Polyarthrite rhumatoïde
I ÉPIDÉMIOLOGIE
La polyarthrite rhumatoïde est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires.
La prévalence en France est estimée entre 0,25 % et 1 %.
Elle est 3 à 4 fois plus fréquente chez la femme.
Elle peut débuter à tout âge mais l’âge de début se situe en moyenne autour de 45 ans.
Il existe une prédisposition génétique à la maladie et des antécédents familiaux d’auto-immunité sont parfois retrouvés.
II PHYSIOPATHOLOGIE
Facteurs génétiques : il existe un terrain génétique prédisposant à la maladie. Ainsi, certains allèles du gène HLA-DRB1 sont plus particulièrement associés à la maladie.
Facteurs environnementaux : certains facteurs semblent favoriser la survenue/l’entretien de la maladie. Le tabac est un facteur qui favorise probablement la maladie et induit des formes plus sévères. De même la parodontopathie semble être un facteur favorisant la survenue de la maladie. Des agents infectieux ou des facteurs hormonaux pourraient également intervenir. Enfin, il n’est pas rare que la maladie survienne après un « stress » (psychologique, infectieux, chirurgical, après un accouchement, etc.).
La conjonction de facteurs génétiques et environnements aboutit à un dérèglement du système immunitaire et à une cascade inflammatoire qui siège dans la membrane synoviale des articulations : c’est la synovite rhumatoïde.
La réaction inflammatoire est orchestrée par des lymphocytes T CD4 et fait intervenir des cellules présentatrices d’antigènes, des macrophages et des lymphocytes B produisant des autoanticorps (facteurs rhumatoïdes et anticorps anti-peptides citrullinés). Ces phénomènes aboutissent à la production de cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL-1, IL-6…), la production de prostaglandines et de radicaux libres, l’activation et la différenciation de nombreuses cellules dont les ostéoclastes (qui sont de nature macrophagique).
Cette réaction inflammatoire s’appelle aussi le pannus synovial et aboutit à des érosions, caractéristiques de la maladie, puis à une destruction des articulations responsable de déformations caractéristiques.
III CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE
Le diagnostic est souvent difficile au début de la maladie.
Dans la plupart des cas, la maladie s’installe progressivement sous forme d’une oligoarthrite puis d’une polyarthrite symétrique touchant préférentiellement les petites articulations (polyarthrite distale et symétrique).
Les douleurs ont un rythme inflammatoire, avec des réveils nocturnes et un dérouillage matinal de plus de 30 minutes.
Les articulations le plus fréquemment touchées sont les métacarpophalangiennes (MCP), surtout des 2e et 3e doigts, les interphalangiennes proximales (IPP), les poignets, les métatarsophalangiennes (MTP) (fig. 192-1). Les interphalangiennes distales (IPD) sont respectées.
Fig. 192-1 Polyarthrite rhumatoïde débutante. Les synovites sont indiquées par les flèches. (Voir aussi dans le cahier couleur.)
Une poussée de polyarthrite rhumatoïde peut s’accompagner de signes généraux, tels qu’une discrète altération de l’état général ou un fébricule à 38 °C.
Habituellement, les gonflements sont fixes mais, dans les formes débutantes, les gonflements peuvent être intermittents et migrateurs d’une articulation à l’autre (rhumatisme palindromique).
Chez le sujet âgé, la polyarthrite rhumatoïde peut débuter par une atteinte plus proximale, touchant les ceintures, qu’il faudra différencier d’une pseudopolyarthrite rhizomélique.
IV INTERROGATOIRE
On précise le mode de début, la présence d’un facteur déclenchant, le rythme des douleurs (mécanique ou inflammatoire), la topographie des atteintes.
On recherche des antécédents personnels ou familiaux d’auto-immunité.
On recherche des signes extra-articulaires pour un diagnostic différentiel : recherche d’antécédent de psoriasis (rhumatisme psoriasis), recherche d’une photosensibilité, d’un masque lupique, d’un lupus discoïde, d’antécédent de fausses couches, de mort in utero, de thrombophlébites, de phénomène de Raynaud, de pleurésie, de péricardite (lupus), recherche d’un syndrome sec (syndrome de Gougerot-Sjögren), recherche de myalgies (polymyosite, dermatopolymyosite).
V EXAMEN CLINIQUE
A Signes articulaires
3 Recherche de déformations
Poignet : subluxation antérieure du carpe avec attitude en abduction du poignet et ténosynovite des extenseurs (gonflement en « dos de chameau »), saillie de la tête ulnaire (« touche de piano ») (fig. 192-2).
Fig. 192-2 Déformations des poignets avec saillie cubitale bilatérale. (Voir aussi dans le cahier couleur.)
Atteinte des MCP : la subluxation conduit à une déviation des doigts en « coup de vent » ulnaire (fig. 192-3).
Fig. 192-3 Déformation en boutonnière des 4e et 5e doigts des deux mains. Déformation des MCP en « coup de vent » cubital. (Voir aussi dans le cahier couleur.)
– en « boutonnière » : flexion de l’IPP, extension de l’IPD (fig. 192-3) ;
– en « col de cygne » : extension de l’IPP, flexion de l’IPD ;
Ruptures tendineuses, surtout les extenseurs des 4e et 5e doigts sur la « touche de piano », aboutissant à une perte de l’extension des 4e et 5e doigts.
