3 Sémiologie des nerfs crâniens
À l’exception du nerf olfactif et du nerf optique, les nerfs crâniens, numérotés de I à XII, naissent ou se terminent dans le tronc cérébral (fig. 3.1). Certains ont des fonctions bien particulières : olfaction (nerf olfactif), vision et exploration visuelle de l’environnement (nerf optique et nerfs oculomoteurs), audition (nerf acoustique), équilibre (nerf vestibulaire). Les autres ont un rôle somatique plus habituel associant de façon variable composante motrice, sensitive et autonome.
Nerf olfactif (I)
Les récepteurs olfactifs sont des neurones bipolaires situés dans la muqueuse tapissant l’étage supérieur de la fosse nasale. À la surface de la muqueuse, ces neurones présentent des cils contenant des molécules de liaison avec les substances odorantes volatiles. Les axones de ces neurones récepteurs traversent la lame criblée de l’ethmoïde et font relais dans le bulbe olfactif avec les cellules mitrales, dont les axones forment le tractus olfactif. La majorité des fibres olfactives se terminent dans l’uncus, quelques-unes dans l’aire prépyriforme (partie postérieure du gyrus orbitaire) et l’espace perforé antérieur. L’hippocampe n’a pas chez l’homme de rôle dans l’olfaction.
Des maladies neurodégénératives, maladie d’Alzheimer et maladie de Parkinson, sont aussi une cause d’hyposmie/anosmie pouvant être précoce, précédant les autres manifestations cliniques, avec présence dans les bulbes olfactifs de dégénérescences neurofibrillaires ou de corps de Lewy.
Nerf optique (II) et voies visuelles
Rappel anatomo-fonctionnel
Rétine
La rétine renferme, en allant de l’extérieur vers l’intérieur, les photorécepteurs, les neurones bipolaires, qui sont entièrement intrarétiniens et correspondent aux protoneurones visuels, et les neurones ganglionnaires, ou deutoneurones visuels, dont les axones s’étendent jusqu’au corps genouillé latéral (fig. 3.2).
Les photorécepteurs sont les cônes et les bâtonnets, qui reposent sur l’épithélium pigmentaire de la rétine. Les cônes sont le support de la vision discriminative et de la vision des couleurs. En raison de leur seuil d’excitation élevé, leur fonctionnement nécessite de bonnes conditions d’éclairage. Les bâtonnets, dont le seuil d’excitation est faible, peuvent fonctionner en vision crépusculaire, mais les capacités discriminatives de ce système sont faibles. La macula, située au pôle postérieur du globe oculaire, présente une dépression centrale, la fovéa, où l’acuité visuelle est la plus grande. Elle contient uniquement des cônes auxquels la lumière parvient directement, en l’absence à ce niveau d’interposition des couches internes de la rétine ou de vaisseaux rétiniens. La prépondérance des bâtonnets en dehors de cette région centrale rend compte de l’importance de la rétine périphérique pour la vision crépusculaire.
Les influx provenant des photorécepteurs sont relayés par les cellules bipolaires vers les neurones ganglionnaires, dont les axones, dépourvus de gaine de myéline, convergent vers la papille (tache aveugle), située en dedans de la macula.
Les couches internes de la rétine sont vascularisées par l’artère centrale de la rétine, branche de l’artère ophtalmique. L’artère centrale de la rétine parvient au pôle postérieur du globe oculaire à l’intérieur du nerf optique. Son émergence est visible au fond d’œil au niveau de la papille. Les couches externes de la rétine sont irriguées par diffusion à partir du réseau choroïdien, dont l’alimentation est assurée par les artères ciliaires, qui proviennent également de l’artère ophtalmique.
Nerf optique
Il est formé par la réunion des axones des neurones ganglionnaires. À partir de leur émergence du globe oculaire, ces axones sont revêtus d’une gaine de myéline qui a les caractères de la myéline du système nerveux central formée par les oligodendrocytes. D’abord intraorbitaire, le nerf optique devient intracrânien en traversant le canal optique. Il est vascularisé par l’artère centrale de la rétine et par l’artère ophtalmique. L’espace sous-arachnoïdien se prolonge le long du nerf optique jusqu’au pôle postérieur du globe oculaire.
Chiasma
Le chiasma est le siège d’une décussation partielle des fibres optiques (fig. 3.3). Les fibres provenant du champ nasal de la rétine, y compris les fibres du secteur nasal de la macula, croisent la ligne médiane, pour gagner la bandelette optique controlatérale. Les fibres issues du champ temporal de la rétine ne décussent pas et s’engagent dans la bandelette optique homolatérale.
