2: Prévention des blessures

Chapitre 2 Prévention des blessures





L’impulsion majeure dans le développement du système moderne des services médicaux d’urgences (emergency medical services [EMS] aux États-Unis) en préhospitalier fut la publication en 1966, par la National Academy of Science/National Research Council (NAS/NRC), du « Livre blanc » intitulé : Décès accidentels et handicaps : la maladie négligée de la société moderne. Cette étude dévoila au grand jour les défauts de la prise en charge des traumatisés aux États-Unis, ce qui permit de mettre en place un système de soins préhospitaliers et de transports rapides des patients blessés suite à un traumatisme. Cette initiative pédagogique fut à l’origine d’un système préhospitalier plus efficace, tant pour les malades que pour les patients traumatisés [1].


Le nombre de morts et d’handicapés liés à des accidents a chuté aux États-Unis depuis la publication de ce Livre blanc [2]. Malgré ces progrès, les blessures restent un problème majeur de santé publique. Plus de 179 000 Américains meurent chaque année d’un processus traumatique, et plusieurs millions sont affectés par un handicap plus ou moins lourd pour les mêmes raisons [3]. Dans le monde entier, en 2002, environ 5 millions de personnes sont décédées suite à une blessure, ce qui représente 9 % des décès à travers le monde. Les blessures restent une des principales causes de mortalité, toutes tranches d’âge confondues [4]. Pour certains groupes, particulièrement les enfants, les adolescents et les adultes jeunes, les blessures sont la première cause de décès.


Le désir de s’occuper des patients traumatisés prend beaucoup de place dans le champ d’action des services médicaux d’urgences. Le programme Prehospital Trauma Life Support (PHTLS) apprend aux intervenants préhospitaliers à être plus efficaces dans la prise en charge des urgences traumatiques. La nécessité d’avoir des équipes bien entraînées existera toujours. Cependant, la meilleure façon de réduire le taux de mortalité et de morbidité des accidents est d’éviter que ceux-ci ne se produisent; c’est ce que l’on appelle la prévention. Les intervenants préhospitaliers de tous niveaux doivent jouer un rôle actif dans la prévention des blessures pour avoir de meilleurs résultats.


Déjà en 1966, les auteurs du Livre blanc ont reconnu l’importance de la prévention en écrivant :



Les personnels des services d’urgences préhospitaliers peuvent facilement jouer un rôle actif dans la rédaction et l’application de la plupart des recommandations – si ce n’est toutes – en termes de prévention.


La prévention de certaines maladies comme la rage a été si efficace que la découverte d’un seul cas suffit à faire la une des journaux. Les autorités publiques reconnaissent que la prévention donne les meilleurs résultats en termes de diminution des problèmes médicaux. Pour encourager les services médicaux d’urgences à prendre un rôle plus actif, L’Agenda du futur des services médicaux d’urgences préhospitaliers (EMS Agenda for the Future), développé par et pour cette communauté de soins aux États-Unis, fait de la prévention l’un des 14 attributs essentiels pour développer davantage « l’amélioration de la santé communautaire, qui favorisera une utilisation plus appropriée des moyens de santé publique » [5]. Dans cette ligne, le dernier programme d’études paramédicales du ministère des Transports américain et celui des services médicaux d’urgences comprennent un module de formation en prévention.


Les systèmes de soins préhospitaliers sont en train de se transformer d’une discipline principalement réactionnaire en une discipline plus large et de plus grande efficacité car elle inclut la prévention. Ce chapitre vise à présenter aux intervenants préhospitaliers les concepts clés de la prévention des blessures.



Étendue du problème


Les décès d’origine traumatique sont un problème majeur à travers le monde, puisqu’il en résulte près de 14 000 morts par jour (encadré 2-1). Dans la plupart des pays, quel que soit leurniveau de développement, les traumatismes apparaissent dans les cinq premières causes de décès [4]. Bien que les causes de traumatismes mortels ne varient que peu entre les différents pays, des variations significatives existent entre les causes qui ont l’impact le plus important sur les groupes d’âge spécifiques. Du fait de facteurs économiques, sociaux, et culturels, les causes de décès traumatiques varient d’un pays à l’autre et même d’une région à l’autre au sein d’un même pays.



Encadré 2-1 Statistiques mondiales concernant les lésions, 2004


Vue d’ensemble des lésions



Traumatismes dus au trafic routier



Brûlures liées aux incendies



Noyades



Chutes



Empoisonnements



Violences interpersonnelles



Suicides



Les données chiffrées sont celles fournies par l’Organisation mondiale de la santé.


Dans les pays occidentaux à revenus moyens ou bas, par exemple, les principales causes de décès traumatiques sont les accidents de la circulation, les noyades et les suicides, alors qu’en Afrique, les accidents de la circulation, les violences interpersonnelles et les guerres constituent les principales causes de décès d’origine traumatique. Dans les pays à revenus élevés du continent américain, la première cause de décès dans la population des 15 à 29 ans est les blessures dues aux accidents de la route. Dans les pays à revenus moyens ou bas sur le continent américain, les violences interpersonnelles constituent la première cause de mortalité pour le même groupe d’âge [4]. La figure 2-1montre que les traumatismes jouent un rôle majeur dans l’ensemble des problèmes de santé.



