22: Prise en charge des traumatismes en environnement hostile ou isolé

Chapitre 22 Prise en charge des traumatismes en environnement hostile ou isolé






Les soins adaptés dépendent du contexte


En dépit de l’évolution de nos connaissances médicales, de notre meilleure compréhension et de la technologie, les principes du traitement médical ne changent pas vraiment. « Le patient instable doit être transporté le plus rapidement possible, sans perdre de temps à chercher et à traiter des lésions ne présentant pas de risque pour la vie » [1]. Une prise en charge adaptée dépend cependant du contexte, et la définition d’un examen approfondi et de lésions non graves peut être différente suivant qu’on se trouve en ville ou en zone reculée (figure 22-1). Cette notion a été développée dans le chapitre 3, en montrant comment la situation, le niveau de connaissances, les compétences et le matériel disponible peuvent modifier la prise en charge d’une victime traumatisée.



Prenons par exemple un patient présentant une fracture-luxation complexe de l’épaule. Quel est le traitement approprié en salle d’opérations ? Le plus souvent, il s’agit d’une réduction ouverte et d’une ostéosynthèse. Cependant, ce qui est adapté en salle d’opérations ne l’est pas nécessairement au service des urgences. Ce ne serait pas une bonne idée de tenter une réduction ouverte en service d’urgences. En service d’urgences, on fera une radiographie de l’épaule pour évaluer la fracture-luxation, on administrera un antalgique, et on procédera à une réduction fermée pour diminuer les douleurs et l’œdème, pour réaligner les fragments osseux et diminuer la pression sur les vaisseaux et les nerfs. La fixation définitive aura lieu plus tard au bloc opératoire.


Par ailleurs, ce qui est adéquat en service d’urgences n’est pas nécessairement adéquat dans la rue. L’équipage d’une ambulance n’a peut-être pas la chance de disposer d’un local vaste, sec et bien chauffé. Il doit souvent travailler pendant qu’il neige ou qu’il pleut, avec un patient suspendu la tête en bas dans une voiture écrasée, ou pendant que les pompiers sont occupés à découper la carrosserie autour du patient. Dans la rue, il faudra d’abord vérifier la sécurité du site, éventuellement mettre la victime à l’abri d’un danger immédiat, rechercher d’autres lésions, vérifier le status neurovasculaire du bras, immobiliser l’épaule, peut-être administrer un antalgique, et transporter rapidement la victime vers l’hôpital. Dans la rue, il ne serait pas adapté de tenter une réduction ouverte sur place.


Enfin, des soins considérés comme adaptés dans la rue peuvent ne pas l’être en environnement hostile ou isolé (figure 22-2). Que feriez-vous si, au lieu d’avoir été incarcéré dans les débris de sa voiture, votre patient était suspendu à une corde après être tombé dans une caverne au cours d’une expédition de spéléologie, et qu’une évacuation de plusieurs heures était prévue à travers des passages souterrains, suivie d’un trajet de plusieurs heures vers l’hôpital le plus proche ? Pour la plupart des lésions, les soins restent adaptés qu’ils se déroulent en salle d’opération, aux urgences, dans la rue ou en environnement isolé, les seules limitations étant l’équipement et la formation des intervenants.



Cependant, il existe une réelle différence entre soins appropriés en milieu urbain et soins appropriés dans un endroit reculé. Cela nous amène aux questions suivantes, qui seront abordées dans ce chapitre.



Gardons à l’esprit cas questions et l’exemple du patient avec une fracture-luxation de l’épaule pour la suite du chapitre. Il n’est pas toujours possible de donner une réponse qui soit valable dans tous les cas, mais on peut fournir les éléments aidant à la décision dans une situation donnée. La philosophie du Prehospital Trauma Life Support (PHTLS) a toujours été que, en se fondant sur des connaissances solides et en respectant certains principes, les intervenants sont capables de prendre des décisions fondées et judicieuses.


Ce chapitre traite de plusieurs situations choisies en environnement hostile ou isolé, soit parce qu’elles sont décisives pour une prise en charge correcte, soit parce qu’il s’agit de situations fréquentes pour lesquelles la prise en charge diffère de celle en milieu urbain.


Surtout, ce chapitre donne une vue d’ensemble des différents problèmes posés par le secours en milieu isolé. Les intervenants préhospitaliers appelés à intervenir en milieu isolé devraient recevoir une instruction spécifique. De plus, une direction médicale par un médecin compétent est indispensable.



