3. Les effets indésirables des antipsychotiques et leur gestion

Chapitre 3. Les effets indésirables des antipsychotiques et leur gestion




Les effets recherchés et les effets indésirables dopaminergiques30




La rigidité, la raideur des mouvements : l’akinésie 31


Les mouvements anormaux : les dyskinésies 32


La tonicité musculaire anormale : la dystonie 32


Les dyskinésies tardives : les dyskinésies d’apparition tardive 33


L’impatience pathologique, la nervosité, l’agitation, l’excitation : l’akathisie 34


La perte d’intérêt : la démotivation 36


Les changements hormonaux 37


Les autres effets indésirables liés à la dopamine 37


Les effets indésirables non liés à la dopamine37




La prise de poids 38


Les troubles métaboliques 38


Le diabète 39


Les effets sur le système sympathique 39


Les effets anticholinergiques 40


La soif : la potomanie 40


La sédation et l’excitation 40


Les effets indésirables sexuels 41


Les éruptions cutanées 41


L’agressivité et l’impatience 42


Le syndrome neuroleptique malin 42


Les effets cardiovasculaires 42


L’épilepsie 43


Le suicide 43


Le syndrome de sevrage 44


Les effets inattendus 44


La gestion des effets indésirables44




Les anticholinergiques 44


Les psychostimulants 46


Les benzodiazépines 46


Les bêtabloquants et l’histamine 47


La tétrabénazine 47



INTRODUCTION



Les effets indésirables repris ci-dessous pourraient paraître inquiétants. Cependant, pour la plupart, ils sont réversibles en réduisant les doses, en changeant la médication, en l’interrompant ou en utilisant l’antidote approprié.

En pratique, de nombreuses personnes seront prêtes à supporter ces inconvénients dans leur vie quotidienne si elles obtiennent en échange un apaisement de leur trouble mental. Le traitement peut néanmoins exiger un compromis qui tient compte de la balance entre les bénéfices et les risques pour aboutir à un choix acceptable pour le patient, sa famille et les soignants qui seraient impliqués dans la situation. Établir la liste de tous ces effets ne vise pas à décourager les médecins de prescrire, ni les patients de suivre leur traitement, mais plutôt à impliquer les deux parties dans cette négociation. Le but est d’éviter qu’un traitement soit imposé au patient en laissant au seul prescripteur la possibilité d’en évaluer les risques. L’insatisfaction à propos d’un traitement ne devrait pas mener à une action unilatérale, sauf en cas d’urgence, mais relancer la discussion. Montrer la liste des effets indésirables à l’entourage peut aussi lui permettre de prendre conscience de ce qui est en jeu. Ceci va contribuer à le sortir d’une vision réductionniste qui lui fait croire que ces médicaments sont curatifs et que, dès lors, le patient devrait les prendre sans hésitation.

Une autre raison d’énumérer ces problèmes est que la plupart d’entre eux ressemblent à des effets indésirables classiques et, en tant que tels, pourraient paraître banalement dérangeants mais sans plus. Pourtant, certains effets provoqués par ces médicaments ne sont pas des effets marginaux mais peuvent aggraver la maladie. Les personnes qui prennent ce type de produit croient, de manière erronée, que leur psychisme est en cause dans tous les désagréments qu’elles ressentent, alors qu’en fait, ceux-ci sont provoqués par les médicaments censés les traiter. Il est donc essentiel que les patients eux-mêmes puissent faire la différence entre ce qui est induit par les médicaments et ce qui est lié à la maladie en elle-même.

Bien qu’elle se réfère principalement aux antidépresseurs, dans son récent Dying for a Cure, Rebekah Beddoes [27] illustre parfaitement comment, dans le domaine de la santé mentale, la tentative de solutionner le problème devient le problème lui-même. Un autre livre récent, Healing Schizophrenia, de John Watkins [28], permet de discerner les avantages et les inconvénients d’un traitement dans la vie quotidienne d’un patient.


LES EFFETS RECHERCHÉS ET LES EFFETS INDÉSIRABLES DOPAMINERGIQUES



Les effets repris dans la liste suivante, de 1 à 3, sont les plus fréquents, raison pour laquelle ils sont cités en premier lieu. Ils font partie de ce qu’on appelle le parkinsonisme, qui est induit par un blocage de l’activité dopaminergique. Les effets dopaminergiques les plus inquiétants sont quant à eux repris aux points 4 à 6. Ces symptômes, mis à part les dyskinésies tardives, disparaissent le plus souvent à l’arrêt du traitement.

