Chapitre 22 Prise en charge des traumatismes en environnement hostile ou isolé
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’énumérer les quatre facteurs qui distinguent les secours dans un environnement hostile ou isolé et dans un environnement classique ;
✓ en fonction de la situation particulière d’un patient et de l’endroit où il se trouve, d’énumérer quatre facteurs qui permettent de déterminer si des soins « de milieu isolé » ou « de rue » sont plus appropriés ;
✓ de décrire les méthodes utilisées pour improviser une évacuation d’un milieu isolé ;
✓ de décrire les méthodes pour faire face aux besoins d’élimination durant une évacuation, ainsi que les possibles conséquences médicales en l’absence de réponse à ces besoins ;
✓ d’expliquer les raisons de l’adage selon lequel « chaque patient en milieu isolé est hypotherme, hypoglycémique et hypovolémique jusqu’à preuve du contraire » ;
✓ d’expliquer la signification du terme facteur de protection du soleil ;
✓ de décrire les manières standardisées de prendre en charge une hémorragie dans un lieu reculé ;
✓ de décrire les raisons, les indications spécifiques et la technique de l’irrigation d’une plaie ;
✓ d’expliquer quand, dans le contexte d’un milieu isolé, une tentative de réanimation cardiopulmonaire est appropriée, et quand cela n’est pas le cas.
Les soins adaptés dépendent du contexte
En dépit de l’évolution de nos connaissances médicales, de notre meilleure compréhension et de la technologie, les principes du traitement médical ne changent pas vraiment. « Le patient instable doit être transporté le plus rapidement possible, sans perdre de temps à chercher et à traiter des lésions ne présentant pas de risque pour la vie » [1]. Une prise en charge adaptée dépend cependant du contexte, et la définition d’un examen approfondi et de lésions non graves peut être différente suivant qu’on se trouve en ville ou en zone reculée (figure 22-1). Cette notion a été développée dans le chapitre 3, en montrant comment la situation, le niveau de connaissances, les compétences et le matériel disponible peuvent modifier la prise en charge d’une victime traumatisée.
Enfin, des soins considérés comme adaptés dans la rue peuvent ne pas l’être en environnement hostile ou isolé (figure 22-2). Que feriez-vous si, au lieu d’avoir été incarcéré dans les débris de sa voiture, votre patient était suspendu à une corde après être tombé dans une caverne au cours d’une expédition de spéléologie, et qu’une évacuation de plusieurs heures était prévue à travers des passages souterrains, suivie d’un trajet de plusieurs heures vers l’hôpital le plus proche ? Pour la plupart des lésions, les soins restent adaptés qu’ils se déroulent en salle d’opération, aux urgences, dans la rue ou en environnement isolé, les seules limitations étant l’équipement et la formation des intervenants.
Les techniques utilisées dans la rue sont-elles appropriées en expédition ?
Si les techniques utilisées dans la rue ne sont pas adaptées, quels sont les soins adaptés ? Où trouver l’information nécessaire ?
Comment vous comporter en expédition si vous n’êtes pas sûr de la nature d’une lésion ? Par exemple, dans le cas que nous avons cité, comment savoir si une fracture-luxation est présente quand vous êtes suspendu la tête en bas, que ce soit dans une voiture accidentée ou dans une caverne ?
Comment décider, pour un patient donné dans une situation donnée, quelle attitude est adaptée ?
Qu’est-ce qui fait qu’une situation est une situation de rue et qu’une autre correspond à une situation en environnement isolée ? Et que dire à propos de tous les situations intermédiaires ?
Le contexte de prise en charge en milieu isolé
région non cultivée, non habitée ;
région non perturbée par l’activité humaine sous quelque forme que ce soit ;
région où l’on ne retrouve pas de voie de communication ;
région que l’homme laisse volontairement à l’état sauvage (parc naturel) [2].
les besoins spécifiques pour le transport des équipes et la manutention ;
les délais pour l’accès et le secours ;
le personnel disponible pour la mission ;
les besoins en moyens de communication ;
le matériel médicosecouriste disponible nécessaire ;
Dans une ville touchée par un tremblement de terre, il peut être très difficile d’accéder aux victimes blessées ou coincées, toutes les routes peuvent être coupées et les services de secours locaux rendus incapables d’agir. Dans une telle situation, les victimes risquent de rester longtemps là où ils sont. Les priorités de soins seront les mêmes que pour un randonneur qui a fait une chute en montagne et qui se trouve à des heures voire à plusieurs jours de distance de l’hôpital.
Une personne ayant fait une chute dans une fouille en pleine ville, tard le soir et pendant une tempête de neige, présente les mêmes risques qu’un patient accidenté en milieu isolé. Il aura besoin d’une équipe de secours avec des cordes, des piolets et des crampons, et des secouristes qui sachent tenir compte de problèmes tels que l’hypothermie, les soins d’hygiène, la prévention des escarres, la prise en charge des plaies, l’hydratation et l’alimentation.
