Chapitre 2 Diagnostic des fractures et principes thérapeutiques

Traduction :Bertrand Lagrave

Comment diagnostiquer une fracture 25

Interrogatoire 25

Examen clinique 26

Techniques d’imagerie radiologique et autres 29

Pièges diagnostiques 30

Traitement des fractures 31

Réanimation et remplissage vasculaire 32

Complications des transfusions 36

Persistance des troubles circulatoires 37

Traumatismes crâniens 38

Score de Glasgow 39

Complications des traumatismes 40

Évaluation des traumatismes 40

Principes généraux de traitements 41

Stabilisation des lésions (damage control) en orthopédie44

Score de gravité des délabrements des extrémités 51

Suspicion de maltraitance 53

COMMENT DIAGNOSTIQUER UNE FRACTURE

1 INTERROGATOIRE

Pendant l’interrogatoire d’un patient susceptible d’avoir une fracture, les points suivants peuvent être utiles à relever, surtout dans un contexte de traumatisme.

1. Quelles sont les circonstances du traumatisme (par exemple activité sportive, accident de la voie publique, travail en hauteur, etc.) ?

2. Quelle était la nature du traumatisme (par exemple coup direct, chute, torsion, etc.) ?

3. Quelle était l’importance de la force traumatisante ? Par exemple en cas de chute, il est utile de préciser la hauteur de la chute, si la chute a été interrompue, la nature de la surface de réception, et comment le patient a-t-il atterri ; un traumatisme bénin doit faire suspecter une fracture pathologique : un traumatisme sévère doit faire exclure d’autres localisations traumatiques.

4. Quels étaient le point d’impact et la direction de la force traumatisante ? Pour réduire une fracture, un des principes est de reproduire le traumatisme initial dans la direction opposée. Si la fracture se produit à proximité du point d’impact, d’autres fractures situées à distance doivent être recherchées.

5. Y a-t-il une importance particulière à attacher à l’accident lui-même ? Par exemple, en cas de chute, des étiologies médicales ont-elles favorisé celle-ci, telles qu’une hypotension artérielle, qui nécessite une exploration particulière ?

6. Quelle est la localisation douloureuse et quelle est son intensité ?

7. Y a-t-il une impotence fonctionnelle ? Par exemple, marcher est rarement possible après une fracture du fémur ou du tibia ; l’impossibilité d’appui après un accident est d’une grande importance.

8. Quel est l’âge du patient ? Noter qu’un même traumatisme modéré causant une contusion ou une entorse chez un sujet jeune peut causer une fracture chez un sujet âgé.

Diagnostic

Dans certains cas, le diagnostic est évident, par exemple quand il existe une grande déformation dans la partie centrale d’un os long ou quand la fracture est visible comme chez certains traumatismes multiples. Dans la majorité des autres cas, une fracture est suspectée à l’interrogatoire et l’examen clinique, et confirmée par des radiographies de la région traumatisée.

DIAGNOSTIC D’UNE FRACTURE – EXAMEN CLINIQUE

2 Inspection (a) : Commencer par inspecter le membre avec le plus grand soin, en comparant les deux côtés. Rechercher toute asymétrie des contours et reliefs, suggérant une fracture sous-jacente déplacée ou angulée.

3 Inspection (b) : Rechercher toute attitude vicieuse permanente du membre ; par exemple, la rotation externe permanente est un trait commun aux fractures du col du fémur.

4 Inspection (c) : Rechercher un hematome cutané suggérant un possible point d’impact afin d’orienter votre attention, localement ou à distance. Par exemple, un hématome en avant du genou doit attirer l’attention sur la patella sous-jacente, et sur le fémur et la hanche.

5 Inspection (d) : Rechercher d’autres signes témoins de dégâts cutanés. Par exemple (A) des écorchures, avec ou sans souillure de la plaie par des corps étrangers, ou des brûlures par friction suggèrent un impact suivi par un frottement de la peau contre une surface résistante. (B) Des lacérations suggèrent un impact contre un rebord tranchant, une déchirure par une extrémité osseuse, ou un éclatement par une compression contre une surface dure.

