Chapitre 21. La dépendance physique de type 1
Introduction238
Les symptômes « rebond » et les réactions au sevrage238
Éléments de physiologie cérébrale239
La tolérance240
Syndrome de sevrage242
INTRODUCTION
Il est habituel d’opérer une distinction entre la dépendance physique et la dépendance psychologique. La dépendance physique est un état qui implique l’apparition d’un syndrome de sevrage à l’arrêt du produit. L’exemple classique est celui du delirium tremens causé par l’arrêt de l’alcool ou le syndrome de sevrage typique des opiacés. Ce sont des symptômes physiques intenses tels que des douleurs musculaires, des tremblements, des sueurs, des céphalées, de palpitations et parfois des convulsions avec des risques de décès dans le cas de l’alcool. La dépendance psychologique, par contraste, a souvent été considérée comme d’origine purement psychogène, sans implication de la physiologie cérébrale. Elle est responsable des symptômes de manque qui conduisent les individus dépendants à reconsommer le produit malgré le fait qu’ils aient déjà traversé les souffrances du sevrage qu’on imaginerait susceptibles de dégoûter à vie toute personne raisonnable.
Ces anciennes théories n’ont plus cours actuellement. Avant de décrire les implications des recherches plus récentes, nous devons exclure un type de dépendance qui survient avec un grand nombre de substance et qui est habituellement sans conséquence.
LES SYMPTÔMES « REBOND » ET LES RÉACTIONS AU SEVRAGE
Nombreux sont les médicaments dont l’arrêt peut s’accompagner d’un effet rebond. Ceci s’explique par le fait que les récepteurs bloqués par des substances antagonistes deviennent hypersensibles au moment de l’arrêt. Quand ces produits ne sont plus administrés, ces récepteurs sont inondés par les neurotransmetteurs naturels, ce qui produit une réponse intense. Le retour à la normale peut prendre de 48 à 72h.
Ce phénomène rebond peut être observé avec des bêtabloquants tels que le propranolol et s’accompagner de palpitations, de sueurs et de rougissement du haut du corps («flushing »). L’effet rebond lié aux anticholinergiques donne des insomnies, des nausées ou des vomissements. Ces symptômes sont sans gravité et disparaissent rapidement sans séquelles.
Ceci a toujours été considéré comme nettement distinct de la dépendance physique que l’on observe dans les syndromes de sevrage floride liés à l’arrêt d’alcool, des barbituriques, des benzodiazépines ou des opiacés. Le plus dangereux de tous ces produits étant de loin l’alcool dont le sevrage, sous forme d’un delirium tremens, peut être mortel. Les cas de delirium sont devenus rares chez les patients alcoolodépendants, même si certaines personnes ayant connu de forts tremblements, des crises d’épilepsie ou des hallucinations pensent avoir vécu un delirium.
Le sevrage le moins grave est probablement celui lié à l’arrêt des opiacés. Bien qu’il ait la réputation la plus effrayante, il n’est jamais mortel – sauf dans certains cas d’excès de zèle médical [1]. Entre les deux se situe le sevrage des benzodiazépines et des barbituriques, qui peut induire un delirium et des crises d’épilepsie mais n’est pas mortel. L’arrêt des benzodiazépines ne s’accompagne d’un sevrage prononcé que chez des individus prédisposés consommant ce type de produit à hautes doses pendant de longues périodes.
Dans le chapitre 23 seront décrits les syndromes de sevrage occasionnés par l’arrêt des antidépresseurs et des antipsychotiques. Les firmes pharmaceutiques ont tenté d’assimiler ces symptômes à des effets rebond alors qu’en réalité il n’en est rien. Ils sont aussi très différents du syndrome de sevrage lié à l’alcool, qui ne pose de difficultés que durant 2 ou 3 semaines, alors que celui des antidépresseurs et des antipsychotiques peut durer beaucoup plus longtemps. Les firmes ont également tenté de proposer une nouvelle terminologie telle que « syndrome d’arrêt » (« discontinuation syndromes and symptoms on stopping » [SoS]) pour distinguer cette forme de syndrome de sevrage (voir pour plus de détails le chapitre 23).
ÉLÉMENTS DE PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALE
Pour comprendre les syndromes de sevrage, il est nécessaire de connaître quelques éléments de la physiologie cérébrale. En 1954, Marthe Voght découvrait la noradrénaline dans les cellules cérébrales. Ce fut la première démonstration de l’existence de neurotransmetteurs dans le cerveau et donc la possibilité d’une transmission chimique alors que, jusque-là, on ne connaissait que la transmission électrique. En 1964, on mit en évidence le fait que les neurones contenant de l’adrénaline formaient un système prenant racine dans les parties les plus primitives du cerveau, le pont et la medulla oblongata. Celles-ci sont responsables des fonctions vitales telles que la respiration, l’activité cardiaque et l’éveil. Le noyau des neurones contenant de la noradrénaline est appelé le locus cœruleus (la « tache bleue » en latin) parce que ces neurones ont une coloration bleutée.