Le contexte de prise en charge en milieu isolé


De nombreux termes sont utilisés pour désigner les lieux éloignés de la civilisation : milieu isolé, rase campagne, brousse, etc. Les secouristes ont l’habitude de désigner ce milieu par le terme de « milieu isolé » ou sauvage, qui peut se définir comme suit :



Notre définition sera différente, parce qu’elle est centrée sur les soins au patient. Notre définition doit répondre à la question : « Quand devons-nous penser en termes de secours en milieu isolé ? » Ou plus exactement : « Quand devons-nous travailler différemment de la façon dont nous travaillons chaque jour dans la rue ? »


La réponse à cette question dépasse les considérations purement géographiques et comprend les points suivants :



Il existe de nombreux autres exemples, hormis ce que recouvre traditionnellement la notion de milieu isolé.



Il est souvent question de secours en région sauvage ou isolée, mais en fait il existe tout un éventail de possibilités. Un accident à deux pâtés de maisons d’un centre de traumatologie représente un extrême, l’autre extrême étant le sommet de l’Everest ou des cavernes isolées. Alors, quand savoir où s’arrête le secours en milieu urbain et où commence le secours en région sauvage ? Cela dépend, évidemment. Cela dépend de la distance jusqu’à l’ambulance et le service d’urgences, des conditions métérologiques, du terrain. Plus important encore, cela dépend de la nature des lésions et du niveau d’instruction des secouristes présents sur place. Nous y reviendrons à la fin de ce chapitre.



Typologie des lésions en milieu isolé


Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, les décès provoqués par des traumatismes suivent une distribution trimodale. Le premier pic a lieu dans les secondes voire les minutes qui suivent l’accident. Les décès survenant pendant cette période sont généralement dus à des lésions du cerveau ou du tronc cérébral, à des lésions hautes de la moelle épinière, à des lésions du cœur, de l’aorte ou des gros vaisseaux pour lesquelles seules des mesures préventives comme le port du casque ou de la ceinture de sécurité sont efficaces. Chez les patients présentant ce type de lésion, la survie est exceptionnelle, et ne concerne que des victimes accidentées en milieu urbain où un transport rapide en milieu spécialisé est possible. Le deuxième pic de mortalité survient dans les minutes et les premières heures qui suivent l’accident. Le but de l’évaluation et de la réanimation rapide est de réduire ce deuxième pic de mortalité. Les décès survenant durant cette période sont dus à des hématomes sous-duraux et extraduraux, à des hémo- et pneumothorax, à des ruptures de rate, à des plaies du foie, à des fractures du bassin ou à des lésions multiples causant d’importantes pertes sanguines. Les principes fondamentaux de prise en charge enseignés dans ce cours s’appliquent surtout à ce type de patients. Le troisième pic de mortalité survient plusieurs jours voire plusieurs semaines après l’accident, et le décès est presque toujours le résultat d’une septicémie ou d’une défaillance organique.


Le cours PHTLS vise principalement à sauver les victimes du deuxième pic de mortalité. En milieu reculé, les victimes qui peuvent être secourues ont déjà survécu au premier et bien souvent aussi au deuxième pic de mortalité. La présence de médecins formés dans l’équipe de sauvetage peut également permettre d’éviter les décès liés à ce deuxième pic. Souvent, les soins en situation isolée visent à répondre à la question : « Que pouvons-nous faire maintenant qui va empêcher le patient de décéder ou d’avoir des complications majeures plus tard ? » Nous devons nous assurer que le patient ne développe pas de pathologies surajoutées telles une insuffisance rénale due à la déshydratation, une infection généralisée, une embolie pulmonaire liée à une thrombose veineuse profonde, et des escarres liées au décubitus prolongé.



Sécurité


Plus encore que dans la rue, la sécurité des intervenants est un aspect primordial en milieu isolé. Un secouriste mort ou blessé ne rendra service à personne. Les règles de sécurité en vigueur dans la rue s’appliquent en milieu isolé – même en pleine brousse, un avion accidenté pose les mêmes problèmes qu’un accident de voiture –, mais quelques règles spécifiques s’y ajoutent. En milieu isolé, les risques sont souvent moins visibles ; ils peuvent prendre par surprise un secouriste inattentif.


Le secouriste aussi bien que son patient seront exposés aux intempéries et aux brusques changements de temps, comme un front froid amenant des pluies verglaçantes. Cela peut compliquer les opérations de secours, voire provoquer la mort d’un secouriste ou d’un patient. Si les opérations de secours durent plusieurs heures, les secouristes peuvent être affaiblis par le manque d’eau ou de nourriture. Le terrain est souvent accidenté, et la présence de plantes ou d’animaux sauvages peut compliquer l’action des secouristes (figure 22-3). Les intervenants doivent garder à l’esprit les dangers spécifiques du milieu où ils évoluent, comme le risque de chute de pierres, d’avalanche, de montée des eaux, d’air vicié, d’exposition à l’altitude.



