22: Rééducation initiale de la brûlure

Chapitre 22 Rééducation initiale de la brûlure



Que peut bien faire un kinésithérapeute en centre aigu de brûlés ? Voilà une interrogation très fréquemment posée. La kinésithérapie en aigu est née à Lyon au tout début des années 1980, au centre des brûlés de l’hôpital Saint-Luc. Il s’agissait de prendre en charge des patients en fin de recouvrement, porteurs d’énormes séquelles orthopédiques et cicatricielles. Avec l’affinement des techniques chirurgicales, l’arrêt des bains et l’élargissement du champ thérapeutique en réanimation (i.e. le traitement de la douleur, la nutrition), la kinésithérapie a su convaincre de la nécessité d’une prise en charge précoce afin de répondre à l’installation des séquelles par des protocoles spécifiques qu’il a fallu adapter de la traumatologie traditionnelle. Après plus de 25 ans d’expérience, le kinésithérapeute, acteur de rééducation, est désormais un partenaire a part entière dans l’équipe. La kinésithérapie initiale affiche donc ses prétentions : prendre en charge les premières étapes rééducatives d’un long parcours du patient brûlé au sein de la filière de soins. Bien que tous les centres aigus ne comportent pas encore d’équipe de kinésithérapeutes spécifiquement attachés à cette mission, l’avenir reste prometteur. Axée sur la précocité, la prévention et avant tout sur la fonction, cette rééducation très spécifique, guidée par la clinique et la physiopathologie de la brûlure, tire son efficacité dans son interaction avec les autres acteurs de soins : anesthésistes pour l’analgésie continue par exemple, chirurgiens pour l’appareillage et la réadaptation cicatricielle, infirmières pour les techniques de pansements fonctionnels, aides- soignantes pour la réadaptation des activités de la vie quotidienne, d’une part, et le patient et sa famille, d’autre part.



Place de la rééducation fonctionnelle dans un centre aigu


Afin de manager et de consolider le meilleur départ possible pour le malade, la kinésithérapie en centre aigu s’appuie sur une unité fonctionnelle regroupant des ressources humaines et des compétences encadrées par un chef de groupe référent. Selon notre expérience, l’effectif optimal en kinésithérapie est d’un ETP pour six patients afin d’assurer la sécurité et la continuité des soins de rééducation, gardes comprises. En termes d’infrastructure, l’unité kinebrul de Lyon-Saint-Luc comporte une salle de traitement et une salle d’appareillage intégrées au centre de brûlés. Cette structure fonctionne à la manière d’un « hub », permettant aux acteurs de rééducation d’articuler leur activité entre les prises en charge initiales dans le cadre de l’urgence, celles de relais avec les centres de rééducation fonctionnelle lors de réhospitalisation, ou celles de suivi en consultation de petites brûlures de malades ayant bénéficié d’un retour à domicile à la sortie du centre aigu. Cette activité centralisée de rééducation nécessite une coordination étroite avec les prescripteurs médicaux et chirurgicaux pour s’assurer que les protocoles validés sont utilisés avec la plus grande efficacité [1]. Pour chaque kinésithérapeute, cela suppose un large domaine de compétence en rééducation fonctionnelle généraliste et spécifique (brûlure et réanimation) apportée par une formation préalable [2, 3]. Outre ses fonctions d’encadrement des étudiants, le kinésithérapeute intégré dans l’équipe soignante du centre des brûlés doit faire preuve de réactivité, d’anticipation, de diplomatie, d’ouverture et d’opiniâtreté dans son exercice quotidien de collaboration avec les autres acteurs médicaux et paramédicaux (aides-soignantes, infirmières, brancardiers) en ce qui concerne les actes de réadaptation.



