Pathologies auto-immunes : aspects épidémiologiques, diagnostiques et principes de traitement
I AUTOANTICORPS
A Autoantigènes
Presque toutes les molécules de l’organisme présentent une taille suffisante pour être des autoantigènes.
Ces autoantigènes sont surtout des protéines (glycoprotéines, enzymes) et des acides nucléiques.
Ils peuvent être spécifiques d’organes ou présents dans de nombreux tissus.
Les différents autoantigènes recensés sont :
– des protéines structurales (histone, laminine, myosine, collagène) ;
– des protéines fonctionnelles (facteur intrinsèque, récepteur de la TSH, immunoglobulines) ;
– des enzymes (thyroperoxydase, topoisomérase, transglutaminase, myéloperoxydase…) ;
– des acides nucléiques (ADN, ARN) ou des ribonucléoprotéines (Ro, La, Sm, RNP) ;
– d’autres structures comme les phospholipides et les gangliosides ;
– des structures antigéniques du cytoplasme des polynucléaires (ANCA).
B Techniques de dépistage des autoanticorps
La recherche d’autoanticorps nécessite toujours une technique immunologique reposant sur une réaction antigène-anticorps.
Les techniques immunoenzymatiques (ELISA, enzyme-linked immunosorbent assay) sont les plus répandues mais les résultats sont très dépendants de la qualité des antigènes utilisés (pureté, qualité de la fixation de l’antigène sur son support, accessibilité des épitopes de l’antigène) (fig. 188-1). Ainsi, certains tests peuvent manquer de spécificité, comme les ELISA anti-ADN natif. Les tests les plus spécifiques pour la recherche d’anti-ADN natif sont le test de Farr ou une recherche sur Crithidia luciliae.
Fig. 188-1 Technique de l’ELISA indirect.
L’étape initiale est le dépôt d’un sérum dilué dans des puits. S’il y a une fixation autoantigène/autoanticorps, la réaction immunitaire est révélée par un anticorps conjugué (anticorps anti-anticorps marqué par une enzyme). Après des lavages à chaque étape (pour éliminer l’excès d’anticorps), la réaction autoanticorps/autoantigène est révélée en rajoutant le substrat colorimétrique de l’enzyme portée par le conjugué. Ainsi, les réactions immunitaires seront révélées par une couleur dont l’intensité est proportionnelle à l’importance de la fixation des autoanticorps (présents dans le sérum du patient) sur l’autoantigène présent dans le fond des puits. Cette réaction colorimétrique sera lue par un appareil qui transforme la densité optique (couleur) en valeur (unité/ml) par rapport à un calibrage de l’appareil avec un sérum témoin contenant une quantité d’autoanticorps connue.
L’immunofluorescence est une technique simple mais peu sensible.
Les résultats du dépistage sont rendus en résultats positifs à la dilution qui semble significative. Dans la plupart des laboratoires, le dépistage est considéré comme positif si la dilution de 1/80e ou 1/160e est positive. Ce seuil de positivité doit être discuté en fonction de chaque laboratoire et en fonction de l’âge du patient.
Les résultats de l’identification sont plus précis car, selon la technique, le résultat est rendu positif de façon quantitative (U/ml) ou simplement qualitative (présent ou non).
C Autoanticorps spécifiques d’organes
Certaines maladies d’organes sont caractérisées par des autoanticorps spécifiques (tableau 188-I).
Les dysthyroïdies (maladie de Basedow et thyroïdite de Hashimoto) sont caractérisées par des anticorps dirigés contre le récepteur de la TSH et la thyroperoxydase et/ou la thyroglobuline respectivement.
Le diabète insulinodépendant se caractérise par des anticorps anti-îlots de Langerhans et des anticorps anti-insuline. On peut aussi observer la présence très précoce (avant l’apparition du diabète), d’anticorps anti-GAD (glutamate décarboxylase). Dans le diabète, ils sont dirigés contre la GAD de type II.
La maladie de Biermer se caractérise par des anticorps anti-cellules pariétales gastriques qui ne sont pas très spécifiques, mais surtout par des anticorps anti-facteurs intrinsèques présents chez 70 à 80 % des patients souffrant d’anémie de Biermer.
D Autoanticorps non spécifiques d’organes
Parfois, une affection spécifique d’organes peut être définie par des autoanticorps non spécifiques d’organes (tableau 188-I).
Les anticorps anti-mitochondries (le plus souvent dirigés contre la pyruvate déshydrogénase), spécifiques de la cirrhose biliaire primitive quand ils sont présents à titre élevé (supérieur à 1/100) ; les anti-muscles lisses de type anti-actine, caractéristiques de l’hépatite chronique auto-immune de type I.
Les anticorps anti-microsomes de rein et de foie, ou anti-LKM (liver kidney microsome), et anti-LC1 (liver cytosol 1) dans l’hépatite auto-immune de type II.
