26: Problèmes médico-légaux et responsabilités en sénologie

Chapitre 26 Problèmes médico-légaux et responsabilités en sénologie



L’histoire de la responsabilité médicale peut, en 2012, se décrire selon trois époques séparées par deux révolutions successives :



l’époque antique, durant laquelle les médecins et les soignants, comme d’autres catégories professionnelles traditionnellement protégées par la Société (prêtres, juges, enseignants, hommes d’état…), bénéficiaient d’un privilège d’immunité judiciaire professionnelle ;


l’époque classique, qui s’est peu à peu installée en France à partir de 1835, et a vu reconnaître la responsabilité juridique des médecins par toute une série de procès et d’avancées jurisprudentielles retentissants, aboutissant d’une part, à la reconnaissance des droits du patient et au concept de démocratie sanitaire et d’autre part, au développement inconsidéré de pratiques irrationnelles et démesurées de « médecine défensive », allant dans certains cas jusqu’à écarter les futurs médecins de certaines spécialités médico-chirurgicales pourtant indispensables (obstétrique, chirurgie…) :





l’époque moderne, annoncée par la seconde révolution de la responsabilité médicale du début du XXIe siècle, tend à renverser la logique classique de la chasse aux fautifs pour lui substituer une quête permanente d’amélioration de la qualité et de la sécurité de la prise en charge des patients.


Ce chapitre1 s’attachera donc à résumer les fondamentaux de la responsabilité classique médicale, que les médecins, tout comme les responsables d’une structure de dépistage sénologique doivent encore maîtriser pour éviter de transformer un souci médical en catastrophe judiciaire. Ensuite, le lecteur sera invité à s’initier aux avancées scientifiques récentes de la lutte contre les erreurs médicales et les accidents médicaux, pour se préparer à la seconde révolution du paradigme de la responsabilité médicale [1, 2].



Les fondamentaux de la responsabilité médicale


Dans son exercice professionnel, le médecin radiologue s’expose en permanence à plusieurs sortes de mise en jeu de sa responsabilité professionnelle ; il doit comprendre que c’est le patient mécontent et/ou sa famille qui choisissent le terrain de bataille, selon qu’ils souhaitent privilégier la recherche d’une punition, celle d’un dédommagement, ou parfois les deux ; cette orientation est largement conditionnée par la qualité relationnelle de la prise en charge du patient, et notamment par l’attitude du praticien – et/ou de ses collègues et de toute l’équipe – une fois qu’il est apparu que l’acte médical n’a pas été totalement satisfaisant :



responsabilité pénale : lorsqu’il a violé une loi réprimant une infraction (= contravention, délit ou crime, cités par ordre de gravité croissante), le médecin s’expose à une sanction punitive (du latin pena, la peine) : le plus souvent une amende, parfois de la prison, éventuellement avec sursis ;


responsabilité indemnitaire, civile (en libéral et dans les structures de droit privé) ou administrative (dans le secteur public hospitalier) : lorsqu’il a causé un préjudice, le médecin est exposé à l’obligation légale d’en dédommager (ou « réparer ») les victimes ;


responsabilité disciplinaire, notamment ordinale : lorsqu’il enfreint le code de déontologie, le praticien encourt une sanction disciplinaire (avertissement, blâme, interdiction d’exercice, etc.) ;


responsabilité économique envers les tiers payeurs des soins médicaux : lorsqu’il a occasionné à l’assurance-maladie des frais inutiles ou excessifs ou qu’un acte n’a pas été totalement régulier (ex. : le compte rendu ne précise pas les renseignements cliniques permettant de justifier l’examen ou n’indique pas la dose de rayonnements ionisants auquel le patient a été exposé), le médecin doit savoir que l’organisme de sécurité sociale est en droit d’exiger le remboursement des honoraires perçus et même dans les cas les plus graves de faire interdire au médecin de prodiguer ses soins aux assurés sociaux. Cette possibilité, restée longtemps virtuelle, est dorénavant mise en œuvre pour diverses fautes : fraudes volontaires, méconnaissance des textes,2 parfois de simples étourderies administratives.



Responsabilité pénale du médecin radiologue et responsabilité d’une structure de gestion du dépistage


Si d’assez nombreuses plaintes pénales ont été déposées depuis quelques années par des patientes, ou des familles de patientes éprouvées par le décès de leur proche, contre des médecins radiologues, des gynécologues, des médecins traitants et/ou des structures de gestion du dépistage sénologique, les condamnations sont cependant restées exceptionnelles ; la plupart de ces procédures se soldent en effet par un non-lieu ou une relaxe, c’est-à-dire la reconnaissance – respectivement par le juge d’instruction ou par le tribunal – de l’absence d’infraction pénalement répréhensible, même lorsqu’une condamnation indemnitaire pouvait être justifiée pour les mêmes faits.


