Chapitre 23 Principes généraux de rééducation fonctionnelle du brûlé
Bilan de rééducation fonctionnelle
Le choix d’une thérapeutique efficace en dépend.
Bilan cicatriciel
Il doit être établi avec l’idée obsessionnelle que l’avenir du patient brûlé est conditionné par la reconstruction du néoderme.
Physiopathologie
Les processus cicatriciels pallient les plaies profondes. Ils induisent une réduction de surface et font intervenir les plans profonds (fascias, périoste, os), les articulations voisines, les zones de compensations d’extensibilité cutanée, l’organisation histologique des plis, les lignes de tension (Cox et Langer) et les lésions vasculonerveuses. Le terrain unique de chaque individu, la topographie lésionnelle et l’importance des lésions déterminent la qualité de la cicatrice. L’atteinte vasculaire a une incidence différente selon qu’elle est de type vascularisation cutanée pure ou musculo-cutanée, proche d’un tronc nourricier. L’atteinte neurologique prive la cicatrisation de la protection nécessaire à la reconstruction [1, 2, 3, 4].
Plus le recouvrement est structuré moins l’évolution est complexe :
Échelle ISS (inflammation, surface, structure) de Romans-Ferrari
Cette échelle clinique a été mise au point au centre de Romans-Ferrari en 2001 après vingt années d’expérience et d’évolution dans les choix thérapeutiques. Comme d’autres échelles d’observation [5], elle a été conçue pour être un « outil d’aide à la prescription du rééducateur » (tableau 23-1).
Symptômes | Tests |
---|---|
Inflammation | |
1) Érythème | |
2) Érythème + douleur au contact | Flush de recoloration à la pression relâchée |
3) Érythème + douleur au contact léger | Dermographisme douloureux |
4) Érythème + douleur importante au contact léger | Pli dermique convergent épaissi et douloureux + œdème |
5) Tableau suraigu patient intouchable | |
Surface | |
1) Surface cutanée maximale conservée ou déficit minime avec conservation de la fonction | Examen en torsion |
2) Déficit de surface avec fonction diminuée | Étirement cicatriciel direct |
3) Anomalies des plis naturels (couleur, position, fonction) | |
3.1) Pli rosé | |
3.2) Pli blanchâtre (ischémique) | Sollicitation maximale pluriarticulaire combinée |
3.3) Pli limitant le jeu articulaire maximal | |
3.4) Pli limitant le jeu articulaire fonctionnel normal | |
4) Attitude fixée, perte des repères des galbes et des courbures anatomiques normales, plis mal individualisés, fractionnés, absents ou multiples, fibrosés et durs | Restriction non réductible de la mobilité |
Structure | |
1) Hypertrophie | |
1.1) Surélévation perceptible | Empâtement des plis dermiques |
1.2) Surélévation dépressible | |
1.3) Surélévation indurée non dépressible | Test à la pression digitale forte |
1.4) Plis cicatriciels dévoilant une tension monoaxiale | Sollicitation cicatricielle dans chaque axe |
1.5) Placard hypertrophique | Décollement cicatriciel révélant l’adhérence au plan profond |
2) Ancrage | « Manœuvre de palper-rouler » |
2.1) Baisse de la mobilité cicatricielle | |
2.2) Adhérence douloureuse mal délimitée | |
2.3) Adhérence douloureuse délimitée | |
2.4) Adhérence douloureuse délimitée avec plaie | |
3) Bride | |
3.1) En nappe multiaxiale | « Manœuvre de palper-rouler » |
3.2) Monoaxiale dominante dans une inflammation | Rouler la bride sur elle-même |
3.3) Monoaxiale individualisée fibreuse | |
4) Atteinte vasculaire | |
4.1) Érythème provoqué | Sollicitation mécanique ou thermique |
4.2) Érythrose spontanée | |
4.3) Érythrocyanose majorée en déclivité | |
4.4) Érythème vif spontané | |
5) Atteinte nerveuse | |
5.1) Anesthésie, hypoesthésie | Sollicitation mécanique ou thermique |
5.2) Prurit | |
5.3) Douleur spontanée de la jonction cicatrice/peau saine | |
5.4) Douleur à la sollicitation mécanique | Massage des plans douloureux |
5.5) « Décharge douloureuse spontanée » | Contact douloureux |
6) Fibrose constituée | |
