31: Cytomégalovirus et grossesse

Chapitre 31 Cytomégalovirus et grossesse



Le cytomégalovirus (CMV) est un virus responsable d’infections généralement asymptomatiques, très fréquemment rencontrées dans la population générale et dont le caractère pathogène s’exprime surtout chez les patients dont les défenses immunitaires sont faibles, tels que les patients immunodéprimés (chimiothérapie, immunosuppresseur, SIDA) ou le fœtus. L’infection de la femme enceinte par le CMV peut être à l’origine d’une atteinte fœtale grave. Il s’agit de l’infection congénitale la plus fréquemment rencontrée dans les pays industrialisés.




Épidémiologie et transmission maternofœtale


La séroprévalence de l’infection à CMV chez l’adulte est retrouvée à des taux qui varient de 25 à 100 % en fonction du pays, du statut socio-économique, de la profession, de la parité, de l’âge et de l’origine ethnique [1, 2]. En France, cette séroprévalence se situe aux alentours de 50 % [35] et l’incidence de l’infection à CMV chez des femmes enceintes antérieurement séronégatives varie dans la littérature entre 0,5 et 4 % [4, 68]. Les femmes séronégatives travaillant au contact de très jeunes enfants ou ayant un premier enfant en crèche sont les plus exposées car la circulation de ce virus est extrêmement fréquente au sein des collectivités de très jeunes enfants. Le mode de transmission résulte d’un contact étroit d’individu à individu avec exposition aux sécrétions corporelles (urines, lait, larmes, sécrétions oropharyngées, sécrétions génitales, etc.).


Selon les études, la transmission de la mère au fœtus en cas de primo-infection serait de 30 à 45 % au 1er trimestre de la grossesse, de l’ordre de 45 % au 2e trimestre [9, 10], et de 75 à 80 % au 3e trimestre. En cas d’infection périconceptionnelle (c’est-à-dire survenant dans les 2 à 3 semaines qui suivent ou précèdent la conception), la transmission maternofœtale a été estimée entre 30 et 45 % selon des études portant sur de faibles effectifs [11, 12]. De plus, le risque de transmission lorsque l’infection maternelle est survenue plus d’un mois avant la conception est généralement rapporté comme très faible [11, 13, 14]. Une réactivation ou une réinfection secondaire sont possibles et, dans ce cas, la transmission au fœtus ne peut être déterminée précisément puisqu’il est impossible en pratique courante de diagnostiquer ce type d’infection maternelle [15]. Dans les pays à forte séroprévalence, ces infections congénitales sont toutefois majoritairement secondaires à d’autres infections maternelles, tandis que dans les pays à séroprévalence modérée (environ 50 %), elles font le plus souvent suite à des primo-infections maternelles [1, 16]. Nous n’avons pas retrouvé de données relatives à la prévalence de l’infection à CMV chez le nouveau-né en France. Dans d’autres pays, elle est estimée entre 0,2 et 2 % [16, 17] et reste globalement identique, quelle que soit la séroprévalence.


Enfin, la période néonatale est une période de haute contagiosité par les sécrétions cervicovaginales, le lait maternel ou les contacts rapprochés, mais l’infection n’est dans ce cas pas suivi de séquelles neurologiques lorsque l’enfant est à terme et eutrophe [18, 19]. La présence de virus dans le lait ne constitue donc pas une contre-indication à l’allaitement maternel, sauf en cas de prématurité en raison du risque d’infection généralisée qui peut être grave dans ce cas.




Physiopathologie de l’infection congénitale


Succédant à la virémie maternelle, l’infection placentaire permet au virus de se multiplier dans le placenta longtemps après la disparition de la virémie, le placenta se comportant comme un réservoir dans lequel le CMV est amplifié avant d’être transmis au fœtus [21]. Le placenta peut être infecté sans que le fœtus soit lui-même contaminé. La littérature rapporte en effet des cas d’infection d’un seul jumeau en cas de dizygotie ou avec une extension différente des lésions chez des jumeaux, voire des quadruplés [22, 23]. Cela suggère un rôle protecteur du placenta vis-à-vis de la transmission maternofœtale, ainsi que l’existence de facteurs innés de sensibilité à l’infection [14]. Le CMV est retrouvé dans les cellules du cytotrophoblaste et du syncytiotrophoblaste.


