3: Science et art du soin préhospitalier: principes, préférences et pensée critique

Chapitre 3 Science et art du soin préhospitalier


principes, préférences et pensée critique





Scénario


Votre collègue et vous-même êtes envoyés sur les lieux d’un accident de la circulation, un véhicule ayant heurté un arbre sur un chemin rural en bordure de forêt. La météo est dégagée et il fait nuit (2 heures du matin). Le temps de transport vers un trauma center est de 35 minutes. Un hélicoptère médicalisé peut être envoyé sur les lieux à la demande du médecin régulateur. Sa mise en route exige 5 minutes et son trajet est de 15 minutes; un hôpital non-trauma center est à 15 minutes et possède une piste d’atterrissage pour hélicoptères.


Le patient respire avec difficulté à une fréquence de 30/minute. Son pouls est à 110/minute, sa tension artérielle est à 90 mmHg à la palpation et son score de Glasgow est à 11 (Y3, V3, M5). Il a la vingtaine, ne portait pas de ceinture, et il est contre le tableau de bord, éloigné de l’airbag conducteur. Sa jambe droite est déformée à mi-hauteur et il a une fracture ouverte de la cheville avec une hémorragie importante. Il y a approximativement 1 litre de sang sur le sol près de sa cheville.


Vous et votre partenaire travaillez ensemble depuis 2 ans. Vous êtes tous les deux des agents préhospitaliers confirmés. Votre dernière formation continue à l’intubation endotrachéale date d’un an. Vous avez placé une sonde d’intubation il y a 2 mois et votre partenaire en a placé une il y a 1 mois. Vous n’êtes pas autorisé à utiliser des agents paralysants pour l’intubation, mais vous pouvez utiliser des sédatifs si nécessaire. Vous venez juste d’être formé à l’usage du garrot et aux agents hémostatiques.


Vous avez contrôlé tout votre équipement à votre prise de garde. Votre équipement inclut les sondes d’intubation, les laryngoscopes, les garrots et autres équipements figurant sur votre liste d’inventaire. Vous avez tous les médicaments appropriés, y compris les agents hémostatiques.


Quelles décisions sensées allez-vous prendre en vous fondant sur la science (les principes) et comment allez-vous les mettre en œuvre – art de la médecine (préférences) ?



Introduction


L’on sait depuis des années que la médecine n’est pas une science exacte et que la pratique médicale relève pour beau coup de l’art. Cela implique tous les aspects de la médecine et tous les personnels médicaux et paramédicaux. Ces dernières décennies, des avancées rapides de la technologie et de l’électronique se sont produites et la recherche nous a permis de mieux comprendre les soins aux patients. La pratique de la médecine est devenue de plus en plus une science et de moins en moins un art. Cependant, l’art demeure et la médecine est encore loin de la science précise des mathématiques ou de la physique.


L’École de médecine de Tulane a été fondée en 1834, et les premiers étudiants y ont été inscrits en janvier 1835 puis en sont ressortis diplômés en juin 1836. Peu de connaissances pouvaient être enseignées et cette situation n’était pas rare à cette période. Beaucoup d’étudiants suivaient plusieurs mois voire plusieurs années un apprentissage chez un médecin pour ensuite s’installer à leur compte.


La médecine a beaucoup changé depuis la célèbre peinture, datant de 1891, de Sir Luke Fildes qui montre toute la frustration d’un médecin assis au chevet d’un enfant malade. À cette époque, il n’existait pas d’antibiotiques, et l’on connaissait peu les maladies infantiles, aussi bien que l’ensemble des maladies. Seuls quelques rudiments chirurgicaux existaient et la plupart des médicaments étaient des remèdes à base d’herbes. Nous avons depuis fait un long chemin sur le plan scientifique.


Il fallut attendre les années 1950 pour que l’on estime bénéfique de former les personnes allant à la rencontre des patients sur le terrain avant que ces derniers n’arrivent dans la salle des urgences; celle-ci était véritablement une chambre à l’arrière de l’hôpital, souvent fermée à clé au point qu’il fallait attendre que quelqu’un vienne l’ouvrir. La base des connaissances transmises aux agents préhospitaliers a significativement augmenté depuis. En connexion directe avec cette évolution, on a pris conscience de l’importance que chacun des agents préhospitaliers tienne à jour ses connaissances et que ses compétences soient très affûtées. Le savoir est acquis par la lecture et via un programme de formation médicale continue; les compétences s’acquièrent grâce à l’expérience et à la critique, comme c’est le cas pour un chirurgien ou un pilote d’avion. Tout comme un pilote d’avion ne vole pas seul après un unique vol, l’agent préhospitalier n’est pas mûr après avoir utilisé une compétence une fois ou dans une situation.