Adhérence majeure, aspect fragile et nacré | Ischémie périlésionnelle à la sollicitation mécanique |
L’échelle se compose de deux parties :
Inflammation
C’est le phénomène clé, source de toutes les « misères ». Elle est commune à toutes les cicatrices récentes et/ou immatures. Mal contrôlée, elle augmente tout au long des neuf premiers mois avant de décroître. Elle explique le caractère extensif du tableau clinique. L’œdème englue la zone lésée et favorise les adhérences. Trop important, celui-ci s’étend et fige la cicatrice dans l’attitude antalgique. Son évolution est caractérisée par des pics, le premier secondaire à la lyse cellulaire ; le second, classique, se produit en fin de recouvrement, provoqué par la reprise de l’activité physique et les sollicitations d’une cicatrice dénervée ou sidérée sans plan de glissement. Les critères d’inflammation sont la rougeur cicatricielle – critère indispensable mais non spécifique ; la chaleur cicatricielle, bon facteur pour une analyse précoce des lésions profondes, la douleur, l’œdème. L’œdème inflammatoire est mis en évidence par le test du « pli dermique convergent » (fig. 23-1) : pli de cicatrice épais réalisé avec une pince bipulpaire, à partir des berges de la cicatrice : le blanchiment réactionnel est immédiat à la mise en compression cutané-cicatriciel. Le décollement du plan profond et les amplitudes articulaires sont limités par l’œdème. Il est rapidement compressible (en heures) contrairement à l’hypertrophie (en journées).
Le tableau inflammatoire peut être suraigu (fig. 23-2) : c’est alors un virage dans l’évolution de la brûlure, extrêmement grave, car il potentialise les séquelles à venir. Le patient n’accepte pas le contact et la douleur est au premier plan. L’œdème est important. L’attitude antalgique figée s’aggrave. Cette poussée inflammatoire résulte d’une inadéquation : état cicatriciel, sollicitation mécanique. Elle est favorisée en cas de cicatrice insuffisamment drainée. C’est une urgence thérapeutique en rééducation. Elle se traite par l’immobilisation, l’augmentation de la pressothérapie et l’arrêt de toute sollicitation, et en premier lieu des postures de gain et des massages (fig. 23-3).
Surface
Observation
Chez l’enfant, une cicatrice « étirée » fine, distendue, à l’aspect volontiers glacé à la jonction d’avec la peau saine, avec des plis perpendiculaires aux bords, est liée à un déficit de croissance du corps de la cicatrice et souvent de la zone greffée. Nous la retrouvons dans les régions prérotuliennes de l’adulte jeune (fig.23-4).
Structure
On recherche des caractères qui laisseront obligatoirement des séquelles.
Hypertrophie cicatricielle
Pour le rééducateur, l’hypertrophie obéit à un schéma rudimentaire, caractérisé par des tensions tridimensionnelles et une expansion cicatricielle centrifuge verticale au plan de la surface. Elle correspond à une moins bonne réponse aux tensions naturelles de la peau. Elle est évolutive tant que persiste l’inflammation et apparaît le plus souvent entre le 2e et le 4e mois. Le diagnostic en est fait par la palpation : c’est le test du pli dermique convergent. Au sein d’un pli épais et dur, on retrouve une zone d’induration mal délimitée en profondeur dans un premier temps suivie, secondairement, d’une surépaisseur cicatricielle visible spontanément. Les zones de jonctions lésionnelles sont souvent précocement atteintes (fig. 23-7).
Il existe une restriction de mobilité des masses hypertrophiques par rapport aux autres plans sous-jacents. Le temps de drainage de la cicatrice hypertrophique évalue les performances de la vascularisation cicatricielle au moyen de deux types de sollicitations cicatricielles mécaniques et thermiques : la sollicitation de la thermorégulation se fait lors des douches filiformes, l’adaptation de la peau à la « mécanique de l’effort » lors du massage dermoépidermique ; ces deux sollicitations sont susceptibles, dans une hypertrophie, d’accroître l’érythème puis l’inflammation si elles ne sont pas dosées.