6 Inspection (e) : Noter la présence de : (C) marques d’étirement de la peau, (D) de marques circulaires ou en bandes de la peau, suggérant à la fois un mécanisme d’étirement et d’écrasement dans les accidents d’écrasement (E), des marques ecchymotiques, causées par une compression sévère, laissant les empreintes de tissage des vêtements sur la peau. Toutes ces anomalies doivent vous amener à suspecter une atteinte de l’os sous-jacent.

7 Inspection (f) : Si le patient est vu rapidement après l’accident, noter la présence de tout œdème localisé du membre (1). Par la suite, l’œdème tend à diffuser à tout le membre. Noter la présence de tout hématome (2). Une fracture peut arracher la peau de ses attaches locales (lésion de dégantage) ; la peau vient alors flotter au-dessus d’une collection sanguine sous-jacente qui est en continuité avec l’hématome fracturaire.

8 Inspection (g) : Noter la couleur du membre blessé, et la comparer avec celle du membre sain. Une légère cyanose suggère une circulation périphérique médiocre ; une cyanose plus marquée, une obstruction veineuse ; et une blancheur, une perturbation de l’apport artériel. Noter la chaleur du membre à différents niveaux, et là encore la comparer avec le côté opposé. Vérifier le pouls et le temps de recoloration cutanée après compression.9. Douleur (a) : Rechercher une sensibilité.

9 Douleur (a) : Rechercher une sensibilité en regard de la zone présumée fracturée. La douleur est invariablement elective en regard d’une fracture (1), mais sera également retrouvée en regard de toute region traumatisée, sans nécessairement qu’il y ait une fracture sous-jacente (2). Le point important pour faire la distinction est que, dans le cas d’une fracture, la douleur est provoquée quand l’os est palpé quel qu’en soit l’endroit (3).

10 Douleur (b) : Lors de la recherché d’une zone sensible, une fois la zone localisée, on doit palper au même endroit en partant d’un autre point. Par exemple, dans les poignets traumatisés, la douleur peut être localisée en regard de la tabatière anatomique – mais pas sur les régions dorsale et palmaire de l’os scaphoïde, qui sont douloureuses en cas de fracture.

11 Palpation : La pointe d’une fracture peut être palpable. Noter la présence d’un oedème localisé. C’est particulièrement utile en regard d’une fracture en cheveux d’ange ou de fatigue. Le développement de l’oedème peut toutefois mettre plusieurs heures avant d’atteindre une proportion observable.

12 Autres signes : Si la fracture est mobile, mobiliser les segments peut produire une angulation ou une crépitation provenant du frottement des extrémités osseuses l’une contre l’autre. De plus, cette mobilisation est extrêmement douloureuse pour le patient. Ces signes peuvent être observés par inadvertance lors de l’examen de base, mais ne doivent pas être recherchés à moins que le patient ne soit inconscient ou le diagnostic incertain.

13. Examen radiographique : Dans tous les cas de suspicion de fracture, l’examen radiologique est obligatoire. Des radiographies de la région concernée vont en général donner une indication claire sur la présence d’une fracture et servir de base pour préparer le traitement. Dans les cas cliniquement douteux, les radiographies rassureront le patient autant que le chirurgien et éviteront tout conflit médicolégal.

Les radiologues reçoivent une solide formation sur les techniques pour obtenir une visualisation satisfaisante des régions suspectes, mais il est essentiel qu’en contrepartie la demande soit clairement exprimée quant à la zone suspecte. La demande doit être spécifique, sinon des erreurs peuvent survenir. Au minimum, la demande doit comporter à la fois la région suspecte et l’os concerné. Il est souhaitable d’inclure l’articulation sus- et sous-jacente à la fracture. Il est évident qu’un examen clinique bien mené doit précéder la demande d’examen pour éviter de répéter les clichés ou des clichés inutiles.

DIAGNOSTIC D’UNE FRACTURE – RADIOGRAPHIE

Le tableau suivant résume les erreurs les plus communes dans les demandes d’examens.

14 Incidences standard : Clichés de face et de profil. Idéalement, le rayon doit être centré sur la zone suspecte, en prenant les articulations proximale et distale. C’est surtout vrai pour les os longs pairs où, par exemple, une fracture du tibia à un endroit peut s’accompagner d’une fracture de la fibula à un autre niveau.