Aux États-Unis, les blessures sont la cinquième cause de mortalité et sont responsables de 179 000 décès annuels [3] (tableau 2-1). Les traumatismes constituent un problème particulièrement important pour la jeunesse, aussi bien en Amérique que dans la plupart des pays industrialisés. Aux États-Unis, les traumatismes tuent plus d’enfants et de jeunes adultes que toutes les affections médicales réunies (presque 32 000 en 2006) [3].



Malheureusement, les décès d’origine traumatique ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le « triangle des blessures » donne une image plus complète de l’impact de ce problème sur la santé publique (figure 2-2). Aux États-Unis en 2006, plus de 167 000 personnes sont mortes suite à des traumatismes, tandis que près de 1,9 million ont été hospitalisées du fait de lésions non mortelles. Les traumatismes ont aussi entraîné plus de 31 millions de consultations dans les services d’urgences hospitaliers [3].



L’impact de ce problème peut être encore mieux appréhendé par l’étude du nombre d’années de vies potentielles perdues (AVPP) suite à un traumatisme. Les AVPP sont calculées en soustrayant l’âge au moment du décès à un âge prédéterminé pour le groupe étudié, généralement 65 ou 70 ans de l’espérance de vie du groupe en question. Les traumatismes tuent ou handicapent des personnes de tous âges, mais affectent de manière disproportionnée les enfants, les adolescents et les adultes jeunes, surtout dans les pays industrialisés. Parce que les traumatismes sont la principale cause de décès des Américains âgés de 1 à 44 ans, ils sont responsables de plus d’AVPP que n’importe quelle autre cause. En 2006, les traumatismes ont représenté environ 3,68 millions d’années de vie potentielle, contre 1,8 million pour les cancers, même si les cancers tuent plus de personnes que les traumatismes [3].


Une troisième mesure de la gravité des traumatismes peut être démontrée financièrement. L’aspect économique des traumatismes s’étend bien au-delà du patient et de ses proches. Le coût financier se répartit sur un large spectre. Tous les membres d’une société ressentent des effets parce que les coûts des traumatismes sont supportés par les organismes d’État, les sociétés d’assurance qui répercutent ces coûts sur leurs assurés, les entreprises, mais aussi les patients. Le résultat est que chacun paie lorsqu’une personne est gravement blessée. Le coût estimé des traumatismes est de 325 milliards de dollars par an, ce qui inclut les coûts directs des soins médicaux et les coûts indirects comme les années de vies perdues [6]. Les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que les activités de prévention sont un bon investissement :



Le prix à payer en termes de morbidité, de mortalité et de coût économique est excessif :


« Les blessures ont toujours été une menace pour le bien-être public, mais jusqu’au milieu du XXe siècle, les maladies infectieuses masquaient la terrible contribution des traumatismes sur la mortalité et la morbidité humaines. Les succès de santé publique dans d’autres domaines ont conduit à négliger les traumatismes en tant que problème majeur de santé publique, ce qui lui a valu l’appellation d’« épidémie négligée. » [6]


La société actuelle exige une augmentation des activités de prévention dans tous les domaines de la santé. Avec plus de 600 000 intervenants préhospitaliers rien qu’aux États-Unis, les services d’urgences peuvent apporter une énorme contribution à la prévention des blessures au sein des communautés.



Les blessures dans les services d’urgences


Obtenir une image claire de l’impact des traumatismes sur les intervenants préhospitaliers est difficile car il n’existe aucun processus de recueil de données d’ampleur nationale. Même déterminer le nombre d’intervenants en service aux États-Unis est difficile, les estimations variant de 600 000 à 832 000. Toutefois, plusieurs études se sont penchées sur la question.


Les personnels des services d’urgences sont exposés sans aucun doute à une grande variété de situations pouvant entraîner des accidents du travail. Ils se rendent là où des gens sont blessés et malades. Parfois, ces endroits ne sont pas sûrs, en dépit de nos efforts et de ceux des services de police, parce que nous nous occupons de personnes en situation de crise physique et émotionnelle. La nature même de notre travail présente des risques. Le simple fait de conduire jusqu’à une intervention peut être dangereux. La manutention de personnes, l’exposition à des risques environnementaux, à des maladies infectieuses, et le stress induit par ce travail génèrent également des risques de traumatisme.


De 1992 à 1997, le taux d’accidents mortels du travail par an aux États-Unis a été de 12,7 pour 100 000 intervenants préhospitaliers [7,8]. Ce chiffre est à comparer à un taux de mortalité moyen de 5,0 pour 100 000 pour tous les travailleurs sur la même période. Plus de 58 % des décès des intervenants préhospitaliers étaient liés à des accidents de la circulation; 9 % impliquaient des agressions ou des homicides. Comme pour les décès, il est difficile d’avoir des chiffres sur les accidents du travail non mortels. Cependant, une étude a montré qu’il y a une blessure sérieuse et invalidante, nécessitant une hospitalisation, pour 31 616 interventions impliquant des intervenants préhospitaliers en milieu urbain [9].


