2: Cartilage de croissance et périoste

Chapitre 2 Cartilage de croissance et périoste




Physe


La physe, appelée également cartilage de conjugaison, a pour fonction d’assurer la croissance longitudinale des os longs du squelette appendiculaire et, au niveau du squelette axial, celle des vertèbres. Cette structure anatomique, siège d’interactions moléculaires et biophysiques subtiles, donne au squelette en croissance sa spécificité pédiatrique.



Embryologie


Le bourgeon des membres se forme dès la 4e semaine du développement embryonnaire par prolifération d’un contingent cellulaire mésenchymateux. Vers la 5e semaine, la condensation de sa colonne centrale est à l’origine de la formation des éléments squelettiques. La segmentation de cette condensation mésenchymateuse préfigure les ébauches osseuses. La maturation de leurs cellules constitutives les oriente vers un processus d’ostéogenèse enchondrale dont le premier stade consiste en une différenciation chondrogénique. Au niveau des os longs, le processus d’ossification enchondrale se met alors en place dans la région médiodiaphysaire, à partir des points d’ossification primaires. Il s’étend progressivement en direction des extrémités osseuses. Toutefois, ces dernières résistent à l’« invasion osseuse » en conservant une structure cartilagineuse organisée : la chondroépiphyse. Elle se compose de plusieurs éléments : l’épiphyse, les apophyses et la physe.


L’épiphyse est un cartilage de croissance, d’organisation sphérique, dont la polarité et l’expansion cartilagineuse déterminent la croissance volumétrique des deux extrémités de l’os ainsi que la morphologie articulaire. Les apophyses sont également des cartilages de croissanced’organisation sphérique, elles sont responsables de la croissance des massifs d’insertion tendineuse. En revanche, la physe, d’organisation discoïde, présente une polarité de croissance axiale et détient les clés de la croissance en longueur de l’os. À la 8e semaine, le squelette appendiculaire est formé. Les physes sont déjà productives et contribuent à la croissance osseuse intra-utérine sous l’influence de signaux moléculaire intrinsèques, tels que l’IGF-1 (Insulinelike Growth Factor). Les cartilages de croissance de la chondroépiphyse entretiennent, en continu, des processus d’ostéogenèse enchondrale, de régulations intriquées, dont les étapes cellulaires et moléculaires reproduisent celles de l’embryologie osseuse des os longs. Elles se déroulent, cependant, selon une organisation spatio-temporelle qui maintient leur pérennité jusqu’à la maturité squelettique.



ANATOMIE


Les os longs du squelette appendiculaire présentent une physe à chacune de leurs extrémités. Elles contribuent, de manière inégale, au gain de longueur de l’os en croissance [2]. Au niveau des membres inférieurs, la productivité dominante est située près du genou. Le fémur distal et les fibula et tibia proximaux contribuent en moyenne à 80 % de l’accroissement en longueur du membre. De même, pour les membres supérieurs, la productivité dominante est située loin du coude (humérus proximal, radius et ulna distaux). Les physes assurent leurs fonctions jusqu’en fin de puberté où la maturité squelettique s’accompagne de leur disparition définitive et signe la fin de la croissance. Cette disparition, asynchrone selon les localisations anatomiques, permet d’évaluer « l’âge osseux » de l’adolescent.


L’interface entre la physe et l’os métaphysaire est constituée par les processus mamillaires. Cette surface tomenteuse représente un ancrage qui résiste aux contraintes en cisaillement. Par ailleurs, la virole périchondrale de Lacroix se présente comme un manchon périphérique qui circonscrit la physe. Cette structure fibreuse représente la continuité de la couche superficielle du périoste métaphysaire. Elle s’insère sur la périphérie de la physe, puis sur l’encoche d’ossification de Ranvier, avant de s’ancrer au niveau de l’épiphyse, lui conférant également un renfort contre les contraintes en cisaillement.


