2: Histoire du traitement des brûlures

Chapitre 2 Histoire du traitement des brûlures



Dès l’aube de son existence, l’homme n’a pu qu’être confronté au feu sous ses formes naturelles et à ses conséquences avant même que la maîtrise de cet élément, qui a joué un rôle déterminant dans l’évolution, n’ait aussi eu pour corollaire immédiat la survenue de brûlures ne serait-ce qu’au contact de braises ou de liquides chauds puis rapidement à la suite d’accidents aux commencements du développement industriel. Depuis, les brûlures ont été fréquentes même si les causes ont varié selon les époques et les contrées, comme l’ont fait les traitements proposés ; les ouvrages qui leur ont été spécifiquement consacrés sont rares mais l’importance des études disséminées dans la littérature médicale ne permet de donner en quelques pages – même en se limitant aux seules lésions thermiques et dans les pays occidentaux – que des jalons qui pourront peutêtre engager à les compléter à partir de recherches personnelles ou déjà publiées [1].


En 1978, D. Jackson estimait que, dans une certaine mesure, le traitement des brûlés ne posait pas de problèmes car peu survivaient jusqu’à une époque récente [2]. Cette vision n’est juste que si l’on se situe en un temps où les patients survivaient déjà au choc des premiers jours au prix d’une évolution émaillée de nombreuses complications. Et il est vrai que seules quelques décennies nous séparent de l’époque où tous les patients atteints sur 20 % de la surface corporelle mourraient à de rares exceptions près comme en témoignent les résultats de G. Dupuytren au début du XIXe siècle puis ceux de G. Riehl un siècle plus tard. Mais il est vrai aussi que le traitement des brûlés qui ne mourraient pas était particulièrement difficile pour nos prédécesseurs et l’on peut lire ou percevoir la conscience des problèmes auxquels ils étaient confrontés parfois avec frustration ou désarroi, jamais avec indifférence.


Au cours des siècles le traitement qui apparaît ainsi centré sur le traitement des plaies, mais qui comprenait néanmoins un traitement général même s’il ne correspond pas aux notions actuelles, a suivi des évolutions parallèles à celles des grands principes thérapeutiques des différentes périodes de l’histoire de la médecine. La composition des topiques relevait des grands groupes : plantes, animaux, minéraux et produits chimiques, utilisés seuls ou souvent associés, sous les formes les plus variées : onguents, pommades, décoctions, onctions… L’action, en particulier antiseptique, en a parfois été démontrée depuis ; en outre des composants ont pu disparaître à certaines époques pour être utilisés de nouveau à d’autres. Des produits, des attitudes, sont déconcertants voire aberrants aux yeux de praticiens du XXIe siècle mais rien n’est plus absurde que de juger le passé avec le seul regard d’aujourd’hui même si nos prédécesseurs eux-mêmes n’ont pas manqué parfois de critiquer leurs collègues.


Un des plus anciens documents faisant état du traitement des brûlures vient d’Égypte et se trouve dans le papyrus Ebers (~ 1534 av. J.-C.) [3] qui ne comprend pas moins de vingt-huit « paragraphes » sur le sujet, ce qui tend à montrer que ce type d’accident n’était déjà pas rare. À côté du premier traitement remarquable par une stricte chronologie d’application de produits très variés, de nombreux autres sont indiqués à base de miel, copeaux de cuivre, diverses huiles animales et végétales, nombreuses plantes à côté des excréments d’animaux qui représentent le soin le plus déroutant mais seront retrouvés à d’autres époques. Le refroidissement des lésions est déjà mentionné et deux charmes complètent la thérapeutique.


Un millénaire plus tard Hippocrate (460-375 av. J.-C.), dans le chapitre « Médicaments pour les brûlures par le feu », décrit avec soin la fabrication de différentes compositions végétales et animales incluant parfois le vin. Il avait par ailleurs reconnu la survenue possible et la gravité du tétanos et, de façon plus inattendue, préconisé les brûlures axillaires pour fixer les épaules après luxation montrant ainsi la parfaite connaissance de l’évolution des cicatrices.