Bandelettes optiques (tractus optique)
Les bandelettes optiques s’étendent du chiasma au corps genouillé latéral en contournant les pédoncules cérébraux. Chaque bandelette optique contient les fibres directes et les fibres croisées provenant des deux hémirétines qui explorent le champ visuel controlatéral.
Corps genouillé latéral
Le corps genouillé latéral appartient au thalamus, qu’il prolonge en arrière et en bas. Il est formé de six couches sur lesquelles se terminent les fibres visuelles contenues dans la bandelette optique correspondante. Les couches 2, 3 et 5 reçoivent les fibres provenant de l’œil homolatéral ; les couches 1, 4 et 6, celles de l’œil controlatéral. Au contraire des fibres visuelles, les afférences du réflexe photomoteur (fibres pupillaires) ne font pas relais dans le corps genouillé latéral. Elles court-circuitent cette formation pour gagner la région prétectale, où elles s’articulent par l’intermédiaire d’un neurone intercalaire avec le noyau d’Edinger-Westphall ipsi- et controlatéral.
Radiations optiques
Les radiations optiques s’étendent du corps genouillé latéral au cortex occipital. Elles correspondent au troisième neurone des voies visuelles. Les fibres provenant des quadrants supérieurs de la rétine cheminent dans la profondeur du lobe pariétal ; celles provenant des quadrants inférieurs passent dans la profondeur du lobe temporal en dehors de la corne temporale.
Cortex visuel
Le cortex visuel primaire (V1) occupe les deux berges et le fond de la scissure calcarine à la face interne du lobe occipital. La présence de la strie de Gennari faite de fibres myélinisées d’association lui vaut le nom d’aire striée (aire 17 de Brodmann). Les fibres d’origine maculaire occupent une vaste région près du pôle occipital. Les fibres d’origine périphérique ont une représentation plus restreinte et plus périphérique. Les fibres provenant des quadrants supérieurs de la rétine se terminent sur la berge supérieure de la scissure calcarine, celles provenant des quadrants inférieurs sur la berge inférieure.
Au-delà de l’aire V2, il est possible de distinguer deux grandes voies :
Sémiologie des lésions des voies visuelles
Champ visuel
Le champ visuel doit être exploré au cours de tout examen neurologique, au doigt, ou mieux, en utilisant une petite boule rouge à l’extrémité d’un bâtonnet. L’exploration plus précise du champ visuel, lorsqu’elle est nécessaire, doit être confiée à un ophtalmologiste. La tache aveugle de Mariotte, située un peu en dehors de la vision centrale, correspond à la papille (fig. 3.4 et 3.5).
Une hémianopsie est une altération du champ visuel des deux yeux. Les hémianopsies hétéronymes, bitemporales ou exceptionnellement binasales, sont la conséquence de lésions chiasmatiques. Les hémianopsies latérales homonymes, qui se traduisent par l’amputation du champ visuel droit ou gauche, sont la signature d’une lésion rétro-chiasmatique controlatérale. Une hémianopsie limitée aux quadrants supérieurs ou inférieurs est une quadranopsie. Le terme d’hémianopsie altitudinale est parfois utilisé pour désigner l’amputation du champ visuel supérieur ou inférieur d’un seul œil.
Lésions rétiniennes
L’occlusion de l’artère centrale de la rétine se manifeste par la perte brutale de la vision. Lorsque l’occlusion est limitée à la branche supérieure ou inférieure de la rétine, le tableau est celui de l’hémianopsie altitudinale. Lorsque l’ischémie est passagère, elle se manifeste par un épisode de cécité transitoire (amaurosis fugax) évocateur d’une migration embolique à partir d’un foyer de sténose athéromateuse de la carotide interne, mais pouvant aussi relever d’un mécanisme angiospastique.
Les rétinites pigmentaires se traduisent par une héméralopie (baisse de l’acuité sous éclairage faible) et un rétrécissement concentrique du champ visuel, alors que la vision centrale est longtemps respectée. Anatomiquement, le processus pathologique est caractérisé par la disparition des bâtonnets, puis des cônes, remplacés par des cellules pigmentaires dont la conglomération confère au fond d’œil un aspect caractéristique.
Certains médicaments peuvent donner lieu à une rétinopathie : phénothiazines, chloroquine. Le vigabatrin se complique avec une fréquence élevée d’une rétinopathie se traduisant par un rétrécissement concentrique irréversible du champ visuel.