Ainsi, il est essentiel de préparer l’intervention et de prendre les précautions appropriées pour assurer la sécurité, la santé et le bien-être de l’équipe médicale. Tous les membres de l’équipe doivent être renseignés sur les risques et dangers de l’environnement spécifique dans lequel ils vont travailler. Chaque membre de l’équipe doit connaître ses limites et ne pas dépasser ses capacités pour essayer de sauver une personne blessée. Chaque membre de l’équipe doit être préparé de manière appropriée avec les vêtements et l’équipement nécessaire pour le sauvetage. Enfin, il faut s’assurer que les besoins médicaux de l’équipe d’intervention sont remplis (soutien sanitaire des intervenants).




La prise de décision en milieu isolé : rapport bénéfices/risques


Les secouristes expérimentés (tout comme les médecins et les infirmières) savent que des procédures comme la prise en charge des voies aériennes ou le traitement des plaies sont la partie facile de la médecine. La vraie difficulté est de savoir quand faire quoi, c’est-à-dire la prise de décision. En milieu isolé plus encore que dans la rue, il est important de bien mettre en balance les besoins et les bénéfices.


Pour ce patient précis, dans cette situation précise, avec ces moyens précis, et avec une probabilité de voir arriver un renfort donné dans un temps donné, quels sont les risques potentiels ? Quels sont les bénéfices potentiels ? Le secours en milieu isolé est en grande partie l’art du compromis : il s’agit de confronter les risques et les bénéfices pour chaque patient.


Pour illustrer la prise de décision en milieu isolé, nous allons reprendre la discussion de la prise en charge des lésions potentielles de la colonne cervicale présentée au chapitre 10.



Exclure une lésion cervicale en milieu isolé


Une femme de 22 ans en bonne santé faisait de l’escalade dans un canyon quand elle a fait une chute de 20 mètres. Tous ses points d’ancrage ont cédé les uns après les autres, ce qui fait qu’elle est tombée jusqu’au sol mais a été ralentie au passage par chaque point d’ancrage. Elle portait un casque mais a heurté le sol de la tête et a brièvement perdu connaissance. Quand vous arrivez sur place avec votre coéquipier, après avoir marché une heure dans les gorges depuis votre ambulance, elle est consciente et orientée, sans plaintes et avec un examen physique et neurologique normal. On est à la fin de l’automne, il commence à faire nuit, le lieu d’atterrissage la plus proche est à une heure de marche, et la météo annonce du blizzard pour la nuit. Est-il nécessaire de l’immobiliser ? Faut-il faire venir une équipe de secours avec un brancard spécial ou peut-elle marcher jusqu’à l’ambulance ?



Histoire d’une lésion cervicale dans la rue


L’immobilisation rachidienne chez tout patient gravement traumatisé est la règle depuis plusieurs décennies. Même si les lésions instables de la colonne cervicale étaient rares chez les patients traumatisés conscients, et même s’il n’y avait pas de preuve scientifique que l’immobilisation de la colonne prévenait de façon efficace la paralysie chez un patient conscient, personne ne pensait que rester des heures fixé à une planche pouvait faire du mal. En conséquence, pendant les années suivantes, les intervenants préhospitaliers ont pris l’habitude d’immobiliser de plus en plus de patients. Depuis, il est devenu clair que les patients immobilisés sur une planche présentent des douleurs modérées après 30 minutes et de très fortes douleurs après 45 minutes [3].


Au fur et à mesure du développement des services de secours en milieu isolé, l’habitude de fixer tous les patients sur une planche est apparue de moins en moins logique, en particulier si le patient est sur le flanc d’une montagne en pleine tempête de neige, et que la première planche disponible se trouve à 3 km et 3 000 mètres plus bas. Cela a conduit les services pratiquant le secours en milieu isolé et les médecins travaillant avec eux à développer des recommandations fondées sur les données actuellement disponibles dans la littérature, pour savoir quand il ne faut pas immobiliser un patient en milieu isolé [4].


