4: La recherche en psychiatrie

Chapitre 4 La recherche en psychiatrie




4.1 La recherche en psychiatrie et en santé mentale : le défi de la pluridisciplinarité



La recherche en psychiatrie et en santé mentale connaît un essor sans précédent. Ce qui, à la fin des années soixante-dix, apparaissait encore inconcevable pour de nombreux psychiatres, le recours à la méthode hypothético-déductive et au modèle médical pour étudier les maladies mentales, est aujourd’hui devenu une réalité. Le modèle médical des maladies mentales considère celles-ci comme la résultante de l’interaction entre des facteurs internes, génétiques et biologiques, et des facteurs environnementaux externes, biologiques, psychologiques et sociaux. L’homme est un être en devenir, qui traverse des périodes de vulnérabilité. Il est pétri d’émotions et de désirs, et porteur de valeurs. Les troubles psychiatriques le touchent dans son comportement, mais aussi dans sa subjectivité. Ce modèle médical implique qu’une meilleure connaissance de la physiopathologie des troubles psychiatriques peut conduire de manière rationnelle à la découverte de thérapeutiques innovantes.


Les progrès de la psychopharmacologie et l’avènement du DSM-III et de ses critères diagnostiques, puis l’essor considérable de la génétique, de la neuro-imagerie, des sciences cognitives et de l’épidémiologie ont permis à la recherche psychiatrique de devenir une branche à part entière de la médecine et une composante des neurosciences. La recherche en psychiatrie et en santé mentale bénéficie ainsi des concepts et des méthodes développés dans les autres champs des neurosciences et peut répondre aux questions qui relèvent de son domaine de compétence propre, la compréhension et le traitement des maladies mentales. Elle repose sur une description des phénotypes cliniques fondée sur les dires du patient, mais aussi sur l’analyse objective de son comportement. Elle cherche à identifier les causes et les mécanismes génétiques, neurobiologiques, psychologiques et sociaux sur lesquels on peut agir. Elle met à profit la modélisation animale des troubles du comportement qui relèvent, par exemple, des conséquences d’événements de vie, de stress ou d’addictions.


La recherche en psychiatrie se heurte cependant à la rareté, voire à l’absence de modèles animaux des troubles psychiatriques les plus graves, notamment les troubles psychotiques. Elle doit également relever le redoutable défi de développer une physiopathologie des maladies mentales intégrant des niveaux d’analyse différents, allant des niveaux moléculaire et cellulaire aux niveaux comportemental et clinique. Les sciences cognitives sont l’un des domaines susceptibles de lever ces obstacles car elles introduisent la cognition comme niveau d’analyse intermédiaire entre le comportement et le substrat biologique. Elles disposent de concepts permettant d’aborder expérimentalement la vie émotionnelle et relationnelle et de méthodes — imagerie cérébrale, modélisations animale et informatique des troubles cognitifs — permettant de déterminer les corrélats biologiques des troubles psychiatriques. Au total, et malgré ces difficultés, le recours au modèle médical et aux concepts et aux méthodes des neurosciences est à l’origine de progrès considérables dans la compréhension et le traitement de maladies mentales comme l’anxiété, la dépression et la schizophrénie. En retour, la recherche psychiatrique offre aux neurosciences de nouveaux objets d’étude, seuls à même de conduire à une compréhension approfondie du psychisme humain.


Mais le modèle biomédical n’est pas nécessairement pertinent pour rendre compte de certains autres aspects des maladies mentales et des multiples formes de souffrance psychique que le psychiatre doit prendre en charge dans le cadre de la santé mentale. Quelles sont, par exemple, les conséquences psychiques des situations de précarité ou des transformations récentes de la famille ? Comment faire face à la recrudescence de la violence à l’école ou dans la cité ? Quels sont les facteurs sociaux et culturels de chronicisation des maladies mentales ? Comment la société peut-elle lutter contre le suicide ? Comment adapter les pratiques de soins en fonction des mutations sociales ? Répondre concrètement à de telles interrogations nécessite d’abandonner la démarche hypothético-déductive au profit de la démarche inductive et de recourir non plus aux concepts et méthodes des neurosciences, mais à ceux des sciences humaines et sociales comme la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, l’économie, la philosophie, l’épistémologie ou l’éthique.