La maladie de Parkinson, quant à elle, est causée par une diminution de l’activité dopaminergique dans le cerveau liée à une perte neuronale. Les antipsychotiques ne sont pas en cause dans l’étiologie de cette maladie. Dans un livre nommé Ivan [29], on peut trouver une bonne représentation de ce que sont les problèmes liés à la maladie de Parkinson et donc par extension au parkinsonisme, et les meilleures descriptions cliniques à la fois de symptômes parkinsoniens et des effets extrapyramidaux se retrouvent dans un livre de David Cunningham-Owens [30].


La rigidité, la raideur des mouvements : l’akinésie


C’est le symptôme principal de la maladie de Parkinson. Quand il est provoqué par les antipsychotiques, sous une forme légère, il est ressenti comme un ralentissement des mouvements spontanés relativement supportable. Si le tableau est plus sévère, il donne l’impression très désagréable d’être contraint, comme sous l’effet d’une camisole chimique.

Ce ralentissement peut s’accompagner de troubles de la coordination. À l’extrême, la personne peut finalement rester assise immobile toute une journée, comme un zombie. Elle peut être bien éveillée mais sans mouvement, pas même un sourire, puisque les antipsychotiques ralentissent tous les mouvements, y compris les expressions faciales. On peut, par exemple, observer un net retard entre le moment où une question est posée et celui où la réponse est formulée. De même, les muscles de la face et de la bouche réagissent plus lentement à la production de salive. Les patients sous antipsychotiques peuvent se mettre à baver et le vivre comme une expérience humiliante.

Lors de la marche, le corps sera penché vers l’avant ou sur le côté, la mise en route est difficile et, quand la personne s’est mise en mouvement, elle peut avoir du mal à s’arrêter.

Même une dose unique d’antipsychotique peut donner à quelqu’un une « allure schizophrénique » [31]. Un certain nombre d’attitudes étranges qu’on attribuait jusqu’à présent à la maladie mentale seraient des effets induits par les antipsychotiques, ce qui va à l’encontre des efforts entrepris pour diminuer la stigmatisation des personnes concernées.

Ces effets disparaîtront également avec une diminution de doses, un changement de médication ou la prise d’un antidote (voir plus bas).


Les mouvements anormaux : les dyskinésies



Les mouvements anormaux affectent principalement les mains et les bras, mais les jambes peuvent également être atteintes. Ceci se manifeste dans l’incapacité pour la personne de laisser ses jambes au repos quand elle est assise. Les muscles de la face et de la bouche sont aussi concernés, ce qui se traduit par une déformation répétitive des lèvres formant une moue particulière et/ou une protrusion de la langue. La mâchoire, quand elle est affectée, produit un grincement de dents et des problèmes dentaires. Le corps entier peut se contorsionner ou être pris de secousses.

Les dyskinésies impliquant les muscles respiratoires sont reconnues le plus tardivement, quand les mouvements incoordonnés de ces muscles se traduisent par des difficultés respiratoires telles qu’un sifflement ou un souffle court de manière persistante ou épisodique (apparaissant uniquement la nuit, par exemple). Ces symptômes peuvent être confondus avec de l’asthme ou des crises anxieuses. Dans ce dernier cas, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) ou un calmant risquent d’être prescrits, ce qui aggravera encore la situation.


La tonicité musculaire anormale : la dystonie


Le terme « dystonie » signifie que le muscle subit une altération de sa tonicité qui se manifeste le plus souvent par un spasme survenant brutalement. À peu près tous les muscles sont susceptibles d’être affectés mais ceux des yeux, de la bouche et de la mâchoire le sont plus fréquemment.

Le spasme le plus spectaculaire, mais relativement rare, est celui qui touche les globes oculaires qui se révulsent vers le haut, ne laissant plus que le blanc des yeux apparaître : c’est ce qu’on appelle une « crise oculogyre ». Inutile de dire que la personne affectée n’y voit plus rien. L’individu concerné et toute personne présente peuvent être extrêmement inquiétés lors de la première crise. Ce spasme va habituellement se résoudre en 1h, mais peut aussi être supprimé par l’administration d’un antidote anticholinergique (voir plus bas).

Quand la bouche ou le larynx sont affectés, des difficultés d’élocution ou des problèmes pour boire ou manger peuvent apparaître. Ceux-ci sont rapidement réversibles à l’arrêt du traitement ou avec un antidote, mais sont occasionnellement responsables de graves complications. Les dystonies du larynx peuvent induire des modifications de la voix qui, par exemple, devient rauque. D’autres symptômes de ce type tels que le trismus ou constriction des mâchoires et le simple serrement des dents, surtout la nuit, sont également responsables de problèmes dentaires.