Atteinte des coudes : fréquente, aboutissant à un flessum et un valgus.
Atteinte des épaules : aboutissant à une perte des amplitudes articulaires.
Atteinte des hanches : souvent à un stade plus tardif de la maladie, elle conduit à une limitation des amplitudes.
Atteinte des genoux : très fréquente ; l’épanchement est apprécié par le signe du choc patellaire ; on retrouve souvent associé un kyste poplité, sa destruction peut entraîner une attitude vicieuse en flessum.
Atteinte des MTP : elle aboutit fréquemment à un hallux valgus (fig. 192-4), la subluxation des MTP aboutit à une rétraction en « griffe » des orteils ou en « marteau ».
Fig. 192-4 Déformation des gros orteils en hallux valgus. Rétraction en griffe des orteils du pied droit. (Voir aussi dans le cahier couleur.)
Atteinte de l’arrière-pied : l’atteinte chronique de l’arrière-pied conduit à un effondrement de la voûte plantaire et une déformation de l’arrière-pied le plus souvent en valgus.
Atteinte du rachis cervical: l’atteinte cervicale haute est fréquente lorsque la maladie est en phase d’état ; le pannus synovial C1-C2 aboutit à un diastasis atloïdo-axoïdien (luxation de l’odontoïde vers l’arrière, menaçant la moelle spinale), une subluxation ou une impression basilaire.
B Signes extra-articulaires
Les signes extra-articulaires apparaissent en général dans les formes anciennes, sévères.
Signes généraux : altération de l’état général modérée ; fébricule lors des poussées.
Nodules rhumatoïdes : il s’agit de nodosités fermes, mobiles, indolores préférentiellement sur la face d’extension de l’avant-bras, l’olécrâne, la face dorsale des doigts (fig. 192-5).
Splénomégalie : très rare, elle peut s’intégrer dans le cadre d’un syndrome de Felty associant une polyarthrite rhumatoïde, une splénomégalie et une leuconeutropénie.
Syndrome sec : très fréquemment associé à la polyarthrite rhumatoïde, il s’agit d’un syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire à la polyarthrite rhumatoïde ITEM 188.
Sclérite, épisclérite : manifestation rare et sévère de la polyarthrite rhumatoïde pouvant aboutir à une perforation du globe oculaire.
Atteinte pulmonaire : poumon rhumatoïde (fréquent) ; il peut s’agir de nodules parenchymateux dits « rhumatoïdes », d’une pneumopathie interstitielle, d’une fibrose pulmonaire, d’une pleurésie exsudative ; des dilatations de bronches sont très fréquemment associées à la polyarthrite rhumatoïde.
Péricardite : le plus souvent asymptomatique, elle peut aboutir à une tamponnade.
Vascularite rhumatoïde : rare, elle se limite le plus souvent à une atteinte cutanée avec des micro-infarctus, un purpura, des lésions nécrotiques et ulcérées ; elle peut parfois s’associer à une atteinte neurologique, digestive… s’apparentant à une vascularite nécrosante.
Amylose : elle peut compliquer les polyarthrites rhumatoïdes anciennes comme toutes les maladies inflammatoires chroniques ; il s’agit d’une amylose AA qui se dépose dans de nombreux organes, notamment le rein, responsable d’un syndrome néphrotique.
VI EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
A Examens biologiques
Un syndrome inflammatoire est fréquemment observé (VS accélérée, augmentation de la CRP, profil inflammatoire sur l’électrophorèse des protéines, anémie inflammatoire).
Le bilan immunologique montre :
– un facteur rhumatoïde positif dans 60 à 80 % des cas (Waaler-Rose, test au latex et, plus récemment, ELISA). Ces anticorps ne sont pas spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde et peuvent être élevés dans d’autres circonstances (syndrome de Gougerot-Sjogrën, lupus, hépatite C chronique…) ;
– les anticorps anti-peptides citrullinés (anti-CCP ou ACPA), très spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde mais retrouvés en moyenne que dans 40 à 60 % des cas.
L’analyse cytologique et bactériologique d’une ponction articulaire si elle est possible est toujours utile au diagnostic bien que non spécifique, car elle permet de confirmer la nature inflammatoire de l’atteinte articulaire (plus de 2 000 éléments à prédominance de polynucléaires neutrophiles) et d’écarter un diagnostic différentiel (arthrose à liquide mécanique, arthrite septique, arthrite microcristalline).
Une biopsie synoviale peut rarement être proposée en cas de doute diagnostique, surtout pour éliminer une infection. L’histologie (non spécifique) montre une multiplication et une hypertrophie des franges synoviales, une multiplication des cellules bordantes, des dépôts de fibrine en surface, une néoangiogenèse, une nécrose fibrinoïde en profondeur, la présence d’un infiltrat lymphoplasmocytaire pouvant s’organiser en nodule.
B Examens d’imagerie
1 Radiographies
Examens clés dans le diagnostic et le suivi de la maladie, les clichés de première intention sont :
– radiographie des mains et poignets de face ;
– radiographies des avant-pieds de face et de trois quarts ;
Les atteintes typiques de polyarthrite rhumatoïde sont les érosions et les géodes (fig. 192-6). On observe aussi des pincements globaux, des subluxations, des luxations et parfois une ankylose.