Le processus pénal impose en effet l’application rigoureuse des textes définissant les infractions ; sauf cas très particuliers, le choix de la voie pénale par la patiente ou par son avocat est donc souvent une erreur d’aiguillage, apparemment favorable aux médecins. Toutefois, cet « avantage » juridique doit être nuancé par le fait qu’une poursuite pénale est moralement bien plus pénible pour le praticien personnellement mis en cause, y compris s’il doit in fine être reconnu innocent de l’infraction qui lui était reprochée, alors qu’une demande indemnitaire est principalement supportée par l’assurance du médecin ou de son hôpital. Et évidemment, en cas de reconnaissance de sa culpabilité, c’est le médecin lui-même, et non son assureur, qui devra aller en prison et/ou payer l’amende (il est naturellement impossible de s’assurer contre ce risque).


Les motivations du choix de la voix pénale peuvent être diverses et multiples :



C’est dire l’importance de la qualité de la relation médecin–patient, qu’il faut s’efforcer de préserver même en cas de réclamation – fondée ou non – afin de se ménager la possibilité d’orienter la patiente et/ou ses proches vers la CRCI et la demande indemnitaire.



La mise en cause de la responsabilité indemnitaire est bien plus fréquente


Pour obtenir une indemnisation, une patiente, ou sa famille, qui pense avoir été victime d’un accident médical, peut désormais choisir, depuis la « loi Kouchner relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé »,3 de saisir la CRCI4. Cette procédure est simple, gratuite et relativement rapide.


La CRCI, une fois le dossier examiné, souvent complété par une courte et rapide expertise médicale, indiquera à la patiente si elle confirme l’existence du dommage allégué et si celui-ci résulte d’un simple aléa (c’est-à-dire la « faute à pas de chance ») ou au contraire d’une faute, engageant dès lors la responsabilité d’un praticien ou d’un établissement de santé.


En l’absence de dommage réel (corporel, matériel, ou moral), il n’y a pas d’indemnisation possible.


Dans le deuxième cas de l’aléa, l’indemnisation est permise par la loi à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), sous réserve que le préjudice soit d’une certaine gravité médicale, notamment en cas d’invalidité supérieure ou égale à 25 %. Si le dommage est mineur, il n’y a pas de possibilité d’indemnisation sans faute sans passer par la justice.


Dans le troisième cas, d’une faute reconnue par la CRCI, il faut distinguer deux filières juridiques, selon que la patiente avait été prise en charge par le service public hospitalier ou dans le secteur privé :



s’il y a eu une faute médicale ou un défaut d’organisation d’un établissement public de santé, la victime est orientée vers l’assureur de l’hôpital dans lequel la faute a été commise, ou vers l’assureur personnel du praticien hospitalier dans le très rare cas particulier d’une faute détachable de la fonction. Pour l’hôpital public, la procédure d’indemnisation débute nécessairement par un « recours gracieux », formalisé par un courrier recommandé avec accusé de réception, adressé à la direction de l’hôpital par la patiente, et décrivant les faits, la faute alléguée, le préjudice revendiqué et le lien de causalité qui relie la faute au dommage, en tirant profit des conclusions de la CRCI. L’hôpital et son assureur peuvent alors choisir de reconnaître la faute et proposer une indemnisation amiable, ou au contraire la contester et refuser la demande. La victime peut ensuite saisir le tribunal administratif pour contester ce refus. Un avocat, spécialisé en droit administratif, est à ce stade nécessaire. Après une procédure écrite, régie par le Code de justice administrative, le tribunal administratif peut soit satisfaire la demande de la victime en reconnaissant la faute et indemniser le préjudice, soit rejeter la demande. Un appel alors est possible devant la cour administrative d’appel, puis éventuellement une procédure de cassation devant le Conseil d’État, si l’une des parties estime que les règles procédurales ou la décision ne sont pas conformes au droit administratif ;


si la faute médicale ou le défaut d’organisation relève d’un praticien libéral ou d’une structure de droit privé (clinique, hôpital privé, centre de lutte contre le cancer, structure de gestion départementale du dépistage…), c’est à l’assureur du médecin ou de cette structure de proposer l’indemnisation lorsqu’il accepte la conclusion de la CRCI. S’il la refuse, l’indemnisation peut être malgré tout prise en charge par l’ONIAM, lequel dispose ensuite de la faculté de se retourner par la suite contre les responsables, en vue de les faire condamner par la justice à lui rembourser les sommes versées aux victimes.


