2. Les antipsychotiques

Chapitre 2. Les antipsychotiques



Introduction6


L’histoire des antipsychotiques9


Les antipsychotiques sont-ils antischizophréniques ?10


Comment fonctionnent les antipsychotiques ?11




La dopamine12


La sérotonine12


Le « who cares » feeling ou sensation de détachement13


Les antipsychotiques et les symptômes positifs de la schizophrénie14


Les antipsychotiques et les symptômes négatifs de la schizophrénie15


La clozapine et les antipsychotiques de seconde génération16




De la biomythologie17


La posologie des antipsychotiques18




La posologie des antipsychotiques de première génération19


La posologie des antipsychotiques de seconde génération20


L’équivalence de doses20


La thérapie flexible21


Combien de temps le traitement doit-il être maintenu ?22


Les antipsychotiques « dépôts »23


Les antiémétiques24


Les antipsychotiques et la psychothérapie24


Les principales interactions médicamenteuses ou toxiques25




L’alcool25


Le lithium25


Les barbituriques et les benzodiazépines25


Les analgésiques et les contraceptifs oraux26


Les antidépresseurs et les antihistaminiques26


Les situations particulières26




La grossesse26


L’allaitement26


La conduite d’un véhicule26


Autres27


La mortalité et les personnes âgées27



INTRODUCTION



Le concept de schizophrénie pourrait bien, dans le futur, être scindé en diverses entités grâce aux développements en pharmacogénétique et en neuro-imagerie. Mais le rythme de ce changement sera lent en comparaison avec les actuelles transformations de nombreux diagnostics de schizophrénie en celui de trouble bipolaire induites par le marketing des firmes pharmaceutiques qui produisent des stabilisateurs de l’humeur aux États-Unis. Quoi qu’il en soit, le traitement de ces états pathologiques reste le même.

Durant les 60 dernières années, la prise en charge des psychoses était largement basée sur un groupe de médicaments appelés dans un premier temps « neuroleptiques », puis « antipsychotiques », auxquels on a supposé une action thérapeutique en quelque sorte spécifique sur la schizophrénie. La chlorpromazine et l’halopéridol font partie des neuroleptiques de la première génération. Actuellement, ce sont la clozapine et une série de neuroleptiques dits « atypiques » qui sont le plus communément prescrits. Les antipsychotiques ont aussi été appelés « tranquillisants majeurs », bien qu’ils soient très différents des « tranquillisants mineurs » tels que le diazépam ou le lorazépam.

Le tableau 2.1établit la liste des médicaments antipsychotiques de première et de seconde génération.



































































































































Tableau 2.1 Les antipsychotiques
DCI : dénomination commune internationale. ( ) = retiré du marché
DCI NOM DE SPÉCIALITÉ

FRANCE BELGIQUE/SUISSE CANADA/ÉTATS-UNIS
Première génération
Chlorpromazine Largactil® (Largactil®)/Chlorazin® Chlorpromazine®/Thorazine®, Promapar®, Sonazine®
Brompéridol Impromen®/– –/–
Flupentixol Fluanxol® Fluanxol®/Fluanxol® Fluanxol®/–
Fluphénazine Moditen® (Moditen®)/– Modecate®/Permitil®, Prolixin®
Zuclopenthixol Clopixol® Clopixol®/Clopixol® Clopixol®/–
Perphénazine (Trilafon®)/Trilafon® Levazine®/Trilafon®
Pipotiazine Piportil® –/– Piportil®/–
Trifluopérazine (Psyquil®) (Siquil®)/(Psiquil®) Terfluzine®/Stelazine®
Propériciazine Neuleptil® (Neuleptil®)/(Neuleptil®) –/Neulactil®
Sulpiride Dogmatil®, Ayglonyl® Dogmatil®/Dogmatil® –/–
Halopéridol Haldol®, Vesadol® Haldol®/Haldol® Halopéridol®/Haldol®
Tétrabénazine Xenazine® –/(Xenazine®) Nitoman®/Xenazine®
Molindone

–/Moban®, Lidone®
Seconde génération
Amisulpride Solian® Solian®/Solian® –/–
Aripiprazole Abilify® Abilify®/Abilify® –/Abilify®
Clozapine Leponex® Leponex®/Leponex®, Clopin® –/Clozaril®
Olanzapine Zyprexa®
(Olansek®)
Zyprexa®/Zyprexa® Zyprexa®/Zyprexa®
Palipéridone Invega® Invega® Invega®/Invega®
Quétiapine Seroquel®/Seroquel® ou Seroquel XR® Seroquel®/ Seroquel®
Rispéridone Risperdal®
Belivon®
Medirone®
Risperdal®/Risperdal® Risperdal®/ Risperdal®
Ziprasidone Zeldox®/Geodon® Zeldox®
Tiapride Tiapridal® Tiapridal®/Tiapridal® –/–
Sertindole Serdolect® Serdolect®/Serdolect® –/(Serlect®)

