Chapitre 18
Infections
18.1
Toxoplasmose
Les seules recommandations nationales sur la toxoplasmose pendant la grossesse sont celles de la Haute Autorité de Santé (HAS) [1], lesquelles sont insuffisamment connues. L’accent est mis sur la prévention primaire et l’information aux femmes enceintes aux différents temps du dépistage (tableaux 18.1 et 18.2). Contrairement à une idée reçue, il n’est pas recommandé de mettre en route un traitement sans avis spécialisé. La HAS souligne qu’on manque de preuve de l’efficacité des traitements prescrits en cas de toxoplasmose maternelle. Toute femme ayant une séroconversion suspectée ou confirmée doit être orientée sans tarder vers une équipe ayant une expertise reconnue, en lien avec un Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN).
Tableau 18.1
Recommandations de la HAS 2009.
Déterminer le statut immunitaire vis-à-vis de la toxoplasmose avant la grossesse (préconceptionnel) étant donné les difficultés d’interprétation possibles durant la grossesse.
En l’absence de sérologie positive avant la grossesse, prescrire une sérologie de toxoplasmose dès le début de grossesse.
Expliquer aux femmes séronégatives enceintes (ou ayant un projet parental) les règles hygiéno-diététiques.
En cas de suspicion de séroconversion :
1. Ne pas prescrire de traitement sans avis d’experts
2. Faire contrôler les sérums dans un laboratoire expert (éviter une conclusion hâtive, notamment pour les IgM et IgG positifs en début de grossesse ou l’apparition d’IgM sans IgG en cours de grossesse)
3. Orienter rapidement la femme vers un centre expert. Cette équipe décidera avec la femme, après bilan et information complète, de prescrire un éventuel traitement.
Situation actuelle de la toxoplasmose congénitale en France
En cas d’infection primaire chez une femme enceinte, le risque de transmission dépend de l’âge gestationnel (figure 18.1) : 1 % en cas d’infection périconceptionnelle, 10 % au 1er trimestre et dépasse 70 % au 3e trimestre.
Figure 18.1 Risque de transmission mère-enfant du toxoplasme selon le terme (en SA) à la séroconversion (étude SYROCOT).
La plupart des toxoplasmoses congénitales sont asymptomatiques à la naissance. Les atteintes oculaires peuvent se révéler de façon retardée, dans l’enfance voire à l’adolescence. Le devenir des enfants ayant une toxoplasmose congénitale sans signes majeurs à l’échographie, lorsqu’ils sont bien pris en charge [2], est excellent même en cas de lésions rétiniennes [3].
Diagnostic de l’infection maternelle (figure 18.2)
Annonce du diagnostic
Il faut annoncer une séroconversion avec tact, car elle déclenche souvent une angoisse et un sentiment de culpabilité (« je n’ai pas fait ce qu’il fallait pour éviter de contaminer mon bébé »). Il ne s’agit pas de nier les risques, mais le simple fait de les mettre en perspective est important, tant ils sont surestimés dans le public, et malheureusement par beaucoup de médecins. Un site est mis à disposition du public par l’équipe lyonnaise (www.spiral.univ-lyon1.fr/Files_m/M3215/WEB/toxo.htm).
Diagnostic anténatal
L’amniocentèse, jamais obligatoire, permet un diagnostic fiable. Les performances de la polymerase chain reaction (PCR) sur le liquide amniotique sont excellentes aujourd’hui, avec une valeur prédictive négative dépassant 98 % [4]. Pour éviter les faux négatifs, la ponction est faite au moins 4 semaines après la séroconversion et jamais avant 18 SA. Même lorsque l’amniocentèse n’est pas réalisée, le suivi mensuel par l’échographie reste indispensable.
Que faire si le résultat de l’amniocentèse est positif ?
Une PCR toxoplasmose positive suffit pour poser le diagnostic de toxoplasmose congénitale. Un traitement par pyriméthamine/sulfamide est proposé (voir ci-dessous), l’interruption médicale de grossesse étant réservée aux cas de pronostic très péjoratif. Une contamination précoce est un facteur de risque de forme sévère, mais ne constitue pas une indication d’IMG. En cas d’infection maternelle acquise avant 20 semaines, une concentration élevée de parasites dans le liquide amniotique par la PCR quantitative est associée à un risque accru d’atteinte fœtale sévère. Il existe des souches parasitaires plus pathogènes que celle couramment rencontrée en Europe [5]. L’IRM fœtale est moins performante que l’échographie pour estimer le pronostic d’une toxoplasmose fœtale. L’échographie itérative est donc l’examen déterminant pour évaluer le pronostic.