La science des soins préhospitaliers et la prise de bonnes décisions lors du traitement d’un patient nécessitent une connaissance professionnelle de : 1) l’anatomie – les organes, les os, les muscles, les artères, les nerfs et les veines (pas nécessairement tous leurs noms mais au moins l’endroit où ils se trouvent); 2) la physiologie – qui comprend la production et le maintien de la chaleur, la loi de Starling du cœur (l’augmentation de la précharge augmente le risque d’accident vasculaire cérébral [AVC]) et le principe de Ficke ; 3) la pharmacologie et les actions physiologiques produites par les différents médicaments et leur interaction dans le corps.


Une avancée importante de la science de la médecine a été possible grâce à la mise à disposition de nouveaux équipements techniques et de diagnostic. La capacité de diagnostiquer et de traiter un patient a fortement augmenté grâce : aux techniques d’imagerie, avec le scanner, l’échographie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ; aux laboratoires cliniques qui peuvent mesurer tout électrolyte, hormone ou substance produite par métabolisme ; à la sophistication des médicaments produits par l’industrie pharmaceutique ; aux avancées techniques en chirurgie, médecine, et radiologie invasive ; à l’amélioration des moyens de communication et des équipements logistiques comme le GPS qui permet un accès plus rapide au patient ; et au fait que les médecins et les personnels soignants travaillent ensemble, formant une équipe unique. Les progrès de la science de la médecine sont considérables.


Malgré toutes ces avancées, l’art de la médecine repose toujours sur l’utilisation que font les soignants de leurs connaissances et de leurs capacités d’analyse critique pour faire le bon jugement et prendre les bonnes décisions afin d’identifier correctement l’outil diagnostique, la médication adéquate, ou la meilleure procédure de prise en charge du patient. Pour les agents préhospitaliers, il s’agit de déterminer quel patient est potentiellement gravement blessé ; de choisir quel patient nécessite d’être transporté rapidement et vers quel hôpital ; de savoir quels actes doivent être faits sur place ou pendant le transport ; quelles techniques doivent être utilisées pour accomplir les interventions nécessaires ; et quel équipement est le plus approprié dans une situation donnée. C’est tout l’art de la médecine, ou la préférence. Quels technique, procédure ou matériel l’agent préhospitalier va-t-il choisir dans toute l’armada qu’il a entre ses mains pour que cela corresponde au mieux au besoin du patient dans la situation présente ? Quelle est la méthode à préférer ?



Principes et préférences


La science de la médecine donne les principes du soin médical. De manière basique, les principes sont ces éléments qui doivent être présents, accomplis ou assurés par le soignant dans le but d’optimiser la survie et le devenir du patient. La manière dont ces principes sont mis en œuvre par une personne donnée afin de prendre en charge au mieux le patient dépend des préférences. Celles-ci sont fonction d’une situation à un moment précis, de la situation clinique du patient, de l’expérience et des compétences personnelles, et du matériel disponible. C’est ainsi que la science de la médecine et l’art de la médecine s’articulent pour le bien-être du patient.


L’importance de la différence entre principe et préférence peut être illustrée par l’exemple de la prise en charge des voies aériennes. Le principe, c’est que l’air, contenant l’oxygène, doit aller à travers une voie respiratoire ouverte vers les poumons pour apporter de l’oxygène aux globules rouges qui circulent à travers les poumons et les tissus cellulaires. Ce principe est vrai pour tous les patients. La préférence est le mode de prise en charge des voies aériennes d’un patient en particulier. Dans certains cas, les patients y parviendront par eux-mêmes ; dans d’autres, l’agent préhospitalier devra décider quels moyens sont à mettre en œuvre, si la ventilation assistée est nécessaire ou pas, etc. En d’autres termes, il s’agit de la meilleure manière de s’assurer que les voies aériennes sont ouvertes pour fournir l’oxygène aux poumons, et aussi que le dioxyde de carbone est expulsé. Tout l’art réside dans la manière dont l’agent préhospitalier déterminera son choix et le mettra en œuvre pour répondre au principe.