15 Clichés comparatifs : En cas de difficulties pour interpréter les radiographies (par exemple au coude chez l’enfant où les structures épiphysaires changent continuellement, ou devant une clarté inexpliquée, ou une anomalie congénitale), des clichés du côté controlatéral doivent être pris pour comparer.

16 Incidences obliques : Dans le cas de la main et du pied, une incidence oblique peut être utile quand le profil prête à confusion par superposition de plusieurs structures. De telles incidences doivent être spécifiquement demandées quand elles sont hors des habitudes du service de radiologie.

DIAGNOSTIC D’UNE FRACTURE – RADIOGRAPHIE/AUTRES IMAGERIES

17 Clichés centrés : Si la douleur est marquee localement, bien que les clichés standard soient normaux, un cliché centré peut donner un gain en détail suffisant pour révéler par exemple une fracture en cheveux d’ange ; si de tels clichés sont également négatifs, les radiographies doivent être répétées à un intervalle de 10 à 14 jours si les symptômes persistent (voir aussi Fracture en cheveux d’ange chap. 1, figure 13).

18 Clichés en contrainte (a) : Les clichés en contrainte peuvent être utiles dans certaines situations : (i) en cas de suspicion de déchirure complète d’un ligament ; par exemple, dans le cas du ligament latéral de la cheville, des radiographies de l’articulation avec le pied en inversion forcée peuvent montrer une instabilité du talus dans la mortaise. (Une anesthésie locale ou générale peut être nécessaire dans les blessures récentes.)

19 Clichés en contrainte (b) : (ii) Les clichés en contrainte peuvent aussi être utilisés en cas de doute sur la stabilité d’une fracture en cours de consolidation. On peut également s’en servir lorsqu’un risque de refracture est envisagé.

Autres techniques de visualization

1. TDM (scanner) Cela permet de visualiser des coupes de tissus dans n’importe quel plan, mais typiquement dans un plan sagittal médian, parasagittal, coronal, et le plus important, transversal. Cette dernière incidence n’est pas obtenue aisément avec des radiographies planes, et peut souvent fournir de précieuses informations complémentaires, indisponibles autrement. De plus, la TDM présente une plus grande échelle de variations de gris, permettant une plus grande différenciation des tissus. Cela est particulièrement utile dans :

• les fractures vertébrales, pour évaluer les rapports entre les fragments osseux et le canal médullaire ;

• les fractures de l’acétabulum, pour évaluer l’importance du dérangement de la surface articulaire ;

• les fractures du pelvis, pour montrer le nombre d’éléments atteints et leurs rapports. Dans certains cas, des reconstructions en 3D sont possibles ;

• dans les fractures du calcanéus et autres fractures articulaires, pour visualiser la position des éléments et le degré de dérangement articulaire.

2. Tomographies de face et de profil Dans cette technique de radio, le tube et le film sont mis en rotation (ou glissés) dans des directions opposées durant l’exposition. Leur position relative l’un par rapport à l’autre et la région examinée déterminent la coupe de tissu clairement visualisée. Les résultats sont inférieurs à ceux obtenus par scanner, mais peuvent être utiles si ce dernier n’est pas disponible.

3. Scintigraphie osseuse au technétium Le technétium marqué au méthylène diphosphate (⁹⁹Tc^m-méthylène diphosphate [MDP]) peut être utilisé 48 heures après un traumatisme pour montrer l’activité osseuse au foyer fracturaire, et confirmer la présence d’une fracture quand les autres méthodes de détection ont échoué.

4. IRM Cela évite l’exposition aux rayons X et produit des images en coupes comme le scanner, avec une acuité pour différencier les tissus mous. Dans le domaine de la traumatologie, l’IRM est d’une importance particulière pour évaluer les structures neurologiques crâniennes et médullaires, et les structures méniscales et ligamentaires au genou et à l’épaule.

5. Tomoscintigraphie ou SPECT (single-photon-emission computed tomography) Cela permet une évaluation physiologique de l’os en identifiant les régions où l’activité ostéoblastique est augmentée. C’est un examen très sensible.

6. Échographie L’imagerie échographique est d’une grande sensibilité et d’une grande valeur pour évaluer la présence de liquide (par exemple du sang) au sein de la cavité abdominale chez les patients présentant un polytraumatisme ; cela peut également être utile pour préciser des lésions du tendon quadricipital, du ligament patellaire et du tendon calcanéen (d’Achille).