Il est donc indispensable que les psychiatres dialoguent avec les spécialistes des différentes disciplines constitutives aussi bien des neurosciences que des sciences humaines et sociales. Ce dialogue conditionne le développement d’une offre de soins et de moyens d’intervention suffisamment diversifiée pour apporter une réponse adaptée à chaque patient et à chaque situation. Aujourd’hui, prétendre rendre compte de l’ensemble des maladies mentales et des souffrances psychiques à l’aide d’un système de référence unique est tout simplement devenu impossible. En lieu et place d’un savoir totalisant apparaissent des savoirs multiples, nécessairement partiels, fragmentaires, à la pertinence limitée à des domaines bien déterminés. Aux approches fondées sur l’exclusion ou l’amalgame se substitue progressivement une approche pluridisciplinaire ouverte, tolérante, respectueuse de la spécificité de chaque discipline et soucieuse d’éviter une autre forme d’illusion, proprement totalitaire, selon laquelle il serait possible de rendre compte de l’ensemble du psychisme humain et de ses souffrances par l’addition de ces savoirs partiels.


Il existe certes des tensions entre les différentes conceptions théoriques des maladies mentales. Mais ces tensions sont inévitables, et même souhaitables dès lors qu’elles invitent au débat, à l’échange maîtrisé, dans une perspective délibérément constructive de progrès des connaissances et des traitements. La capacité de maîtriser ces tensions pour en tirer profit est l’expression de la maturité d’une approche pluridisciplinaire qui ne confond pas le débat d’idées et les attaques personnelles. La disparition de ces tensions signerait l’abandon d’une réflexion épistémologique pourtant indispensable et conduirait à un amalgame irrespectueux de l’apport spécifique de chaque approche. Il apparaît ainsi que la recherche psychiatrique n’est plus l’apanage des seuls psychiatres. Elle est devenue l’affaire de tous, ce qui est certainement une façon privilégiée de lutter contre la stigmatisation dont sont toujours victimes les patients souffrant de troubles psychiatriques.




Principes éthiques généraux



Le code de Nuremberg


Les principes éthiques généraux sur lesquels repose la recherche biomédicale ont été définis en 1949 par le code de Nuremberg, formulé lors du jugement de 23 médecins et personnalités nazis ayant réalisé des recherches sur des prisonniers – dont certains souffraient de troubles psychiatriques ou de retard mental – dans des camps de concentration. Le premier de ces principes est l’obtention d’un consentement volontaire, préalable essentiel à la participation à une recherche biomédicale. Ce principe est indissociable de la notion fondamentale du respect d’autrui. Il implique que le participant ait véritablement compris et librement accepté l’intervention qui lui est proposée dans le cadre de la recherche. Les autres principes concernent notamment la nécessité de minimiser les risques encourus par les participants, la possibilité de se retirer de l’étude à tout moment et l’obligation pour les investigateurs d’être compétents sur les plans moral et scientifique ; une recherche ne répondant pas à des critères de scientificité suffisants ne peut être considérée comme éthique car elle ne permet pas de tirer de conclusions valides.


Le code de Nuremberg a suscité de très nombreux travaux visant plus particulièrement à préciser et à rendre opérationnel le principe du consentement [13, 15]. Celui-ci nécessite que le patient reçoive une information honnête, complète et accessible sur l’objectif, la méthodologie et la durée de la recherche, les bénéfices attendus, les contraintes et les risques prévisibles liés à sa participation, les alternatives à cette participation. Le consentement présuppose en outre que le participant est autonome pour prendre sa décision, c’est-à-dire qu’il peut exprimer sa volonté, comprendre l’information délivrée, et élaborer seul, de manière rationnelle et délibérée, un choix prenant sens par rapport à son histoire personnelle, ses valeurs, ses croyances et sa situation présente. En d’autres termes, le participant doit être capable de prendre de manière autonome une décision en fonction de ce qu’il estime être juste et bon pour lui-même et pour autrui. Enfin, le consentement requiert que la décision soit prise librement, en l’absence de toute coercition.



La loi du 20 décembre 1988


En France, la recherche biomédicale est régie par la loi du 20 décembre 1988, dite loi Huriet. Cette loi implique notamment l’obligation de protéger les personnes qui se prêtent à des recherches, le devoir de les informer, le recueil par écrit de leur consentement libre, éclairé et exprès, la séparation claire du contrat de soins et du contrat de recherche lorsque le participant est un patient, et l’obligation de soumettre le protocole de recherche à un comité d’experts, le Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale. S’agissant des mineurs ou des majeurs protégés par la loi, la loi stipule que le consentement est donné par le représentant légal pour les recherches avec bénéfice individuel direct ne présentant pas un risque prévisible sérieux et, dans les autres cas, par le représentant légal autorisé par le conseil de famille ou le juge des tutelles. Lorsque le mineur ou le majeur protégé est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être également recherché et il ne peut être passé outre à son refus.