Le virus peut se transmettre par voie hématogène selon deux voies : au niveau de la chambre intervilleuse, le virus présent dans le sang maternel infecte le cytotrophoblaste à travers le syncytiotrophoblaste avant d’infecter les tissus fœtaux ; ou bien, le virus présent dans le sang maternel au niveau des vaisseaux utérins infecte d’abord les cellules de l’endothélium vasculaire, puis le cytotrophoblaste des villosités ancrées. Par ailleurs, chez les femmes préalablement immunisées, une réactivation virale dans les macrophages utérins peut avoir lieu et conduire à l’infection du fœtus, via le cytotrophoblaste adjacent [24]. L’infection du placenta peut s’effectuer elle-même soit par l’intermédiaire de complexes virus/immunoglobulines G, soit par l’intermédiaire de leucocytes infectés par le CMV. Le fœtus, dont le système nerveux central est en développement, est particulièrement vulnérable au CMV et son atteinte peut être responsable de déficits neurosensoriels qui constituent les séquelles les plus lourdes de l’infection. Cependant, il est difficile de retracer l’histoire naturelle de l’infection pour chaque fœtus. L’on peut seulement observer expérimentalement chez le fœtus de macaques Rhésus l’apparition de lésions étonnamment similaires à celles observées chez le fœtus humain en cas d’infection par le CMV [25]. Le système nerveux central est une cible privilégiée du virus dont les anomalies histologiques sont en tout point comparables chez le macaque Rhésus à celles observées chez l’être humain (microcéphalie, ventriculomégalie), anomalie de la migration neuronale pouvant être responsable d’anomalies de la gyration cérébrale (de la polymicrogyrie à la lissencéphalie) liées à l’infection élective de la couche neuronale germinative périventriculaire [2632]. Enfin, le ganglion spiralé de Corti qui contient le corps des neurones de l’audition de l’oreille interne peut également être infecté et des lésions cochléaires souvent modérées peuvent être observées, consistant essentiellement en un œdème accompagné d’un infiltrat inflammatoire [3338].


Cette inflammation modérée, sans cytolyse, explique probablement les améliorations spontanées que l’on observe lors de la diminution de la réaction inflammatoire de l’hôte. Le rôle majeur de l’inflammation dans l’apparition d’une surdité est également souligné par l’efficacité des thérapeutiques immunosuppressives et/ou anti-inflammatoires dans les modèles animaux de labyrinthites à CMV. Le virus peut également persister plusieurs années dans l’oreille interne et la surdité peut donc évoluer de façon prolongée [39, 40].



Conséquences de l’infection congénitale à CMV


Environ 10 % des nouveau-nés infectés sont rapportés comme cliniquement symptomatiques. Le tableau clinique présenté par ces enfants symptomatiques associe de façon variable une hypotrophie, une hépatite cytolytique, une hépatosplénomégalie et des signes d’atteinte du système nerveux central qui peuvent aboutir, dans les cas les plus graves, à des séquelles neurosensorielles et un retard psychomoteur sévère. Dans ce groupe symptomatique, il est observé après la naissance un taux de mortalité spontanée précoce de 30 %, environ 60 % de retards mentaux, et 10 % de formes sans traduction clinique évidente de symptômes.


L’infection congénitale à CMV est toutefois cliniquement asymptomatique à la naissance dans environ 90 % des cas. Elle peut être symptomatique aussi bien après primo-infection maternelle qu’après infection secondaire dans des proportions qui ne sont pas évaluées précisément. Il semble toutefois que la proportion d’enfants présentant un déficit auditif soit équivalente quelle que soit l’origine de cette infection maternelle [41, 42].


Une surveillance clinique de ces enfants nés infectés est indispensable pour permettre le dépistage et l’appareillage de séquelles neurosensorielles (principalement à type de troubles de l’audition) qui surviennent dans 5 à 10 % des cas et se développent au cours des premières années de vie. En l’absence de symptomatologie anténatale ou clinique, une anomalie de développement psychomoteur est donc exceptionnelle.




