Chapitre 25 Brûlures de la face et du cou au stade des séquelles
Le traitement des séquelles de brûlures du visage a été amélioré ces vingt dernières années, grâce au progrès des techniques du traitement aigu, de l’utilisation de méthodes chirurgicales nouvelles (expansion cutanée, lipostructure), voire de moyens purement esthétiques (toxine botulique, tatouage). Les greffes de peau totale et les lambeaux locaux expansés sont les principales techniques que nous utilisons pour réhabiliter la face brûlée ; chaque région anatomique est analysée précisément afin de choisir le procédé chirurgical le plus adapté. Ce n’est qu’au terme de multiples interventions chirurgicales et de longs mois de rééducation que le patient brûlé retrouvera un visage « harmonieux » et une vie sociale acceptable (fig. 25-1).
Généralités et principes
Prise en charge initiale
Au niveau de la face, la qualité du traitement initial est déterminante, l’excision ne doit pas être trop précoce pour ne pas sacrifier inutilement de la peau peu profondément brûlée. Le délai habituel est de 5 à 15 jours minimum avant l’excision. Seules les carbonisations justifient des gestes très précoces.
Où trouver la peau nécessaire ?
La peau utilisée pour la réparation du visage provient préférentiellement des régions claviculaires pour des raisons de couleur, de texture, de finesse (fig. 25-2). Il faut souvent avoir recours à l’expansion cutanée pour augmenter le capital de peau disponible à ce niveau [1, 2]. Cette peau est utilisée pour la réalisation de lambeaux locaux ou de greffes épaisses. La coloration des autres régions (cuisses, abdomen…) n’est pas compatible avec la peau du visage, donnant un aspect de pièce rapportée et une coloration jaunâtre ou marron très disgracieuse.
Unités esthétiques
Outre la provenance de la peau choisie, le principe fondamental à respecter dans la chirurgie de reconstruction de la face est celui des unités esthétiques [3]. Le visage est un ensemble de lignes et de courbes délimitant des zones d’ombre et de lumière. Chacune de ces zones est indépendante des autres et la peau qui la compose doit être homogène pour ne pas attirer le regard. Les cicatrices placées le long des frontières entre ces zones sont peu perceptibles. Les régions ainsi formées sont appelées « unités esthétiques » (fig. 25-2). La réparation du visage doit toujours tenir compte de ces différentes unites et leur reconstruction se fait une par une. Une greffe ou un lambeau doit recouvrir la totalité d’une unité esthétique sans empiéter sur les unités adjacentes. Lorsque la majeure partie d’une unité esthétique est lésée, les meilleurs résultats sont obtenus par le changement de l’ensemble de l’unité en réséquant la peau saine restante ; cette peau saine est d’ailleurs utilisée pour greffer les sous-unités de petites dimensions. En cas d’atteinte partielle d’une unité, il n’est pas toujours légitime de sacrifier la peau normale de toute l’unité sous prétexte d’une reconstruction plus anatomique.
Il appartient au chirurgien d’analyser les possibilités au cas par cas et de proposer au patient la solution jugée la plus satisfaisante.
En règle générale, le principe des unités esthétiques est appliqué scrupuleusement pour les petites unités (paupières, lèvres…) et de façon moins systématique pour les plus grandes (front, joues…) (fig. 25-3).
Pressothérapie et maturation cicatricielle
La maturation cicatricielle est un processus complexe qui dure de 18 mois à 2 ans. C’est la période pendant laquelle la cicatrice évolue, passant par une phase inflammatoire, rouge et sensible entre le troisième et le sixième mois, pour finalement blanchir et s’intégrer à la peau adjacente sur une période d’environ 1 an. Pendant toute la période de maturation, il est nécessaire de protéger la cicatrice du soleil et de réaliser une compression adaptée, en règle générale par un masque de pressothérapie moulé sur mesure. La pressothérapie a pour but d’empêcher l’hypertrophie de la cicatrice et sa rétraction. [4] Elle doit être appliquée en continu et régulièrement adaptée par un médecin rééducateur spécialisé. Au niveau du visage, on utilise des masques transparents thermoformés qui permettent de vérifier l’efficacité de la compression (il faut voir blanchir les greffes sous le masque) et l’absence de macération ou de lésion de la peau greffée (fig. 25-4). Les massages cicatriciels et les douches filiformes améliorent aussi l’aspect des cicatrices et leur maturation ; les cures spécifiques aux soins des brûlés (La Roche Posay et Saint-Gervais) sont à ce titre prises en charge par l’assurance maladie à raison de deux cures par an pendant 3 ans.
Réparation de la face brûlée
Reconstruction du front
Le front est la plus vaste unité esthétique du visage et représente un tiers de sa surface [6]. Ses limites sont nettement définies par la ligne d’implantation des cheveux en haut et latéralement, et les sourcils, la glabelle et la ligne temporo-canthale en bas. La reconstruction débute par la restitution des contours, en particulier la ligne chevelue frontale et temporale et les sourcils ; puis dans un deuxième temps une technique de surfaçage est choisie.