Ces chiffres révèlent une vérité dérangeante. « Le moment le plus dangereux pour les personnels de service d’urgences est lorsqu’ils sont à l’intérieur de leur véhicule en mouvement, ou lorsqu’ils travaillent sur une intervention à proximité de véhicules en mouvement [10]. » Il est très important que les intervenants préhospitaliers connaissent et comprennent le concept de blessure et de prévention des blessures afin que les risques inhérents à leur profession puissent être identifiés et anticipés. Depuis le tout début des formations d’intervenants préhospitaliers, il est enseigné que personne n’est plus important sur les lieux d’une intervention que le sauveteur lui-même – sa sécurité doit donc être la priorité. L’emploi des ceintures de sécurité dans les ambulances est la première étape dans la sécurité des intervenants.



Le concept de blessure



Définition d’une blessure


Toute discussion sur la prévention des blessures se doit de commencer par une définition du terme « blessure ». La multitude des mécanismes responsables de blessures constitue un obstacle majeur dans les études et la prévention de ces causes. Par exemple, quels points communs peuvent avoir une fracture du col du fémur suite à une chute chez une personne âgée et une tentative de suicide par arme à feu chez un jeune adulte ? Toutes les causes possibles de blessures, qu’il s’agisse d’accident de la circulation, d’une tentative de suicide, d’un coup de couteau, ou d’une noyade ont un facteur en commun : le transfert d’énergie. Les blessures sont communément définies comme un événement nocif survenant lors de la libération de formes spécifiques d’énergie, ou lors de la mise en place d’obstacles à la diffusion ou au flux normal de l’énergie [11].


Classiquement, l’énergie existe sous cinq formes physiques : mécanique, chimique, thermique, irradiante ou électrique.



image L’énergie mécanique est l’énergie contenue par un objet en mouvement. Par exemple, l’énergie mécanique, la cause la plus fréquente des blessures, est transférée d’un véhicule quand un conducteur non ceinturé vient percuter le pare-brise de son véhicule au cours d’une collision.


image L’énergie chimique est l’énergie qui provient de l’interaction entre un produit chimique et une partie du corps dénudée. Par exemple, l’énergie chimique survient quand un enfant curieux avale de l’ammoniaque trouvé dans un placard non fermé de la cuisine.


image L’énergie thermique est l’énergie associée à une élévation de température et de chaleur. Par exemple, l’énergie thermique cause des blessures quand une personne subit un retour de flammes d’un barbecue chaud arrosé de liquide inflammable.


image L’énergie d’irradiation est une onde électromagnétique qui circule sous forme de rayons (comme les rayons X) et n’a pas de masse physique. L’énergie d’irradiation provoque des coups de soleil et des brûlures chez l’adolescent qui veut un bronzage hâlé pour l’été.


image L’énergie électrique est le résultat de mouvement d’électrons entre deux points. Elle est associée à des lésions directes tout comme à des lésions thermiques. Par exemple, elle endommage la peau, les nerfs et les vaisseaux sanguins d’un intervenant préhospitalier qui touche par erreur un câble sous tension au cours d’une intervention où l’évaluation de la sécurité des lieux aura été omise ou mal réalisée.


Le corps a besoin d’éléments de base comme l’oxygène et la chaleur pour pouvoir produire l’énergie nécessaire au maintien de ses fonctions. Si un événement survient pouvant empêcher l’utilisation de ces éléments basiques, des blessures peuvent survenir. L’asphyxie et l’hypothermie sont des blessures physiques qui résultent de l’interruption du flux normal d’énergie dans le corps.


Toute forme d’énergie physique en quantité suffisante peut entraîner des lésions tissulaires. L’organisme peut tolérer des transferts d’énergie jusqu’à une certaine limite. Si ce seuil de tolérance est dépassé, des blessures se produisent. Une balle tirée d’un pistolet à courte distance traverse aisément la peau et les tissus mous, provoquant ainsi des lésions massives. En théorie, si la victime potentielle se trouvait suffisamment loin de l’arme, elle pourrait arrêter la balle d’un simple revers de la main, et la faire retomber au sol. L’énergie de la balle se dissipe dans l’air au cours de son trajet aérien; la balle ne possède donc plus assez d’énergie pour dépasser le seuil de tolérance de la peau et elle ne causera aucune lésion. Cette situation est malheureusement très rare.



Énergie hors de contrôle


Les personnes maîtrisent et emploient les cinq formes d’énergie existantes tous les jours. Dans ces situations, l’énergie est sous contrôle et ne peut pas blesser l’organisme. La capacité d’une personne de garder le contrôle de l’énergie dépend de deux facteurs : la réalisation de la tâche et la demande de la tâche [12]. Aussi longtemps que la capacité d’une personne d’accomplir une tâche est supérieure à la demande de cette tâche, l’énergie est libérée de façon contrôlée et utilisable.


Cependant, dans les trois situations suivantes, la demande peut surpasser les capacités, menant à une libération incontrôlée de l’énergie.


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May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 2: Prévention des blessures

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