Ces médicaments sont aussi utilisés dans des indications telles que la manie, les troubles obsessionnels compulsifs ainsi que dans une variété d’états anxieux sévères, et même en tant qu’hypnotiques. Dès lors, il sera aussi fait référence à l’usage de ces médicaments dans les chapitres concernant la prise en charge des troubles affectifs et de l’anxiété. Il y a, de plus, une place pour l’utilisation des benzodiazépines et des psychostimulants dans la gestion de la schizophrénie ou d’autres épisodes psychotiques sévères qui sera décrite plus loin.

Un aspect de ces traitements, à savoir la question de leurs bénéfices directs réels, mérite d’être considéré. En effet, il y a eu d’importantes controverses sur la question de savoir si les antipsychotiques ont permis de sortir les malades mentaux des hôpitaux psychiatriques ou si ce processus était déjà en cours avant leur introduction. Ce débat reste ouvert. De nombreuses personnes ont eu et ont encore une qualité de vie nettement améliorée par ces médicaments, mais on pourrait aussi expliquer ces effets positifs par le simple fait qu’ils existent et que cela en soi donne un sentiment de confiance et le courage de prendre des risques. L’existence de ce groupe de médicaments a fourni un filet de sécurité qui a permis de reprendre le dialogue avec certains patients ou de leur permettre de rentrer chez eux alors qu’ils seraient précédemment restés à végéter dans des salles de psychiatrie. La plupart du temps, il est impossible de faire la distinction entre les contributions apportées par les médicaments d’une part et par les interactions avec l’équipe soignante ou le retour à la maison d’autre part. Les médicaments ne sont jamais donnés isolément et le discours qui accompagne l’administration d’un médicament ainsi que le contexte dans lequel celui-ci est administré peuvent avoir une importance déterminante [1].



L’HISTOIRE DES ANTIPSYCHOTIQUES


La chlorpromazine, le premier des antipsychotiques, fut découverte en 1952. Son utilisation pour les troubles mentaux a ensuite mené à la synthèse des antidépresseurs, des anxiolytiques et de la plupart des médicaments actuellement utilisés pour les problèmes nerveux. Malgré l’énorme impact qu’elle a eu sur nos vies, aucun prix Nobel n’a été décerné pour cette découverte. Une controverse acharnée subsiste toujours sur la question de savoir qui en est réellement l’auteur. L’issue de celle-ci a une importance dans un autre débat relatif à l’effet que ces médicaments produisent réellement [1].

La chlorpromazine a été synthétisée en 1950 dans le but de produire une histamine avec une action centrale sur le système nerveux. Lors de son utilisation en association avec d’autres drogues dans un cocktail anesthésique en 1952, Henri Laborit, chirurgien, décrivit une transformation surprenante chez les sujets ayant reçu cette médication. Ceux-ci n’étaient pas sous sédation comme avec les produits anesthésiants, mais semblaient plutôt devenus indifférents à ce qui se passait autour d’eux. Cet effet était visible dans les minutes qui suivaient l’administration et nettement présent même chez des sujets « normaux ».

En 1952, Jean Delay et Pierre Deniker rapportèrent que la chlorpromazine avait un effet bénéfique pour le contrôle des états maniaques et l’agitation psychotique. Aucune hypothèse ne fut formulée à ce moment-là suggérant une quelconque action spécifique de la chlorpromazine sur la schizophrénie. Au contraire, au milieu des années 1950, elle était présentée comme ayant des effets bénéfiques pour à peu près toutes les pathologies mentales à l’exception de la schizophrénie chronique. Ce nouveau médicament était aussi utile pour traiter les nausées, les vomissements ou le prurit (de là le nom de spécialité Largactil® : « large action »).

La ligne de front entre les deux parties revendiquant cette découverte place Laborit d’un côté et Delay et Deniker de l’autre. Prendre position dans cette controverse va dépendre du fait que vous considériez les antipsychotiques comme ayant un effet général « anti-agitation » chez n’importe quelle personne prenant ce médicament, qu’elle ait ou non un problème psychologique, ou comme ayant d’une certaine façon un effet curatif sur la psychose. Cette deuxième option est à la base de l’hypothèse dopaminergique concernant l’étiologie de la schizophrénie. Ce groupe de médicaments fut appelé par Delay « neuroleptiques », terme qui signifie littéralement « qui calment les nerfs ».