Restitution des limites de l’unité frontale
La réparation du front doit toujours être précédée par la restauration de la ligne chevelue antérieure ou lui être concomitante (fig. 25-5 et 25-9).
Il s’agit souvent d’une excellente indication d’expansion du cuir chevelu, qui permet l’avancement de la ligne d’implantation de plusieurs centimètres au niveau frontal et temporal. Cet artifice est particulièrement bien toléré chez la femme, réduisant d’autant la surface de peau frontale à remplacer [7]. Les sourcils sont reconstruits par tatouage ou greffes de bandelettes de cuir chevelu.
Résections-plasties
La résection-suture simple ou les plasties locales de rotation, avancement, etc. sont possibles pour des résections cicatricielles de moins de 2 cm de large. La cicatrice résiduelle doit être orientée soit horizontalement, parallèle aux lignes de Langer, soit verticalement sur la ligne médiane et dans les régions temporales. Ces techniques sont utilisables pour les exérèses de petites cicatrices et nodules cicatriciels (résection-suture) ou de brides rétractiles de taille modérée (plasties en « Z », « V-W », etc.). Il faut toujours vérifier que la résection n’entraînera pas une déformation des structures mobiles adjacentes, notamment des sourcils. Le cas échéant l’expansion cutanée est plus judicieuse.
Expansion cutanée locale
Elle est indiquée lorsque les cicatrices concernent moins du tiers de la surface totale du front. Le comblement de défects moyennement étendus est l’indication idéale de l’expansion cutanée à partir de la peau frontale restante [6] : un ou plusieurs expandeurs sont mis en place en regard de la peau saine, sous le muscle frontal, au contact du périoste. Un expandeur volumineux peut être placé conjointement sous le front et le cuir chevelu : il permettra un gain de peau frontale et dans le même temps un avancement de la ligne d’implantation des cheveux, réduisant d’autant la perte de substance à combler. Les expandeurs sont le plus souvent remplis bien au-delà de leur capacité théorique, permettant d’obtenir en quelques mois les tissus nécessaires au remplacement de la cicatrice. Lors du deuxième temps, la prothèse d’expansion est enlevée et la peau obtenue est déployée au moyen d’un lambeau de rotation avancement. Les incisions sont placées au ras des cheveux et des sourcils, en inclinant la lame du bistouri vers l’intérieur de la zone réséquée afin de ne léser ni les follicules pileux des sourcils ni ceux des cheveux. Au final, les cicatrices résiduelles doivent être placées aux frontières de l’unité esthétique frontale, permettant une parfaite discrétion.
Greffes de peau totale expansée
Lorsque la couverture de la majeure partie ou de la totalité du front est envisagée, la faible quantité de peau saine localement disponible pour l’expansion rend celle-ci plus difficile et plus dangereuse. Il devient alors plus simple d’expandre de la peau à distance du front (en règle dans les régions supraclaviculaires) et de la greffer secondairement. Pour obtenir un front d’aspect homogène et naturel, la peau saine résiduelle doit être réséquée dans le même temps que la cicatrice afin de greffer toute l’unité esthétique (fig. 25-6).
Reconstruction des paupières
Paupière inférieure
Ectropion simple avec atteinte cutanée isolée
La constitution d’un ectropion déformant l’ensemble de la paupière inférieure est la conséquence la plus fréquente lors des atteintes palpébrales profondes. L’ ectropion apparaît en 1 à 3 mois, d’autant plus rapidement que les soins initiaux ont été inadaptés.
Le premier temps de l’intervention consiste à exciser l’ensemble des tissus fibrosés rétractiles ; le second doit reconstruire une unité palpébrale à la fois fonctionnelle et esthétique. L’excision emporte la totalité des tissus cicatriciels ; le plus souvent elle englobe la totalité de l’unité esthétique palpébrale inférieure, du bord libre au rebord orbitaire inférieur. Si le muscle orbiculaire lui-même est atteint, il peut être incisé transversalement à sa partie basse, mais aucune excision profonde ne doit être réalisée, au risque d’aboutir à une cicatrice rétractile en dépression ou à un aspect d’œil creux. La couverture peut être effectuée par une greffe de peau totale ou par divers lambeaux locaux dans les rares cas où la peau voisine n’est pas cicatricielle [7].
Une greffe de peau totale est préférentiellement utilisée, idéalement prélevée en supraclaviculaire (fig. 25-7 et 25-8). Elle doit recouvrir la totalité de l’unité sans tension, en prévoyant une surcorrection d’au moins 20 % [8]. En postopératoire, une compression par bourdonnet cousu sur les greffes et une blépharorraphie seront laissées en place pendant 5 jours.
Les lambeaux locaux sont nombreux en théorie mais peu utilisables en pratique, la peau locale étant en règle très peu élastique. Le lambeau de paupière supérieure [9], le lambeau de rotation jugale selon Mustardé [10] sont exceptionnellement utilisés lorsque les conditions locales le permettent. Les autres lambeaux (nasogénien,suprasourcilier, glabellaire, etc.) sont d’utilisation anecdotique et donnent des résultats aléatoires.