L’application de cette loi se heurte à quelques difficultés. Ainsi, la distinction entre recherche avec ou sans bénéfice thérapeutique individuel direct est parfois difficile à établir en pratique. La directive européenne sur les essais cliniques, dont les décrets d’application devraient être publiés prochainement, répondra à cette difficulté. Mais l’intérêt majeur de cette loi est d’avoir mis en place les conditions pratiques qui permettent le progrès des connaissances techniques et médicales dans le respect de la dignité des patients. Elle s’inscrit dans le mouvement actuel visant à une plus large reconnaissance des droits des patients, notamment des patients vulnérables [17]. Ces droits ont été consacrés par la loi du 4 mars 2002, qui témoigne d’une évolution de la relation médecin – malade : le paternalisme médical, qui avait longtemps prévalu, est aujourd’hui abandonné au profit de la reconnaissance du patient comme consommateur et acteur de ses soins. Cette loi trouve sa place dans le cadre législatif récent qui donne au citoyen plus de responsabilité et de transparence dans la relation à celui qui l’assiste, tout particulièrement au moment où la maladie le rend vulnérable.



La notion de consentement libre et éclairé dans la recherche psychiatrique


L’expérience accumulée par de nombreux chercheurs depuis plus d’une quinzaine d’années montre que l’application de la loi Huriet dans le champ de la recherche psychiatrique constitue un progrès considérable par rapport à la situation antérieure. La question se pose toutefois de savoir si le principe du consentement éclairé peut être respecté lorsque les patients sont atteints de troubles psychiatriques altérant la compréhension, le jugement et l’autonomie et rendant donc le consentement sujet à caution. C’est tout particulièrement le cas de patients souffrant d’un état psychotique aigu ou d’une psychose chronique comme la schizophrénie : l’apathie, l’ambivalence, le retrait social, l’impulsivité, les distorsions de la perception et du jugement et les perturbations de la motivation et des émotions peuvent, au moins en théorie, altérer la capacité de prendre des décisions. Il en est de même des patients atteints de démence, avec son cortège de troubles cognitifs, émotionnels et caractériels. La question se pose également de savoir si des patients souffrant d’une dépression avec aboulie, perte d’énergie, indécision, pensées négatives, sont autonomes pour décider de participer à une recherche.



Les études empiriques


La façon dont les patients atteints de troubles psychiatriques comprennent l’information délivrée et donnent leur consentement a fait l’objet de plusieurs études empiriques (revue in [15]) mettant à profit le développement récent de méthodes d’évaluation de la capacité de prendre une décision [4, 6]. Dans le domaine le plus étudié, celui de la schizophrénie [1, 2, 8, 14, 16, 19], il ressort que les patients souffrant de troubles chroniques et sévères sont nombreux à garder une capacité relativement préservée de donner un consentement éclairé. Certains patients ont toutefois une altération de cette capacité, davantage consécutive aux troubles cognitifs qu’aux symptômes psychotiques dont ils souffrent ; des résultats semblables ont été obtenus chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer [10]. Mais la capacité de donner un consentement éclairé s’améliore notablement dès lors qu’une information complémentaire sur la recherche est donnée aux patients schizophrènes [2]. Les méthodes d’évaluation de la capacité de donner un consentement pourraient être ainsi utilisées pour identifier non seulement les patients aptes à consentir, mais également ceux susceptibles de bénéficier d’un complément d’informations.


Ces travaux confirment que la décision des patients, qu’ils soient atteints de troubles psychiatriques ou d’une maladie somatique, dépend non seulement de variables cognitives objectives, mais également de facteurs subjectifs tels que les valeurs personnelles positives (optimisme, générosité, altruisme) ou négatives (pessimisme, hostilité), les désirs et les motivations, l’influence de la famille et de l’entourage, et la qualité de la relation unissant le patient au médecin traitant et à l’investigateur [12, 16]. Enfin, L.W. Roberts et al. [16] montrent que le chercheur a tendance à sous-estimer l’influence jouée par la famille et l’entourage sur la décision des patients schizophrènes.