Les dyskinésies tardives : les dyskinésies d’apparition tardive


Ces dyskinésies sont un ensemble de mouvements anormaux de la face et de la bouche qui n’apparaissent que plusieurs mois après le début ou l’interruption du traitement, d’où le qualificatif « tardives ». Elles se présentent le plus souvent sous la forme de mouvements des lèvres, de mâchonnement et de protrusion de la langue répétitifs et incontrôlables ainsi que, plus rarement, de gesticulations choréiques des membres et du tronc.

Entre 5 et 20 % des personnes recevant des antipsychotiques chroniquement pourraient en être affectées. Le problème se produira plus souvent chez les femmes que chez les hommes, chez les personnes âgées que chez les gens jeunes, avec de fortes doses plutôt qu’à faibles doses et avec certains antipsychotiques plutôt que d’autres. Les enfants, les personnes ayant des troubles de l’apprentissage ou celles souffrant de lésions cérébrales sont plus vulnérables. La clozapine et la quétiapine causent rarement ce type de problème, mais les autres nouveaux antipsychotiques en sont responsables aussi souvent que les anciens. Bien que dose-dépendant, le problème peut se produire avec des doses relativement faibles données durant quelques mois plutôt que durant quelques années, et des formes atténuées peuvent être observées chez des gens n’ayant jamais reçu d’antipsychotiques, suggérant que certains individus pourraient présenter une vulnérabilité particulière à ce type de problème.


L’apparition des dyskinésies tardives a été l’objet de procédures en justice aux États-Unis. La menace de l’introduction d’autres poursuites a provoqué une interruption dans la production de nouveaux antipsychotiques durant les années 1970 et 1980. La réintroduction de la clozapine est une conséquence du fait qu’elle ne provoque pas ce type de problème et peut même les faire disparaître. Les nouveaux antipsychotiques ont la réputation d’être moins susceptibles d’occasionner ce type de problèmes, bien que ceci soit probablement faux. Leur apparition est dose-dépendante et on peut donc supposer que leur prévalence plus élevée avec les anciennes substances s’explique uniquement par le fait qu’elles étaient utilisées à plus fortes doses.


L’impatience pathologique, la nervosité, l’agitation, l’excitation : l’akathisie


L’akathisie est sans doute l’effet indésirable le plus grave des antipsychotiques. C’est un état émotionnel complexe et déplaisant qui conduit généralement à une impatience visible (impossibilité de s’asseoir ou de rester assis). Durant les années 1970 et 1980, quand on parlait de cette impatience pathologique, la plupart des gens ne se référaient qu’à cette impossibilité de rester assis. Mais elle peut, en réalité, présenter des formes moins perceptibles. Le problème peut n’être apparent que subjectivement et dans ce cas, la personne va se sentir, selon les cas, légèrement nerveuse et remuante, incapable de rester tranquille ou complètement déchaînée. Il est difficile de l’extérieur de faire la part des choses entre ce qui est dans les limites de l’agitation normale et l’akathisie.


Ce phénomène, comme on le voit, est accompagné par l’apparition d’impulsions étranges et inhabituelles, souvent de nature agressive. La dysphorie qualifie techniquement plus exactement ce qui est au cœur de l’akathisie que le terme « impatience ». Ce que les patients disent ressentir au quotidien ressemble plutôt à de la surexcitation mentale. L’akathisie est donc un désordre plus émotionnel que moteur. Dans le cas contraire, il devrait être classé dans les dyskinésies.

Une étude sur des volontaires sains prenant de l’halopéridol, réalisée par King et al., a montré que plus de 50 % de ceux qui prenaient des doses ne dépassant pas 4mg se sentaient incommodés, mal dans leur peau et incapables de se contrôler. Certains volontaires étaient incapables de rester dans la pièce, mais sans pouvoir expliquer ce qui n’allait pas [34]. De nombreux psychiatres qui ont essayé les antipsychotiques sur eux-mêmes ont ressenti ces effets et, pour certains d’entre eux qui l’ont relaté par écrit, ce fut une des expériences les plus pénibles de leur vie. Nous avons trouvé des résultats similaires à ceux de l’étude de King, avec un effet inattendu supplémentaire qui est que l’inconfort et l’irritabilité étaient toujours clairement présents chez certains de nos volontaires plusieurs semaines après l’expérimentation [30, 32, 35 and 36]. D’autres chercheurs ont fait le même constat [37, 38].