Les victimes peuvent également préférer de ne pas saisir la CRCI pour engager directement une procédure juridique, avec les deux mêmes possibilités que ci-dessus :




Les spécificités du dépistage du cancer du sein, selon qu’il s’agit ou non d’un dépistage mammographique organisé


La procédure précédemment développée, avec ses alternatives, est directement applicable à une faute médicale ou d’organisation de la première lecture d’un examen mammographique de dépistage, telles une erreur diagnostique fautive ou une faute technique dans la réalisation matérielle de cet examen.


En dehors du cadre spécifique du dépistage organisé, par exemple lors d’un acte mammographique de diagnostic individuel, le juge appréciera classiquement la faute en comparant l’attitude et les actes du médecin mis en cause avec ceux qu’aurait théoriquement dû effectuer, dans les mêmes conditions, un autre médecin normalement compétent et normalement diligent, dont les bonnes pratiques traduisent médicalement son obligation de moyens (notion juridique bien différente d’une obligation de résultat).


Pour déterminer cette pratique normale de référence et commenter les actes du médecin critiqué, le juge recourt classiquement à un expert médical, qu’il charge d’établir l’historique précis des actes pratiqués, d’exposer les bonnes pratiques normalement applicables à cette situation particulière et d’indiquer aux parties et au juge si l’attitude et les décisions du médecin ont réellement été – ou non – critiquables. Le cas échéant, il doit alors décrire et expliquer aux parties ainsi qu’au juge les conséquences des manquements que l’expertise a mis en évidence.


Il revient ensuite au juge – et à lui seul – de décider si le(s) médecin(s) et/ou les personnes physiques ou morales mises en cause ont eu une conduite irréprochable ou à l’inverse s’ils ont commis de simples erreurs ou même des fautes ; dans cette dernière hypothèse, le juge décidera de la distribution des responsabilités entre les divers intervenants, ainsi que du montant et de la répartition de la réparation financière des dommages constatés qui revient à chacun des responsables.


Dans le cas particulier du dépistage, l’analyse de la conduite du radiologue premier lecteur s’écarte de la classique obligation de moyens, puisque l’expert, tout comme le juge, doit ici comparer ce qui a été effectué aux obligations préétablies du médecin radiologue, établies par le cahier des charges et par le règlement de la campagne de dépistage. Il est donc primordial de prendre en compte la date des faits, pour déterminer laquelle des versions successives du cahier des charges devra servir de référence.


Le radiologue mis en cause doit ici démontrer pour se défendre qu’il a parfaitement respecté toutes ses obligations prédéfinies : formation initiale nécessaire pour participer à l’activité de premier lecteur (et éventuellement de second lecteur), contrôles techniques (contrôles de qualité) périodiques et réguliers de son installation, respect du protocole médical prévu par le cahier des charges, et information suffisante de la patiente sur les buts et limites de la campagne ainsi que sur les résultats du dépistage et sur les suites éventuelles à y donner.


Dans le cas, par exemple, d’un examen de dépistage antérieur à 2001, la responsabilité du médecin ou de son hôpital ne pourrait ainsi pas être mise en cause en reprochant au médecin d’avoir réalisé qu’un seul cliché par sein, sans examen clinique ni interrogatoire sur les facteurs de risque, puisque la première version du cahier des charges, alors en vigueur et publié en mars 1995, prévoyait justement cet examen simplifié et limité à une seule incidence par sein (à l’inverse, postérieurement à la parution de la seconde version du cahier des charges national du 27 septembre 2001, ces reproches seraient recevables). Il ne serait non plus pas juridiquement envisageable de reprocher à une structure départementale organisatrice du dépistage d’avoir adopté avant 2001 un protocole considéré par la patiente comme insuffisant, tant qu’il reste conforme au cahier des charges national : en effet, le cahier des charges fixant les modalités de ce dépistage a régulièrement été établi et publié en annexe d’un arrêté ministériel pris pour l’application d’une loi de santé publique.


En revanche, il est possible qu’un juge accueille positivement une demande d’indemnisation motivée par l’affirmation d’une insuffisance de l’information de la patiente sur les limites de la garantie que le dépistage systématique pouvait apporter avant 2001, en comparaison d’une sécurité plus complète d’un examen de dépistage individuel, comportant deux incidences par sein, ainsi qu’un examen clinique et un interrogatoire sur les facteurs de risque, et complété au besoin par une échographie. Il importe toujours de délivrer à chaque patiente les éléments d’appréciations suffisants pour lui permettre de donner un consentement parfaitement éclairé aux actes proposés, et il reste raisonnable d’en conserver la preuve, sous une forme ou une autre en prévision d’un éventuel litige.


Il convient ensuite d’aborder spécifiquement les cas du radiologue second lecteur, puis du coordinateur médical d’une campagne de dépistage et enfin du président d’une structure départementale ou interdépartementale de gestion du dépistage organisé.


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Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 26: Problèmes médico-légaux et responsabilités en sénologie

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