Chapitre 19 Pathologie des reins et des voies excrétrices urinaires
Les anomalies congénitales du système urinaire représentent approximativement 20 à 30 % de l’ensemble des malformations dépistées durant la période anténatale [1] et se placent en deuxième position après les anomalies du système nerveux.
Bien que 80 % d’entre elles soient dépistées en prénatal, elles demeurent la cause de 40 % des insuffisances rénales terminales de l’enfant. Elles regroupent des pathologies variées incluant des anomalies rénales (aplasie, hypoplasie, dysplasie), urétérales (duplication, syndrome de jonction pyélo-urétérale, méga-uretère), vésicales et urétrales. Elles peuvent être isolées, uni- ou bilatérales, ou s’intégrer dans un contexte polymalformatif.
Rappel embryologique
L’appareil urogénital se forme à partir du mésoderme des pièces intermédiaires. À la 5e SA (semaines d’aménorrhée), les cellules germinales migrent à partir des parois du tube digestif et les bourgeons urétéraux pénètrent le mésoderme du métanéphros. Entre la 6e et la 7e SA, les grands et les petits calices se développent et les néphrons commencent à se former. Ils se connectent aux tubes collecteurs et sont fonctionnels vers la 10e semaine. À ce stade, les reins démarrent leur ascension et remontent progressivement de la région sacrée à la région lombaire, en raison de l’allongement caudal de l’embryon. Parallèlement les uretères s’allongent. La vessie se développe à partir de la région du sinus urogénital, qui va se dilater et incorporer les extrémités des canaux de Wolff et les uretères.
Chez l’embryon de sexe masculin, les cordons sexuels primaires forment les tubes séminifères. Chez l’embryon féminin, les cordons sexuels secondaires forment les follicules ovariens. La portion du sinus urogénital située caudalement par rapport à l’abouchement des canaux de Wolff donnera l’urètre féminin ou la portion initiale de l’urètre masculin [2].
Échographie fœtale : aspect normal
Vessie
L’urine fœtale est produite à partir de la 9e semaine de vie embryonnaire. En échographie, la vessie peut donc être visualisée très précocement, dès 9 SA, sous la forme d’une petite image arrondie, anéchogène, au niveau du pôle caudal de l’embryon (fig. 19.1).
Par la suite, aux 2e et 3e trimestres, la vessie est toujours visible au cours d’un examen standard, sa vidange et sa réplétion surviennent sur un cycle d’environ 15 minutes. Sa situation anatomique entre les deux artères ombilicales facilite son repérage et permet ainsi sa visualisation dans tous les cas grâce à l’utilisation du Doppler à codage couleur (fig. 19.2). Il faut également noter que cette pratique du Doppler couleur permet de diagnostiquer les artères ombilicales uniques et d’en préciser la latéralisation. En fin de grossesse, le cycle de vidange vésicale s’allonge fréquemment et il n’est ainsi pas exceptionnel de ne pas observer de vidange vésicale pendant une heure, voire plus. Ce phénomène est physiologique, particulièrement chez le fœtus de sexe féminin, et ne doit pas faire porter à tort le diagnostic de mégavessie.
Reins
L’utilisation des sondes endocavitaires et des sondes à haute fréquence permet de visualiser les reins lors de l’examen du 1er trimestre. À partir de 11 SA, ils sont visualisés au niveau des fosses lombaires sous la forme de deux petites masses ovales, hyperéchogènes, sans différenciation corticomédullaire, avec visualisation des bassinets (fig. 19.3). Cet aspect persiste environ jusqu’à 15 SA, date à laquelle apparaît la différenciation corticomédullaire. À partir de 18 SA, les reins ont leur aspect définitif et les pyramides sont bien visualisées (fig. 19.4). Les cavités excrétrices sont constituées par les bassinets et les calices.
Les reins doivent être examinés en coupe sagittale et transversale, permettant une mesure de la longueur et de l’épaisseur. Le Comité technique d’échographie (CTE) recommande la réalisation d’une coupe transversale de l’abdomen passant par les deux reins, permettant de visualiser leur présence, leur épaisseur et la taille des bassinets (fig. 19.5).
Fig. 19.5 Coupe recommandée par le CTE : coupe transversale de l’abdomen passant par les deux reins.
Les uretères sont visualisables au niveau de leur trajet pelvien juxtavésical.