PIÈGES

Un certain nombre de fractures sont manquées régulièrement – parfois avec des conséquences graves. Vous devez toujours être vigilant devant les cas suivants :

1. Un patient âgé présentant un appui impossible après une chute doit être examiné très soigneusement. La cause la plus fréquente est la fracture du col fémoral, qui doit être éliminée dans tous les cas. Si le col fémoral est intact, rechercher une fracture de la branche du pubis. Il faut noter que, dans de rares cas, un patient présentant une fracture impactée du col fémoral pourra continuer à marcher, malgré la douleur.

2. Si un patient conduisant une voiture présente une fracture de patella suite à un traumatisme par le tableau de bord, toujours rechercher la présence d’une luxation de hanche à bas bruit.

3. Si un patient présente une fracture du calcanéus après une chute, penser à examiner le côté opposé attentivement. Les fractures bilatérales sont fréquentes, et le côté le moins douloureux peut passer inaperçu.

4. Si un patient se plaint d’une « entorse de cheville », toujours examiner le pied autant que la cheville. Les fractures de la base du cinquième métatarsien résultent fréquemment d’un traumatisme en inversion, et sont souvent négligées. L’erreur diagnostique suite à un examen incomplet est renforcée par une demande d’examen radiologique n’intéressant que la cheville (qui ne montrent pas la base du cinquième métatarsien).

5. Chez le patient inconscient, les lésions du rachis cervical sont souvent négligées ; d’où l’intérêt de réaliser systématiquement des clichés du cou, du thorax et du bassin chez un patient inconscient.

6. Les fractures impactées du col huméral sont souvent oubliées, surtout si une seule incidence est prise. À l’inverse, le cartilage de croissance chez l’enfant est souvent pris à tort pour une fracture.

7. Les luxations postérieures de l’épaule peuvent ne pas être diagnostiquées lors de la prise en charge initiale. Cela est dû au fait que la tête humérale vient se placer directement derrière la glène, et ne se voit pas sur une incidence de face seule. S’il y a une forte suspicion de lésion, et plus particulièrement s’il y a une déformation de l’épaule, une deuxième incidence est essentielle si la face est apparemment normale. (Deux incidences doivent être prises systématiquement en contexte traumatique, mais plusieurs services, sans raisons valables, ne suivent pas cette règle.)

8. Les fractures apparemment isolées du radius ou de l’ulna doivent être diagnostiquées avec prudence. Les fractures-luxations de Monteggia et de Galeazzi sont souvent méconnues. De la même façon, il est imprudent de diagnostiquer une fracture isolée du tibia sans que la fibula entière ait été visualisée ; une fracture du tibia proche de la cheville est, par exemple, souvent accompagnée d’une fracture du col fibulaire.

9. Au poignet, les fractures en bois vert du radius de l’enfant sont souvent négligées par manque d’attention dans l’analyse radiographique.

10. Chez l’adulte, les fractures de la styloïde radiale ou de Bennett peuvent être méconnues ou traitées comme fractures probables du scaphoïde. Les déchirures complètes du ligament collatéral ulnaire de l’articulation MCP du pouce sont fréquemment négligées, parfois avec des conséquences fonctionnelles invalidantes.

TRAITEMENT DES FRACTURES

OBJECTIFS PRIMAIRES

Les objectifs primaires du traitement d’une fracture sont :

1. l’obtention d’une bonne consolidation osseuse sans déformation

2. la restauration de la fonction, de manière à ce que le patient soit en mesure de reprendre son travail antérieur et de poursuivre toute activité sportive ou sociale à volonté.

À cela on doit ajouter « aussi rapidement que possible » et « sans risques de complications ultérieures précoces ou tardives ». Ces objectifs ne peuvent pas toujours être atteints et sont parfois même en contradiction mutuelle. Par exemple, la fixation interne de certaines fractures peut donner une reprise rapide de la fonction, au prix d’un risque infectieux. La grande variabilité dans le traitement des fractures est largement due aux différentes interprétations de ces facteurs et de leur pertinence dans le cas en cours ; l’évolution est constante, avec d’un côté le développement de techniques plus sophistiquées de fixation des fractures et de nouveaux antibiotiques, et de l’autre l’émergence de germes résistants.