L’atteinte des couches internes de la rétine (neurones ganglionnaires), observée dans certaines sphingolipidoses, conduit à une atrophie optique avec baisse de l’acuité visuelle et, au fond d’œil, pâleur de la papille. Divers toxiques peuvent léser les neurones ganglionnaires et déterminer une atrophie optique (quinine). En fait, devant un tableau d’atrophie optique, il est souvent difficile de savoir si le processus pathologique intéresse primitivement les neurones ganglionnaires ou le nerf optique.
Neuropathies optiques
Une neuropathie optique a pour expression une baisse de l’acuité visuelle en relation avec l’atteinte des fibres du faisceau maculaire. La survenue d’une neuropathie optique peut être aiguë ou progressive.
Neuropathies optiques aiguës
Neuropathies optiques ischémiques antérieures
Neuropathies optiques inflammatoires non ischémiques
Elles ne donnent lieu à un œdème papillaire que dans une minorité de cas. Elles sont en effet le plus souvent rétro-bulbaires. Les modifications du fond d’œil n’apparaissent que secondairement sous la forme d’une pâleur papillaire. À court terme, l’évolution est habituellement favorable. Le risque est l’évolution ultérieure vers une sclérose en plaques cliniquement définie, en particulier lorsque l’IRM objective des lésions de la substance blanche encéphalique. Il peut aussi s’agir de la manifestation initiale d’une neuromyélite optique aiguë.
Maladie de Leber
C’est une neuropathie optique héréditaire, donnant lieu à une baisse rapide de l’acuité visuelle, touchant de façon séquentielle les deux yeux. La transmission est maternelle (hérédité mitochondriale), avec une atteinte possible des deux sexes, mais une prédominance chez l’homme jeune (cf. chapitre 21).
Neuropathies optiques progressives
Neuropathie optique unilatérale ou très asymétrique
Il faut penser à une compression ou une infiltration : gliome du nerf optique, tumeur de la région hypophysaire, méningiome de la petite aile, anévrysme de la partie antérieure du polygone de Willis, sarcoïdose, méningite carcinomateuse.
Neuropathie optique bilatérale
Il existe deux ordres de causes :
Lésions chiasmatiques
Leur conséquence habituelle est une hémianopsie bitemporale, rarement binasale. En fait, la sémiologie visuelle est souvent complexe, du fait d’une compression associée des voies visuelles pré- et rétro-chiasmatiques. Elles sont le plus souvent la conséquence de lésions compressives. Les adénomes hypophysaires et les craniopharyngiomes en sont les causes principales.
Lésions rétro-chiasmatiques
Les fibres afférentes du réflexe photomoteur se séparent des fibres visuelles à l’arrivée dans le corps genouillé latéral. L’abolition du réflexe photomoteur lors de l’éclairement du seul champ hémianopsique (réflexe hémiopique) permet donc d’opposer les lésions de la bandelette optique à celles des radiations optiques et du cortex occipital où ce réflexe est conservé. En fait, la diffusion du rayon lumineux dans les milieux oculaires rend la recherche de ce signe assez illusoire.
Une lésion bilatérale des radiations optiques ou des scissures calcarines donne lieu au tableau de la cécité corticale, remarquable par la conservation des réflexes photomoteurs, et se distinguant d’une cécité hystérique par l’abolition du nystagmus optocinétique.
En l’absence d’interruption des voies visuelles rétro-chiasmatiques et d’hémianopsie vraie, il est possible d’observer une hémianopsie relative mise en évidence par la présentation symétrique de deux objets identiques dans les deux hémichamps. Ce phénomène d’« extinction » ou de « négligence visuelle » peut être en relation avec une lésion pariétale ou frontale.
Nerfs oculomoteurs, motilité oculaire
Muscles oculomoteurs
Muscles droits — Les quatre muscles droits (interne, externe, supérieur, inférieur) issus du tendon de Zinn, dans le fond de l’orbite, s’insèrent sur l’hémisphère antérieur des globes oculaires et sont innervés par le nerf moteur oculaire commun, à l’exception du droit externe qui l’est par le nerf moteur oculaire externe (fig. 3.6).
Muscle grand oblique (oblique supérieur) — Il se réfléchit sur une poulie à la face interne de l’orbite puis se dirige en arrière et en dehors vers la face supéro-externe de l’hémisphère postérieur du globe ; il est innervé par le nerf pathétique.