Apport de l’IRM dans le diagnostic des fœtopathies à cytomégalovirus


L’IRM est un examen complémentaire indispensable à l’échographie pour mettre en évidence et/ou préciser les différentes atteintes cérébrales rencontrées au cours de l’infection à CMV.


En effet, l’IRM présente une meilleure sensibilité que l’échographie pour le diagnostic des lésions corticales (mise en évidence d’anomalies de la gyration) et de certaines lésions ischémiques parenchymateuses ; elle permet donc une meilleure appréciation du pronostic et une meilleure information parentale.


Les lésions cérébrales observées sont variées, à type de : microcéphalies, lissencéphalie, dysplasie corticale, polymicrogyrie, hypoplasie cérébelleuse, lésions focalisées de la substance blanche, dilatation et/ou asymétrie ventriculaire, calcifications périventriculaires et/ou corticales, kystes sous épendymaires, etc., et souvent associées.


Le type de lésion observé est fonction de la date de survenue de l’infection au cours de la grossesse : les anomalies de la gyration sont vues au cours d’une infection précoce, pendant la phase de migration neuronale, et sont à type de lissencéphalie (avant la 16e ou 18e semaine) et de polymicrogyries (avant la 24e semaine) (fig. 31.5 et 31.6).




Une atteinte cérébelleuse à type d’hypoplasie est possible et d’autant plus marquée que l’infection est précoce (fig. 31.7).



Au-delà de 26 à 28 semaines, il peut s’agir de lésions ischémo-inflammatoires de la substance blanche à type d’hypersigaux T2 périventriculaires, de leucomalacie (petites cavités dans la substance blanche périventriculaire) et de cavité porencéphalique (fig. 31.8).



D’autres lésions comme les kystes sous-épendymaires et paraventriculaires sont le plus souvent observées dans les atteintes tardives ; elles s’expliquent par le tropisme du CMV pour les cellules de la matrice germinale et siègent au niveau de l’incisure thalamocaudée, autour des cornes frontales, occipitales et temporales ; ces kystes peuvent être parfois soufflants et rapidement évolutifs (fig. 31.9)



Les calcifications périventriculaires peuvent se voir à la phase précoce ou tardive de l’infection : l’IRM est inférieure à l’échographie pour leur dépistage, elle montre des nodules hyperintenses T1 périventriculaires et parfois de siège cortical (fig. 31.10).



La place exacte de cet examen dans la prise en charge est discutée. Lors d’une échographie orientée strictement normale (examen cérébral et extracérébral), l’IRM a toujours été retrouvée normale. L’intérêt de l’IRM est surtout en cas d’anomalies extracérébrales, ou pour confirmer des anomalies cérébrales dépistées à l’échographie [71].



Aspects anatomopathologiques


Le placenta peut être volumineux et œdémateux ou normal.


La lésion histologique la plus caractéristique est la villite chronique, parfois granulomateuse. Les inclusions virales peuvent être observées dans les cellules de Hofbauer (macrophages) et les cellules endothéliales. Elles ne sont pas constantes et difficiles à mettre en évidence. Une étude immunohistochimique peut être utile au diagnostic.


Les lésions fœtales externes ne sont pas spécifiques : retard de croissance intra-utérin, anasarque, micro- ou macrocéphalie, distension abdominale par hépatosplénomégalie.


À l’autopsie, les lésions viscérales sont fréquentes mais variables :







L’analyse histologique montre des lésions inflammatoires non spécifiques, une hématopoïèse extrahépatique et des inclusions virales caractéristiques dans les cellules épithéliales (fig. 31.13).



L’atteinte cérébrale est fréquente et responsable de la gravité de la maladie. Les atteintes sont très variables :






Ces lésions sont en rapport avec une vascularite, qui est à l’origine de la nécrose tissulaire.


Des calcifications (fig. 31.15) peuvent également être présentes secondairement, visibles à l’examen radiologique ou macroscopique. L’analyse histologique peut monter une réaction gliale, de petits granulomes parfois centrés par une cellule avec inclusion cytomégalique et une polymicrogyrie.



Jul 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 31: Cytomégalovirus et grossesse

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access