Quelques siècles plus tard, Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.) aborde le traitement des brûlures dans cinq des livres de son Histoire naturelle en détaillant plus ou moins différentes recettes, parfois dans un style fleuri, soit à base de produits animaux (comme de la cendre de tête de chien, de loir ou de fiente de pigeon) ou végétaux. Les préoccupations esthétiques ne sont pas absentes puisqu’il est indiqué que la colle ou des plantes comme le plantain guérissent les brûlures sans laisser de cicatrices [4].


En faisant un bond jusqu’à la Renaissance on observe que J. Fernel (1497-1558) préconisait la craie et les métaux et aussi l’oignon. C’est cette dernière thérapeutique qui est la plus retenue lorsque l’on évoque A. Paré (v. 1509-1590) beaucoup plus connu que Fernel dans le domaine des brûlures par le chapitre qui leur est consacré dans son œuvre [5]. Il est aussi souvent relaté l’application surprenante du feu : il est loin d’être le seul à l’avoir utilisé et n’en fait pas un traitement universel. Il propose de nombreuses autres préparations dont certaines destinées à calmer les douleurs ce qui est aussi le but de l’application sur les plaies de toile de crêpe pour éviter de les mettre à nu lors des réapplications de topiques, comme « le font les Dames de l’HôtelDieu de Paris ». Quelques décennies plus tard, G. Fabri de Hilden (1560-1634) a consacré au traitement des brûlures non pas un chapitre mais un livre entier – le premier connu si l’on excepte celui de W. Clowes de 1591 traitant des brûlures par la poudre et les armes à feu – puis envisagé les brûlures dans d’autres de ses œuvres se référant de l’une à l’autre. Il rapporte des observations dont celle d’une brûlure de tout le corps guérie en quatorze jours après application d’onguent de composition complexe, en soignant aussi les lésions oculaires par collyre ; il est concerné par la douleur et progresse au niveau du pronostic et de l’adaptation du traitement à la gravité alors que l’intervention très spectaculaire réalisée pour supprimer une rétraction majeure des doigts est souvent rapportée. Il faut indiquer qu’à toutes les époques nos prédécesseurs ont été sensibles aux séquelles et en particulier aux rétractions et que des mesures étaient préconisées pour les éviter, par exemple en séparant les doigts ou en utilisant des attelles.


Le très célèbre H. Boerhaave (1668-1738) est aussi souvent cité lorsque l’on évoque le traitement des brûlures bien que ce soit surtout par l’intermédiaire des commentaires de ses aphorismes par son élève Van Swieten (1700-1772) que ses idées sont connues. Ce dernier insiste sur l’existence de différents degrés de lésions auxquelles le traitement doit être adapté et rapporte l’histoire de la brûlure dont a été victime son maître, un patient semblet-il peu accommodant…


À la fin du siècle des Lumières est publié un Extrait d’un mémoire sur le traitement des brûlures [6] dont le début résume bien la situation : « Les maladies les plus ordinaires et les accidents les plus fréquents, sont presque toujours d’autant plus mal traités rationnellement, que l’empirisme aveugle en a multiplié davantage les remèdes. La brûlure en est un exemple […] » Après avoir discuté un certain nombre de traitements proposés auparavant, l’auteur s’étonne du fait que ces auteurs n’aient pas fait mention de l’application des liqueurs froides avant de relater une observation mettant en évidence le « succès de l’eau froide » appliquée très rapidement après l’accident. Certains aspects du livre du Britannique E. Kentish dont la première édition est publiée cinq ans plus tard peuvent apparaître assez obscurs. Cependant il s’agit de l’un des premiers livres totalement consacrés aux brûlés et l’auteur est remarquable pour avoir été le premier praticien en 600 ans à prendre en considération les victimes des mines et à préconiser des mesures de prévention ce qui lui avait valu la confiance de ses patients à Newcastle-on-Tyne.