Contrairement au cartilage hyalin articulaire, le cartilage de conjugaison est le siège d’une activité métabolique intense. Celle-ci repose sur une vascularisation particulièrement riche provenant des cercles anastomotiques péri-articulaires [2]. Elle trouve son origine au niveau de trois systèmes distincts. Les vaisseaux épiphysaires contribuent à la vascularisation du versant épiphysaire du cartilage de croissance : les zones germinales et prolifératives. Les vaisseaux métaphysaires osseux, ainsi que les branches terminales des artères nourricières, assurent les échanges métaboliques de son versant métaphysaire : la zone de minéralisation et d’ossification. Un troisième réseau provient de la virole périchondrale et contribue à la vascularisation de la couronne périphérique du cartilage de conjugaison.


En revanche, la zone centrale du cartilage de croissance – la zone hypertrophique – reste strictement avasculaire. La pénétration de vaisseaux, qu’elle soit physiologique ou traumatique, y est responsable d’une ossification transphysaire à l’origine d’une épiphysiodèse.



HISTOLOGIE


La physe est organisée en strates cellulaires successives composées de chondrocytes de stade de maturité croissante selon une polarité dirigée de l’épiphyse vers la métaphyse [6].


Son unité fonctionnelle peut être considérée comme une colonne dont les chondrocytes passent d’un stade de prolifération à celui d’hypertrophie, puis de minéralisation de la matrice extra-cellulaire, avant d’entrer en apoptose (mort cellulaire programmée) (figure 2.1). Ces étapes reproduisent celles de l’ostéogenèse enchondrale dans une distribution spatio-temporelle spécifique.



La première strate est constituée par les « cellules germinales ». Ces chondrocytes se distribuent, de manière désordonnée, dans une matrice extra-cellulaire abondante vascularisée par le réseau capillaire épiphysaire. Leur contenu cytoplasmique, riche en vacuoles lipidiques, suggère leur contribution métabolique à l’activité du cartilage. Ces cellules ne participent pas directement à l’accroissement en longueur de l’os. En effet, l’activité mitotique de cette première strate est très faible. Cependant, par sa croissance interstitielle, elle permet la migration centrifuge des chondrocytes en direction de l’encoche d’ossification de Ranvier. Ce processus, actif jusqu’à la maturité squelettique, contribue à l’expansion diamétrale de la physe [5].


La seconde strate est composée de cellules prolifératives, organisées en colonnes longitudinales et séparées par une matrice extra-cellulaire riche en collagène de type II. La forte activité métabolique qui y règne s’accompagne d’unetension en oxygène élevée, soutenue par une riche vascularisation. Les chondrocytes y stockent en abondance le glycogène nécessaire à la production d’ATP mitochondrial. C’est la seule zone de la physe où une intense activité mitotique est observée.


La strate suivante est constituée par les chondrocytes hypertrophiques qui perdent définitivement tout potentiel prolifératif. Au cours de leur maturation, leur volume intra cellulaire s’accroît de 5 à 10 fois. C’est ce phénomène qui contribue principalement à la croissance axiale. Sur le plan fonctionnel, ces chondrocytes préparent la minéralization de la matrice extra-cellulaire en y déposant du calcium en provenance de leurs mitochondries ainsi qu’en libérant les enzymes nécessaires à la précipitation des sels phosphocalciques. En particulier, la phosphatase permet la production de l’ion phosphate, indispensable à cette précipitation. Par ailleurs, les chondrocytes émettent dans cet environnement des facteurs de croissance vasculaire tels que le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) qui favorise le développement d’une néo-angiogenèse d’origine métaphysaire dans la strate suivante : la zone d’ossification.


Dans cette dernière, les chondrocytes entament un processus d’apoptose (mort cellulaire programmée). L’invasion vasculaire concomitante, provenant des vaisseaux métaphysaires, apporte de nombreux éléments cellulaires. Parmi eux, les chondroclastes résorbent la matrice extra-cellulaire cartilagineuse préalablement minéralisée. Parallèlement, l’afflux des cellules progénitrices mésenchymateuses va contribuer à l’élaboration de la matrice extra-cellulaire osseuse en remplacement de la précédente.



