaux. Des sentiments d’abandon et de vulnérabilité apparaissent alors. Ils sont comparables à ceux observés dans d’autres situations telles qu’en fin d’isolement stérile et/ou de chimiothérapie. Les affects dépressifs et anxieux qui subsistent en fin de traitement radiothérapique sont principalement liés à la perte du réseau de prise en charge, à l’incertitude quant à la réussite du traitement et à l’intensité des effets secondaires physiques (Stiegelis, Ranchor et coll., 2004).
La détresse psychologique associée aux traitements de radiothérapie peut en outre être liée à la représentation de la radiothérapie comme traitement palliatif, à la comparaison sociale avec d’autres patients décédés après irradiation, et l’association inconsciente de la situation thérapeutique (appareil imposant, isolement) avec des événements traumatiques (accident de voiture, etc.). La radiothérapie peut parfois même déclencher des états de panique chez des personnalités anxieuses, présentant de la claustrophobie ou de l’agoraphobie.
Chirurgie
Le traitement chirurgical entraîne des réactions psychologiques aiguës, voire des troubles psychiatriques qui peuvent survenir quand ils ne sont déjà présents au moment de l’admission à l’hôpital. Ces différentes réactions psychologiques se déclenchent aussi bien dans la phase préopératoire que postopératoire, voire même lorsque le patient est de retour à son domicile. Elles ne sont pas toujours simples à détecter, que ce soit avant ou après l’intervention chirurgicale. En effet, il n’est pas toujours aisé d’identifier le mode particulier d’expression des préoccupations et des émotions, et les mécanismes de défense comme l’évitement et le déni propres à chaque malade. L’hétéroanamnèse réalisée avec le médecin traitant et les personnes de l’entourage familial du malade est le plus souvent nécessaire afin de les préciser.
Cette démarche est particulièrement importante en cas de chirurgie cervico-faciale où l’altération de la communication orale complique d’avantage l’évaluation du statut psychologique. Chez les patients présentant un cancer dans la région cervico-faciale, les manifestations non-verbales sont souvent les premiers indicateurs d’un début de difficulté d’adaptation psychologique. Ce mode particulier d’expression des émotions est probablement lié à la forte proportion dans cette population d’individus de sexe masculin et à des facteurs socioculturels. Dans le milieu ouvrier, qui est le plus représentatif de cette population, l’expression de la peur face au danger reste limitée. Elle est perçue comme une faiblesse et une dégradation de l’image de soi que le patient tente de préserver à des degrés divers. Des émotions comme l’insatisfaction, l’irritabilité et plus rarement la colère peuvent être exprimées; l’objet de celles-ci est souvent en rapport avec la maladie, l’intervention chirurgicale, des changements d’habitudes liés au séjour à l’hôpital, etc.
Les interventions chirurgicales peuvent entraîner dans les jours qui suivent l’opération, des douleurs, des nausées et un inconfort. Les significations symboliques et la mutilation sexuelle associées aux interventions gynécologiques (mastectomie, hystérectomie, vulvectomie, exentération pelvienne, etc.) entraînent également une détresse importante. Les notions largement répandues au niveau du grand public quant à la participation des comportements sexuels (partenaires nombreux et début de la vie sexuelle à un âge précoce) dans le développement du cancer du col de l’utérus compliquent parfois la résolution de cette détresse par un sentiment de honte et de culpabilité difficilement communicables. Si l’intervention suit de peu le diagnostic, ces considérations peuvent passer inaperçues dans la tourmente existentielle créée par le cancer. Par la suite peuvent surgir des sentiments de culpabilité liés à une assimilation du cancer à une maladie sexuellement transmissible et à une attribution associant de façon causale le cancer aux comportements sexuels. Cela pourra compliquer le retour de certaines patientes à leur vie sexuelle antérieure. L’âge peut donner ici des amplitudes différentes à ce qui sera expérimenté dans les suites des interventions chirurgicales gynécologiques. Dans le troisième tiers de la vie, la présence d’un partenaire sera le déterminant principal du type de conséquences psychologiques, même en cas de diminution significative de la fréquence des rapports sexuels du couple (Andersen et Hacker, 1983; Newman et Nichols, 1960; Pfeiffer et Davis, 1972). Les personnes âgées investissent en effet encore souvent leur sexualité contrairement à certaines idées reçues.
Les progrès obtenus grâce aux traitements du cancer d’une part et l’intérêt croissant pour les problèmes de qualité de vie des patients cancéreux d’autre part ont contribué au développement de la chirurgie de reconstruction dans le cas de l’amputation d’organes ou de membres. Le cas particulier de la reconstruction du sein met en évidence les intrications médico-psychosociales de ce type de chirurgie. Les femmes ayant subi une reconstruction mammaire, immédiate ou différée, sont généralement satisfaites des résultats de l’intervention. Toutefois, la charge émotionnelle de l’intervention semble d’autant mieux gérée s’il existe une possibilité d’échanges sur les conséquences entre les personnes concernées (patient, conjoint, médecin) et une concordance entre les attentes des différents partenaires (Schain, 1991a; Schain, 1991b).