LES ANTIPSYCHOTIQUES SONT-ILS ANTISCHIZOPHRÉNIQUES ?


L’argument qui soutient l’hypothèse que les antipsychotiques sont antischizophréniques provient d’une série d’études qui ont montré que les sujets qui en prenaient avaient moins de chances d’être réadmis après leur sortie de l’hôpital que ceux qui n’en prenaient pas [2]. Ce raisonnement a été renforcé par l’élaboration de l’hypothèse dopaminergique de la schizophrénie. Celle-ci postule que puisque tous les antipsychotiques bloquent le système dopaminergique dans le cerveau et ont des effets bénéfiques dans la schizophrénie, cela démontre en retour qu’il y a quelque chose qui dysfonctionne dans le système dopaminergique des cerveaux des personnes atteintes de schizophrénie.

Un grand nombre de recherches d’envergure ont alors été entreprises pour apporter la preuve de cette théorie et développer de nouveaux médicaments actifs sur ce système. Dans ce contexte, les chercheurs avaient incontestablement intérêt à croire que les antipsychotiques étaient antischizophréniques. Et étant donné cette acceptation générale du fait que des anomalies « bien connues » du système dopaminergique sont en cause dans la schizophrénie, des médicaments agissant sur ce système étaient forcément antischizophréniques.

Pour ceux qui ont adhéré à l’idée que les antipsychotiques restaurent le dysfonctionnement cérébral central de la schizophrénie, la réponse habituelle face à des patients dont l’état ne s’améliore pas est d’augmenter les doses de médicaments. Le fait pour une personne de ne pas prendre ses médicaments est alors considéré comme une erreur grave. De plus, pour certains cliniciens, prêter attention à ce que ceux qui prennent ces médicaments ont à dire sur les bénéfices qu’ils en tirent est sans intérêt. Après tout, ces médicaments soignent une maladie dont une des manifestations principales serait une supposée absence de jugement.

Le parti pris dans ce chapitre est que les antipsychotiques ne sont pas spécifiquement antischizophréniques. Dans la pratique quotidienne, de nombreux patients agités se verront prescrire un antipsychotique quelle que soit la problématique sous-jacente.

Qu’une personne soit atteinte de schizophrénie ou non, il est essentiel de prêter attention à ce qu’elle dit sur le médicament qu’elle prend, sur le fait qu’il lui convienne ou pas.


Divers arguments plaident en faveur de l’idée que les antipsychotiques calment l’agitation et ne guérissent pas la schizophrénie. Premièrement, si les antipsychotiques aident les patients à sortir de l’hôpital, ils ne soignent manifestement pas cliniquement la schizophrénie. Deuxièmement, les recherches en imagerie cérébrale n’ont révélé aucune anomalie dans le système dopaminergique du cerveau des patients atteints de schizophrénie [4]. Et finalement, les personnes qui prennent ces médicaments décrivent des effets anti-agitation plutôt qu’une impression de guérison.

Qu’en est-il du constat que ces médicaments agissent sur le système dopaminergique ? Le fait que ces médicaments soient utiles et qu’ils agissent via le système dopaminergique ne prouve pas que ces deux éléments soient liés. Quel que soit ce qui est défaillant dans la schizophrénie, le système dopaminergique pourrait ne pas être mis en cause. Une analogie évidente est l’utilisation de l’aspirine dans l’arthrite rhumatoïde. L’aspirine fonctionne via le système des prostaglandines, toutefois le fait que l’aspirine améliore (mais ne guérit pas) les symptômes de l’arthrite rhumatoïde ne permet pas d’affirmer que l’étiologie de cette pathologie repose sur une défaillance du système des prostaglandines. Dans le cas des antipsychotiques, se pose la question de savoir ce qu’ils ont comme action qui serait comparable à l’effet anti-inflammatoire de l’aspirine, et une des réponses, comme nous allons le voir plus loin, est qu’ils « tranquillisent ».


COMMENT FONCTIONNENT LES ANTIPSYCHOTIQUES ?