Une importante étude multicentrique appelée « NEXUS » a bien montré que de nombreux patients peuvent être contrôlés sans pratiquer d’examen radiologique, à condition que les critères suivants soient remplis :



Des adaptations de ces critères ont été utilisées par de nombreux systèmes de secours et de soins. Quelques études révèlent des difficultés à adapter ces critères sur le terrain. Le libellé de certains protocoles d’immobilisation rachidienne en extrahospitalier s’écarte sensiblement des critères précédents, et l’on peut se demander s’ils reflètent vraiment les critères du programme NEXUS. Toutefois, il est généralement admis que les critères du programme NEXUS, correctement appliqués, constituent des recommandations raisonnables pour la sélection des patients qui n’ont pas besoin d’être immobilisés sur un plan dur, que ce soit dans la rue ou en milieu isolé. Bien que les critères du programme NEXUS puissent être utiles en extrahospitalier, il faut néanmoins garder à l’esprit que l’étude n’était pas conçue pour sélectionner les patients devant bénéficier d’une immobilisation sur plan dur en extrahospitalier, mais plutôt pour définir chez quels patients la radiographie du rachis cervical n’est pas indiquée à l’hôpital.


Cependant, en milieu isolé, le problème n’est pas toujours aussi simple. Que faire quand un patient ne remplit pas les critères NEXUS ? Doit-on en déduire que ce patient doit être immobilisé ?


Comme nous l’avons déjà dit, le secours en milieu isolé est souvent l’art du compromis, et cela n’est jamais plus vrai qu’en ce qui concerne l’immobilisation de la colonne.


Que faire si le patient présente une lésion potentielle de la colonne, si aucun équipement d’immobilisation n’est disponible et que la route la plus proche est à 2 heures de marche ? Faut-il envoyer quelqu’un faire un trajet aller-retour de 4 heures jusqu’à une ambulance pour aller le chercher ?


Que faire si l’on est dans une caverne, et que l’eau est en train de monter ? N’y a-t-il pas un risque que la route soit coupée et que tout le monde se noie si l’évacuation est retardée ?


Que faire si le patient est en montagne, très loin de l’ambulance et qu’une tempête approche ? Quels sont les risques si patient et secouristes sont forcés de passer la nuit sur place ?


Dans chacune de ces situations, les intervenants sur place ont deux options :



Aucune de ces deux options n’est idéale, et les intervenants doivent donc faire un choix. Pour que ce choix soit rationnel, ils doivent se poser les questions suivantes.



Les bénéfices d’une immobilisation spinale dépendent de la probabilité que le patient présente effectivement une lésion instable de la colonne.


Dans l’étude NEXUS, même les patients qui ne remplissaient pas les critères NEXUS et chez qui on ne pouvait pas exclure cliniquement une fracture présentaient un risque très faible de fracture vertébrale instable, à savoir :



Par conséquent, il semble bien que, chez les patients accidentés en milieu isolé et ayant survécu assez longtemps pour être secourus, l’incidence des lésions de colonne instables soit inférieure à 1 %.


Les intervenants doivent évaluer ces différents risques et bénéfices pour pouvoir décider en connaissance de cause.



Évacuations improvisées


En traitant de la prise en charge des lésions de la colonne en milieu isolé, nous avons mentionné la possibilité d’entreprendre une évacuation improvisée plutôt que d’attendre une civière et un équipement d’immobilisation complet.


Le transport de patients en terrain accidenté est une activité extrêmement difficile, fatigante et même dangereuse aussi bien pour la victime que pour les secouristes. Les personnes n’ayant pas l’expérience de ce genre d’opération ont une nette tendance à sous-estimer le temps et la difficulté de ce type d’évacuation, en général d’un facteur deux, mais qui peut parfois aller jusqu’à cinq, en particulier pour les secours spéléologiques.


Si un intervenant n’ayant pas d’expérience dans les secours en milieu périlleux dit : « Il nous faudra 2 heures pour le sortir de là », vous pouvez tripler cette prévision et vous attendre à une évacuation de 6 heures ou plus, notamment si le patient est dans une grotte, si les intervenants sont peu nombreux ou que le terrain est particulièrement difficile, ou par mauvais temps. Il est particulièrement important de s’en souvenir si la nuit va tomber ou si les conditions météorologiques se détériorent.


Aider un patient à marcher, même à plusieurs, est presque toujours beaucoup plus rapide. Si le patient se met tout de suite en route sans que l’on attende une civière, l’évacuation sera encore beaucoup plus rapide. Si le patient est incapable de marcher, par exemple à cause d’une cheville fracturée, il est possible de le porter à dos d’homme ou d’improviser un brancard avec des bâtons et de la corde (figure 22-4).


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May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 22: Prise en charge des traumatismes en environnement hostile ou isolé

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