Notions de mécanique oculaire
Le droit externe et le droit interne sont respectivement abducteur et adducteur. L’action des droits supérieur et inférieur et des obliques est variable selon la position du globe oculaire. Quand l’œil est en adduction, l’axe optique se rapproche de l’axe des obliques, et la verticalité est assurée par les muscles obliques : le muscle oblique supérieur abaisse le globe, le muscle oblique inférieur l’élève, tandis que les droits supérieur et inférieur deviennent rotateurs (mouvements d’intorsion et d’extorsion autour d’un axe antéro-postérieur). Quand l’œil est en abduction, l’axe optique se rapproche de l’axe des droits, le droit supérieur est élévateur, le droit inférieur est abaisseur, alors que les obliques deviennent rotateurs. Quand l’axe visuel est strictement sagittal (position primaire), la verticalité procède des deux groupes musculaires, droit supérieur et oblique inférieur pour l’élévation, droit inférieur et oblique supérieur dans l’abaissement.
Paralysie d’un muscle oculomoteur
La paralysie d’un muscle oculomoteur peut donner lieu à un strabisme apparent dans le regard direct ou seulement lorsque le sujet tente de regarder dans la direction du muscle déficitaire. Très souvent, la paralysie se traduit seulement par une diplopie qui peut être horizontale (atteinte d’un droit externe ou interne) ou verticale (atteinte d’un droit supérieur ou inférieur ou d’un oblique) ; l’analyse de cette diplopie permet de reconnaître avec précision le muscle déficitaire.
Nerfs oculomoteurs
Nerf moteur oculaire commun (III)
Le nerf moteur oculaire commun prend naissance dans le mésencéphale. Son noyau est situé au niveau du colliculus supérieur, près de la ligne médiane, devant la substance grise péri-aqueducale. Les fibres nerveuses se dirigent en avant et traversent le noyau rouge avant d’émerger du tronc cérébral dans la fossette interpédonculaire au-dessous de l’artère cérébrale postérieure, au-dessus de l’artère cérébelleuse supérieure. Le nerf chemine ensuite dans la paroi externe du sinus caverneux et traverse la fente sphénoïdale pour gagner l’orbite où il se divise en une branche supérieure, pour le droit supérieur et le releveur de la paupière supérieure, et une branche inférieure, pour les muscles droit interne, droit inférieur et oblique inférieur. Le III contient également des fibres parasympathiques provenant du noyau d’Edinger-Westphall et destinées à la pupille ; ces fibres font relais dans le ganglion ciliaire auquel elles parviennent après avoir emprunté la branche inférieure du III.
Nerf pathétique (nerf trochléaire) (IV)
Le nerf trochléaire naît d’un noyau juste au-dessous du précédent, au niveau du colliculus inférieur. Les fibres se dirigent en arrière et croisent la ligne médiane avant d’émerger à la face dorsale du mésencéphale. Le nerf contourne ensuite le tronc cérébral, chemine dans la paroi externe du sinus caverneux, traverse la fente sphénoïdale et se termine dans le muscle grand oblique.
Mouvements conjugués des yeux
Les mouvements oculaires se font normalement toujours de façon conjuguée.
Mouvements oculaires lents (rampes) et mouvements oculaires rapides (saccades)
Les mouvements oculaires lents (mouvements de poursuite) « verrouillent » la fixation lors d’un déplacement du stimulus visuel ou lors d’un déplacement de la tête.
Les mouvements oculaires rapides (saccades) mettent fin à une fixation et permettent une exploration du champ visuel au moyen de fixations successives (mouvements de « fixation » ou, peut-être mieux, d’« exploration »).
L’intégration de ces deux types de mouvements se fait dans la formation réticulée paramédiane du tronc cérébral, au niveau du pont pour les mouvements horizontaux et du mésencéphale pour les mouvements verticaux. Il s’agit de deux systèmes anatomo-physiologiques distincts qui peuvent être atteints de façon dissociée. Les saccades sont générées par des neurones à décharges rapides (burst neurons). Des neurones omnipauses siégeant dans le noyau interpositus du raphé pontin, toniquement actifs pendant la fixation, suspendent leur activité pendant toutes les saccades. La dualité des deux types de mouvements oculaires se poursuit jusque dans l’appareil d’exécution périphérique, où l’on décrit la coexistence d’unités motrices à contraction rapide et d’unités motrices composées de fibres musculaires à contraction graduée et lente.