Pronostic
Anomalies du système urinaire
Anomalie de nombre
Il s’agit d’une agénésie rénale uni- ou bilatérale caractérisée par l’absence de parenchyme rénal et de voies urinaires excrétrices, alors que les surrénales sont le plus souvent présentes dans la fosse lombaire.
Agénésie rénale unilatérale
Elle touche une grossesse sur 500. L’examen échographique se caractérise par l’absence de visualisation de rein normal dans la fosse lombaire associée à une absence de pédicule vasculaire lors de l’examen en Doppler à codage couleur (fig. 19.6). Il convient alors de rechercher systématiquement une localisation ectopique du rein concerné par un examen approfondi du pelvis, à la recherche d’un rein pelvien ou d’une ectopie croisée, les deux reins étant alors localisés dans la même fosse lombaire, sans être fusionnés. S’il n’existe pas de rein ectopique, on observe fréquemment une hypertrophie compensatrice du rein unique. En l’absence de pathologie rénale controlatérale, l’agénésie rénale unilatérale est de bon pronostic et ne nécessite pas de prise en charge particulière, hormis un bilan échographique approfondi à la recherche de malformations associées. Les anomalies rénales controlatérales sont fréquentes (48 à 65 %). Les plus communes sont les reflux vésico-urétéraux (28 à 41 %) et les syndromes de jonction pyélo-urétérale (6 à 7 %). L’association à une artère ombilicale unique est fréquente.
Les anomalies des organes génitaux externes et internes par atteinte embryologique des dérivés métanéphroniques sont fréquemment associées. Ainsi, chez l’homme, on observe une agénésie des canaux déférents dans un tiers des cas d’agénésie rénale unilatérale. Chez la femme, on peut observer une agénésie vaginale associée à des malformations squelettiques (association MURCS), ou encore un hémivagin borgne avec risque d’hématocolpos.
À la naissance, une échographie doit être réalisée pour confirmer l’agénésie et peut être complétée à quelques mois par une scintigraphie au DMSA (technecium 99m dimercaptosuccinic acid) afin de ne pas méconnaître l’existence d’un rein ectopique.
À plus long terme, protéinurie, hypertension artérielle et insuffisance rénale semblent plus fréquentes, expliquées par des lésions de sclérose glomérulaire liées à l’hypertrophie compensatrice [6].
Il est parfois conseillé à ces enfants d’éviter les sports de contact.
Agénésie bilatérale
Elle est rare, 1/3 000 naissances [7], deux à trois fois plus fréquente chez le fœtus de sexe masculin [8] et sporadique dans la majorité des cas. Le risque de récidive est de 3 à 6 %. L’association de fosses lombaires vides, la non-visualisation de la vessie et l’anamnios peuvent faire évoquer le diagnostic à partir de 15 SA. L’anamnios peut apparaître seulement après 16 à 18 SA [9]. Il est responsable d’une séquence de Potter avec immobilisme fœtal et hypoplasie pulmonaire.
La persistance des glandes surrénales est un piège à connaître, car elles peuvent être prises à tort pour des reins et faire méconnaître le diagnostic [10]. Le diagnostic de certitude est facilité par l’utilisation du Doppler couleur sur des coupes transversales et frontales passant par les deux fosses lombaires [11].
Les malformations associées sont présentes dans environ un tiers des cas : anomalies chromosomiques, association VACTERL (atteintes cardiaque, squelettique, digestive et neurologique) ou encore malformations isolées [12].
Anomalie de taille
Les reins doivent être mesurés dès lors qu’il existe un oligoamnios ou une anomalie de la différenciation corticomédullaire. Le diagnostic d’hypoplasie est retenu lorsque la taille des reins dans toutes les mesures est inférieure à 2 déviations standard (DS). L’hypoplasie peut être uni- ou bilatérale, plus ou moins sévère, touchant tout ou partie des reins (fig. 19.7). Il peut s’y associer une dysplasie, aggravant le pronostic, secondaire ou associée à une uropathie grave et précoce (fig. 19.8). La sévérité du pronostic est difficile à évaluer, mais peut être guidée par l’existence d’un oligoamnios.