Les facteurs qui favorisent l’hypertrophie sont [6] :
Ancrage
Initialement, c’est une zone d’adhérence en patte d’oie, dont la taille dépend de l’importance des sollicitations mécaniques. Il est peu mobile, mal circonscrit, réalisant un verrouillage de surface secondairement extensif en profondeur se prolongeant souvent par une bride. Il est le siège de plaie en cas de dégradation clinique. Le test diagnostique est celui du pli préaponévrotique convergent ; le « palper-rouler » est un test équivalent : manœuvre de décollement des plans profonds révélant une adhérence délimitée, associant un blanchiment important en phase inflammatoire. La cicatrice est dure, très peu extensible, évoquant le risque d’une fibrose locale débutante. Le pli cicatriciel est difficilement réalisable. Cette palpation déclenche des douleurs en profondeur. L’ancrage se présente isolément ou en binôme aux extrémités de la bride souvent de part et d’autre d’une articulation (fig. 23-8).
Bride
Encadré 23-2 Physiopathologie : stades de constitution des brides
Placard hypertrophique cicatriciel
C’est une combinaison de toutes ces évolutions.
Les modifications pathologiques qui peuvent toucher le néoderme aboutissent après le 4e mois à un blindage cicatriciel très en relief. La cicatrice est dure, sa mobilisation est monobloc (soulèvement en bloc de la cicatrice à partir des berges), sans pli possible ou avec un seul gros « pli » (fig. 23-9). Elle reste très adhérente au plan profond (contrairement aux corps des brides). Le placard présente des adhérences profondes, multiples, non individualisables et/ou des brides satellites (cou/bas du visage) dépendantes des sollicitations de grosses articulations. Volontiers douloureux pendant sa phase de constitution, il présente ensuite de petites ridules de surface épidermiques. Non inflammatoire, il est inaccessible à la rééducation. C’est une indication de chirurgie première.
Fibrose
Après un recouvrement laborieux sur un terrain mal vascularisé, c’est une cicatrice dure, inextensible, d’aspect nacré avec une adhérence profonde et une perte des différents plans. La fibrose est mise en évidence par le test du « pli poussé » (fig. 23-10). Un appui verrouillé en pression sur la berge de la cicatrice et mise en tension des plans profonds en direction de la jonction d’avec la peau saine entraîne une ischémie de la peau saine voisine. La contraction musculaire associe un blanchiment cicatriciel, sans possibilité de mobilisation des plans cutanés, avec une limitation des mouvements. La mobilisation articulaire peut être stoppée par un blocage ferme, mais non dur comme peuvent en donner les problèmes osseux. La fibrose est très invalidante et caractérise l’échec.
Maturation cicatricielle
Encadré 23-3 Moyens d’évaluation de la maturité cicatricielle
Thérapeutiques de la cicatrice
Objectifs
Les objectifs cellulaires visent le fibroblaste qui est une cellule sensible à la pression au sein d’un tissu cutané élastique, sous tension. L’objectif est de maintenir un régime de pression capable de stopper la différenciation cellulaire des fibroblastes en myofibroblastes, en réalisant une hypoxie cicatricielle relative, maintenant ou restaurant l’apoptose cellulaire [6, 7].
Moyens thérapeutiques
Immobilisation
Moyens d’immobilisation
Plâtre d’immobilisation [8]
Le recouvrement assuré, il est très largement utilisé en rééducation et utile en phase inflammatoire suraiguë [13]. Plus tard, les séquences de plâtres sont utiles en cas de rétraction cicatricielle. Plus la cicatrice sera rétractile, organisée vers la fibrose, plus ils seront progressifs et leur action aléatoire. Ils réalisent toujours une composante de mise en tension et de « compression » associée. Le plâtre est peu différent d’un plâtre orthopédique. Plus l’état clinique est inflammatoire moins le plâtre devra être « ajusté ». La position d’immobilisation n’a pas besoin d’être maximale lors de l’utilisation de dispositif de maturation et de « DG » (dermal growth = croissance dermique) (DMDG) (voir p. 245). La nuit qui suit sa réalisation, une surveillance en hospitalisation complète est nécessaire en raison des tensions cicatricielles prolongées pour prévenir un étirement cicatriciel important, des douleurs et/ou l’apparition d’œdème provoquant une compression vasculaire. Associé au DMDG, son efficacité est renforcée et peut motiver des patients peu coopératifs ainsi que leur famille. Le plâtre par son poids enchâsse les DMDG dans les masses molles (fig. 23-11).
Nous faisons le plus souvent trois plâtres portés chacun pendant 3 à 5 jours. Puis des orthèses de compression ou des vêtements avec adjonctions prennent le relais. La compression post-plâtre est obligatoire et doit être immédiate.