Les préférences quant à la manière d’accomplir les principes dépendent de quatre facteurs indiqués dans l’encadré 3-1.



La philosophie du programme du PHTLS est que chaque situation et chaque patient diffèrent. Le PHTLS enseigne l’importance d’avoir une bonne compréhension du sujet en question, de même que les compétences nécessaires pour accomplir les interventions requises. Les jugements et décisions intervenant sur les lieux doivent être individualisés pour correspondre aux besoins de ce patient spécifique, pris en charge à ce moment précis et pour cette situation propre. Les protocoles ne sont pas la réponse finale. Les protocoles ne tiennent pas compte du caractère variable des événements. L’agent préhospitalier doit prendre connaissance des lieux, de la situation, des capacités des autres agents préhospitaliers impliqués et de l’équipement disponible. Comprendre ce qu’il est possible de faire et ce qui doit être fait pour ce patient en particulier est fondé sur cette information. C’est en comprenant les principes impliqués et en faisant appel aux compétences de la pensée critique que les bonnes décisions peuvent être prises. Les préférences décrivent la manière dont un agent préhospitalier peut au mieux accomplir le principe. Le principe ne sera pas appliqué de la même manière dans chaque situation et pour chaque patient. Tous les agents préhospitaliers n’ont pas la compétence dans toutes les techniques possibles. Le moyen pour mettre en œuvre ces techniques n’est peut-être pas disponible sur les lieux de toutes les urgences. Ce n’est pas parce qu’un instructeur, un formateur, un directeur médical préfère une technique que cela signifie que c’est la meilleure pour chaque agent préhospitalier dans chaque situation. Le point essentiel est d’accomplir le principe. La manière dont cela est réalisé et la façon dont les soins sont prodigués au patient dépendent des quatre facteurs listés dans l’encadré 3-1 ; ils sont décrits plus en détail dans le paragraphe suivant.



Situation


La situation implique tous les facteurs d’un lieu d’intervention qui pourraient influencer le traitement prodigué au patient. Cela comprend notamment : les dangers sur les lieux, le nombre de patients impliqués, la localisation des patients, la position du véhicule, la contamination par des, ou la présence de matières dangereuses, le feu (ou son éventualité), la météo, le contrôle et la sécurisation des lieux par les forces de l’ordre, le temps/la distance jusqu’au centre médical (en prenant en compte les qualifications de l’hôpital le plus proche ou du trauma center s’il est différent), le nombre d’agents préhospitaliers et d’autres personnes pouvant aider sur les lieux, les passants, les moyens de transport sur place, les autres moyens de transport disponibles mais éloignés (un hélicoptère ou d’autres ambulances par exemple) et encore beaucoup d’autres facteurs. Pour les agents militaires, la situation des lieux inclura également le fait de savoir si le combat est en cours, la localisation des ennemis, la situation du conflit et quelle protection est mise en place pour abriter les blessés. Toutes ces conditions peuvent changer constamment autant dans un contexte civil que militaire. Ces facteurs et de nombreux autres encore changeront la manière dont vous, en qualité d’agent préhospitalier, vous pourrez répondre aux besoins du patient.


Dans le scénario initial de ce chapitre, la situation était la suivante : une voiture seule s’est encastrée dans un arbre sur une route rurale d’une zone forestière. La météo est dégagée et il fait nuit (il est 2 heures). Le temps de transport par la route jusqu’au trauma center est de 35 minutes. Un hélicoptère médicalisé peut être envoyé sur les lieux avec l’accord du contrôle médical. Le temps de mise en marche de l’hélicoptère est de 5 minutes et le temps de trajet est de 15 minutes ; un hôpital sans trauma center est situé à 15 minutes et possède une piste d’atterrissage pour hélicoptère.


Quelques exemples sur la manière dont la situation peut influencer une procédure telle qu’une immobilisation du rachis sont donnés ci-après.


Situation 1



Prise en charge :


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May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 3: Science et art du soin préhospitalier: principes, préférences et pensée critique

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