RÉANIMATION

Si une fracture d’un membre est la seule lésion d’un patient, les gestes de réanimation sont rarement nécessaires, et la prise en charge peut donc se faire sans délai supplémentaire (bien qu’une inaptitude à l’anesthésie puisse parfois retarder cet idéal). Cependant, si une fracture est compliquée de lésions d’autres structures, ou la mise en jeu d’autres systèmes, alors le traitement de la fracture passe habituellement au second plan. Une action immédiate doit être entreprise pour corriger toute situation présente ou à venir engageant le pronostic vital.

Advanced trauma life support (ATLS)

Il est reconnu qu’une équipe de traumatologie bien organisée donne de meilleurs résultats dans le traitement de patients gravement blessés. Le cœur de l’équipe est constitué normalement de dix personnes : un chef d’équipe, un anesthésiste et son assistant, un chirurgien général, un chirurgien orthopédiste, un urgentiste, deux infirmières, un manipulateur radio, et un rapporteur (secrétaire). Chaque membre a son propre secteur de responsabilité. Le chef d’équipe ne doit normalement pas toucher le patient, mais orchestre l’équipe.

Du personnel supplémentaire inclura des porteurs, le personnel de la banque du sang dont un hématologue, et un biochimiste. Un neurochirurgien, un chirurgien thoracique, un chirurgien plasticien et un radiologue doivent également être disponibles rapidement.

Le maintien d’une telle équipe avec son équipement impose des exigences lourdes, et n’est possible que dans quelques hôpitaux qui ont la capacité de travail et les ressources nécessaires. Dans la plupart des situations, surtout en dehors des grands centres, les équipes sont plus petites et l’évaluation et la prise en charge suivent une approche plus linéaire (telle que celle adoptée ci-dessous).

PRISE EN CHARGE INITIALE

Les principes généraux de prise en charge initiale en cas de blessures multiples sont bien établis, et peuvent être résumés par le moyen mnémotechnique ABCDE(F).

A = Airway (voies aériennes)

class=”hang”>1. Tout sang, mucus, ou vomi doit être retiré des voies aériennes supérieures par aspiration ou tamponnage. Les appareils dentaires doivent être recherchés et retirés au besoin. Dans les cas moins graves, une obstruction respiratoire peut être évitée par le maintien de la mâchoire, une voie aérienne simple et en tournant le patient sur le côté.

2. Une intubation endotrachéale peut être nécessaire :

• chez le patient inconscient sans réflexe nauséeux ;

• lorsqu’une inhalation de vomi ou de mucus a déjà eu lieu (ou est suspectée), pour nettoyer les voies respiratoires sous contrôle de la vue ;

• lorsqu’il y a un saignement des voies aériennes supérieures ;

• pour une prise en charge plus efficace dans les cas de défaillance respiratoire ou en cas d’hypoxie, par exemple en cas de volet costal. Si une intubation est nécessaire, et qu’on suspecte une lésion du rachis cervical, la procédure doit se dérouler avec le plus grand soin, pour éviter une trop grande extension du rachis cervical ; une intubation nasotrachéale devrait être utilisée. Confirmer le bon placement par l’auscultation (et/ou par des radiographies).

B = Breathing (respiration)

1. Ventiler avec 100 % d’oxygène. Vérifier les bruits respiratoires. Après intubation, évaluer les gaz du sang artériel ; si ceux-ci restent perturbés, des mesures appropriées doivent être entreprises (par exemple revoir le diagnostic et noter les situations décrites ci-dessous).

2. Une blessure ouverte du thorax doit être immédiatement couverte pour réduire le risque de pneumothorax compressif. Un pansement gras, couvert d’une compresse et fermement attaché à la peau par de l’adhésif est habituellement adapté à la situation d’urgence.

3. En cas d’arguments pour un pneumothorax compressif (hypertympanisme ou diminution du murmure vésiculaire du côté atteint, ou déplacement de la trachée vers le côté opposé), ou bien un pneumothorax ou un hémothorax, la cavité thoracique concernée doit être drainée par cathéter intercostal relié à un drain scellé à l’eau. Un cliché simple de thorax confirme habituellement le diagnostic, mais s’il persiste un doute, le thorax doit être drainé dans le cinquième espace intercostal sur la ligne médiane axillaire.