Typologie des lésions en milieu isolé
Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, les décès provoqués par des traumatismes suivent une distribution trimodale. Le premier pic a lieu dans les secondes voire les minutes qui suivent l’accident. Les décès survenant pendant cette période sont généralement dus à des lésions du cerveau ou du tronc cérébral, à des lésions hautes de la moelle épinière, à des lésions du cœur, de l’aorte ou des gros vaisseaux pour lesquelles seules des mesures préventives comme le port du casque ou de la ceinture de sécurité sont efficaces. Chez les patients présentant ce type de lésion, la survie est exceptionnelle, et ne concerne que des victimes accidentées en milieu urbain où un transport rapide en milieu spécialisé est possible. Le deuxième pic de mortalité survient dans les minutes et les premières heures qui suivent l’accident. Le but de l’évaluation et de la réanimation rapide est de réduire ce deuxième pic de mortalité. Les décès survenant durant cette période sont dus à des hématomes sous-duraux et extraduraux, à des hémo- et pneumothorax, à des ruptures de rate, à des plaies du foie, à des fractures du bassin ou à des lésions multiples causant d’importantes pertes sanguines. Les principes fondamentaux de prise en charge enseignés dans ce cours s’appliquent surtout à ce type de patients. Le troisième pic de mortalité survient plusieurs jours voire plusieurs semaines après l’accident, et le décès est presque toujours le résultat d’une septicémie ou d’une défaillance organique.
Sécurité
Le secouriste aussi bien que son patient seront exposés aux intempéries et aux brusques changements de temps, comme un front froid amenant des pluies verglaçantes. Cela peut compliquer les opérations de secours, voire provoquer la mort d’un secouriste ou d’un patient. Si les opérations de secours durent plusieurs heures, les secouristes peuvent être affaiblis par le manque d’eau ou de nourriture. Le terrain est souvent accidenté, et la présence de plantes ou d’animaux sauvages peut compliquer l’action des secouristes (figure 22-3). Les intervenants doivent garder à l’esprit les dangers spécifiques du milieu où ils évoluent, comme le risque de chute de pierres, d’avalanche, de montée des eaux, d’air vicié, d’exposition à l’altitude.
La prise de décision en milieu isolé : rapport bénéfices/risques
Pour illustrer la prise de décision en milieu isolé, nous allons reprendre la discussion de la prise en charge des lésions potentielles de la colonne cervicale présentée au chapitre 10.
Exclure une lésion cervicale en milieu isolé
Histoire d’une lésion cervicale dans la rue
L’immobilisation rachidienne chez tout patient gravement traumatisé est la règle depuis plusieurs décennies. Même si les lésions instables de la colonne cervicale étaient rares chez les patients traumatisés conscients, et même s’il n’y avait pas de preuve scientifique que l’immobilisation de la colonne prévenait de façon efficace la paralysie chez un patient conscient, personne ne pensait que rester des heures fixé à une planche pouvait faire du mal. En conséquence, pendant les années suivantes, les intervenants préhospitaliers ont pris l’habitude d’immobiliser de plus en plus de patients. Depuis, il est devenu clair que les patients immobilisés sur une planche présentent des douleurs modérées après 30 minutes et de très fortes douleurs après 45 minutes [3].
Au fur et à mesure du développement des services de secours en milieu isolé, l’habitude de fixer tous les patients sur une planche est apparue de moins en moins logique, en particulier si le patient est sur le flanc d’une montagne en pleine tempête de neige, et que la première planche disponible se trouve à 3 km et 3 000 mètres plus bas. Cela a conduit les services pratiquant le secours en milieu isolé et les médecins travaillant avec eux à développer des recommandations fondées sur les données actuellement disponibles dans la littérature, pour savoir quand il ne faut pas immobiliser un patient en milieu isolé [4].
absence de douleur à la palpation de la partie médiane postérieure de la colonne cervicale ;
absence de tout déficit neurologique ;
pas de preuve d’intoxication ;
absence de toute lésion douloureuse qui pourrait détourner l’attention du patient de la douleur d’une lésion cervicale.
Dans chacune de ces situations, les intervenants sur place ont deux options :
rester sur place et attendre le matériel d’immobilisation ;
entreprendre une évacuation improvisée sans matériel d’immobilisation.
Quels sont les risques d’une évacuation improvisée sans immobilisation de colonne, et quels sont les risques si l’on attend l’équipement d’immobilisation, dans ce cas précis ?
Quels sont les bénéfices si l’on entreprend l’évacuation sans attendre l’équipement d’immobilisation, ou alors si l’on attend l’équipement d’immobilisation, dans ce cas précis ?
parmi les patients qui ne remplissaient pas les critères NEXUS d’exclusion d’une fracture de colonne, seuls 2 % présentaient des fractures significatives de la colonne ;
parmi ces 2 %, seul un petit nombre nécessitait un traitement spécifique ;
dans ce petit nombre de patients, seuls quelques-uns présentaient des fractures réellement susceptibles de léser la moelle épinière en l’absence d’immobilisation, et la plupart de ces patients présentaient de multiples fractures et de multiples lésions menaçant la vie.
Évacuations improvisées
Aider un patient à marcher, même à plusieurs, est presque toujours beaucoup plus rapide. Si le patient se met tout de suite en route sans que l’on attende une civière, l’évacuation sera encore beaucoup plus rapide. Si le patient est incapable de marcher, par exemple à cause d’une cheville fracturée, il est possible de le porter à dos d’homme ou d’improviser un brancard avec des bâtons et de la corde (figure 22-4).