Pendant les années 1960, il a été démontré que les cellules du cerveau fonctionnent en libérant des neurotransmetteurs. Nous connaissons maintenant plus de 100 neurotransmetteurs différents qui agissent en se liant à des récepteurs protéiniques sur des cellules cibles. La plupart des médicaments qui agissent sur le cerveau le font en se fixant à ces récepteurs soit en bloquant, soit en stimulant l’action des neurotransmetteurs qui s’y lient naturellement.

La plupart des neurotransmetteurs ont au moins six ou sept récepteurs différents auxquels ils peuvent se lier. Habituellement, les médicaments, eux, vont se fixer à un ou deux de ces récepteurs, mais pas à tous, de telle façon que seule une partie des actions d’un neurotransmetteur sera stimulée ou bloquée. Cependant, ils vont également agir sur des récepteurs appartenant à d’autres systèmes de neurotransmetteurs. Donc, même si les antipsychotiques ont principalement une action sur le système dopaminergique, ils agissent également sur les systèmes de la noradrénaline, de la sérotonine, de l’acétylcholine et d’autres. Ce sont donc des « composés cocktails » plutôt que des « projectiles magiques » (« magic bullets ») qui viseraient une cible précise.


La dopamine



Que provoque le blocage des récepteurs D2? À très petites doses, cela va réduire les comportements stéréotypés. C’est sur cette base que ces médicaments sont utilisés dans le syndrome de Gilles de la Tourette ou dans la chorée de Huntington pour calmer des symptômes tels que des vocalisations ou des mouvements stéréotypés qui interfèrent avec le débit de parole et le comportement normal. Les individus souffrant d’une psychose manifestent des pensées ou des actions répétitives qui semblent stéréotypées et, en effet, l’agitation peut, jusqu’à un certain point, tous nous faire agir de cette manière.

Bloquer le système dopaminergique provoque également un sentiment d’indifférence, une sensation d’être blindé contre le stress, un sentiment de détachement (« who cares » feeling) dont beaucoup de gens apprécient l’utilité. C’est pour cette raison que les antipsychotiques ont aussi été appelés des « tranquillisants majeurs ». Cependant, la tranquillisation qu’ils procurent n’est pas comparable à la vague de relaxation induite par le lorazépam, le diazépam ou l’alcool. Subjectivement, l’expérience est de ne pas se sentir agité ou concerné plutôt que de se sentir relaxé. Vu de l’extérieur, cela ressemble davantage à une immobilisation ou à une absence de réaction qu’à un apaisement ou à une sédation. C’est ce type d’effet chez quelqu’un qui reste par ailleurs éveillé qui a donné le terme « tranquillisant ».


La sérotonine


En plus de se lier aux récepteurs D2 , à peu près tous les antipsychotiques agissent sur le système sérotoninergique en se fixant, en particulier, aux récepteurs S2 (voir le chapitre 11). On sait que le LSD et les autres hallucinogènes agissent via les récepteurs S2 et que la chlorpromazine bloque l’effet du LSD. Mais l’idée qu’il existe un effet « neuroleptique » et l’hypothèse dopaminergique étaient devenues tellement prédominantes que, durant des années, les firmes pharmaceutiques ont essayé de produire des substances qui se fixaient exclusivement aux récepteurs dopaminergiques. Les produits de ce type les plus purs – le sulpiride, le rémoxipride et l’amisulpiride – semblent être de bons antipsychotiques, quoique peu puissants. Malgré leur action sélective sur la dopamine, ces médicaments ont, étonnamment, moins d’effets indésirables extrapyramidaux.

À la fin des années 1980, la clozapine, un médicament introduit pour la première fois en 1958, fut redécouverte. De là provient la prise de conscience du fait qu’un médicament pouvait être antipsychotique sans provoquer de syndrome extrapyramidal et sans se lier fortement aux récepteurs D2 . Alors que le développement du rémoxipride avait eu pour point de départ la tendance à développer des substances avec une spécificité croissante pour un seul récepteur, la clozapine apparaissait comme un retour en arrière ; c’était un produit « impur » qui se liait à de nombreux récepteurs différents. Le fait qu’elle se fixait aux récepteurs S2 était particulièrement frappant. De nombreuses firmes se sont mises à rechercher des substances qui se fixent aux récepteurs D2 et aux récepteurs S2, espérant trouver une nouvelle clozapine. Les antagonistes S2 bloquent l’effet hallucinogène du LSD. Ils peuvent aussi être anxiolytiques et améliorer le sommeil mais, utilisés seuls, ils n’ont pas d’intérêt dans la gestion de la psychose.

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Nov 19, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2. Les antipsychotiques

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