23. La dépendance physique de type 3

Chapitre 23. La dépendance physique de type 3



La perspective historique253


La dépendance aux antidépresseurs et aux antipsychotiques253


Les syndromes de stress255


La désintoxication des antidépressures et des antipsychotiques258



LA PERSPECTIVE HISTORIQUE




L’avancée suivante dans cette matière a suivi les travaux de Olds et Milner (voir le chapitre 22) dans les années 1960. Ceux-ci montrèrent que certaines drogues pouvaient potentiellement entraîner une addiction. Les animaux de laboratoire pouvaient être mis dans des conditions dans lesquelles ils manifestaient le besoin de ces produits. En 1969, ce concept de dépendance aux drogues permit d’expliquer pourquoi certaines substances qui ne provoquent pas de syndrome de sevrage classique, telles que la cocaïne et les amphétamines, pouvaient néanmoins entraîner une dépendance.

Ni les antidépresseurs, ni les antipsychotiques, ni même les benzodiazépines ne sont responsables d’une dépendance s’accompagnant d’un état de manque. En jouant sur cette nuance, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ont d’ailleurs été commercialisés en insistant sur le fait qu’ils ne provoquaient pas de dépendance, à l’inverse des benzodiazépines. Cette manœuvre commerciale a malheureusement induit en erreur ceux qui prennent ce type de médicaments, comme nous allons le voir.


LA DÉPENDANCE AUX ANTIDÉPRESSEURS ET AUX ANTIPSYCHOTIQUES


En 1957, Léo Hollister conduisit un essai clinique randomisé contre placebo pour étudier les effets de la chlorpromazine dans la tuberculose. Lorsqu’il fut question d’arrêter le traitement, 6 mois après le début de l’étude, il apparut clairement qu’un tiers de ceux qui étaient sous chlorpromazine présentaient une dépendance physique significative et avaient de grandes difficultés à se passer du produit [13, 14].

Vers le milieu des années 1960, d’autres groupes de recherche ont également constaté ces symptômes physiques sévères et marqués lors de l’arrêt des antipsychotiques. Lors d’un meeting international, en 1966, le concept de dépendance aux substances thérapeutiques fut reconnu [15].

Le problème observé se présentait habituellement comme suit : une personne, le plus souvent une femme, prenant 1 mg de trifluoropérazine par jour depuis plusieurs mois pouvait être incapable de s’en défaire pour le restant de ses jours [16, 17].

On découvrit ensuite un autre aspect de cette dépendance sous la forme de dyskinésies tardives apparaissant à l’arrêt de neuroleptiques. Ces déformations faciales invalidantes et ces mouvements incontrôlés du tronc peuvent perdurer plusieurs années après l’arrêt du traitement (voir les chapitres 2 et 3).

La dépendance à des substances thérapeutiques fut admise pour les antipsychotiques et pour les antidépresseurs, mais cette notion disparut subitement peu de temps après la reconnaissance du problème. Il fallut attendre 30 ans pour qu’un article sur la dépendance aux antipsychotiques soit à nouveau publié. Que s’est-il passé ?

À la fin des années 1960, le monde occidental traversait de fortes turbulences. Les révolutions estudiantines aux États-Unis, en Europe et au Japon étaient fortement associées aux mouvements antipsychiatriques. Les départements de psychiatrie furent occupés et les recherches interrompues. Les nouveaux médicaments psychiatriques étaient au centre des préoccupations. Le LSD provenait des mêmes laboratoires qui avaient produit les antipsychotiques, les benzodiazépines et les contraceptifs oraux, des substances qui transformaient la société en profondeur. Auparavant, les médicaments étaient conçus pour traiter des maladies et permettre à une personne de retrouver sa place dans l’ordre social. Ces nouveaux produits, en revanche, menaçaient cet équilibre. Ils donnaient la possibilité aux femmes de gagner leur liberté vis-à-vis des hommes et offraient aux jeunes des possibilités pour se dégager des hiérarchies sociales imposées par leurs parents.

La classe dirigeante répondit par une lutte acharnée contre les drogues. Le LSD, la cocaïne, les amphétamines et une série d’autres drogues furent interdits ou contrôlés. La caractéristique supposée d’une drogue « sale » était qu’elle provoquait une dépendance, même si, par exemple, le LSD n’en produit aucune, ni physique, ni psychique. Il était donc logique que les médicaments psychiatriques propres n’en causent pas. L’idée d’une dépendance à des substances thérapeutiques n’avait plus sa place dans un tel climat [12].