Les reins hypertrophiés sont définis comme étant supérieurs à 2 DS dans toutes les mesures. L’étude de l’échogénicité et de la différenciation corticomédullaire est importante afin d’éliminer une pathologie kystique. Il est utile de bien étudier la structure du rein à la recherche d’une duplication pyélique susceptible d’augmenter le volume rénal. Enfin, la mesure des autres organes (rate) élimine une viscéromégalie pouvant entrer dans le cadre d’un syndrome de Wiedemann-Beckwith.
Anomalie de position
Il existe plusieurs localisations ectopiques possibles pour les reins. Elles sont dues à une anomalie de migration des reins au cours de la période embryonnaire, soit par défaut (ectopie basse), soit par excès (ectopie haute intrathoracique).
Le principal diagnostic différentiel est celui d’agénésie rénale unilatérale. Dans une étude portant sur la vacuité des fosses lombaires, Chow et al. [13] rapportent que seuls 42 % des reins uniques visualisés correspondaient réellement à des agénésies rénales unilatérales ; 47 % des fœtus possédaient en réalité un rein ectopique pelvien ou intrathoracique, et 10 % des « agénésies » étaient secondairement identifiées et localisées, la plupart étant gravement dysplasiques.
L’ectopie simple a une fréquence de 1/800 à 1/1 200 naissances [14] ; elle est le plus souvent unilatérale et touche préférentiellement le rein gauche. La localisation ectopique pelvienne est la plus fréquente ; le rein est alors le plus souvent en position rétrovésicale et de plus petite taille (fig. 19.9).
Dans l’ectopie croisée (1/7 000) [15], le rein se situe dans la fosse lombaire controlatérale, sous le rein normal avec lequel il peut être fusionné. Il est fréquent d’observer, dans ces situations, une artère rénale naissant de l’artère iliaque primitive et non de l’aorte. Ces ectopies croisées doivent être différenciées des duplications rénales. En cas d’ectopie croisée, il existe une angulation entre les deux reins, alors que dans la duplication, les deux pyélons restent dans le même plan [16, 17] (fig. 19.10 et 19.11). Cette anomalie de position des reins peut s’accompagner d’une fusion de parenchyme sur la ligne médiane, réalisant un « rein en fer à cheval » (fig. 19.12). Les reins sont le plus souvent bas situés et leur fusion se fait par leurs pôles inférieurs, sur la ligne médiane, en avant du rachis. Le parenchyme ainsi fusionné n’est pas obligatoirement fonctionnel. La fréquence de cette anomalie est d’environ 1/400 naissances, et deux fois plus fréquente chez les fœtus de sexe masculin [18].
On sait que ces reins en position anormale ont souvent une fonction altérée et sont très souvent associés à d’autres anomalies urologiques, notamment un reflux vésico-urétéral ou un syndrome de jonction [19, 20], à des anomalies génitales chez la fille [21, 22], mais également à des syndromes polymalformatifs de type CHARGE et VACTERL [23, 24].
Anomalies de la différenciation corticomédullaire
L’anomalie de la différenciation corticomédullaire conduit à un aspect de reins hyperéchogènes. Cette hyperéchogénicité est définie par rapport à l’échogénicité de structures voisines que sont le foie et la rate. Les étiologies des reins hyperéchogènes sont nombreuses, mais les plus fréquentes sont les dysplasies rénales et les anomalies kystiques. Le diagnostic repose sur une analyse détaillée ; l’examen échographique recherche alors le caractère uni- ou bilatéral de l’anomalie, la persistance d’une différenciation corticomédullaire périphérique, la présence de kystes et les anomalies de taille des reins [25].
Dysplasies rénales
Ce sont des lésions histologiques retrouvées en amont d’une uropathie malformative obstructive ou refluante, telles que les valves de l’urètre postérieur, le méga-uretère obstructif ou le syndrome de jonction pyélo-urétérale.
Dysplasies rénales multikystiques
La dysplasie rénale multikystique est une pathologie sans transmission génétique, sporadique, définie par l’association de kystes parenchymateux à une dysplasie rénale vraie homolatérale (existence de tubes primitifs et de métaplasie cartilagineuse à l’examen histologique).
Sa pathogénie demeure incertaine : défaut d’induction du blastème métanéphronique par le bourgeon urétéral, conséquence d’une obstruction urétérale précoce in utero avec anomalies majeures de l’écoulement des urines fœtales auxquels s’ajoutent probablement des facteurs de risque génétiques et environnementaux.
Elle peut être associée à des anomalies urologiques controlatérales :