24: Le retard de croissance intra-utérin

Chapitre 24 Le retard de croissance intra-utérin




Définition et incidence


La définition la plus couramment utilisée décrit le retard de croissance intra-utérin (RCIU) comme un poids fœtal estimé inférieur au 10e percentile pour le terme et pour le sexe [1]. Il peut être modéré si le fœtus se situe entre le 3e et le 10e percentile ou sévère s’il est inférieur au 3e percentile.


Cette définition est controversée car elle ne fait pas la distinction entre les fœtus constitutionnellement petits, les fœtus petits à croissance restreinte et les fœtus de taille normale à croissance restreinte.


Une croissance fœtale normale reflète l’interaction de la croissance potentielle fœtale génétiquement prédéterminée ainsi que sa régulation par le bien-être fœtal, placentaire et maternel. Chaque fœtus possède un potentiel de croissance déterminé. On définit alors le RCIU comme une entité pathologique correspondant à une croissance fœtale sous-optimale, la dynamique de croissance s’étant anormalement écartée de celle qui était génétiquement programmée [2]. L’estimation du poids fœtal est inférieure au poids attendu ; on parle alors d’une restriction de croissance (intra-uterine growth restriction ou IUGR).


La notion de fœtus de petit poids de naissance pour l’âge gestationnel (PPAG, ou ce que les Anglo-Saxons nomment le small-for-gestational-age fetuses – SGA) est utilisée pour décrire les fœtus dont le poids de naissance est inférieur au 10e percentile, mais répondant au programme de croissance préétabli génétiquement.


Environ 70 % des fœtus dont le poids est estimé inférieur au 10e percentile sont constitutionnellement petits, ceci étant lié à des facteurs comme le sexe (féminin), l’origine ethnique maternelle, la parité ou l’indice de masse corporelle. Il n’y a pas dans ce cas d’augmentation du risque de morbidité et de mortalité périnatale [3].


L’hypotrophie est la conséquence du RCIU ; il en est le symptôme. Elle désigne les nouveau-nés de petit poids de naissance inférieur au 10e percentile d’une courbe référence pour le terme considéré. Il faut distinguer les poids de naissance inférieurs à la norme pour un âge gestationnel donné, d’origine physiologique (enfant constitutionnellement petit) ou pathologique (RCIU) [4].


Il est habituel d’opposer deux types de RCIU :




L’incidence du RCIU varie d’une population à une autre. En France, les résultats du réseau sentinelle Audipog en 2005 retrouvaient un taux de 2,8 % de RCIU diagnostiqués in utero. Le pourcentage d’enfants hypotrophes à la naissance (seuil pris : poids fœtal inférieur au 5e percentile selon les courbes Audipog) est d’environ 4,5 % et est relativement stable depuis 2001 [5].


Le RCIU constitue une pathologie relativement fréquente et arrive à la troisième place des causes de mortalité périnatale après la prématurité et les malformations [6].


La mortalité périnatale est multipliée par six en présence d’un RCIU sévère et par deux en présence d’un RCIU modéré [7]. La mortalité augmente avec et en fonction de la sévérité du RCIU, s’élevant brusquement quand le poids de naissance est inférieur au 5e percentile [7] (fig. 24.1).



La sévérité du RCIU, le degré de la prématurité, l’existence éventuelle de malformations congénitales ou d’anomalies cardiorespiratoires contribuent à augmenter le risque de mortalité néonatale de ces fœtus.


La morbidité néonatale est plus importante chez les hypotrophes, particulièrement parmi ceux nés prématurément. Les prématurités spontanées et induites sont plus fréquentes dans les grossesses compliquées d’un RCIU. Lackman et al. [7] retrouvaient un taux de prématurité variant de 21 à 38 % pour les RCIU inférieurs au 3e percentile, dont 75 % de prématurité induite. Il retrouvait aussi des taux majorés d’hémorragie ventriculaire (grade 3 ou 4) et de détresse respiratoire du nouveau-né dans les 24 premières heures en cas de RCIU [7].


La morbidité à court terme des hypotrophes inclut une thermorégulation perturbée, des hypoglycémies, une hyperviscosité et une fonction immunitaire diminuée [8].


Par ailleurs, parmi les RCIU sévères nés après 37 semaines d’aménorrhée (SA), il est observé un taux majoré d’Apgar inférieur à 3 à 5 minutes, de pH de l’artère ombilicale inférieur à 7, d’intubation en salle de naissance, de sepsis et d’arrêts cardiaques dans les 24 premières heures suivant la naissance [8].


Il existe aussi de multiples conséquences à long terme du RCIU, incluant une diminution des scores évaluant la fonction cognitive exécutive (réflexibilité, mémoire visuelle, coordination motrice visuelle) [9] ainsi qu’une augmentation du risque de paralysie cérébrale (cerebral palsy) avant l’âge de 4 ans (multiplié par 4–5) [10].


Enfin, des effets délétères à l’âge adulte ont été suggérés (hypothèse de Barker) ; les fœtus ayant présenté un RCIU étaient plus enclins à développer une HTA, un diabète et une dyslipidémie à l’âge adulte, et ce quelle que soit la cause du RCIU [11].



Étiologies


Le RCIU peut être d’origine maternelle (40 %), placentaire (5 %) ou fœtale (25 %). Environ 30 % des RCIU sont idiopathiques et la physiopathologie de ces RCIU reste encore mal connue. Les principales étiologies sont résumées dans le tableau 24.1.



Une enquête étiologique, notamment la recherche de facteurs de risque, doit être réalisée par un interrogatoire complet devant toute découverte de RCIU.



