Chapitre 28
Sarcomes des tissus mous et osseux, et autres tumeurs des tissus conjonctifs
Définition: Les sarcomes sont un groupe très hétérogène de tumeurs malignes des tissus conjonctifs, y compris des os et des tissus mous. Les sarcomes, ainsi que d’autres néoplasmes considérés comme « non malins » qui affectent les tissus mous et les os, ont comme origine commune une cellule mésenchymateuse dont la différenciation et la croissance sont aberrantes. Les cellules mésenchymateuses (dérivées du mésoderme) ainsi que les cellules de la crête neurale (dérivées de l’ectoderme) jouent un rôle essentiel car elles génèrent les tissus conjonctifs qui assurent la cohésion des divers tissus de l’organisme tout en exerçant des fonctions essentielles comme le soutien et l’alimentation des tissus nerveux. Lorsque la croissance, la différenciation ou la survie de ces cellules devient aberrante, des tumeurs se développent, constituant la famille des néoplasmes à laquelle appartiennent les sarcomes. Ces derniers englobent une grande variété de tumeurs, qui peuvent dériver de fibres musculaires, du stroma, d’adipocytes, de vaisseaux sanguins ou lymphatiques, de nerfs et de gaines nerveuses, de cartilages, d’os et d’autres tissus fibreux.
Épidémiologie: Les sarcomes vrais constituent un sous-ensemble très rare de tumeurs malignes humaines, moins de 1 % des cancers chez les adultes, mais un nombre disproportionné de cancers chez les enfants (environ 15 % des cancers pédiatriques). L’incidence globale des sarcomes des tissus mous et des os est d’environ 15 000 cas par an aux États-Unis. Compte tenu du fait qu’il n’existe pas de codes diagnostiques spécifiques du sarcome, de tels chiffres doivent, toutefois, être considérés, au mieux, comme des approximations. Il n’en reste pas moins que les sarcomes sont nettement plus rares que les carcinomes. La prévalence des sarcomes dépasse significativement l’incidence ; en effet, les sarcomes peuvent être guéris lorsqu’ils sont traités par une équipe pluridisciplinaire d’experts. Il est donc essentiel que l’évaluation initiale et le traitement des patients soupçonnés d’être atteints d’un sarcome soient confiés à une équipe expérimentée et dotée des compétences dans les diverses disciplines concernées : histopathologie, chirurgie, radiothérapie ; ces spécialistes doivent aussi avoir accès aux agents thérapeutiques systémiques les plus récents et connaître les modalités de leur application. Certains patients sont à haut risque de développer un sarcome, plus particulièrement les membres des familles prédisposées au syndrome de Li-Fraumeni et ceux atteints de neurofibromatose (risque de tumeur maligne des gaines des nerfs périphériques et de TSGI) ou de polypose familiale (risque de tumeur desmoïde intra-abdominale). Les autres facteurs de risque sont l’exposition aux rayonnements (radiothérapie pour d’autres néoplasies, par exemple un cancer du sein ou un rétinoblastome). Des carcinogènes chimiques peuvent également augmenter le risque de sarcome, par exemple l’agent Orange auquel ont été exposés les vétérans du Vietnam ou le chlorure de polyvinyle, qui augmente fortement le risque d’angiosarcome hépatique, et auquel certaines personnes ont été exposées en raison de leur profession. Cependant, la grande majorité des sarcomes semblent sporadiques, sans facteurs de risque évidents.