La maladie cœliaque se caractérise par des anticorps anti-gliadine d’isotype IgG ou IgA, qui ne sont pas absolument spécifiques, et des anticorps anti-endomysium de type IgA qui représentent des marqueurs assez sensibles et spécifiques de cette maladie. Des anticorps anti-transglutaminases (IgG et IgA) ont été décrits, mais ils ne sont pas non plus totalement spécifiques. Il faut être attentif à la possibilité, chez ces patients, d’un déficit complet en IgA qui rend l’interprétation plus difficile.
Les maladies bulleuses de la peau se définissent par différents autoanticorps dirigés contre des structures spécifiques à chaque forme.
Des neuropathies périphériques peuvent être liées à des anticorps anti-myéline, en particulier anti-MAG (myeline-associated glycoprotein), ou anti-ganglioside.
La myasthénie est liée à l’action d’autoanticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine qui sont présents chez 75 % des sujets.
Certaines vascularites primitives peuvent être identifiées à partir de la recherche d’ANCA (anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires). Ces ANCA sont dirigés contre des constituants antigéniques principalement présents dans les granules des polynucléaires neutrophiles et dans les lysosomes des monocytes. Ce sont de bons marqueurs de certaines vascularites, en particulier de la granulomatose avec polyangéite (maladie de Wegener). La spécificité des ANCA est alors principalement anti-PR3, alors que dans la polyangéite microscopique elle est plutôt anti-MPO (myéloperoxydase).
E Mécanismes de formation et pathogénicité des autoanticorps
Dans un certain nombre de maladies auto-immunes — mais pas toutes, car l’autoanticorps peut être seulement un marqueur —, l’effet lésionnel des autoanticorps sur le tissu cible est prépondérant. Le caractère pathogène des autoanticorps est prouvé par la capacité de transférer la maladie chez l’animal par le sérum des porteurs de maladies auto-immunes ou, dans l’espèce humaine, de la mère au fœtus par le transfert transplacentaire des autoanticorps IgG de la mère, comme par exemple dans la myasthénie.
Si l’on s’intéresse au rôle des agents infectieux, dans plusieurs modèles expérimentaux il a été montré que les infections jouaient un rôle dans l’activation des lymphocytes autoréactifs à l’origine des autoanticorps selon différents mécanismes. Des infections aiguës (Mycoplasma pneumoniae et anémie hémolytique à agglutinines froides) ou des infections chroniques peuvent déclencher une maladie auto-immune.
Dans le diabète ont été impliqués des entérovirus (par mimétisme moléculaire entre un antigène du coxsackie virus B4 et la protéine GAD, glutamic acid decarboxylase), dans le lupus le virus d’Epstein-Barr (EBV).
Chez les patients lupiques avec présence d’anticorps anti-SSa/Ro et d’anticorps anti-Sm, la formation de ces anticorps pourrait être liée à un mimétisme moléculaire avec le peptide EBNA de l’EBV ; en outre, il existe un nombre plus élevé de lymphocytes B infectés par l’EBV avec un taux d’anticorps anti-EBV plus élevé.
La théorie du mimétisme moléculaire repose sur le fait que certains antigènes d’un agent infectieux viral ou bactérien peuvent partager des épitopes communs avec des antigènes du soi. Ainsi, certaines infections virales seraient parfois associées au déclenchement ou à l’exacerbation de maladies auto-immunes.
II ÉPIDÉMIOLOGIE
La maladie auto-immune la plus fréquente est la polyarthrite rhumatoïde, qui touche 1 % de la population générale, suivie par le syndrome de Gougerot-Sjögren (0,3 %) et le lupus érythémateux systémique (40 cas pour 100 000 habitants).
La prépondérance féminine (3 femmes pour un homme pour la polyarthrite rhumatoïde, 9 femmes pour 1 homme pour le syndrome de Gougerot-Sjögren et le lupus) n’est pas expliquée à ce jour.
Les facteurs favorisants connus sont :
– le tabagisme (pour la polyarthrite rhumatoïde) ;
– la susceptibilité génétique définie par le profil HLA1 pour la polyarthrite rhumatoïde (HLA-DR4, HLA-DRB1) et le lupus érythémateux systémique (HLA-DRB1) ;
– les déficits homozygotes en certaines protéines du complément (C1q, C2 et C4), qui sont fortement associés au développement du lupus érythémateux systémique (lié, par exemple, au système du complément dans les processus de clairance des corps apoptotiques) ;
– les médicaments inducteurs de lupus :
• antiarythmiques : procaïnamide, quinidine,
• antihypertenseurs : hydralazine, acébutolol,
• immunomodulateurs : D-pénicillamine, anti-TNFα,
• psychotropes : chlorpromazine,
– le statut hormonal : en période d’activité génitale pour le lupus érythémateux systémique, lors de la ménopause pour la polyarthrite rhumatoïde et le syndrome de Gougerot-Sjögren.
III MALADIES AUTO-IMMUNES
A Circonstances de dépistage de maladies auto-immunes
L’existence de polyarthralgies (polyarthrites) d’horaire inflammatoire doit faire rechercher une pathologie auto-immune.
Les symptômes à rechercher à l’interrogatoire sont :