Bien que préliminaires, ces études empiriques sont importantes dans la mesure où elles remettent en question l’idée selon laquelle un patient serait incapable de donner un consentement éclairé du seul fait qu’il est atteint d’une maladie mentale, une idée qui ne fait qu’exprimer et reconduire la stigmatisation dont ces patients sont victimes. Les études empiriques montrent également que la notion de capacité de donner un consentement éclairé n’est pas une aptitude intrinsèque et immuable qui obéirait à la loi du tout ou rien et qui caractériserait un patient de manière définitive. Elle constitue au contraire un phénomène dynamique extrêmement complexe, impliquant de multiples processus psychologiques, culturels, sociologiques, et dépendant éminemment des fluctuations des troubles psychiatriques, du contexte et de l’objectif de la recherche, de l’information délivrée, ainsi que de l’histoire personnelle et familiale du patient et de la relation qu’il entretient avec le chercheur.


Ces études montrent enfin que de nombreux patients souffrant de troubles psychiatriques sont capables de donner un point de vue très élaboré et pertinent sur leur intérêt pour la recherche psychiatrique, les espoirs qu’elle soulève et les motivations altruistes qui les conduisent à y participer. Ils se disent convaincus de la nécessité de poursuivre une réflexion éthique approfondie visant à les protéger [16]. Si les études empiriques sur le consentement restent peu nombreuses, ce n’est donc pas parce que les patients seraient dans l’incapacité de s’exprimer, mais parce que les chercheurs n’ont que trop rarement jugé utile de solliciter leur point de vue. En accord avec le principe éthique fondamental du respect d’autrui, il est donc essentiel de poursuivre ces études empiriques pour que les patients, et dans certains cas leur famille, puissent pleinement exprimer leur point de vue, prendre des décisions communes et véritablement partagées avec les chercheurs et devenir ainsi des partenaires à part entière de la recherche.



La position subjective du patient participant à une recherche


L’intérêt particulièrement marqué pour la question des liens entre les troubles psychiatriques et les difficultés du consentement pourrait accréditer l’idée selon laquelle ces difficultés seraient spécifiques. Or, tel n’est pas le cas. L’expérience de la recherche à visée thérapeutique dans des domaines autres que la psychiatrie montre que les patients atteints de maladies somatiques font souvent état d’un réel désarroi, voire d’une totale incompréhension, face à l’information qui leur est donnée. Il s’ensuit un aveuglement complet sur la décision de consentir.


Il est vrai que, par rapport à la situation de soins habituelle, la situation de recherche entraîne une subversion radicale du désir et des positions subjectives du patient et du médecin vis-à-vis du savoir médical et scientifique. Dans la situation de soins habituelle, le patient est le demandeur et le médecin le détenteur du savoir qui permet de répondre à la demande du patient. Dans la situation de recherche, le chercheur devient le demandeur et le patient le détenteur d’un savoir à son insu. Le patient se trouve ainsi confronté à une situation radicalement nouvelle et contradictoire : son désir de guérir grâce au savoir médical se heurte à l’information selon laquelle ce savoir est incomplet, tout en se mêlant au désir de contribuer au progrès de ce savoir. Nul ne saurait donc s’étonner des difficultés que peut provoquer la demande de consentement à la recherche, y compris lorsqu’elle est adressée à des patients non vulnérables. En psychiatrie, la difficulté est redoublée par le fait que les maladies touchent les patients dans leur subjectivité, dans leur relation à eux-mêmes et à autrui, et notamment au psychiatre. Des études empiriques sont nécessaires pour documenter le point de vue des patients confrontés à cette situation.



La balance bénéfice/risque et la protection des patients


Conformément à la notion de protection des personnes définie par la loi Huriet, le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à une recherche ne doit pas être hors de proportion avec le bénéfice escompté par ces personnes ou l’intérêt de la recherche, et tout doit être mis en œuvre pour minimiser ce risque. Le risque que fait encourir une technique ou une thérapeutique nouvelle est évalué en référence à un savoir médical habituellement bien codifié. L’évaluation de la balance entre le bénéfice et le risque peut cependant s’avérer délicate dans trois situations particulières, et ceci d’autant plus que la recherche concerne des patients souffrant de troubles psychiatriques : les essais cliniques contrôlés contre placebo, les recherches nécessitant une abstention thérapeutique et celles reposant sur la provocation de symptômes psychiatriques. Ces recherches ont fait, et font toujours, l’objet de nombreux débats.