Les lésions cérébrales sont les plus évocatrices d’une toxoplasmose fœtale [6] :
• dilatation ventriculaire, généralement bilatérale et symétrique, et d’évolution souvent rapide (à la fois obstructive et clastique) ;
• zones hyperéchogènes correspondant à des foyers de nécrose, encore peu calcifiés lors de la réalisation de l’examen ; ces densités cérébrales sont associées à un risque de choriorétinite mais quand elles sont isolées, ne suffisent pas pour affirmer un mauvais pronostic neurologique ;
• microcéphalie et atrophie cérébrale sont beaucoup plus rares.
L’apparition d’une dilatation ventriculaire cérébrale est de mauvais pronostic, faisant discuter l’interruption de grossesse. En revanche, la normalité de la surveillance échographique est de pronostic favorable même pour des infections maternelles du 1er trimestre [2]. La loi française permet en effet d’éviter l’IMG pour simple doute dans la mesure où elle reste possible même à un terme avancé s’il apparaît des lésions sévères avérées.
Que faire si le résultat de l’amniocentèse est négatif ?
Lorsque le diagnostic est négatif, la surveillance échographique est poursuivie jusqu’à la naissance, car il existe quelques cas de toxoplasmose congénitale après une amniocentèse négative [7]. On peut arrêter la prophylaxie après une amniocentèse négative si l’infection maternelle a eu lieu avant 22 SA. En pratique, la prophylaxie est souvent poursuivie jusqu’à l’accouchement malgré une amniocentèse négative par crainte d’un résultat faussement négatif. Or, un délai d’un mois est largement suffisant pour que la parasitémie maternelle soit négative, et devrait (sans que cela soit démontré) suffire pour supprimer la présence du parasite dans le placenta. En pratique, la valeur prédictive négative d’un résultat de PCR négatif suite à l’amniocentèse est supérieure à 98 % avec les techniques actuelles [4].
Que faire en cas de séroconversion périconceptionnelle ?
En revanche, si la datation sérologique est compatible avec une séroconversion au tout début de la grossesse il existe un risque de toxoplasmose congénitale de l’ordre de 1–2 %. Certains considèrent que les cas de contamination donnent lieu à des fausses couches ou à des formes graves aisément repérables à l’échographie (« loi du tout ou rien ») et préconisent un simple suivi échographique. Toutefois, l’amniocentèse permet le diagnostic avant l’apparition de signes échographiques souvent retardés et surtout la possibilité de traitement anténatal [8].
Comment prendre en charge une séroconversion au 3e trimestre ?
Le risque de transmission est très élevé, mais le risque de séquelles graves est proportionnellement plus faible (figure 18.3). Dans l’attente des résultats de l’essai TOXOGEST (actuellement en cours en France), il n’y a pas de données suffisantes pour trancher entre plusieurs attitudes possibles :
Figure 18.3 Risque d’apparition de signes cliniques avant l’âge de 3 ans chez les enfants ayant une toxoplasmose congénitale selon le terme de séroconversion maternelle (étude SYROCOT), n = 473.
• diagnostic anténatal et traitement en fonction du résultat ;
• traitement par pyriméthamine-sulfamide sans faire de diagnostic anténatal ;
Traitements
Traitement prophylactique
L’effet protecteur de la spiramycine a été déduit d’études d’observation anciennes [9] qui comportent un biais considérable, car elles ne tiennent pas compte de l’âge gestationnel (figure 18.1). Or, on constate que les femmes étaient plus souvent traitées en cas de séroconversions précoces et à faible risque de transmission qu’en cas de séroconversions tardives, les plus à risque de transmission. Une grande méta-analyse [10] n’a pas démontré d’effet protecteur, ce qui ne prouve pas non plus son inefficacité.
Il est possible que le traitement antiparasitaire soit inefficace pour deux types de raisons :
• le traitement prophylactique intervient trop tard alors que le parasite est déjà passé dans la circulation fœtale. On peut néanmoins espérer interrompre la transmission mère-enfant au stade de l’infection du trophoblaste, avant le passage des tachyzoïtes à travers la barrière placentaire. D’ailleurs, certaines études trouvent une transmission plus faible en cas de traitement débuté rapidement après la séroconversion maternelle [11] ;
• l’antiparasitaire choisi est trop peu actif, la spiramycine ayant un effet antiparasitaire modeste [12], par rapport au traitement de référence pyriméthamine-sulfadiazine.
L’utilisation de la spiramycine ne repose sur aucune recommandation d’une société savante française ou internationale. Au contraire, la HAS [1] a émis des doutes et demandé que des réponses soient apportées dans un délai de 5 ans à certaines interrogations à travers la réalisation d’essais randomisés.