Physiopathologie: Les sarcomes et les autres tumeurs conjonctives constituent un mélange extrêmement complexe et hétérogène de maladies se distinguant largement l’une de l’autre par leurs manifestations cliniques et leur pronostic. Certaines tumeurs des tissus mous, comme la forme localisée des tumeurs ténosynoviales à cellules géantes, peuvent être réséquées définitivement par un expert, alors qu’une tumeur plus avancée de ce type, appelée ténosynovite villonodulaire pigmentée, aboutit souvent à des amputations invalidantes ou même à la mort à la suite de maladie métastatique. Le nombre déconcertant de noms polysyllabiques utilisés par les anatomopathologistes a semé la confusion aussi bien parmi les cliniciens que parmi les chercheurs en sciences fondamentales. En bref, les anatomopathologistes experts s’efforcent d’élaborer des critères concis, systématiques et reproductibles pour le diagnostic des sous-types particuliers de sarcome, mais la variabilité des avis entre observateurs tend à interférer dans l’application des élégantes catégories diagnostiques telles que celles promulguées par l’Organisation mondiale de la santé. Une meilleure connaissance des mécanismes moléculaires qui conduisent au sarcome a fourni des outils diagnostiques plus objectifs avec de nouveaux types de coloration immunohistochimique et de marqueurs génétiques ; par exemple, des translocations chromosomiques pathognomoniques ont défini des maladies telles que le sarcome d’Ewing ou le sarcome synovial plus objectivement que ne le faisaient les images histopathologiques observées en microscopie optique simple. Les sarcomes peuvent être absolument inclassables, mais en général ils se présentent sous un aspect de différenciation correspondant à un tissu conjonctif défini ; par exemple, un liposarcome bien différencié peut apparaître au microscope sous forme de cellules adipeuses d’aspect un peu bizarre. En fait, la terminologie utilisée par les anatomopathologistes pour les sarcomes très peu différenciés a également évolué : pour cette catégorie, la dénomination actuelle est « sarcome pléomorphe inclassable », alors qu’il y a 20 ans la plupart des anatomopathologistes regroupaient ces tumeurs peu différenciées sous le terme impropre d’« histiocytofibrome malin ». Actuellement, des outils de diagnostic plus évolués permettent un classement plus précis de ces tumeurs peu différenciées dans certaines catégories histopathologiques par l’identification de protéines propres à la lignée cellulaire concernée ; par exemple, l’expression de l’actine des muscles lisses contribue au classement d’une tumeur parmi les léiomyosarcomes. Des marqueurs génomiques peuvent également être utiles ; par exemple, la surexpression de produits du chromosome 12 ou du locus génique mdm2 est surtout compatible avec un liposarcome dédifférencié.
Manifestations cliniques et diagnostic: Vu la grande diversité de sarcomes, leur évolution clinique peut être très variable : rapide et immédiate comme celle d’un cancer potentiellement mortel (la plupart des sarcomes d’Ewing) ou indolente, évoluant durant des décennies (comme la tumeur adipocytaire atypique, appelée aussi liposarcome bien différencié). La plupart des patients atteints d’un sarcome consultent parce qu’ils ont remarqué une tuméfaction, souvent non sensible, qui a gagné en volume au fil du temps. Pour les tumeurs des tissus mous des extrémités, il est important de noter que de nombreuses proliférations bénignes (par exemple les lipomes) ne sont pas facilement distinguées de tumeurs plus inquiétantes, voire de sarcomes franchement malins. Par conséquent, toute masse doit faire l’objet d’un diagnostic différentiel incluant la possibilité d’un sarcome.
La décision de procéder à une biopsie diagnostique, avec une orientation optimale, est une question importante, et pour certaines lésions, renoncer à la biopsie et procéder directement à une exérèse chirurgicale bien planifiée peut être justifié. Le plus important est de poser un diagnostic correct et, à cette fin, il faut disposer d’une quantité suffisante de tissu prélevé au bon endroit et préparé de manière adéquate pour une analyse diagnostique optimale. Pour certaines tumeurs avec des marqueurs moléculaires pathognomoniques (la translocation entre les chromosomes X et 18, qui caractérise le sarcome synovial, ou la translocation équilibrée entre les chromosomes 12 et 16, qui définit un liposarcome myxoïde et à cellules rondes), des analyses moléculaires comme le procédé FISH (fluorescence in situ hybridization) peuvent contribuer au diagnostic. De nouveaux sous-types moléculaires de sarcomes entrent chaque année dans la littérature histopathologique, ce qui renforce la nécessité de mises au point régulières par des experts en anatomopathologie des tumeurs des tissus mous et des os. Ces nouvelles catégories pourraient conduire à de nouvelles thérapies moléculaires ciblées. C’est particulièrement bien illustré par le développement rapide d’une thérapie efficace dirigée contre la cause physiopathologique principale des TSGI 1 (voir plus loin la section « Traitement »).