PHYSIOLOGIE


La productivité des chondrocytes de la physe est modulée par une régulation biologique et biomécanique conduisant à des modifications de leur expression génique.



Régulation biologique


Elle repose sur l’interaction de facteurs de croissance locaux intervenant dans les processus d’ostéogenèse enchondrale et de molécules d’origine extrinsèque telles que l’hormone de croissance (GH : Growth Hormone), les hormones thyroïdiennes, les stéroïdes sexuels, les corticoïdes ou encore la vitamine D.


Les facteurs de croissance locaux sont exprimés par les chondrocytes eux-mêmes et agissent selon des mécanismes autocrines, c’est-à-dire sur les cellules mêmes qui les ont sécrétés, ainsi que par des mécanismes paracrines, s’exerçant sur celles de leur environnement. Ils contribuent à la régulation intrinsèque de la production de la physe [3]. Ihh (Indian Hedgehog) et PTHrP (Parathormone Related Peptide) équilibrent la maturation de ces chondrocytes. En particulier, Ihh stimule la synthèse de la matrice extra-cellulaire, la prolifération ainsi que la maturation des chondrocytes et leur passage irréversible de cellules à potentiel prolifératif au stade de chondrocytes hypertrophiques. Le PTHrP s’oppose à cette différenciation, les maintenant dans le pool des cellules prolifératives. Les BMP (Bone Morphogenetic Protein) stimulent l’expression de Ihh. Au contraire, le FGF (Fibroblast Growth Factor) exerce des effets antagonistes en l’inhibant.


Les facteurs de croissance vasculaires sont essentiellement exprimés à la jonction de la strate hypertrophique et de l’os métaphysaire. En particulier, le VEGF joue un rôle clé dans l’invasion vasculaire de la strate de cartilage hypertrophique. Cette angiogenèse apporte, sur le site, les éléments cellulaires qui vont remplacer les chondrocytes apoptotiques et déposer la matrice extra-cellulaire osseuse.


Certaines molécules interviennent simultanément sur les mécanismes de régulation intrinsèques et extrinsèques de la production de la physe. La sométomeïdine (IGF-1), par exemple, est émise par les chondrocytes du cartilage de conjugaison et stimule leur prolifération selon des mécanismes autocrines et paracrines. Cette molécule est par ailleurs produite par le parenchyme hépatique, puis est diffusée par voie systémique. Elle agit alors sur les cartilages de croissance de l’ensemble du squelette. De même, la vitamine D intervient sur la physe par ses effets hormonaux et métaboliques, mais également par un effet direct sur les chondrocytes. En effet, certaines isoformes de cette vitamine sont synthétisées par les chondrocytes et leur effet local se manifeste par une activité autocrine régulant leur maturation lors de la chondrogenèse, ainsi que leur activité enzymatique dans leur fonction de minéralisation de la matrice extra-cellulaire.


Dès la naissance, de nombreuses hormones participent à la régulation systémique extrinsèque du taux de croissance de la physe. Les chondrocytes de la plaque de croissance possèdent des récepteurs à l’hormone de croissance qui y exerce un effet direct, stimulant leur prolifération et leur hypertrophie. Cette hormone exerce également un effet indirect par l’intermédiaire d’une activation locale de la somatomédine (IGF-1) au sein de la physe, ainsi qu’en stimulant sa production hépatique.


Les stéroïdes sexuels jouent également un rôle majeur dans le contrôle de la croissance. La testostérone stimule la prolifération et l’hypertrophie des chondrocytes de la physe en période pré pubertaire. Les œstrogènes jouent un rôle similaire sur les chondrocytes, en début de puberté, par l’intermédiaire de leurs récepteurs alpha. Cependant, par l’intermédiaire de leurs récepteurs bêta, elles sont également responsables d’une inhibition de la croissance du squelette axial en limitant la prolifération des chondrocytes puis en favorisant l’invasion vasculaire de la physe, entraînant son épiphysiodèse physiologique en fin de puberté. L’influence des androgènes sur la physe est partiellement liée à leur transformation en œstrogènes. Par ailleurs, ils modulent l’activation locale d’IGF-1.