Les cinq facettes de la kinésithérapie en aigu



Kinésithérapie respiratoire de réanimation


Calquée sur la pratique des thérapeutes respiratoires (RT) nord-américains, la kinésithérapie respiratoire de réanimation [4] prend en charge les aspects mécaniques de la pathologie ventilatoire articulés autour de deux volets principaux : l’hypoactivité musculaire en lien avec les effets dépresseurs centraux d’une sédation lourde et la dynamique des flux aériens avec le désencombrement, en étroite collaboration avec les anesthésistes-réanimateurs. Cela suppose d’intégrer dans les programmes des temps d’évaluation à l’aide d’exploration fonctionnelle respiratoire au lit du malade, et de techniques de recrutement pluriquotidiennes afin de prévenir tout risque d’hypoventilation alvéolaire ou d’encombrement proximal par réduction de l’efficacité de la toux spontanée par exemple [5]. Cette vigilance est particulièrement cruciale dans la prise en charge aiguë des patients aux deux âges extrêmes de la vie.


Sur des patients non intubés, le kinésithérapeute vise avant tout au maintien de l’optimum de la fonction musculaire ventilatoire, et met ainsi en place l’ensemble des programmes validés de kinésithérapie incitative en fonction de la typologie majoritairement obstructive ou restrictive de la mécanique ventilatoire du patient. Il peut avoir fréquemment recours à la ventilation non invasive à ces fins [6, 7], en portant une attention particulière à l’épineux problème du choix et de l’adaptation de l’interface chez le brûlé.


Sur des patients intubés-ventilés et porteurs de syndromes d’inhalation de fumée sévères, la kinésithérapie se recentre alors sur la mécanique trachéobronchique et alvéolaire. Initialement, le thérapeute respiratoire assure le drainage bronchique des inhalations de fumées en mettant en place les procédures validées de désencombrement manuel et d’épuration broncho-pulmonaire [8, 9, 10] : techniques de lavage sélectif des suies, d’extraction des casts (moules) bronchiques ou de prélèvement distaux protégés entre autres (fig. 22-1). Il complétera sa prise en charge pluriquotidienne par l’application de manœuvres de recrutement systématique à l’issue de chaque geste endotrachéal (aspirations, lavage, etc.).



L’arsenal des postures complète le drainage : les alternances pluriquotidiennes systématiques des postures de ventilation ou encore les postures de drainage (le décubitus ventral proclive par exemple dans la phase de bronchorrhée de l’inhalation) font partie intégrante de la prise en charge de kinésithérapie [11].


La prévention des atélectasies et la lutte contre les pneumopathies acquises sont des préoccupations permanentes en rééducation respiratoire. Cela passe par la gestion d’un réchauffement et d’une humidification performante des circuits, et par l’adjonction de nébulisation ultrasonique si l’état rhéologique des sécrétions l’exige (présence de moules bronchiques par exemple).


Ces dernières années ont été marquées par un tournant dans la rééducation respiratoire avec l’apport des nouvelles techniques de ventilation percussive à haute fréquence (Percussionair® IPV2 et VDR4) [12, 13] (fig. 22-2). De telles aides instrumentales au désencombrement et au recrutement sont redoutablement efficaces dans les cas d’inhalation sévères, et également très utiles quand un accès manuel direct (greffe thoracique par exemple) est impossible [14, 15].



En fin d’évolution respiratoire, le kinésithérapeute participe à la réadaptation ventilatoire, au sevrage de la ventilation mécanique et à la détubation [16] ; il utilise pour cela ses compétences dans le réapprentissage et la coordination de l’acte ventilatoire à l’aide des modes et des appareils d’assistance ventilatoire (aide inspiratoire, modes partiels de ventilation) en s’appuyant sur des protocoles préalablement validés.


Cette importante activité respiratoire nécessite une souplesse dans l’infrastructure d’équipe des kinésithérapeutes, ainsi qu’une planification solidaire et rigoureuse des gardes et astreintes. En pratique, un kinésithérapeute est toujours présent au sein de l’unité afin d’assurer les missions respiratoires dans le cadre de l’urgence.