Ainsi, lorsque commence le XIXe siècle, les possibilités thérapeutiques n’ont guère évolué. S’il faut encore attendre un siècle et demi pour observer le bouleversement décisif, la science en général, la médecine vont progresser ce qui va permettre une approche plus positive du traumatisme que représentent les brûlures ; les observations médicales et expérimentales vont s’affiner et se multiplier mais ce sera souvent à la suite des guerres et des fréquentes catastrophes. L’intérêt pour les brûlures reste bien réel comme en témoignent plusieurs thèses de doctorat en médecine de la Faculté de Paris dont celles de J.-B. Rideau (1805), dissertation sur la brûlure, de P. Bretonneau sur la compression (1815) ou d’E. T. Vignal (1833) sur l’utilisation de poils de Typha. Mais le premier tiers du XIXe siècle est surtout marqué par la réflexion et les propositions de G. Dupuytren auquel se réfèrent parfois ces thèses. Certaines phrases des Leçons de clinique [7] qui ont connu plusieurs éditions en quelques années (et ont rapidement été traduites en anglais) sont citées dans le monde entier mais l’on sait moins que les six degrés de profondeur des brûlures font partie d’un vaste ensemble de près de deux cents pages en deux chapitres au long desquels tous les aspects des brûlures récentes et anciennes sont envisagés et à la lecture desquelles on peut aussi relever : « La lésion organique, appelée brûlure, ustion, combustion, etc., est constamment l’effet de l’action du calorique concentré sur les tissus vivants. C’est à la nature de cette cause, qu’elle doit les caractères qui lui sont propres, et qui ne permettent de la confondre avec aucune autre espèce de lésion. » « Rien n’a pu jusqu’ici et rien ne pourra encore à l’avenir désabuser les chercheurs de remèdes infaillibles contre la brûlure. » « Ce n’est que lorsqu’elles sont arrivées à cet état de perfection organique, que les adhérences [brides], suite de brûlures, peuvent devenir l’objet de tentatives chirurgicales destinées à les détruire.»


Au cours du siècle un certain nombre d’articles peuvent être retrouvés. Ceux publiés très rapidement dans la Lancette française et la Gazette des hôpitaux civils et militaires après la première catastrophe ferroviaire mondiale survenue en mai 1842 analysent avec soin les différents types de traumatismes subis par les victimes, différencient les lésions dues aux flammes de celles secondaires à la vapeur, suivent les traitements et l’évolution des patients. A. Bérard précise : « Quant à la gravité des accidents qui en résultent, elle est proportionnée à l’étendue et au degré de la brûlure […] ». Un autre exemple du soin apporté au traitement des brûlés et à l’étude de leurs lésions est trouvé dans la relation de Lalluyeaux d’Ormay à la suite de l’accident survenu à bord de la corvette Le Roland en 1858, une des nombreuses et tragiques explosions survenues dans la marine à vapeur. La mortalité a atteint 64 % des hommes à bord au moment de l’explosion de la chaudière (au cours des quarante-huit premières heures à l’exception d’un décès au 15e jour), la représentation des victimes est pathétique et la description des lésions thermiques constatées très loin dans l’arbre respiratoire au cours des autopsies est remarquable. Il n’est pas moins marquant que « […] le directeur du service de santé pût confier chaque malade à un médecin de grade élevé […] Les chirurgiens-majors […] ne les abandonnèrent qu’à la mort ou quand ils entrèrent en convalescence. » [8]. Le même désarroi est retrouvé après une explosion dans une armurerie à Witton en Grande-Bretagne en 1870 où plus de 50 brûlés, une majorité présentant des lésions respiratoires, ont été amenés dans un hôpital où les salles habituellement réservées aux brûlés étaient presque pleines en raison de trois précédentes explosions ce qui montre aussi la fréquence des accidents. Les catastrophes ne sont pas la seule origine des articles sur les brûlures comme le montrent quelques exemples. P-L. Guersant à l’hôpital des Enfants, en 1846, préconise le refroidissement « lorsque les brûlures sont assez limitées » en raison des risques lorsqu’elles sont étendues, le réchauffement et l’alimentation dès que possible pour lutter contre l’affaiblissement lié à la suppuration mais aussi des mesures d’économies qui ne sont, déjà, pas à négliger [9]. J. Lisfranc (1847) insiste sur la valeur du chlorure de sodium. V. Lambert (1850) préconise le collodion, Kalt (1851) le nitrate d’argent. En 1862, H. Baraduc publie son long mémoire « Des causes de la mort à la suite des brûlures superficielles, des moyens de l’éviter » fondé en partie sur des observations de la catastrophe ferroviaire évoquée auparavant [10]. Ce texte où il met en évidence la déperdition plasmatique et ses conséquences et qui est respecté bien au-delà de nos frontières a pourtant été fustigé par certains de ses contemporains comme A. Latour [11] : « Tel est dans ses principales données, le travail de M. Baraduc. Nous avons cru devoir l’exposer, mais sans accepter en aucune façon cette doctrine […] Il y a des grandes hardiesses dans tout ce mémoire, beaucoup d’assertions et d’allégations qui exigeraient une démonstration plus rigoureuse et une moins grande disette de preuves […] Trente ans plus tard, G. Holsten dans une traduction de Reiss suggère de réaliser précocement la perfusion de solutions de sel et l’ablation des tissus nécrotiques pour prévenir l’absorption d’une toxine qui reste alors hypothétique.


