Chapitre 28. La psychiatrie biaisée par les preuves
Les essais cliniques randomisés296
Le marketing des preuves299
Les effets du traitement301
L’emprise du pharmaceutique sur les soins302
LES ESSAIS CLINIQUES RANDOMISÉS
Malgré cela, la certitude que les RCT permettent de démontrer l’efficacité d’une substance s’est enracinée dans les croyances médicales. Leurs résultats sont utilisés pour convaincre les travailleurs du champ de la santé mentale qu’ils ont le devoir non seulement de diagnostiquer des pathologies, mais également de persuader les patients de suivre un traitement. Tous les nouveaux antidépresseurs ou antipsychotiques ont fait l’objet de ce type de procédures qui ne sont, en réalité, rien d’autre que des outils du marketing parmi d’autres et ne font pas avancer la science. Les résultats sont analysés dans les détails. Ceux qui concernent les effets indésirables étant les plus intéressants, puisqu’ils permettent aux stratèges en marketing de choisir quels aspects de la substance doivent être mis en évidence pour positionner la nouvelle substance parmi les produits en compétition sur le marché.
Si une partie de l’argent et des efforts qui sont investis dans les essais cliniques pouvaient servir à tenter de déterminer les divers effets qu’une substance peut avoir (en dehors de ceux qui se rapportent à l’indication clinique ciblée), la cause de la science et des thérapeutiques serait mieux servie. Mais au contraire, le coût de ces études augmente significativement le coût global d’un nouveau médicament et incite les compagnies à s’engager dans des politiques marketing très agressives qui contribuent à donner à l’industrie pharmaceutique cette réputation de commerce non éthique.
Tous ces faits sont déjà bien connus, mais un des inconvénients majeurs de ces RCT reste mal compris. Ces procédures sont issues directement de l’épidémiologie. Les firmes se simplifient légitimement la vie en recrutant des centaines plutôt que des milliers de sujets pour leurs études portant sur une pathologie spécifique. Mais rien, dans ce cas, ne permet de garantir que l’échantillon étudié soit représentatif d’une population en général. De nombreux épidémiologistes doutent du fait que la « randomisation » puisse résoudre les problèmes de la validité des résultats obtenus par cette méthode d’échantillonnage. Dans la pratique, la plupart des personnes qui participent à ces études sont des « patients professionnels » recrutés au moyen d’une campagne publicitaire et ne sont pas comparables à ceux auxquels le produit sera prescrit. Les problèmes inhérents aux RCT sont encore plus manifestes quand ils sont sponsorisés par des firmes. Celles-ci sélectionnent, en effet, le type d’échantillon qui leur convient : des sujets jeunes et en forme, sans pathologie particulière. Pour toutes ces raisons, même si les essais cliniques réalisés par les firmes montrent que le traitement a un effet, ils n’offrent aucune garantie quant au fait qu’il se manifestera dans la pratique clinique.
Pourquoi, dans ce cas, les firmes pharmaceutiques réalisent-elles de telles études ? La réponse est simple : parce que c’est ce qui est requis par les agences de régulation en Europe et aux États-Unis pour mettre un produit sur le marché. Le public et les professionnels de santé ont tendance à considérer ces agences de régulation comme des organes de contrôle qui garantissent de façon imparable l’efficacité et la sécurité d’un médicament. Leur rôle est beaucoup plus modeste dans les faits. Elles donnent une autorisation de mise sur le marché après s’être assurées que le produit qui reçoit un label pour être vendu comme du beurre est bien du beurre, ou que l’antidépresseur est bien un antidépresseur. Pour ce faire, dans ce second cas, les agences doivent disposer de résultats d’essais cliniques dont la seule conclusion est qu’il est impossible de prétendre que ces médicaments n’ont pas d’effets sur la dépression et qu’ils n’ont pas une toxicité immédiate majeure. Cependant, donner une autorisation sur cette base ne veut pas dire que cet antidépresseur est efficace et que son degré de sécurité sur le long terme est certain. La décision de prescrire un médicament à un patient ne peut reposer que sur le jugement clinique du praticien, et certainement pas sur le fait que les agences de régulation ont autorisé sa mise sur le marché. Les firmes, de leur côté, déforment dans leur discours le sens de cette procédure comme s’il s’agissait d’une garantie absolue.
En psychiatrie, un biais supplémentaire est introduit par le type de mesures effectuées pour évaluer l’efficacité d’un médicament. Dans ce cadre, les outils principaux sont les échelles de scores plutôt qu’une évaluation de la capacité d’une personne à reprendre le travail ou de la probabilité qu’elle commette un suicide.
Il en existe de quatre types différents :
1. des échelles de scores spécifiques pour une pathologie et basées sur l’évaluation d’un observateur, comme l’échelle de scores pour la dépression de Hamilton ;
3. une échelle d’évaluation du fonctionnement global indépendamment du type de pathologie basée sur l’évaluation d’un observateur ;
4. une échelle d’autoévaluation du fonctionnement global du patient indépendamment du type de pathologie basée en fonction des domaines de son existence qui lui importent (qualité de vie [QdV]).
Notre confiance se portera plus volontiers sur un traitement dont l’effet se vérifierait avec ces quatre types d’échelle. Dans la réalité, aucun antipsychotique ou antidépresseur n’a démontré un effet dans ces quatre dimensions. Dans le cas particulier des antidépresseurs, la démonstration des effets du traitement s’effectue dans la grande majorité des cas avec l’échelle de Hamilton. Dans les études sur les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), l’échelle de QdV a été utilisée dans plusieurs centaines d’études avec des résultats positifs dans une dizaine d’entre elles.
Notons que dans les études sur les antipsychotiques ou les antidépresseurs, le nombre de décès est plus important dans le groupe qui reçoit le principe actif que dans le groupe placebo.
Ces traitements ne sont en rien comparables au fait de prendre de la pénicilline pour guérir une pneumonie. Si des scores convaincants avec les différents types d’échelles étaient disponibles, il resterait encore à prendre en compte le syndrome de sevrage avant de pouvoir décider si l’instauration d’un traitement est appropriée ou non.