Rééducation orthopédique : priorité à la mobilité


Son objectif consiste à préserver et faire retrouver au patient son potentiel fonctionnel en prenant en charge les risques orthopédiques liés à l’immobilité et à l’œdème postlésionnel générateur d’anomalies mécaniques initiales et d’ankyloses difficilement récupérables à terme.


Le drainage de l’œdème est le préalable : par la gravité à l’aide d’installation segmentaire distale (dispositifs en mousse divers), et complétée par les manœuvres de Möberg quand une mobilisation active segmentaire au-dessus du plan cardiaque est possible par le patient. Sur ce point, le drainage lymphatique manuel est efficace sur les atteintes distales ou unilatérales non circulaires, s’il est associé à une contention. Dans les autres cas, ce type de drainage, très chronophage, reste totalement illusoire en aigu face à l’importance du syndrome inflammatoire généralisé et de l’absence de déviation sur les circuits lymphatiques collatéraux dans les forts pourcentages lésionnels.


Cette facette orthopédique de la rééducation comporte de nombreuses techniques de mobilisation passives d’abord, puis rapidement actives aidées ou faiblement résistées afin de cibler sur des plans purement articulaires, mais également sur des axes périarticulaires passifs (capsulo-ligamentaires) ou actifs (tendino-musculaire et proprioceptif). La kinésithérapie orthopédique [17, 18] a dû adapter les techniques de la traumatologie aux spécificités de la brûlure, et a su adapter son exercice aux contraintes du centre aigu : actes pluriquotidiens sous analgésie continue ou générale imposant de reconfigurer les limites techniques des mobilisations, adaptations nécessaires des procédures de pansement avec la sensibilisation à la gêne fonctionnelle induite et avec la formation des infirmières aux techniques « fonctionnelles » de pansement [19]. L’essentiel est d’instaurer, à tous les niveaux, les meilleures conditions afin de laisser s’exprimer la mobilité, salvatrice à terme, puisque étant l’atout de résorption de l’œdème initial (i.e. traitement local par techniques humides de pansement suite à la suppression des bains, protocole analgésique permettant un retour précoce aux activités de la vie quotidienne, etc.). Pour le kinésithérapeute, une prise en charge pluriquotidienne par séances courtes est effectuée lors de la réfection des pansements afin de bénéficier de l’analgésie spécifique de la phase de détersion, lors des passages au bloc opératoire pour retrouver des secteurs de mobilité problématique (courses externes par exemple) (fig. 22-3). Notre expérience et nos recherches sur les anomalies articulaires générées par les pressions des compartiments musculaires et articulaires liées à l’œdème soulignent l’intérêt des mobilisations spécifiques à bras de levier court et en décoaptation (techniques de Mennell [20]), qui sont désormais devenues un standard quotidien de la rééducation orthopédique en aigu.



L’association d’une kinésithérapie orthopédique précoce, d’une couverture analgésique adaptée au malade, d’un traitement local par technique « humide » de pansements fonctionnels (tulle gras et sulfadiazine argentique en pommade) a permis de supprimer les grandes attitudes vicieuses historiques, les ankyloses fixées et les griffes dramatiques que l’on observait auparavant. La réduction de la mobilité des patients fait même désormais partie des critères de réévaluation de l’analgésie.


Ainsi, cette dominante rééducative, volontiers caractéristique de la phase de détersion (J0-J12), permet au kinésithérapeute d’obtenir le recouvre-ment de l’essentiel des capacités fonctionnelles du patient avant l’étape chirurgicale des greffes (à l’exception de traumatologie associée). Ceci est un atout fondamental pour les suites opératoires, car cela permet au kinésithérapeute de recentrer plus facilement les priorités de la rééducation sur les spécificités de l’évolution cicatricielle au-delà de la couverture chirurgicale.

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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 22: Rééducation initiale de la brûlure

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