4. En cas de signe de respiration paradoxale par volet costal, les gaz du sang doivent être mesurés. Les valeurs normales sont les suivantes :

pO2	75-100 mmHg
pCO2	35-45 mmHg
pH	7,38-7,44
Oxygène (teneur)	15–23 %
Oxygène (saturation)	95–100 %
Bicarbonate	22–25 milliéquivalent/l

Si la fonction respiratoire n’est que peu altérée, la prise en charge peut se limiter à une oxygénothérapie simple et à l’usage d’antalgiques avec prudence. Quand les gaz du sang sont gravement perturbés, et particulièrement en présence d’un traumatisme crânien associé, une assistance respiratoire est habituellement la meilleure méthode de prise en charge.

C = Circulation

1. Toute hémorragie externe grave doit être rapidement mise sous contrôle. Cela est possible en général par compression locale à l’aide de bandages et de pansements. L’utilisation d’un garrot doit être évitée, sauf dans de rares circonstances ; sinon, il doit être utilisé dans les cas où l’on ne risque pas de le laisser pendant une période excessive. Un garrot doit être appliqué correctement ; une trop petite pression va augmenter les pertes sanguines en empêchant le retour veineux, et une pression trop grande met en danger les nerfs sous-jacents. Un garrot pneumatique doit toujours être privilégié par rapport à tout autre type.

2. Faire des prélèvements sanguins pour établir le groupe sanguin et le crossmatch (épreuve de compatibilité croisée), ainsi que des paramètres de base tels que l’hémoglobine et l’hématocrite.

3. Mettre en place deux voies d’abord veineuses de bons calibers (14 à 16 gauge), avec si nécessaire une rapide incision pour introduire un cathéter de gros calibre sous contrôle de la vue.

4. Faire une évaluation de l’état circulatoire. Initialement, la pression sanguine et la fréquence cardiaque sont les paramètres les plus usuels pour connaître l’état circulatoire, mais noter que la tachycardie et l’hypotension peuvent parfois être absentes en cas de choc hypovolémique, nécessitant un jugement clinique. Les besoins en remplissage dépendent de l’évaluation des pertes et de l’état circulatoire. La quantité et le type de remplissage dépendent de la nature et de l’importance de la perte. La vitesse de perfusion est largement déterminée par la réponse au remplissage.

Classification des hémorragies Un homme de 70 kg a un volume circulatoire de 5 l de sang (équivalent à 25 unités de concentrés globulaires sanguins).

• Classe I : une perte de 15 % du volume sanguin (équivalent à 4 unités de concentrés globulaires sanguins) normalement ne change pas la tension artérielle ni les pulsations.

• Classe II : une perte de 15 à 30 % du volume sanguin (équivalent à 4 à 8 unités de concentrés globulaires sanguins) normalement provoque de la tachycardie, mais pas de perturbation significative de la tension artérielle.

• Classe III : une perte de 30 à 40 % du volume sanguin (environ 2 l chez un homme de 70 kg) provoque une tachycardie et une baisse de la tension artérielle.

• Classe IV : une perte de plus de 40 % du volume sanguin provoque une tachycardie grave et une chute de la tension artérielle.

Estimation des pertes sanguines La liste suivante donne les grandes lignes pour estimer les pertes sanguines potentielles :

• Fracture fermée de la diaphyse fémorale : 1 l

• Fracture « open book » du bassin : 2 à 3 l (potentiellement beaucoup plus en cas de disjonction sacro-iliaque)

• Hémorragie intra-abdominale : 2 à 3 l

• Hémothorax : 1 à 2 l

• Traumatisme crânien fermé : la perte sanguine est minime et l’hypotension ne survient que lorsque le patient est proche du décès.