Que ce soit chez les volontaires sains ou chez les patients, l’akathisie répond parfois à un antidote anticholinergique ou au propranolol. Une des substances les plus efficaces semble cependant être le vin rouge. Ceci peut poser un autre problème, parce qu’il pousse les patients à l’éthylisme. Dans d’autres cas, la seule façon de remédier à cette situation sera d’interrompre la médication. Certains patients qui prennent des antipsychotiques depuis longtemps devront attendre plusieurs mois après l’arrêt du traitement pour que l’akathisie disparaisse. Les neuroleptiques incisifs tel que l’halopéridol, la rispéridone, l’olanzapine ou l’aripiprazole sont plus souvent responsables de ce type de problème. Les médicaments moins incisifs comme la chlorpromazine, la quétiapine ou la clozapine sont moins concernés.

L’akathisie peut apparaître dès les premières heures de traitement, mais peut également survenir des semaines ou des mois plus tard, au fur et à mesure que le médicament s’installe dans le système neuronal. Cette forme d’akathisie tardive est un exemple du risque encouru avec les antipsychotiques dépôts, puisqu’ils empêchent toute possibilité d’adaptation rapide du traitement. L’akathisie peut aussi survenir lors d’une tentative d’arrêt des neuroleptiques et être confondue à tort, par les patients comme par les prescripteurs, avec une « rechute ».

Après avoir été négligés pendant 50 ans, les risques liés à l’akathisie sont récemment arrivés sur le devant de la scène. Le risque majeur provient en grande partie du fait que les personnes qui en souffrent, à quelque degré que ce soit et même dans les formes mineures, ne réalisent pas que c’est le traitement qui en est la cause. Elles ont, comme on vient de le voir, l’impression que leur trouble nerveux s’est aggravé. Et si l’akathisie ressentie est insupportable, ces personnes surexcitées peuvent perdre espoir et envisager n’importe quelle solution, et éventuellement le suicide, pour en venir à bout.

Alors qu’il était rare avant l’avènement des antipsychotiques, l’incidence du suicide chez les patients schizophrènes ou psychotiques serait maintenant 20 fois plus élevée [39, 40]. Ceci concerne malheureusement surtout les jeunes patients qui ont été récemment diagnostiqués et mis sous traitement sans avoir été prévenus des risques encourus. Ce phénomène a été interprété comme une réaction fataliste de la part de patients plus lucides qui, affligés par la perspective qui s’ouvre devant eux, tentent de mettre un terme à leurs souffrances aussi vite que possible. Ceci pourrait être vrai pour un certain nombre de suicides, mais les tentatives de suicide ou les suicides réussis sont plus vraisemblablement une conséquence du développement d’une akathisie [40] (voir la section concernant le suicide, et le chapitre 5 sur les antidépresseurs et le suicide).

Dans les formes très légères, le problème peut passer inaperçu. Mais certains médecins auront vécu l’expérience consternante de recevoir en consultation un patient ravi du merveilleux tranquillisant qu’il a reçu pour se rendre compte ensuite qu’il s’agit du correcteur anticholinergique qui lui a été prescrit en même temps que les antipsychotiques pour réduire les effets indésirables (comme cela s’est fait de façon systématique pendant des années). Cela montre clairement que les troubles que ces antidotes tranquillisent sont induits par les antipsychotiques.


La perte d’intérêt : la démotivation


Les antipsychotiques produisent un état d’indifférence. Prescrits sur de trop longues durées et à des doses trop élevées, ils peuvent rendre apathique, léthargique et indifférent à tout. La maladie de Parkinson, par exemple, peut se présenter comme un état de profonde indifférence. Avant le traitement du Parkinson avec la L-dopa, on pouvait observer les patients atteints de cette maladie rester assis sur une chaise pendant des jours et des jours, comme incapables de bouger. Néanmoins, une alarme incendie pouvait les animer d’un mouvement vif et fluide, ce qui démontre que ce n’est pas la capacité de bouger qui était en cause ici, mais un déficit de motivation [2].

Les gens qui prennent des antipsychotiques ont significativement moins de chances de rechuter et d’être réadmis à l’hôpital. Cependant, certaines études suggèrent aussi qu’ils ont moins de chances de se marier ou de s’engager dans des relations affectives durables, de trouver un travail et de se débrouiller dans la vie, comparés à des personnes ayant la même maladie mais qui ne prennent pas de traitement antipsychotique en continu.

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Nov 19, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3. Les effets indésirables des antipsychotiques et leur gestion

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