Au cours de la première partie du XXe siècle, tout se met en place et le nombre de publications augmente régulièrement jusqu’à la guerre. C’est encore une catastrophe, l’incendie du théâtre de New Haven qui fournit à F. Underhill, qui s’était déjà intéressé aux perturbations liquidiennes à la suite de l’exposition aux gaz de combat et à la grippe, d’étudier l’hémoconcentration chez les 21 brûlés hospitalisés (1923), travaux à l’origine de nombreux autres. Sur le plan strictement chirurgical, la chirurgie plastique s’était déjà largement développée depuis le siècle précédent et avait atteint un niveau remarquable. Les greffes dermo-épidermiques qui, après la communication historique de Reverdin en 1869 (il avait quelques jours plus tard greffé pour la première fois un brûlé, mais le fait est passé longtemps inaperçu en raison de la guerre de 1870 qui avait retardé la publication d’un long mémoire [12]), avaient suscité un très grand intérêt immédiat à travers toute l’Europe puis étaient tombées dans l’oubli, sont à nouveau utilisées à une toute autre échelle. A.M. Willis en publie de remarquables exemples illustrés de photographies dans le JAMA en 1925, alors que l’expansion avait fait une timide apparition avec O. Lanz en 1907, mais sans suites. Peu avant la guerre, le dermatome d’E.C. Padgett est opérationnel après plus de sept ans d’essais et mises au point.


Pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion de quelques chirurgiens, les brûlures ont été l’objet de très nombreux travaux comme le montre le nombre de publications britanniques et américaines durant cette période marquée aussi par la tenue de symposiums et la réunion de comités. « En chiffre absolu et relatif il y a plus de brûlés au cours de cette guerre que dans toutes les précédentes. C’est une guerre menée avec des machines qui fonctionnent à l’essence, des bateaux, des tanks et des avions » a écrit J. E. Sheehan en 1943 [13]. Il y a aussi beaucoup de victimes civiles en relation ou non avec la guerre. Celles ayant survécu à la catastrophe du dancing, le Cocoanut Grove à Boston en 1942, au cours de laquelle 492 personnes ont trouvé la mort, ont fait l’objet de traitements nouveaux et d’études extensives. Tous les aspects de la physiopathologie et de la thérapeutique ont été étudiés durant la guerre qui demanderait à elle seule de très nombreuses pages. Sans prétendre à une quelconque exhaustivité et à titre d’exemple on peut citer : l’amélioration des normes de perfusion, la nécessité d’appliquer un traitement substitutif à partir d’une atteinte de 15 % de la surface corporelle chez l’adulte et de 10 % chez l’enfant, l’établissement des tables de Lund et Browder, l’importance de ne pas dissocier traitement local et traitement général, la couverture par greffe et le plus rapidement possible (F. Young en 1942 [14] réalise même des excisions avant la 6e heure, précédant ainsi les travaux d’O. Cope de 1947), le développement de l’utilisation des allogreffes cutanées et de la recherche sur leur immunité qui conduiront aussi aux travaux sur la transplantation d’organe, l’utilisation des sulfamides et de la pénicilline localement et par voie générale (des résistances étant déjà observées en 1944), les perturbations psychologiques… Parallèlement A. McIndoe, qui a la charge des brûlés de la RAF parvient à faire arrêter les applications d’acide tannique qui provoque des infections et des destructions dramatiques, utilise le serum physiologique y compris en bains et reconstruit les mains et les visages détruits (fig. 2-1) ; il reste aussi un exemple pour avoir su rendre à ses jeunes patients la volonté de vivre en sachant aussi trouver l’aide de toute la population.


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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 2: Histoire du traitement des brûlures

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