Facteurs maternels [12]















Facteurs fœtaux [13]










Tableau 24-2 Liste partielle des anomalies génétiques associées à un retard de croissance intra-utérin.































Trisomie 21 (syndrome de Down) Trisomie 18 (syndrome d’Edwards) Trisomie 13 (syndrome de Patau)
Trisomie 9q mosaïque Syndrome de Wolf-Hirschhorn (délétion partielle 4q) Syndrome du cri du chat (délétion partielle 5q)
Syndrome de Turner (45,XO) Triploïdie Syndrome de Cornelia de Lange
Syndrome de Brachmann- de Lange Nanisme MULIBREY Syndrome de Rubinstein-Taybi (délétion 16p13.3)
Syndrome de Russell-Silver Syndrome de Dubowitz Syndrome de Seckel
Syndrome de Bloom Syndrome de Johanson-Blizzard Syndrome de Fanconi
Syndrome de Roberts Syndrome de De Sanctis-Cacchione Ostéochondrodysplasies

d’après Gross SJ. Clin Obstet Gynecol 1997 ; 40 : 730



Diagnostic



Diagnostic clinique


Avant de retenir le diagnostic de RCIU, il est primordial de déterminer le début de la grossesse (date des dernières règles et surtout une mesure de la longueur craniocaudale lors de l’échographie du 1er trimestre).


L’anamnèse doit être la plus exhaustive possible afin de rechercher les facteurs de risque et les étiologies éventuelles à l’origine du RCIU.


Elle doit reprendre les caractéristiques maternelles : âge, poids, taille, poids de naissance, environnement socioprofessionnel, consommation de toxiques (tabac, alcool, drogues) ou de médicaments.


Les antécédents doivent être détaillés :





Concernant le déroulement de la grossesse, la notion d’un épisode infectieux, l’existence d’un hCG supérieur ou égal à 2 MoM (entre 14 et 20 SA) [14] (population à risque de pré-éclampsie) lors du test biologique de dépistage de la trisomie 21, des signes fonctionnels d’HTA ou encore l’existence de mouvements actifs fœtaux doivent être recherchés.


La mesure de la tension artérielle et du poids et la recherche d’œdèmes doivent être réalisées.


La mesure de la hauteur utérine (HU) est une méthode simple, peu coûteuse et très répandue pour dépister un RCIU. La suspicion de RCIU survient lorsque cette mesure est inférieure à la mesure attendue pour l’âge gestationnel.


Plusieurs méthodes de calcul sont utilisées ; il existe notamment celle où la mesure doit être d’une différence de moins de 3 cm par rapport à l’âge gestationnel en semaines d’aménorrhée ; par exemple, à 32 SA la mesure de la HU doit être supérieure ou égale à 29 cm [15].


L’efficacité de la mesure de la HU dans le dépistage du RCIU est controversée ; une revue systématique de la littérature concluait qu’il n’y avait pas assez de preuve médicale pour conclure à l’utilité de cette technique en période anténatale [16]. Sa sensibilité varie de 28 à 86 % [15, 17, 18].


Globalement, pour les hypotrophies modérées et sévères, la sensibilité de la mesure est, selon les différents auteurs, de 50 %.


Cette méthode de diagnostic paraît plus sensible lorsque les mesures au cours de la grossesse sont réalisées tous les mois par le même clinicien. L’idéal serait d’utiliser un ruban pour chaque patiente en utilisant le côté non marqué du ruban et en traçant un trait sur le ruban pour refléter la croissance fœtale propre à chaque fœtus [19]. L’obésité maternelle, le volume vésical et la parité peuvent affecter la sensibilité [20].


Le palper abdominal n’est pas un bon examen clinique pour diagnostiquer un RCIU ; sa sensibilité varie dans les différentes séries entre 30 et 50 % [21].



Diagnostic échographique


Une échographie doit être réalisée pour confirmer ou infirmer le diagnostic de RCIU à chaque fois que celui-ci est suspecté devant des facteurs de risque ou à l’examen clinique. Plusieurs paramètres échographiques sont utilisés pour diagnostiquer un RCIU.


La croissance fœtale sera évaluée par des échographies répétées, espacées de 15 jours et réalisées idéalement par le même échographiste.


À chaque examen, les biométries seront mesurées et reportées sur les courbes de croissance afin de dépister un arrêt ou un ralentissement de la croissance fœtale. Des courbes de croissance de référence (courbe de Leroy-Lefort [22], courbe du Collège français d’échographie fœtale, etc.) sont utilisées pour diagnostiquer un RCIU.





Courbes de croissance personnalisées


Les courbes de croissance personnalisées (customisées) prennent en compte les multiples variables qui affectent le poids fœtal afin de déterminer avec une plus grande précision la croissance fœtale en fonction des caractéristiques individuelles maternelles (la parité, l’origine ethnique, l’âge, le poids et la taille) et fœtales (le sexe) [30]. Ainsi une courbe personnalisée de la croissance fœtale peut alors être créée et l’estimation du poids fœtal y être reportée tout au long de la grossesse.


Le poids fœtal optimal pour un fœtus spécifique est donc plus fondé sur son potentiel individuel de croissance que sur celui d’une population donnée.


Des logiciels gratuits permettent de calculer ces courbes de croissance customisées et peuvent être téléchargés sur les sites www.gestation.net ou www.audipog.net.


La courbe de croissance personnalisée peut être introduite dans le dossier médical ; un exemple de courbe est reporté sur la figure 24.2. Chaque estimation du poids fœtal réalisée durant la surveillance échographique d’un RCIU y sera alors reportée.


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Jul 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 24: Le retard de croissance intra-utérin

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