Le problème se reposa pour les instances scientifiques avec la prise de conscience de l’existence d’une dépendance aux benzodiazépines. La première réaction des associations de psychiatres ou d’autres institutions médicales fut de nier le problème. Par la suite, elles défendirent l’idée d’une distinction évidente entre la dépendance et l’addiction. Celle-ci se justifie, en effet, puisque les benzodiazépines ne provoquent pas une addiction dans le sens où les personnes qui les prennent seraient prêtes à vendre tout ce qu’elles possèdent pour se procurer cette substance. Cependant, cette nuance fut mal comprise par le public et la conséquence fut un changement dans les représentations de la personne dépendante. Alors qu’auparavant, les utilisateurs de drogues étaient considérés comme des marginaux, les personnes dépendantes des benzodiazépines furent au contraire perçues comme des victimes du complexe médicopharmaceutique (voir le chapitre 10).

Nous subissons toujours les conséquences des remous qui se sont produits à ce moment-là. La publicité pour la buspirone, la première substance active sur le système sérotoninergique, vantait son effet anxiolytique sans risque de dépendance (voir le chapitre 10). Elle n’eut jamais de succès parce que les cliniciens, assaillis de plaintes en justice concernant les benzodiazépines, avaient du mal à se faire à l’idée qu’il pouvait exister un anxiolytique n’induisant pas de dépendance, et parce que les patients ne voyaient pas d’un bon œil le fait de traiter chimiquement le stress de la vie quotidienne.

Voici donc la raison pour laquelle, lors de leur arrivée sur le marché, les ISRS furent commercialisés sous l’étiquette d’« antidépresseurs » plutôt que d’« anxiolytiques ». Les patients qui, durant les années 1970 et 1980, étaient identifiés de façon évidente comme souffrant d’anxiété et traités par des anxiolytiques reçurent, sous la pression du marketing des firmes pharmaceutiques dans les années 1990, un diagnostic de dépression devant être traitée par des antidépresseurs.

Au Japon, le problème de la dépendance aux benzodiazépines ne s’est jamais posé, probablement parce que cette question ne faisait pas partie des préoccupations premières. Le Prozac®, en conséquence, n’a jamais, comme en Occident, rempli l’espace laissé vacant par l’éviction des benzodiazépines, et n’a jamais été disponible sur le marché en tant qu’antidépresseur. Durant les années 1990, dans ce pays, le marché des antidépresseurs est resté discret comparé à celui qui se développait en Occident durant la même période. À l’inverse, les anxiolytiques y restent très largement prescrits. En d’autres mots, l’ère de la dépression que nous connaissons en Occident depuis quelques années, où tout se focalise autour de ce syndrome désigné comme « le mal du siècle », s’enracine dans ce conflit au sujet de la dépendance aux médicaments thérapeutiques. Quand les ISRS furent finalement mis sur le marché au Japon, ce fut pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs ou pour la phobie sociale, mais pas pour l’indication de dépression.


LES SYNDROMES DE STRESS


Le concept de « dépendance à des substances thérapeutiques » est d’un autre registre que les concepts actuels d’addiction et de dépendance. Les dyskinésies tardives sont un bon exemple d’un syndrome provoqué par la dépendance aux antipsychotiques ou aux antidépresseurs ISRS. Cependant, ce syndrome n’apparaît pas uniquement quand le traitement est interrompu, il peut aussi se manifester en cours de traitement. En d’autres mots, il est la conséquence de l’action toxique d’un produit pour le cerveau. Pour les individus qui sont vulnérables à ce type particulier de stress, les conséquences vont être que certains systèmes cérébraux subiront des modifications et ne reviendront pas à leur situation de départ à l’arrêt du traitement [17].


Étant donné que les symptômes négatifs sont considérés comme faisant partie de la schizophrénie, l’émergence d’un syndrome de stress de ce type nous confronte à l’impossibilité, après les premiers mois de traitement avec un antipsychotique, de faire la part des choses entre ce qui est causé par le traitement et ce qui est causé par la maladie. Cet argument ne plaide pas contre le traitement, mais nous amène à faire le constat qu’entamer un traitement médicamenteux de ce type change la personne concernée pour toujours. Le thérapeute tout comme le patient doivent en être conscients et travailler ensemble pour gérer cette situation au mieux. Démarrer puis interrompre un traitement n’est pas en tout point équivalent au fait de ne pas donner de médicament du tout.

Ces dernières années, l’attention s’est focalisée sur la dépendance aux antidépresseurs et particulièrement aux ISRS. Ce problème se produit avec tous les ISRS mais la paroxétine, en particulier, détient le record absolu, tous médicaments confondus, de syndromes de sevrage rapportés à la pharmacovigilance. La venlafaxine arrive juste derrière, en deuxième position, et les autres ISRS occupent les places suivantes. En comparaison, les benzodiazépines ont donné lieu à un nombre nettement moins élevé de rapports concernant le sevrage. Initialement, les firmes qui produisaient les ISRS ont inventé un terme pour nommer ce phénomène : le « syndrome d’arrêt ». Leur but était d’éviter l’utilisation du mot « sevrage » avec toutes les connotations péjoratives qu’il implique. Tout récemment, elles ont adopté une nouvelle terminologie : les « symptômes de fin de traitement » (« symptoms on stopping » [SoS]).

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Nov 19, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 23. La dépendance physique de type 3

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