Une telle étude est en cours, TOXOGEST [12]. Il s’agit d’un essai randomisé multicentrique (PHRC national) comparant l’efficacité et la tolérance de deux traitements prénatals, la spiramycine et l’association pyriméthamine-sulfadiazine sur la réduction de transmission materno-fœtale de T. gondii. L’étude est sans insu et ne comporte pas de groupe placebo pour des raisons d’acceptabilité. Le traitement est débuté le plus rapidement possible après le diagnostic de séroconversion. Le suivi échographique et l’amniocentèse sont faits selon les pratiques usuelles.
Place du traitement in utero
Un traitement associant la pyriméthamine avec un sulfamide (sulfadiazine ou sulfadoxine) est proposé jusqu’à la naissance (sauf IMG), puis en post-natal (tableau 18.3). Les principaux effets indésirables sont l’agranulocytose et la toxidermie. Ainsi, il faut surveiller la NFS deux fois par semaine et arrêter le traitement en cas de leucopénie ou de réaction allergique, même si les toxicités semblent peu fréquentes [13].
Tableau 18.3
Posologies des principaux traitements de la toxoplasmose utilisés en anténatal.
Médicaments | Posologie |
Spiramycine (Rovamycine®) | 3 MUI × 3 prises/j |
Pyriméthamine (Malocide®) | 1 cp à 50 mg/j |
Sulfadiazine (Adiazine®) | 3 cp à 500 mg × 2 prises/j |
Acide folinique (Folinoral®) | 2 gél. à 25 mg/sem |
Il n’y a pas de preuve directe d’efficacité pour diminuer les séquelles de toxoplasmose congénitale, faute d’essai clinique randomisé, mais il existe plusieurs arguments indirects en faveur de ce traitement in utero. Tout d’abord, le traitement post-natal par pyriméthamine et sulfamides semble bien avoir un effet bénéfique [14]. Quelques séries suggèrent que ce traitement en anténatal réduit les séquelles, avec jusqu’à quatre fois moins de signes cérébraux [15]. D’autres indiquent que plus le traitement était précoce, plus il semblait efficace [16, 17]. Toutefois, d’autres études ne montrent pas d’effet bénéfique du traitement anténatal [10, 18].
Conclusion
La toxoplasmose est un domaine en pleine évolution. L’incidence chute, la place des traitements prénatals est un sujet de recherche, la poursuite du programme français de dépistage est en suspens. En France, qui est un rare pays où le dépistage de la toxoplasmose est systématique, la HAS n’a accepté de maintenir le programme de dépistage que dans l’attente des résultats de l’essai pour déterminer l’efficacité des traitements anténataux. Pour l’instant, l’argument le plus fort en faveur du dépistage est le fait que la toxoplasmose congénitale continue d’entraîner des handicaps sévères aux États-Unis et en Amérique du Sud où aucun dépistage n’a lieu [19], alors que cette situation est devenue exceptionnelle en France.
Références
[1] Haute Autorité de Santé (HAS). Recommandation en santé publique : Surveillance serologie toxoplasmose et rubéole durant la grossesse. http://www. has-sante. fr/portail/jcms/c_931379/surveillance-serologique-et-prevention-de-la-toxoplasmose-et-de-la-rubeole-au-cours-de-la-grossesse.
[2] Berrébi, A., Assouline, C., Bessières MH Lathière, M., Cassaing, S., Minville, V., et al. Long-term outcome of children with congenital toxoplasmosis. Am J Obstet Gynecol. 2010; 203:552. e1. [6].
[3] Peyron, F., Garweg, J. G., Wallon, M., Descloux, E., Rolland, M., Barth, J. Long-term impact of treated congenital toxoplasmosis on quality of life and visual performance. Pediatr Infect Dis J. 2011; 30:597–600.
[4] Wallon, M., Franck, J., Thulliez, P., Franck, J., Thulliez, P., Huissoud, C., et al. Accuracy of real-time polymerase chain reaction for Toxoplasma gondii in amniotic fluid. Obstet Gynecol. 2010; 115:727–733.
[5] Delhaes, L., Ajzenberg, D., Sicot, B., Bourgeot, P., Dardé, M. L., Dei-Cas, E., et al. Severe congenital toxoplasmosis due to a Toxoplasma gondii strain with an atypical genotype : case report and review. Prenat Diagn. 2010; 30:902–905.
[6] Hohlfeld, P., MacAleese, J., Capella-Pavlovski, M., Forestier, F., Daffos, F., et al. Fetal toxoplasmosis : ultrasonographic signs. Ultrasound Obstet Gynecol. 1991; 1:241–244.
[7] Villena, I., Bory, J. P., Chemla, C., Hornoy, P., Pinon, J. M. Congenital toxoplasmosis : necessity of clinical and ultrasound follow-up despite negative amniocentesis. Prenat Diagn. 2003; 23:1098–1099.
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