Alors que les études contrôlées contre placebo constituent la base même de l’évaluation de l’efficacité et de la tolérance d’un nouveau traitement, certains psychiatres estiment cependant que de telles études sont contraires à l’éthique lorsqu’il existe un traitement de référence ayant fait la preuve de son efficacité, car elles privent les patients du bénéfice procuré par ce traitement [7]. En conséquence, ces études devraient être abandonnées. Cette position risque toutefois de conduire à la mise sur le marché de nouveaux médicaments dont l’efficacité apparaît comparable à celle d’un traitement standard mais n’est pas en réalité supérieure à celle d’un placebo [18]. D’autres chercheurs préconisent d’abandonner les études contre placebo pour ne plus réaliser que des essais thérapeutiques visant à démontrer soit la supériorité d’un nouveau médicament sur un produit de référence [7], soit sa non-infériorité ; cette dernière proposition se heurte cependant au difficile problème de la fixation du seuil statistique permettant de conclure à cette non-infériorité. Les chercheurs restent cependant nombreux à considérer que les études utilisant un placebo ne doivent pas être abandonnées lorsqu’un traitement de référence existe, mais ils reconnaissent également qu’elles ne vont pas sans poser problème et que tout doit donc être mis en œuvre pour que la protection des patients soit assurée [15].


Les essais cliniques contrôlés contre placebo peuvent être considérés comme un cas particulier d’une situation plus générale représentée par les recherches nécessitant une abstention thérapeutique, telles que celles s’intéressant à des variables étiologiques ou physiopathologiques pouvant être perturbées par l’effet des médicaments. Comme les essais thérapeutiques avec placebo, ces études comportent un risque de prolongation, d’aggravation ou de réapparition des troubles psychiatriques [3].


Les recherches reposant sur la provocation de symptômes psychiatriques consistent, quant à elles, à utiliser une substance pharmacologique ou une intervention psychologique pour induire chez des patients, de façon contrôlée, les symptômes cliniques ou les modifications neurobiologiques d’un trouble psychiatrique. Ces recherches ont pour objectif de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques responsables de l’expression de ces symptômes ; elles peuvent dans certains cas permettre de prédire la réponse à un traitement ou d’identifier de nouvelles thérapeutiques. Ces études posent à l’évidence la question de savoir si le bénéfice attendu est justifié face au risque et à la souffrance que représente la recrudescence des symptômes [11].


Ces trois types de recherches ont en commun le fait qu’elles semblent contrevenir à l’obligation éthique d’optimiser la balance bénéfice/risque : le patient ne bénéficierait pas d’un traitement optimal et/ou encourrait un risque qui ne serait pas contrebalancé par un bénéfice personnel. Pour répondre à cette critique, il est essentiel de bien comprendre ce qui rapproche, mais aussi ce qui distingue, la démarche éthique sous-tendant la pratique médicale habituelle et la recherche, car la frontière entre soins et recherche ne va pas nécessairement de soi. Qu’il s’agisse de soins ou de recherche, le principe fondamental qui sous-tend l’obtention du consentement est le même — le respect du patient —, et il mène vers un objectif commun — le partage de la responsabilité et de la confiance entre le patient et le médecin. En outre, un bénéfice est attendu dans les deux situations. Mais ce bénéfice n’est pas nécessairement le même : alors que la pratique médicale habituelle a pour règle d’or l’obtention d’un bénéfice thérapeutique pour chaque patient pris individuellement, la recherche clinique vise principalement l’obtention d’un bénéfice pour les patients à venir et, plus largement, pour la société, bénéfice représenté par l’enrichissement des connaissances médicales et techniques. Mais, face à cette distinction, il convient de ne jamais perdre de vue que, dans tous les cas, la protection des patients est individuelle. C’est la raison pour laquelle l’auteur de ces lignes considère que les recherches reposant sur la provocation de symptômes psychiatriques ne répondent qu’exceptionnellement à ces principes éthiques. Au-delà des différences d’appréciation selon les chercheurs, les pays et les cultures [7], il reste qu’une majorité de chercheurs considère aujourd’hui que ces trois types de recherches sont éthiquement acceptables dès lors que la protection des patients est assurée.