5. Si la perte sanguine s’accompagne de tachycardie ou d’hypotension, faire passer rapidement des cristalloïdes (tels que du soluté salé isotonique ou du Ringer lactate). (Chez les enfants, donner 20 ml/kg initialement, et jusqu’à 60 ml/kg.) L’utilisation de solutés réchauffés a montré son efficacité dans la réduction de la mortalité, et aide à préserver les mécanismes d’hémostase, et ils devraient être utilisés en routine. Si la réponse est insuffisante après 2 l, d’autres mesures doivent être entreprises. Cela inclut l’administration de concentrés globulaires sanguins ou de sang total, et possiblement une intervention chirurgicale (voir plus loin). La pose d’une attelle temporaire sur un membre fracturé réduira l’hémorragie locale, que la fracture soit ouverte ou fermée. (Noter que les cristalloïdes sont peu retenus dans le secteur intravasculaire. Certains préfèrent utiliser le plasma ou les colloïdes de synthèse qui ne présentent pas cet inconvénient, mais d’autres prétendent que ceux-ci n’ont aucun intérêt en contexte traumatique. Le plasma frais congelé permet de couvrir toute tendance à l’hypofribrinogénémie et au déficit en facteurs V et VII, mais nécessite 20 à 30 minutes de décongélation. Deux unités de plasma frais congelé doivent être administrées en cas de saignement continu et de déficits en facteurs de coagulation.)

D = Drugs, Allergies, Disabilities (médicaments, allergies, antécédents) Mener une enquête rapide sur le patient, et noter toute information pertinente (par exemple par des cartes, bracelets ou colliers d’avertissements, ou par les proches).

E = Eating and Exposure (Repas, exposition) Obtenir si possible des informations sur les dernières prises orales solides ou liquides du patient au cas où une anesthésie générale est nécessaire. Quand cela est possible, retirer tout vêtement pour permettre d’inspecter le patient dans son intégralité et éviter de méconnaître d’autres lésions associées.

F = sonde urinaire ou de Foley En cas de lésions multiples, et si aucune lésion du tractus urinaire n’est suspectée, mettre en place un sondage urinaire pour surveiller la diurèse (et ainsi la tension artérielle adaptée pour maintenir la fonction rénale).

RÉANIMATION AVANCÉE ET ÉVALUATION

Clichés de débrouillage

Au stade débutant d’évaluation d’un patient polytraumatisé, des clichés du rachis cervical, du thorax et du bassin doivent être réalisés. En cas de suspicion de lésion intra-abdominale hémorragique, une échographie doit être pratiquée. Si les circonstances le demandent et le permettent, on peut saisir l’opportunité à ce moment pour réaliser des radiographies de tout membre blessé, ou de toute blessure aux os de la face et au crâne.

Transfusion sanguine

Si le patient n’est pas stabilisé après l’administration de cristalloïdes, alors la transfusion est nécessaire.

Une transfusion est aussi normalement nécessaire si l’hémoglobine chute en dessous de 9 g/dl ; noter les points suivants.

• Si le patient s’est vidé de son sang et risque de mourir à moins qu’une transfusion ne lui soit administrée immédiatement, donner deux unités de groupe O Rhésus négatif en attendant l’apport de sang testé à l’épreuve de compatibilité croisée qui sera idéalement disponible dans les 20 minutes suivant le prélèvement soumis à la banque du sang.

• Par la suite, ou si la situation devient moins critique, administrer des concentrés érythrocytaires après l’épreuve de compatibilité croisée. Si le saignement continue, alors du sang total devient plus approprié.

Le volume de remplissage nécessaire peut varier énormément, et doit donc être évalué par la réponse : voir le schéma suivant (fig. 2.1) pour un résumé de la conduite à tenir pour le remplissage.

Fig. 2.1 : Diagramme résumant la prise en charge du remplissage vasculaire. PVC : pression veineuse centrale.

Évaluation de la réponse au remplissage

Il y a différentes methods pour évaluer la stabilité hémodynamique et le succès de la réanimation. Dans l’ensemble, le niveau et le maintien d’une réponse positive au traitement sont plus importants que la lecture de valeurs isolées. De nombreuses méthodes sont préconisées dont les suivantes.

1. Tension artérielle et pulsations. Malgré un certain manque de fiabilité, ceux-ci restent les guides les plus précieux. L’objectif initial doit être de restaurer une fréquence à moins de 140, et d’obtenir une tension artérielle à plus de 90 mm et en hausse.

2. Diurèse. Viser 0,5 ml/kg de poids corporel par heure chez un adulte (soit 6 ml toutes les 10 minutes chez un homme de 70 kg) et 1,0 ml/kg de poids corporel chez un enfant (soit deux fois le débit par kg).

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