Régulation mécanique


L’action combinée des chondrocytes de la physe entraîne une production tissulaire qui génère des forces d’expansion intrinsèques responsables de l’allongement de l’os. À l’inverse, les tissus extra-osseux, périoste et tissus périphériques génèrent des forces qui s’y opposent passivement. C’est de cet équilibre des forces que découle la régulation mécanique de la plaque de croissance.


Les contraintes s’exerçant au sein de la physe, du fait du processus de croissance, sont variables selon les espèces. Chez l’Homme, elles ont été estimées au niveau du fémur distal et du tibia proximal. Elles peuvent atteindre 500 N, correspondant approximativement à celles exercées par le poids du corps.


Les forces s’opposant à la croissance ne sont pas connues avec précision. Le manchon de périoste qui s’insère sur les épiphyses, aux extrémités opposées des os longs, exerce une contrainte statique, d’amplitude méconnue, au niveau des deux physes qu’il « ponte » (figure 2.2). Cependant, son effet freinateur sur la croissance a été mis en évidence par diverses expérimentations. En effet, la libération du « frein périostique », par sa section transversale ou son excision, débride la croissance de la physe qui subit une stimulation transitoire.



Les contraintes dynamiques liées à la motricité, résultats des projections vectorielles des forces musculaires et des résultantes mécaniques, peuvent atteindre des valeurs extrêmement élevées, éminemment variables selon de multiples paramètres tels que les sites anatomiques concernés, la gestuelle… Cependant, dans le cadre d’une activité physiologique, leur répercussion sur la cinétique de croissance semble négligeable.


En revanche, les forces statiques, appliquées sur les cartilages de croissance, en compression comme en distraction, modifient l’activité cellulaire et le cycle de maturation des chondrocytes qui les constituent. La compression statique est responsable de perturbations du cartilage de conjugaison, de sévérité croissante avec l’intensité des forces en présence. Elles débutent par des perturbations du métabolisme et des synthèses des chondrocytes qui s’expriment sur la matrice extra-cellulaire. À un niveau supérieur, apparaît une inhibition de la prolifération cellulaire, initialement réversible, suivie d’une désorganisation de la micro-architecture. À un niveau de compression élevé, la croissance s’interrompt de manière irréversible, avec création d’une épiphysiodèse.


Au contraire, la distraction maintenue à une faible vitesse, limitant les déformations sous un seuil de rupture, entraîne une accélération de la croissance par hyperplasie des couches prolifératives : c’est la chondrodiastase [3]. Pour des vitesses élevées, entraînant des déformations supérieures au seuil à la rupture, des fractures-séparations ou épiphysiolyses se produisent, et un allongement progressif peut être obtenu selon les mécanismes biologiques équivalant à ceux de l’ostéogenèse par distraction observés après ostéotomie.



PHYSE EN SITUATION PATHOLOGIQUE




Une structure vulnérable


Sa fonction, primordiale au cours de la croissance, impose une attention particulière lors du traitement orthopédique et chirurgical du squelette de l’enfant.


Sur le plan mécanique, les physes représentent des zones « transitionnelles » cartilagineuses interposées entre deux segments osseux plus rigides. Elles constituent des zones de concentration des sollicitations mécaniques, responsables de l’extrême fréquence des lésions auxquelles elles sont exposées dans la pathologie traumatique [47] (figure 2.3) ainsi que lors des sollicitations répétées liées à l’activité sportive intensive.


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2.3 Classification de Salter et Harris des fractures épiphysaires en cinq types [7]. Les types I et II passent dans l’épaisseur de la physe, entre la couche sériée et hypertrophique : la couche germinale reste intacte, et le risque d’épiphysiodèse est peu élevé. À l’inverse, les types III et IV traversent complètement le cartilage de croissance, risquant de léser la zone germinative, et donc d’entraîner une épiphysiodèse définitive. Le type V a la particularité de ne pas être forcément visible d’emblée à la radiographie, mais il est dû à une impaction sévère de la physe, avec un risque de destruction complète.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 2: Cartilage de croissance et périoste

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