Ces recherches doivent donc être conçues de manière particulièrement soigneuse et rigoureuse afin de répondre aux exigences éthiques suivantes :




L’éthique personnelle du chercheur



Les répercussions de la recherche psychiatrique sur la position subjective des patients


Les risques envisagés jusqu’à présent dépendent du protocole de recherche utilisé. Mais le risque peut être d’une tout autre nature, et son évaluation devenir particulièrement délicate, lorsque la recherche est susceptible de retentir sur la position subjective des patients. Il n’est pas lié ici à une intervention directe sur le corps ou l’esprit, mais aux représentations mentales, explicites ou implicites, que le patient et/ou le chercheur associent à cette intervention [9]. Ainsi, une simple prise de sang, en apparence banale, peut susciter de réelles inquiétudes lorsque la recherche concerne un domaine particulièrement sensible pour le patient en raison de son histoire personnelle ou familiale, tel que, par exemple, la génétique ou l’étude du comportement. Dans le cadre d’une recherche de psychopathologie cognitive, la réalisation d’une tâche de mémoire, de résolution de problème ou de dénomination d’objets peut également apparaître anodine. Cependant, la passation de la tâche peut devenir pour le patient source d’un questionnement angoissant s’il sait que la recherche se propose de vérifier l’hypothèse selon laquelle la maladie dont il souffre altère le fonctionnement cognitif et cérébral. Par-delà son apparente banalité, la tâche renvoie aux modèles théoriques auxquels se réfère la psychopathologie cognitive pour expliquer les troubles psychiatriques et peut conduire aux interrogations suivantes : comment le chercheur qui recourt à ces modèles se représente-t-il les troubles qu’il étudie ? Et comment cette représentation peut-elle modifier le regard que le patient porte sur sa maladie et sur lui-même ?


La question posée est donc celle de savoir comment les références théoriques du chercheur et leur mise en acte dans le concret de la recherche sous la forme d’interventions sur le corps et l’esprit peut retentir sur la subjectivité du patient qui se prête à cette recherche [9]. Là également, cette question n’est pas propre à la psychiatrie, mais elle peut devenir particulièrement délicate dans un domaine où la maladie touche le patient dans sa subjectivité. De plus, si le psychiatre clinicien est régulièrement confronté à cette question dans le cadre de sa pratique de soins — une psychothérapie d’inspiration analytique ne véhicule pas les mêmes représentations des troubles psychiatriques qu’une thérapie comportementale —, le chercheur ne l’est que rarement et, contrairement au psychiatre clinicien, n’a habituellement pas la possibilité de reprendre cette question avec son patient dans le cadre thérapeutique. Enfin, les références théoriques du psychiatre traitant et du chercheur ne sont pas nécessairement identiques.


Tenter de répondre à la question des répercussions de la recherche psychiatrique sur la position subjective des patients requiert une réflexion épistémologique sur les catégories de pensées engagées par la recherche, de telle sorte que le chercheur ne soit pas aveugle sur ce qui se joue avec le patient lors de la réalisation de la recherche. Bien qu’il n’existe aucune étude empirique pour l’affirmer, le risque d’un retentissement négatif pourrait être d’autant plus élevé que le chercheur en méconnaîtrait l’éventualité et n’en maîtriserait pas les effets. Mais à l’inverse, l’expérience montre que la prise en compte de ces enjeux peut être bénéfique lorsqu’elle donne véritablement au patient le sentiment de contribuer au progrès des connaissances sur les maladies et leur traitement. La réflexion éthique ne peut donc être séparée de la réflexion épistémologique.


En pratique, il semble indispensable de donner au patient la possibilité, à tout moment au cours du déroulement de la recherche et au-delà, de poser les questions qui lui importent. Le patient peut bien sûr les poser au chercheur, notamment au moment de la délivrance de l’information sur la recherche et du recueil du consentement. L’instauration d’un dialogue dépend de manière cruciale de la qualité de l’information donnée et de son adaptation à chaque patient. Dans certaines situations, notamment lorsque le patient est atteint d’une schizophrénie, l’information pourra être également donnée à un membre de la famille, en accord avec le patient. Mais pour être formulées, certaines questions nécessitent que le patient ait été confronté directement à la réalité concrète de la recherche, et d’autres requièrent du recul, ainsi qu’une confiance et une qualité relationnelle qui n’existent généralement qu’avec le psychiatre traitant. Il convient donc que, s’il le souhaite, le patient puisse reprendre avec ce dernier, dans le cadre même de la relation thérapeutique, les questions qui ont pu se poser à l’occasion de sa participation à la recherche, notamment celles suscitées par la façon dont le chercheur se représente les troubles psychiatriques. Le psychiatre traitant est également le mieux à même d’informer le patient et sa famille des résultats de la recherche. Il est donc à tous égards souhaitable qu’un véritable dialogue s’instaure entre le chercheur et le psychiatre traitant.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 4: La recherche en psychiatrie

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